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I Diversifier en classe entière au collège

 

 

 

 

Résumé :

Où le lecteur sera invité à parcourir, en cheminant, des chemins variés, courts ou longs, parfois erratiques, parfois directifs, le vaste monde de la diversification en pédagogie ; où pourtant, il se trouvera confronté à des choix, d’adaptation, de transposition, de pertinence, d’efficience ou encore de congruence, ne pouvant pas tout emporter ; où enfin, il construira pour lui et pour ses collègues, au-delà de la profusion des techniques et des méthodes,  des réponses qui font sens, à propos de l’efficacité scolaire et de son propre pouvoir à faire bouger le « monde », c'est-à-dire, d’abord ses élèves.

 

 

 

Le conférencier

François Muller est consultant, responsable de la mission innovation et expérimentation, dans l’académie de Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le Manuel de Survie à l’usage de l’enseignant même débutant, prix Louis Cros, 2005, et en collaboration avec André de Peretti, a développé un site depuis une dizaine d’année, consacrée à la diversification en pédagogie. http://francois.muller.free.fr/diversifier/index.htm,; plusieurs podcasts et vidéos sont en ligne.

En hommage et en héritage direct  d’André de Peretti qui avait donné une exceptionnelle conférence au Mans-Rouillon le 2 juin 1993 sur le thème Différencier la pédagogie : pourquoi ? Comment ?

Leur dernier ouvrage est consacré au thème du jour : Mille et une propositions pour animer sa classe et innover en cours, éd . ESF, 2008.

 

 
Mots-clés : diversification, différenciation, combinatoire, rôle, empowerment, processus, cohérence, sens, équipe, Europe, élève !

 

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Sommaire

Le lego comme métaphore de la diversification, même au collège ?

De quoi s’agit-il quand on dit « diversifier au collège » ?

Préambule : diversifier, et vous ? Où en-êtes vous ?

 

A-     Gammes toutes professionnelles pour la diversification en pédagogie

1-      Adapter formes et contenus de son enseignement

2-      Varier les activités

3-      Choisir sa « guidance »

4-      Alterner les séquences

5-      Rythmer les temps par l’évaluation formatrice

6-      Proposer des situations-problèmes

7-      Penser un « ailleurs » : travail par le détour et habillage de la tâche scolaire

8-      Partir des représentations

9-      Organiser rôles et interactions

10-  Reconnaître à chacun une « consistance positive » : la pédagogie des rôles

11-  Varier les groupements et penser les passerelles

12-  Espace(s) de classe

13-   Dynamique des apprentissages et désordre du temps scolaire

14-  Différencier par niveaux de maîtrise

 

B-     Processus de formation, plus que techniques

15-  Variété requise

16-   Pour une logique de formation

17-   Analyse de besoin et processus

18-  Une approche globale

19-  Une « approche centrée sur la Personne »

20-  Mini-gestes, maxi-effets

21-  Recherche d’efficacité scolaire

 

C-     La différenciation, c’est (enfin aussi), une politique et une préoccupation pour tous

22-  Aller voir « ailleurs »

23-   Désarticulation des systèmes logiques

24-  Identifier les conditions gagnantes pour la différenciation pédagogique

25-  Penser en combinatoire

26-  Apprendre de l’expérience

Bibliographie

 

Compte-rendu de l’atelier 4 : diversifier en classe entière au collège, analyse de pratique

 

 


Le lego comme métaphore de la diversification, même au collège ?

 

En guise de réponse à cette invitation injonctive, « diversifier en classe entière », je voudrais vous proposer un parcours progressif, créatif aussi, à la manière des legos (marque déposée).

 

C’est peut-être enfantin, mais les legos, c’est aussi une manière d’apprendre en combinant des briques de toutes couleurs, de toutes dimensions, particules élémentaires. Elles n’ont d’intérêt qu’ensemble, dans l’assemblage éphémère que le « maître » du jeu aura effectué au gré de son envie. C’est déjà un élément de réponse : la diversification, même en classe entière, même au collège, partage cette caractéristique.

 

Et,  avec des legos, on arrive à faire de magnifiques constructions,  très sérieuses ; on fait même des robots en lycée technologiques qui sont des supports d’apprentissage très efficaces, leur souplesse d’utilisation est extrêmement intéressante en matière de créativité et de coopération émulatrice.

 

De quoi s’agit-il quand on dit « diversifier au collège » ?

 

André de Peretti, comme André Legrand, ont contribué de manière fondatrice, à cette question ; c’est dire qu’au collège, la différenciation pédagogique s’ancre dans l’histoire d’une trentaine d’années. Joseph Capelle disait en 1966 : « L’école de demain reste à faire ». On a commencé à réunir les élèves qui venaient de voies différentes en 6ème. Après la réforme Haby (collège unique), en 1981, Alain Savary déclare : « Cela reste une ambition et l’œuvre de plusieurs générations ».

 

Petit tableau historique et sémantique

La question n’est pas neuve et reste d’une singulière actualité à la lumière de l’analyse de nos systèmes éducatifs à l’échelle européenne. Elle semble rencontrer une « frontière invisible ». Ce n’est pas qu’une histoire de profs ou d’outils. Elle témoigne d’une équation non aboutie, sur la recherche d’efficacité dans les apprentissages, pour tous. Le « socle commun » installé dans la Loi en 2005 reste à la fois un aboutissement et un nouveau départ : Il faut bien en prendre conscience pour nous-mêmes et particulièrement pour les jeunes qui arrivent dans le métier. Et on n’a pas fini !

 

Préambule : diversifier, et vous ? Où en-êtes vous ?

