Le changement réussi est de l'ordre de l'informel et du complexe. C'est
une transformation du regard qu'il s'agit de mettre en place en premier.
Le changement s'opère d'autant mieux qu'il s'effectue inconsciemment, un
peu comme les modifications du rythme cardiaque qui se produisent à
notre insu. Il s'élabore d'autant plus efficacement que l'on évite le
recours aux ordres et aux décrets, qui sont généralement subis comme des
cassures et des ruptures, et que l'on prend appui sur les potentialités
que tout système humain possède pour évoluer.
Ce sont les conditions de base pour obtenir la coopération des membres
et des parties d'une organisation dans sa dynamique d'évolution. Et
cette approche requiert toute la vigilance du promoteur de changement.
Si celui-ci met l'accent sur les défauts et cherche en premier lieu à
les éliminer, il a toutes les chances d'activer les blocages et par
effet rétroactif de renforcer les dysfonctionnements repérés. Par
contre, le respect et la valorisation des systèmes humains et des
personnes dynamisent leurs possibilités d'évolution et les autonomisent.
Paradoxalement, c'est au moment où l'on s'accepte dans ses propres
manques et où l'on se sent reconnu que l'on peut entrer le plus
facilement dans un processus de changement. Toute organisation humaine,
et cela est encore plus vrai pour l'école et ses personnels, y compris
de direction, a fondamentalement besoin de cette reconnaissance et de
cette valorisation avant de pouvoir entrer dans une dynamique
d'évolution.
C'est alors que les ressources et les compétences du système deviennent
facilement mobilisables pour parvenir aux fins souhaitées. Or,
contrairement à ce que l'on pense généralement, les innovations ne
manquent pas à l'école. Le problème est qu'elles sont peu connues, pas
évaluées, rarement mutualisées, jamais valorisées. La plupart du temps,
les enseignants les font même en cachette de peur de se faire taper sur
les doigts.
Le changement est éminemment paradoxal. Sans doute sont-ce ces savoirs
qui devraient faire partie du «socle commun de connaissances» de
l'école. Cela serait certainement très utile à nos hommes politiques,
mais pas seulement !...
C'est cette culture du changement qu'il s'agit d'injecter dans nos
organisations, et pour commencer à l'école. Nombre d'enseignants sont
déjà prêts à s'y lancer si on leur «lâche les baskets», si on les
reconnaît dans leurs efforts et leurs compétences, et surtout si on les
accompagne dans leurs faux pas. Pour les autres, tout est une affaire de
recrutement, de formation et de reconnaissance... Sur ce dernier plan,
un ministre a alors peut-être sa place...
Dernier ouvrage paru : Apprendre ! (Belin), nouvelle édition
2004.
Par André
Giordan professeur
à l'université de
Genève et directeur du Laboratoire
de didactique et épistémologie des sciences.
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