Jean-Pierre Astolfi s’inscrit dans le courant de la
professionnalisation du métier d’enseignant. Pour montrer les évolutions en
cours, il analyse les mots employés dans la profession. Or, on n’arrive pas
à stabiliser un vocabulaire spécialisé autour des enseignants. Certes, en
créant un vocabulaire spécialisé, on risque de créer un jargon et, en
conséquence, de faire de la rétention d'informations, mais il est nécessaire
d'employer des mots dont le sens est stabilisé car le vocabulaire courant
n'est pas assez précis et oblige à recourir constamment aux périphrases.
JP Astolfi a proposé deux séries de 10 mots, d’un côté les
mots courants pour définir les apprentissages, de l’autre, les mots du
jargon des sciences de l'éducation. Il a passé chaque couple de mots en
revue. Les premiers désignent le fonctionnement classique de l'école, tel
que la mémoire sociale et l'imaginaire collectif le perçoivent. Les seconds,
plus conformes aux acquis des sciences de l'éducation, indisposent les
anti-pédagogues. Ces deux séries de mots renvoient à deux modèles de l'acte
d'apprendre, à deux modèles de la profession.
Transmission |
Construction |
Instruction |
Formation |
Maître |
Médiateur |
Elève |
Apprenant |
Programme |
Curriculum |
Leçon,
cours |
Dispositif |
Notion |
Concept |
Mémoire |
Cognition |
Connaissances |
Compétences |
Contrôle |
Evaluation |
Transmission |
Instruction |
1-
Transmission/Construction
Ce mot renvoie à un modèle rustique de la communication où
les élèves sont dans l'écoute, l'accueil, l'effectuation docile, même si
l'enseignant leur demande de "participer".
Marguerite Altet (Nantes) a étudié de nombreux épisodes
didactiques et leur a donné trois types de noms.
-
67% sont des épisodes
inducteurs : les prises de parole des élèves sont induites par les
enseignants.
-
27% sont des épisodes
médiateurs : l’enseignant s’ajuste davantage aux évolutions de la classe
-
5,6% sont des épisodes
adaptateurs où l’enseignant accepte de faire évaluer son projet didactique
en fonction de l’imprévu.
Dans la transmission, les élèves répondent plus au maître
qu’à la question. On leur demande de faire leur "métier d'élève" (expression
de Perrenoud) plutôt que de s'atteler aux tâches de cognition.
La constructivisme est un mot-clé du jargon pédagogique.
L’école est bien le lieu de la transmission générationnelle des savoirs mais
c’est une transmission sociale, collective qui n'est pas la somme de
transmissions individuelles.
Chaque enfant est soumis à une "obligation d’apprendre" (expression de
Charlot) car il naît démuni (à la différence des animaux). L'école est le
lieu de la violence symbolique qui permet l'appropriation. Le parcours de
l’enfant est plus appropriatif que transmissif.
2-
Instruction/Formation
L'apprentissage est envisagé comme si chaque pas de
l'explication magistrale correspondait à un pas de compréhension dans la
tête de l’élève. Entre le processus "enseigner" et le processus "apprendre",
il y aurait une équivalence, le déroulement didactique serait synchrone,
l'acte d'apprendre serait le miroir de l'acte d'enseigner. En français, on
dit « j’apprends quelque chose aux élèves » mais les autres langues montrent
bien la distinction entre les deux processus : en anglais : “teaching” est
différent de “learning », en espagnol “aprender » est différent de « ensenar »
Dans le processus "enseigner", on part des bases pour aller
vers le complexe. Or c’est tout le contraire dans la tête de l’élève ! C'est
le début qui est touffu, difficile, et plus on avance, plus on met de
l'ordre.
Chez l'enseignant, pour enseigner la logique de son domaine,
tout est présent de manière simultanée. L’expert a en tête l’ensemble des
notions et des compétences sans que cela charge sa mémoire. De son point de
vue, un réseau arborescent est transformé en parcours linéaire, où des
étapes sont découpées, introduisant ainsi de la temporalité dans ce qui est
donné d'un coup.
L’instruction renvoie à une succession hiérarchisée d’étapes
alors que la formation renvoie à un changement global de la forme. Dans le
processus de formation, l’élève doit recomposer la vue d’ensemble en
démontant le processus didactique qui a été construit par l'enseignant.