 

Dans un texte synthétique, Philippe Perrenoud livrait sa version personnelle des conditions de la différenciation à l’école en quinze points. Je vous soumets ces quinze items, en sollicitant votre analyse sur trois points : chaque item relève plutôt du domaine des valeurs (« vouloir »), ou encore du domaine des moyens et de l’organisation interne (« pouvoir »), ou enfin du domaine des compétences, de la formation (« savoir ») ? Plusieurs réponses possibles.

L’exercice proposé à l’assemblée nous a permis de recueillir quelques résultats significatifs, sur 17 questionnaires rendus.

 

Ce qui relève des valeurs : 126

Ce qui relève de l’organisation : 112

Ce qui relève de la formation : 88

 

Il est important également d’ouvrir cette question de la diversification aux personnels de direction aussi, et non seulement aux personnels enseignants. Car il s’agit aussi, en la matière, d’organisation du travail, mais aussi des espaces et des temps des élèves et des adultes de la communauté scolaire. 

 

Je vous proposerai donc un parcours en trois périodes (A,B, C) et 26 variations, (1 à 26) à l’instar de la Grande Chaconne BWV 1004 de J.S.Bach. D’abord, une tentative d’inventaire des méthodes, techniques ou supports à la disposition de tout enseignant de collège dans sa classe ; cet inventaire nous permettra d’identifier quelques processus à l’œuvre dans cette recherche de diversification ; nous devrons cependant signaler que cette problématique à l’échelle de la classe relève toujours d’une politique assumée plus largement dans un établissement, sous peine d’user les personnels et de perdre encore des élèves en cours de route.

 

 

Se restreindre ici au champ de la classe, espace et élèves, nous oblige à considérer quelques spécificités quasi-« organiques » à tout groupe, même réputé homogène.

 

Une classe de 25-30 élèves, c’est un groupe social, vivant. Une des difficultés que l’on a actuellement, c’est de ne pas penser suffisamment à l’organisation de ce groupe. Dimensions cachées et pourtant très actives dans la vie d’un groupe :

 

Ce qui est recherché, c’est une alternative à un mode d’enseignement disons classique, hérité très directement du monde universitaire d’il y a quelques siècles. Le cours ex cathedra veut bien dire quelque chose : avant le professeur, c’était l’évêque. Le modèle traditionnel préparer-un-cours-faire-le-cours-donner des-devoirs peut être très efficace, mais il fonctionne sur un certain modèle et selon certaines conditions. La difficulté vient de l’unicité du modèle. Une des solutions réside dans la variété des approches.

 

 

Assez naturellement, les enseignants iront explorer des supports diversifiés et une documentation variée ; certes, tout document, de toute nature, peut constituer un réel support d’apprentissages ; le décrypter, l’analyser, le décoder, le traduire dans un autre format ou type de document représentent des étapes de l’alphabet scolaire.

 

Les aides pédagogiques (communauté des enseignants sur Internet, CRDP…) sont multiples : enregistrement sonore, document écrit, tableaux, tableau de feutres, diapositives, film, magnétoscope, etc.

 

Il conviendrait juste d’ajuster le choix de ses supports pédagogiques aux objectifs que l’on se fixe pour les élèves ; s’il s’agit de surprendre un peu les élèves, de susciter la curiosité, d’interpeller pareillement, il ne faut pas rebuter. Le tableau de synthèse est une fin, pas un début.

 

 

 

L’organisation d’une séquence d’un cours de 55 minutes avec un groupe-classe ne dispose pas que d’un seul scénario ; et la recherche d’efficacité peut conduire l’enseignant à élaborer une histoire qui s’écrit, sur un ou plusieurs temps.

 

Pendant une séquence de 55’ par exemple, varier les activités : exposition, apports de connaissances, démonstrations, présentation d’objectifs, illustrations, mémorisation, vérification de connaissances, discussion, débat, exercices d’application, évaluation formative, détente, relaxation, concentration, respiration, fond musical, créativité…

 

Ainsi, en quelque sorte, une histoire du cours se construit. On peut par exemple commencer par une exposition, et terminer par de la créativité.

 

Peu importe finalement la mise en œuvre que vous expérimenterez, pour peu que vous reteniez une règle d’or : ce que vous commencez avec les élèves, vous le terminez. Pour éviter la  dispersion des tâches et l’émiettement des savoirs : un travail qui n’est pas fini n’a aucune chance de permettre d’encoder les connaissances. A suivre….

 

Suivant ce principe, vous constaterez que 55 mn, c’est effectivement très court, pour faire « autrement ».

 


 

La « guidance », d’autres parleraient de « style d’enseignement », recouvre le type de relation que l’enseignant entretient avec le groupe-classe.

 

On peut le comprendre de deux manières : soit la guidance est une forme qui s’impose à vous-même, par nature ; vous êtes « autoritaire » ou « libéral » selon ce que votre maman et/ou votre éducation et/ou votre formation et/ou vos modèles ont fait de vous. Il vous restera à déterminer si le style de guidance que vous vous attribuez est en « congruence » avec votre personnalité, c'est-à-dire en ajustement. Certains décalages problématiques prennent leurs origines à ce niveau-là.

 

Soit vous songez à intégrer la guidance comme variable de votre système d’enseignement, comme un curseur que vous déplacez au gré de vos intentions.

Je peux choisir d’être plus ou moins directif suivant les cours ou selon les élèves : je laisse ainsi délibérément plus ou moins de liberté d’action aux élèves.

