Apprendre, enseigner, quelques éléments d’après
Carl Rogers
Je voudrais vous communiquer quelques brèves
observations qui, j’espère, susciteront des réactions de votre part, lesquelles,
à leur tour, m’aideront à préciser ma pensée.
A-
Etant donné l’objectif de ce séminaire, je commence par celle-ci : mon
expérience m’a conduit à penser que je ne puis enseigner à quelqu’un d’autre à
enseigner. C’est une tentative qui, pour finir, est futile.
B-
Il me semble que tout ce qui peut être enseigné à une autre personne est
relativement sans utilité et n’a que peu ou point d’influence sur son
comportement. Cela me parait si ridicule que je ne peux m’empêcher d’en douter
au moment même où je l’exprime.
C-
Je m’aperçois de plus en plus clairement que je ne m’intéresse qu’aux
connaissances qui peuvent avoir une influence significative sur le comportement
d’un individu. Peut-être s’agit-il là d’une tendance qui m’est purement
personnelle.
D-
J’en suis arrivé à croire que les seules connaissances qui puissent
influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui-même et
qu’il s’approprie.
E-
Ces connaissances découvertes par l’individu, ces vérités personnellement
appropriées et assimilées au cours d’une expérience, ne peuvent pas être
directement communiquées à d’autres. Dès qu’un individu tente de communiquer
directement ce genre d’expérience, souvent avec un enthousiasme sincère, cela
devient un enseignement, et les résultats en sont futiles…
F-
La conséquence de ce qui précède, c’est que mon métier d’enseignant n’a
plus, pour moi, aucun intérêt.
G-
Lorsque j’essaie d’enseigner, comme il m’arrive de le faire, je suis
consterné par les résultats, lesquels sont à peine plus qu’insignifiants, parce
que, parfois, l’enseignement semble atteindre son but. Quand c’est le cas, je
m’aperçois que le résultat est préjudiciable : en effet, l’individu perd
confiance en sa propre expérience, de sorte que toute possibilité de
connaissance authentique est écartée. J’en conclus que les résultats de
l’enseignement sont ou insignifiants ou nuisibles.
H-
Quand je fais un retour en arrière pour examiner les résultats de mon
enseignement, ma conclusion est identique : ou bien il a fait du mal, ou il n’a
rien apporté. Cela me parait inquiétant.
I-
En conséquence, je m’aperçois que je ne m’intéresse qu’à apprendre, et,
de préférence, des choses importantes qui ont une influence sur mon
comportement.
J-
Je trouve satisfaisant d’apprendre, que ce soit en groupe, en relations
individuelles comme en thérapie ou tout seul.
K-
J’ai découvert que la meilleure façon d’apprendre, bien que la plus
difficile, est, pour moi, d’abandonner mon attitude défensive, au moins
provisoirement, pour essayer de comprendre une autre personne conçoit et éprouve
sa propre expérience.
L-
Une autre façon d’apprendre est, pour moi, d’exprimer mes incertitudes,
d’essayer de clarifier mes problèmes afin de mieux comprendre la signification
réelle de mon expérience.
M-
Toute cette suite d’expérience et les significations que j’y ai
découvertes jusqu’à présent m’ont lancé dans un processus qui est passionnant
mais, parfois, un peu effrayant. Elle m’a conduit à laisser mon expérience me
guider dans une direction qui me parait positive, vers des buts que je
n’aperçois qu’obscurément, tandis que j’essaie de comprendre ce qu’elle
signifie. J’éprouve la sensation de voguer sur un fleuve sans cesse grossissant,
entrainé par l’espoir de comprendre la complexité de ses constants changements.
En conséquence :
1-
Cette expérience impliquerait qu’il faudrait renoncer à tout
enseignement. Ceux qui désireraient apprendre quelque chose se réuniraient pour
le faire.
2-
On abolirait les examens, puisqu’ils ne sauraient mesurer que des
connaissances sans valeur.
3-
Pour la même raison, il faudrait abolir tous diplômes et mentions.
4-
On abolirait les diplômes en tant que titres de compétence pour la même
raison. De plus, un diplôme indique la fin ou la conclusion de quelque chose :
or, celui qui veut apprendre ne s’intéresse qu’à un processus continu
d’apprentissage.
5-
Une autre implication serait qu’il faudrait renoncer à tirer des
conclusions, car il est évident que personne n’acquiert de connaissances
valables au moyen de conclusions.
Je n’irai pas plus loin de peur de me lancer dans
un univers trop fantastique.
Carl Rogers, le développement de la personne,
1961, pp. 197-199
- PRESENCE DE CARL ROGERS
PERETTI (DE) ANDRE
Editeur ERES, HORS COLLECTION
Il s'agit là d'une nouvelle édition actualisée de l'ouvrage paru aux éditions Privat
en 1974, Pensée et vérité de Carl Rogers. Cet ouvrage constitue une présentation très
complète et sans équivalent de la recherche et de la pratique rogériennes. L'ouvrage
est augmenté d'une partie inédite sur les développements actuels de cette pensée qui
n'a pas manqué d'influencer tous les domaines du soin, de l'éducation, du travail
social, de la formation, du management.
|