L’apprentissage nécessite une reconstruction, une remise en réseau, sans en
rester au déroulé.
3-
Maître/Médiateur
Il est celui qui a l’autorité, même si c’est d’abord le
savoir qui est autoritaire. L'enseignant est en position de surplomb par
rapport à l’élève mais cela ne peut pas définir en permanence le rapport
maître/élève car cela interdirait le dialogue pédagogique.
C'est un terme qui apparaît plus serein car il remplace une
relation verticale par une relation horizontale mais en réalité il renvoie à
quelque chose de plus complexe car cela implique une démultiplication des
postures.
On en compte trois :
- la posture d'intermédiaire où l'enseignant joue le
négociateur, l'interface, le diplomate…
- la posture de transition où l'enseignant joue le tampon, le
temporisateur en faisant respecter un temps de latence : l’apprentissage se
fait dans la durée, il faut savoir ne pas aller trop vite et permettre les
constructions progressives
- la posture de coupure. L’idée de la coupure par le milieu renvoie à la
figure du castrateur, de la séparation. Grandir et apprendre impliquent la
construction d'une distance qui permet de rompre avec les identifications
primitives. L'enseignant est aussi celui qui déconstruit la certitude du
sens commun.
Le médiateur accompagne et encourage, temporise et donne patience, rompt
tout en gardant du lien.
4- Elève/Apprenant
·
L’élève
Le mot, dans le Littré, renvoie à l’idée de nourrissage,
d'élevage, ce qui implique de la passivité face aux soins de l'éleveur.
Beaucoup d’élèves sont dans cette posture : ils attendent que "ça passe".
Ils pensent que rien ne dépend d’eux, mais du "maître-jardinier", qu’ils
n’ont qu’à être obéissants, à faire leur "métier d'élève". Le risque de
cette position est l'activisme occupationnel, on "occupe" les heures.
·
L'apprenant
Le terme vient du Québec et voisine avec celui
d'entrepreneur. Il souligne qu'il y a quelque chose "à prendre" et que
l'appropriation est nécessaire. L’apprentissage suppose une mobilisation
cognitive du sujet car apprendre, c'est toujours extraire la pépite (le
savoir) de la gangue (les activités).
On a pu
observer que les ZEP qui ont de bons résultats s’appuient sur le fait de
rendre les élèves apprenants. Il faut se méfier des élèves qui se limitent à
l'activité et des pratiques pédagogiques qui se sortent pas des activités.
5-
Programme/Curriculum
Le terme de programme renvoie à l'idée du texte du
savoir, tandis que celui de curriculum pose la liberté pédagogique du
texte. L'idée de curriculum élargit celle du programme en envisageant, comme
chez les anglais ou les espagnols, les objectifs, les contenus, les
matériels, les démarches, les activités, les évaluations.
6-
Leçon/Dispositif
·
La leçon
Elle suppose
une progression qui a été programmée car le maître est celui qui sait, avant
les élèves, ce qui adviendra après. Il est le "chono –maître". Le risque est
que la leçon se déroule pour les élèves mais SANS eux !
·
Le dispositif
Ce mot désigne, au sens premier, l’ensemble stratégique de
mesures, diversifiées et cohérentes, pour restaurer la maîtrise de quelque
chose de compromis. Il s’agit de déposer les savoirs autour du groupe
apprenant en laissant le dispositif produire ses effets.
L'enseignant introduit une situation (énigme, ambiguïté,
problème…) qui pousse les élèves à l'emparer de la question. Cela s'oppose à
l'interventionnisme et doit permettre au professeur de faire un pas de côté
pour devenir l'observateur des activités de sa classe, sans occuper la
première place. Chaque leçon prend alors un statut d’événement singulier qui
ne se reproduit jamais à l'identique.
7-
Notion/Concept :
L'idée de
notion est difficile à définir car il n’y a pas de concept de notion ! La
notion est ce vers quoi est tendue la leçon, la formulation finale qui
relève d'un processus de clôture. La notion est institutionnalisée : le
programme se découpe en notions et on contrôle à la fin leur acquisition.
C’est une
ouverture (non une fermeture comme la notion) vers de nouvelles
perspectives, vers un nouveau monde. Chaque discipline donne avec ses
concepts une certaine saveur au savoir.