 

Ce n’est pas une question d’autorité ou de statut – je ne fais pas un cours magistral parce que je suis le maître. C’est une question de variance, de curseur à faire varier soit dans le même cours, soit dans le cadre d’une progression. Je peux être ou directif-évaluatif, ou bien conseiller-suggestif, ou encore encourageur ou soutien, enquêteur, interprète, ou compréhensif (réfléchir sur l’interlocuteur ce qu’il vient d’exprimer).

 

Ces variations dans la guidance se combinent étroitement avec d’autres facteurs tels que les groupements variés et la mise en espace.


 

 

 

Le cours audio-oral frontal dialogué (d’après la terminologie de Michel Breut), ou encore, leçon dialoguée, n’est qu’un mode possible d’organisation des apprentissages en classe entière. D’aucuns ont raillé sur ce type de cours où le professeur passait son temps à répondre à des questions que les élèves ne posaient jamais. 

 

En s’attachant à d’autres critères que celui de l’activité parfois auto-centrée de l’enseignant, comme par exemple l’activité des élèves (essentiel dans une approche par compétences, telle que le socle nous y invite), mais aussi la trace écrite, d’autres possibilités peuvent alterner : l’explication en continu (exemple : tenir en 2h un panorama du programme sur la 2nde guerre mondiale. Et tout le reste sera autre chose : recherche et travail sur dossiers, recherche et production, exposés) ; la leçon par séquences ; le travail sur dossiers…

 

Pensons la combinatoire des modes opératoires, c’est bien à la fois un tempo et un rythme, mais aussi une alternance qui fait le succès d’une musique.

 


 

L’exposition au savoir n’est pas irradiant, à l’inverse de l’uranium. Ce n’est pas parce qu’on est exposé à la connaissance qu’on va être mieux éclairé et avoir nécessairement appris. Apprendre implique un travail, quelques procédures pour l’enseignant et des changements pour soi.

 

La procédure d’évaluation formatrice présentée ici ne passe pas en 55’, mais peut s’embrasser sur plusieurs séances, de sorte à constituer une grande séquence qui aura pris de la consistance et du sens pour chacun des élèves.

 

Ce type de déroulement peut avantageusement être présentée aux élèves au tout début, autant de repères utiles pour calibrer son attention, son énergie et aligner quelques performances.

 


 

 

En relisant Lucrèce, dans son traité, De la nature des choses, nous reprenons volontiers la métaphore du clinamen : une légère variation angulaire de la couse d’un atome a permis la création de la matière. Qu’est-ce que, dans mon système d’enseignement, je peux légèrement décaler pour faire que les choses se fassent ?

 

Tous les éléments sont là, comme les legos. Mais il y a des constructions qui sont plus belles que d’autres, et qui marchent mieux que d’autres. Dans un collège à Paris, une équipe avait rassemblé trois classes dans un hall pour faire une information. Et tout d’un coup, un intrus entre, fait du bruit et ressort brutalement. Surprise, affolement, il y a un voleur, la police arrive… Ils ont passé cinq semaines à jouer Les experts (cf. série TV policière américaine). C’était voulu… De la surprise est venue toute une séquence pédagogique longue et différenciée.

 

Par exemple, dans les Travaux personnels encadrés au lycée, les élèves apprennent deux à trois fois  plus que dans les phases d’enseignement explicite. Au collège, les Itinéraires de découverte le permettent aussi.

 

Ainsi,, dans le cadre de l’expérimentation de l’article 34 (loi d’orientation pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005), on peut tout à fait concevoir la progression des apprentissages par les situations-problèmes. Ce type d’approche redonne la juste place de nos disciplines scolaires, celle d’instruments de lecture de la complexité du monde.

 


L’émiettement du temps et la parcellisation des tâches dans le travail des professeurs, comme pour les élèves,  ne sont pas une fatalité. Jusqu’où ira la taylorisation du collège ? Les élèves sont trop formatés au système dans lequel ils ont été plongés. D’ailleurs, nous aussi. Comment redonner du sens avec des alternatives qui ne soient pas étiquetées « scolaire-scolaire » ?  

 

Un réel  travail de réflexion est à  mener à la fois par les équipes disciplinaires et par les équipes interdisciplinaires sur l’habillage de la tâche. Quel est le détour qui permettrait de rendre plus efficace la mobilisation de l’attention des élèves, de donner la petite couleur différente ?

 

Michel Serres, Le tiers-instruit ou Serge Boimare La Peur d’apprendre ou Ces enfants empêchés de penser, sont des ressources utiles pour décliner dans le temps de la classe et des cours ces approches : quatre exemples très actuels :

Drama et improvisation , très développé dans les pays anglo-saxons ; un temps consacré à l expression personnelle et collective ; la créativité, les jeux de rôles, les jeux d’écriture, la mise en situation . Un bon élève français, à l’oral, sera bon, un peu scolaire. Un bon élève anglais aura une aisance orale, une adresse au public remarquable. L’image de soi et la dimension corporelle sont des sujets de formation.

Ateliers philo : Comment introduit-on la complexité à l’école ? Comment éviter, pour un prof, de donner des réponses à des questions que les élèves n’ont jamais posées ? D’abord apprendre à se poser des questions, prendre le temps de leur analyse, et chercher des réponses ensemble. Où sont les « bonnes réponses » à des questions telles que : « à quoi ça sert la vie ? », ou à « à quoi ça sert l’école ? ».

Développement durable : cette approche dispose d’une positivité forte ; et par toutes sortes d’initiatives, elle est le moyen d’assurer des apprentissages efficaces et durables.

Enrichissement artistique et culturel. ce qui fait réellement la différence entre un bon et un mauvais élève, c’est le vernis culturel, souvent extra-scolaire. C’est aussi d’ailleurs ce qui fait la différence entre les différentes mentions TB au Bac S.


Pour peu que l’on s’intéresse à ce que les élèves portent en eux, on doit partir de leurs propres représentations, en matière de concept, de savoirs, de procédures.

 

Je vous propose ici la représentation du monde, début XIème siècle un petit moine de Saint-Sever. Cette représentation du monde héritée de la Grèce antique a fonctionnée pendant près de 20 siècles ; elle dispose de sa propre logique interne ; vous pouvez y repérer les Alpes, la Loire, le Mans ? et on a brûlé comme hérétiques ceux qui prétendaient que la terre était ronde. Pourtant, « e muove ».

 

Voici quelques techniques variées pour partir des représentations, et en partir ! La confrontation, l’argumentation, la stabilisation du concept s’élaborent pas à pas et durablement.

 


 

 

Travailler sur la diversification, c’est aller assez loin sur des domaines sur lesquels vous n’avez pas (forcément) la main. Si on veut  que notre collectif de classe soit un collectif intelligent, il va falloir bien veiller à ce que tous les éléments, tous les élèves aient une consistance positive suffisante. Car si on n’y veille pas, chacun peut activer un « potentiel de catastrophe ». N’importe qui, avec n’importe quoi, peut provoquer une catastrophe.

 

Par exemple, demander aux élèves de choisir les deux élèves avec lesquels ils veulent travailler. Cela donne une carte des relations et interactions dans la classe (ou sociogramme). On peut très bien voir apparaître des phénomènes de mise à l’écart, voire de bullying (cf. Le harcèlement entre élèves, ou bullying par R. Fontaine, in Violences à l’école, prévenir, agir, contre, EduSarthe, juin 2008, IA Sarthe, pp. 41-50) alors que ces choses-là sont cachées, masquées et peuvent jouer contre vous.

Cette cartographie des relations d’un groupe à un temps T permet de planifier un travail sur plusieurs séances avec des groupes de quatre, composés de manière plus réfléchie que la seule affinité élective.

 

Si on n’envisage pas de donner des rôles et des responsabilités variées (voir sur le site diverisfier), de favoriser les interrelations, peut en résulter une confrontation assez dure pour tout le monde. « On apprend par, pour et avec les autres ».

 

 


 

L’intensification de la communication, l’élaboration progressive des savoirs, André de Peretti nous recommande aujourd’hui encore,  peuvent se renforcer par l’attribution des rôles et responsabilités dans la classe. Si on pense que les gens sont des éléments indifférenciés, indistincts entre eux, comment l’école fait société ? Comment dans une démocratie dont on sait que la faiblesse est le lien social, comment faire qu’à l’école, si le lien n’est pas pensé, organisé, les choses se fassent de la manière la plus libérale qu’il soit ?

 

Contrairement à ce qu’on pense, on n’assiste pas à une libéralisation de l’école,  nous sommes en pleine école libérale, il s’agit de reprendre la main sur un certain nombre de domaines qu’il faut organiser. Ce n’est pas le moindre des paradoxes. Ce qui fait problème, c’est qu’il n’y ait que deux délégués de classe. Comme ils ne sont que deux, ils sont extrêmement surchargés, donc ils ne peuvent strictement rien faire.

 

Tout groupe –classe agit comme une petite société, où chacun se doit d’avoir une « consistance » positive pour interagir avec ses camarades. Les rôles sont multiples, dans le registre de la communication, de la production, de l’organisation, de l’évaluation. (voir le site diversifier, rubrique «rôles »).

 

Il sera toujours intéressant de voir comment fonctionne une école maternelle, et comment une institutrice de maternelle gère 25 enfants dans une classe tout au long de la journée : les savoir-faire, les savoirs professionnels sont là. Toute cette micro-société est enrôlée au service du collectif, et le collectif devient intelligent à ce moment-là. Cette pédagogie des rôles, des postes tournants, des rituels collectifs, pourtant fondamentale, est extrêmement rare au collège, alors qu’elle est requise dans le socle commun de connaissances et de compétences.


 

 


Tout enseignant peut varier son enseignement magistral dans une classe par le recours à des modes variés de groupements de travail :

A- Sous-groupements hétérogènes à tâches scolaires identiques

rôles égaux de consultation rapide entre élèves (type Philipps 6x6 ou petits groupes de 6 élèves sur 6 minutes)

rôles égaux d’échanges ou d’étude approfondie (4 élèves pendant 20 minutes ou 1 heure) ou travaux en “travail autonome”

rôles égaux d’évaluation (co-évaluation dans chaque sous-groupe des copies ou travaux de ses membres; ou évaluation des tâches des autres sous-groupes)

rôles égaux d’interviews réciproques (pour une prise de contact, une présentation, un échange d’idées; par 2, puis par 4 ou 6 etc... selon la technique d’élaboration progressive)

rôles alternés (chaque élève interroge son voisin et va inscrire au tableau les indications ou les difficultés (sur la discipline) de celui-ci: technique du voisinage)

rôles d’entraide pédagogique (en sous-groupes, un élève “moniteur” essaie d’expliquer à un ou plusieurs camarades, une partie du cours qui vient d’être présenté par le professeur)

rôles complémentaires: la classe est répartie en sous-groupes, institués de 5 à 6 élèves dont l’un dirige, assisté par un second, avec deux autres élèves moyens et un ou deux élèves en difficulté; ces sous-groupes sont mis au travail par le professeur de temps à autre: technique de “Poirier"

rôles d’intégration: dans chaque sous-groupe hétérogène, un messager est désigné pour communiquer avec les autres sous-groupes sur l’avancement de la tâche en cours

rôles antagonistes: dans chaque sous-groupe, un élève soutient une position ou une démarche, cependant qu’un autre élève assure une critique permanente ou soutint une démarche inverse, sinon complémentaire

rôles isolés: par le recours à la consultation d’un minitel au CDI

Ces sous-groupements peuvent être réalisés sur des durées brèves ou longues, par libre choix réciproque des élèves, ou bien par réunion de proximité, ou par désignation du professeur avec:

 

 

B-Sous-groupements homogènes à tâches scolaires différenciées

Ces sous-groupements sont déterminés par le professeur pour un fonctionnement périodique mais limité et varié selon: des objectifs différents et distincts pour chaque sous-groupe

les mêmes objectifs, mais des exigences différenciées, plus ou moins ardues (d’exercice et de performance)

le même matériel de travail, mais des objectifs complémentaires

des matériels différents et des documents distincts

des fonctions distinctes mais à articulation réciproque (recherche de documentation différenciée faite par chaque sous-groupe en vue d’une mise en commun collective, ou encore documentation par un sous-groupe, enquête par un autre, puis correspondance par un 3ème et calculs par un autre etc...)

des fonctions distinctes à commande successive, mais en présence réciproque (un sous-groupe prépare une tâche pour un second sous-groupe, celui-ci transmet ses propositions en vue de l’aider à un 4ème sous-groupe qui transmet les messages à des moments déterminés)

des méthodes différentes imposées à chaque sous-groupe en vue d’une confrontation ultérieure des processus et des résultats effectués

des tâches différenciées de révision de bases ou d’approfondissement à partir de résultats à des tests de connaissance

une technologie unique, mais dont les opérations diverses sont réparties entre des sous-groupes homogènes à compétence distincte (type Freinet)

C- Regroupements en classe plénière

Ces regroupements peuvent donner lieu à des mises en commun des résultats des tâches accomplies par les sous-groupes selon:

 

l’exposé oral d’un porte-parole de chaque sous-groupe (suivi ou non de discussion, de mise au point par la classe, l’apport de précisions et de compléments par le professeur)

un rapport écrit de chaque sous-groupe commenté par le professeur et soumis à une évaluation

la présentation rapide de quelques propositions ou de quelques questions posées par chaque sous-groupe au professeur (et suivies directement ou à terme de réponses par celui-ci)

une procédure par “scintillement”: chaque sous-groupe ayant scindé son compte-rendu de tâches en 3 ou 4 messages brefs ( de 1 à  3 minutes), il lit donc un pre


 

La RATP affichait cette sentence pour tenter de regagner l’espace public. Dans nombre de collèges, l’enseignant a tout intérêt à maîtriser son espace. Plusieurs organisations spatiales possibles, en fonction de la relation que le professeur entend construire avec ses élèves (voir aussi avec la guidance) : le grand groupe, les petits groupes, le U avec interactions, le mode Parlement anglais, le travail par binômes, les classes TICE, etc.

 

Dès le début de l’année, ces différents dispositifs de travail peuvent être présentés comme des possibles ; l’aménagement avec l’appui des élèves se fait alors rapidement. Ce sera d’autant plus intéressant que la durée de la séquence sera plus longue.

 

A moins d’une salle aux mobiliers fixes (comme les salles de TP de SVT), cette variable se combine aisément avec des objectifs différenciés. Un enseignant peut très bien se garder six élèves en accompagnement personnalisé, quand les autres sont en situation de production, organisés selon d’autres modalités..

 

Il conviendra sans doute d’avoir un échange constructif avec les personnels de service, qui, sinon, seraient les premiers à retourner à la « normale ».


Une pédagogie variée s’inscrit dans un processus, dynamique sans doute. Mais travailler sur la variation et la différenciation, c’est faire se concentrer, se rencontrer des élèves, un professeur et des contenus.

 

Le problème est qu’en 55 minutes, vous allez vite saturer le temps, l’espace et les esprits : si on priorise les contenus, cela risque d’être au détriment des élèves, et vice versa. On assigne les enseignants à une tâche bien difficile, sans avoir jamais au fond requestionné l’organisation du travail.

 

En appui aux travaux d’Aniko Husti, sur le temps mobile, tout en restant dans l’épure d’une classe-un enseignant, nous pourrions alterner:

    • durées brèves et horaires fragmentés
    • durées prolongées et “horaires centrés” par étude en continuité (sur 3 heures ou plus)
    • alternance, dans chaque semaine, de durées brèves et longues (horaires variés)
    • alternance d’une semaine avec des durées brèves, pour la discipline, et d’une semaine avec des durées longues
    • horaires souples et mobiles permettant des allongements selon les besoins pédagogiques
    • disposition dans l’année de plusieurs jours réservés à un séminaire intensif ou un voyage
    • possibilité de plages horaires banalisées chaque matin ou chaque mois (soutien, compléments, devoirs surveillés...)
    • regroupement des horaires d’enseignement d’une discipline sur un mois, un trimestre, une semaine

 

 

Le Socle commun nous invite à penser la différenciation dans le cadre de la classe : par exemple, une équipe d’histoire-géographie a élaboré des tableaux d’objectifs et de savoirs en trois niveaux. En voici le mode d’emploi.

 

 

Ce trop rapide parcours dans le monde de la diversification au collège, en gardant intacte l’équation d’origine une classe-un enseignant, permet d’enrichir le tableau de bord du professeur, en identifiant les variables qui rendent des apprentissages plus efficaces.