Passer de l'idée de notion à celle de concept, c'est passer
des savoirs propositionnels (énonçant des contenus, reliés sous une forme
linguistique qui résume le savoir) à la connexité des idées.
8-
Mémoire/Cognition
La mémorisation scolaire renvoie aux souvenirs du passé ; il faut se souvenir
de ce que l'on a appris. Or, l'effort demandé aux élèves est vaste : il y a,
par exemple, 6000 mots nouveaux dans le programme de 6ème dans
les manuels. Sur ces 6000 mots nouveaux, les élèves en retiennent environ
2500.
Souvent ce
qui pose problème aux élèves, ce n'est pas la cognition, c'est la
mémoire. On a souvent l'impression que la mémoire est un préalable à la
cognition. Mais les derniers travaux scientifiques de la psychologie
cognitive montrent que la forme même de la cognition. La mémoire concerne
aussi le futur des apprentissages : elle ne se limite pas au passé, mais
elle permet de détecter ce qui est nouveau.
9- Connaissances /
compétences
Le terme
renvoie à ce qui s'accumule, se thésaurise, les pré-requis perçus comme
statiques, passifs. C'est sur les connaissances que sont évalués les élèves.
Pas de définition posée de ce terme. C'est une notion à la
mode, utile et importante mais on observe que dans ses usages scolaires le
recours à ce mot permet souvent de ne définir que des objectifs
opérationnels. Or, l'idée de compétence est plus large, elle permet de
saisir les progrès intellectuels majeurs qui s'installent dans le long
terme..
10- Contrôle/Evaluation
Depuis 20 ans, Guy Berger a pointé la différence entre
contrôle et évaluation. Etymologiquement, le contrôle est le
contre-rôle (le double du rôle) qui permet de s'assurer de la conformité
d'une mesure. Le mot renvoie à la mesure, l'objectivité de la mesure, au
barème.
Etymologiquement le mot renvoie à "valeur". L'évaluation est
un processus d’interaction, de négociation. L’évaluation envoie aux élèves
un signal et a une fonction de communication.
L’évaluation balance entre l’estime (comme on navigue à
l'estime) et l’estimation (qui peut être précise). On accompagne et
encourage la personne de l'élève tout en introduisant la lucidité sur la
valeur du "produit" évalué.
Conclusion
Ce renouveau lexical
illustre les efforts pour transformer un métier (gamme de routines
traditionnelles, gestes du métier connus, savoir-faire stabilisés) en une
profession (recherche de solutions optimales, capacité d'adaptation…).
Cette évolution est
difficile, elle se fait par à-coups puis connaît des périodes de stagnation,
mais elle est nécessaire.
En complément avec:
L'efficacité des enseignants
FELOUZIS Georges. L'efficacité des enseignants : sociologie de la relation
pédagogique. Paris : PUF, 1997. (Pédagogie d'aujourd'hui).
L'auteur interroge la façon dont se construit l'efficacité des enseignants, dans le
rapport avec les élèves dans la classe, et en relation avec les évolutions du système
éducatif et du public scolarisé. Il présente un bilan critique des connaissances sur le
rapport qu'entretiennent les enseignants à leur métier et à leurs élèves, sur
l'efficacité des enseignants, sur l'importance de l'effet-enseignant dans le contexte des
inégalités sociales et des processus scolaires de sélection. Il montre ensuite, sur la
base d'une enquête menée dans 36 classes de mathématiques et 25 classes de français,
que c'est dans le rapport subjectif au métier que se construit l'efficacité
professionnelle : dans des conditions d'exercice du métier identiques,
le rapport aux élèves et à leurs potentialités, le rapport à la fonction
enseignante, à la discipline enseignée, à l'évaluation sont particulièrement
pertinents pour penser les différences d'efficacité et les effets des
attentes des enseignants sur la progression des élèves.
Il construit deux grands modèles d'attitudes et de pratiques qui
mettent en lumière les processus de construction des rôles : le modèle du "ritualisme
académique" et le modèle du "pragmatisme pédagogique". La
construction du rôle de l'enseignant, en relation ou non avec les
transformations du public, des moyens et des buts de l'enseignement,
organise largement les attentes et l'efficacité des enseignants.
En
corrélation avec les évolutions fortes et durables du métier
d'enseignant en Europe (source: Eurydice.org, 2004)
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