 

Mais au-delà de techniques ou de méthodes pédagogiques, la diversification pédagogique fait jouer des processus qui engagent plus ; ils touchent une conception de l’enseignement, mais aussi des dimensions identitaires du métier,  La consultation préalable autour des 15 propositions de Perrenoud en atteste.


 

Diversifier en classe entière au collège ne relève ni d’un rêve fou, ni d’une utopie. Partant de l’analyse faite du fonctionnement du groupe-classe, de la construction des savoirs en groupe, nous pouvons nous appuyer sur une approche contemporaine des organisations, issue de l’analyse systémique ; André de Peretti nous rappelle la loi d’Ashby sur la variété requise, afin qu’un groupe intelligent se montre capable de performances.

 

L’environnement d’une classe, c’est tout de suite dehors, ou encore juste avant le cours. Jouer sur la variation des éléments de votre système d’enseignement (supports, lieux, méthodes, phases, rôles, objectifs, groupes, rôles etc…) permet de se mettre en recherche des meilleurs ajustements, quand rien n’est plus acquis : ni autorité, ni savoirs, ni rôles.

 

 


 

Nous évoquions la puissance des représentations pour les élèves, elles sont d’autant plus actives chez les adultes ; il paraît difficile de se lancer dans des tentatives de différenciation pédagogiques dans votre classe quand vous vous représentez l’exercice de l’enseignement comme professoral.

Le métier est en tension entre deux modèles à présent, non qu’il faille choisir l’un contre l’autre, mais la diversification pédagogique emporte des changements conséquents pour l’identité professionnelle.

 

Cette dimension explique en partie l’inertie des pratiques et la prégnance des organisations de nos établissements depuis trente ans. Il semble que les changements se fassent de manière plus accélérée à présent, à l’aune des comparaisons des systèmes européens.

 

Philippe Perrenoud a tenté une esquisse où tout est question de curseur : passer d’une logique d’enseignement à une logique de formation à la compétence, induit plusieurs changements :


 

 

La diversification pédagogique est une forme de réponse, mais à quelle question ?

 

Si nous redéfinissons notre métier comme le développement des connaissances et des compétences de nos élèves, nous adoptons de facto une posture d’observateur, mieux, d’analyste en besoins de formation de nos élèves.

 

En la matière, l’analyse agit comme un processus continu, des questions toujours roulantes, un enquête patiente, et collective, avec les élèves.  Se confronter à ces cinq questions fait très rapidement advenir l’hétérogénéité de votre groupe-classe.

 

Elles suggèrent une phase diagnostique d’observation attentive et de dialogue avec les élèves, une organisation en ateliers ou en postes de travail, une phase de validation (qui pourra donner des réponses plus sûres à la question difficile « comment le savez-vous ? »).


 

Ainsi, la diversification ne se résume pas à quelque technique à appliquer sans rien changer d’autre ; elle emporte une approche plus globale qui s’appuie sur le groupe comme support d’apprentissage et sur la dynamique de sa construction.

Nous pouvons reprendre sans rougir le traditionnel triangle de Maslow ; sa hiérarchie des besoins nous signale le niveau stratégique du sentiment de sécurité, puis d’appartenance. Il est de la responsabilité directe de l’enseignant (et pas tout seul, nous y reviendrons) de veiller à la sécurité des relations puis de développer un sentiment d’appartenance ; nous retrouvons ici les rôles, les groupements différenciés. Ce sont des conditions essentielles qui permettent aux élèves d’accéder à des niveaux supérieurs.

 

Le concept d’empowerment est riche, suffisamment pour comprendre le processus complexe qui combine à la fois sentiment de compétence et apprentissage.

 

 

 

 

 

 

De la même façon que nous désignons la diversification pédagogique comme une approche globale, elle est tout à la fois une approche « centrée sur la Personne ».

 

L’ensemble des variables distinguées dans le présent exposé ne vise qu’à rendre plus proches et plus fréquentes les sollicitations à l’élève. Et d’une certaine manière, les élèves peuvent être les premiers résistants à un changement (brusque) dans votre pratique, car il ne leur sera moins possible de se fondre dans le groupe-classe.

 

L’approche centrée sur la Personne (ou ACP) fait directement écho à la pédagogie inspirée des études de Carl Rogers, dont André de Peretti a été l’introducteur en France. A l’heure où le système éducatif français introduit à tous les degrés d’enseignement l’accompagnement personnalisé, il est judicieux d’en reprendre l’attache.

 

Pour rappel, elle se fonde sur trois principes que nous portons dans cet exposé : d’une part, la considération positive inconditionnelle, puis l’empathie, enfin la congruence. Inscrire l’enseignement dans cette optique conduit à réaffirmer une déontologie qui si elle n’est pas explicite en ces termes en France se retrouve dans le « Serment de Socrate » que les enseignants débutants prêtent en Belgique francophone depuis plusieurs années.

 

Ainsi, la diversification est une conséquence pratique et logique de l’adhésion au principe initial ; nos élèves sont nos élèves, au collège, dans ma classe.

 

 

 


 

 

La différenciation pédagogique est un processus actif tout au long du parcours scolaire des élèves ; s’en préoccuper, l’organiser, c’est tenter d’en maîtriser les effets pour ne pas « être indifférent aux différences ».

 

Les recherches conduites par le professeur Monteil et son laboratoire dans les années 2000 ont mis en évidence l’importance du contexte scolaire dans l’efficacité des apprentissages. Le tableau ci-dessus fait la synthèse de deux facteurs omni-présents dans la conduite de classe : d’une part, l’attribution de succès ou d’échec à un élève (un acte, une parole), d’autre part, la situation en « visibilité » (au su de tous) ou en anonymat (seul l’élève concerné le sait).

 

La corrélation de ces deux facteurs suivant l’histoire scolaire de tel ou tel élève produit des effets forts différents. Retenons-en deux : si l’enseignant tient à valoriser un élève en échec scolaire, s’il le fait en visibilité, la performance de l’élève sera négative. Une bonne intention mais une mauvaise idée. En revanche, en situation d’anonymat, les effets seront positifs.

 

Cyrulnik nous l’indiquait : l’enseignant sous-estime sa capacité à rattraper des élèves, dans certaines conditions, qui lui appartiennent.


Un test, plusieurs fois reproduit, nous renseigne quant à l’impact de la diversification sur les performances scolaires. Soient deux classes de Seconde de lycée, de mêmes caractéristiques. La classe A reçoit une pédagogie « classique » avec les évaluations qui vont de pair ; la classe B est prise en charge par une équipe qui tout au long de l’année propose une pédagogie différenciée et une évaluation formative.

L’équipe de Monteil a consacré quelques études sur certains éléments du dispositif :

En fin d’année, les deux classes sont réparties en deux groupes : le groupe 1 passe un test d’évaluation « classique », le groupe 2 passe le même test mais accompagné des procédures et indications de l’évaluation formative. Les résultats permettent d’établir un classement des quatre groupes : A1 < A2 < B1 < B2

Le rang du groupe A2 est intéressant : déjà proposer une évaluation plus explicite, avec des indications d’auto-évaluation renforce les performances ; le rang du groupe B1 l’est tout autant : les élèves ont pu transférer des compétences développées en situation inhabituelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

Diversifier en classe entière au collège relève bien donc d’une part d’une série de variables que l’enseignant peut activer au gré des situations, d’autre part de processus puissants au service de meilleurs apprentisssages. 

 

Nous ne saurions terminer cet exposé sans évoquer une dimension plus « politique » de la différenciation ;  elle est le substrat de toute réussite pédagogique, et sans elle, l’enseignant sera renvoyé à sa seule responsabilité et ses propres lacunes.

 

C’est là une des « frontières invisibles » de nos établissements. L’analyse systémique rend compte des interactions constantes et durables entre ce qui passe dans une classe et la vie dans l’établissement. « On n’a pas raison tout seul ».

 

 

 

 

 

Oser (encore) s’intéresser à la seule dimension de la diversification en classe en 2010 témoigne de notre ancrage professionnel franco-français, quand partout ailleurs en Europe, la question se résout au niveau d’un établissement et s’inscrit dans le cadre professionnel. Le tableau extrait des études d’Eurydice.org dresse le panorama des « prescrits » du métier d’enseignant, non de l’état des pratiques ; la France prend une position singulière : là où partout ailleurs, le métier s’est enrichi de temps variés d’accompagnement d’élèves, de collègues, le métier « français » se borne à « faire cours ».

 

Ainsi, l’équation cours-classe-groupe-contenu-enseignant reste d’une furieuse actualité pour la plupart des situations, pourtant, nombre de collègues trouvent des solutions et des dispositifs alternatifs et ingénieux pour faire évoluer le métier. C’est sans doute plus coûteux mentalement de déroger à une loi d’airain, d’autant plus forte qu’elle est devenue « coutumière » et proche.

A l’occasion de la transition de l’administration Bush-Obahma, le programme de réussite scolaire Just for Kids s’est attaché à tirer quelques conclusions d’écoles particulièrement efficaces ; les équipes ont tenu à s’exprimer en cinq points forts, tous liés entre eux :

 

 

 

 

Dans l’analyse de notre propre fonctionnement, dans l’observation attentive des évolutions de nos petits systèmes que sont nos classes et nos collèges, nous pouvons avoir l’impression que nous ne jouons plus forcément au même jeu, entre des legos, des Kaplas, voire du mécano. Chacun de ces systèmes sont de beaux jeux de construction, mais ils s’avèrent incompatibles entre eux. En transposant cette métaphorique toute ludique, nous pouvons noter que la diversification tiraille le métier et met en tensions non seulement des gestes, des postures, mais aussi une identité professionnelle ; des systèmes, logiques par ailleurs, se désarticulent. Mais en débat-on dans une salle des profs ?

 

A l’occasion d’un récent colloque à Paris sur l’Ecole juste, il semblait y avoir consensus sur le terme, mais des tensions importantes sur les moyens d’y parvenir ; sur la conception de l’élève, sur la conception de la relation pédagogique, sur la justification de la sélection, et donc sur l’organisation de l’Ecole. Trois modèles parcourent actuellement notre système éducatif, le collège étant le lieu de toutes les convergences :

 

Un programme de formation consacrée à la diversification au Québec nous aide à faire le point à l’attention d’autres équipes, d’autres pays (nous ?). Les cinq « conditions gagnantes » relatées ici insistent bien sur la dimension collective de ce choix pédagogique, qui emporte les enseignants, loin de laisser chacun décider seul. L’accompagnement est plus que nécessaire, pour bouger, pour réguler, pour varier.

La diversification pédagogique ne pourra se borner à l’adoption d’une seule technique ; cela autoriserait à affirmer qu’on a essayé et que « ça n’a pas marché ».  Nous l’avions signalé, c’est une approche globale, mieux : combinatoire.

 

Nous pouvons nous appuyer sur une méta-étude d’Aletta Grisay, faisant le point sur près de 2000 monographies, pour l’essentiel, anglo-saxonnes (la France serait-elle tellement spécifique ?). Les conclusions identifient plusieurs stratégies scolaires efficaces ; une stratégie ne sera efficace que si elle combine au moins trois facteurs identifiés ; certains relèvent de la pratique individuelle, d’autres de dispositifs collectifs, d’autres enfin de décisions structurelles.

 

Si nous nous bornons à la consigne « classe entière au collège », une combinaison évaluation formative, associée à un programme coopératif, et à un entrainement à la lecture peut s’avérer efficace. Elle sera renforcée si plus globalement s’expriment des attentes positives des enseignants.

 

Notons que les mesures « structurelles » (classe de niveau, taille de classe ou encore redoublement) sont dites neutres. Nous tenons ici l’enjeu de la diversification pédagogique.


 

Ainsi, réexaminer l’opportunité de la diversification pédagogique en classe nous invite donc non seulement à faire collectivement un inventaire expert des pratiques, mais aussi à réinterroger notre propre organisation de la classe certes, mais aussi de son système-collège.

 

L’étude comparative de Sammons en 1995 sur les établissements efficaces relève dix points interreliés entre eux :

Il semble que nos équipes de collège, enseignants et direction comprise, puissent mener une réflexion globale sur la base de ces principes structurants de l’action pédagogique. Tenir à la diversification pédagogique, et donc s’inscrire dans une recherche d’efficacité, conduira peu ou prou les personnels à aménager, si ce n’est à bouleverser l’organisation.

 

En cela, l’article 34 de la Loi d’orientation pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005 offre l’opportunité pour chaque école ou  établissement de s’engager dans un processus expérimental :  « Sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l’enseignement des disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire. Ces expérimentations font l’objet d’une évaluation annuelle. »

 

Ce changement de troisième type, celui des pratiques, ne peut se faire qu’à petits pas, et avec l’accompagnement de l’institution elle-même, pour peu qu’elle s’en donne les moyens, dans le soutien des équipes, dans la formation des personnels, dans l’évaluation des établissements, dans la valorisation des réussites.

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

 


Atelier 4 : Diversifier en classe entière au collège

 

Intervenant : François Muller

rapporteur : Nathalie Le Rouge

 

 

Ergonomie et distribution de rôles fondent l'atelier

 

   Au début, nous passons un temps certain à modifier l'espace initial de la salle : les tables sont disposées en carré, un carré qui s'agrandit au fil de l'arrivée des participants. C'est un préalable nécessaire pour que la parole à venir soit partagée : tout futur locuteur du groupe sera en mesure de voir tout futur interlocuteur. Varier l'espace pour se l'approprier : ce prologue à l'atelier fonde le groupe.

François Muller propose ensuite aux participants d'emprunter différents rôles, à jouer tout au long de l'atelier. Après quelque silence, émergent l'analyseur objectif, l'analyseur subjectif chargés du compte-rendu en salle plénière, le scripteur des “ gros mots ”, celui des références,  le gardien du temps et celui des petites phrases et des bons mots. Le ton est donné : nous allons garder des traces variées de ce moment à vivre et à construire ensemble.

Le thème de la réflexion est clair pour chacun : l'intitulé de l'atelier “ Diversifier en classe entière au collège ” correspond au sujet traité par François Muller dans sa conférence du matin. Il s'agit donc ici d'aller au plus près de la pratique à travers une analyse de cas à mettre en relation avec les éléments apportés lors de l'allocution. François Muller sollicite l'assemblée pour présenter “des petits moments de bonheur pédagogique ”, à savoir deux mini-cas de pratique réussie de diversification en classe entière. Anne-Hélène, professeure de mathématiques, intervient : en cinquième, elle a organisé une séance où la plupart des élèves travaillaient en autonomie tandis que quelques-uns revoyaient avec elle la méthode. Agnès expose ensuite son cas : en cours d'anglais, elle a organisé un débat au sein duquel chaque élève jouait un rôle spécifique pour mettre en scène un jugement, à partir d'un texte. A l'issue de ce rapide exposé, les participants votent à main levée afin de choisir le cas sur lequel va s'engager l'analyse. Ce sera la séance de mathématiques. Nous avons le sentiment que l'atelier commence vraiment ; un dispositif précis va construire l'analyse. François Muller demande à Anne-Hélène de sortir de la salle.   

 

Des rôles différenciés pour une analyse croisée

 

   François Muller indique la règle du jeu : Anne-Hélène va raconter le déroulement de sa séance, puis les participants lui poseront des questions, la bienveillance étant résolument de mise. Les questions ne seront pas posées de manière fortuite puisqu' “ on ne peut pas tout faire en même temps ”. Bien au contraire, afin d'observer la séance sous des angles différents, de capitaliser des petits savoirs, les rôles vont être définis. Chaque participant s'attribue un numéro de 1 à 9. Des duos aléatoires sont formés.

 

François Muller indique alors des thèmes qui correspondent à chaque numéro. Chaque thème constituera pour le duo concerné le seul point d'attention et d'analyse du récit de la professeure. Les rôles ainsi assignés vont permettre de faire émerger les différents domaines de diversification mis en œuvre dans cette séance de mathématiques :

1- Les supports d'enseignement

2- Les situations problèmes

3- L'enrôlement des élèves

4- L'organisation des groupes dans la classe

5- L'organisation du temps

6- L'organisation spatiale

7- La dimension créative

8- L'évaluation formative

9- Les niveaux de maîtrise

 

Du récit individuel..

Anne-Hélène entre dans la salle et raconte son “ histoire ” : “Il s'agit d'un cours de cinquième que j'ai mis en place une seule fois, dans un collège de ZEP. Ce cours portait sur les additions et soustractions de fractions. A l'issue d'un premier cours, certains élèves, très spontanés, m'ont dit qu'ils ne comprenaient rien. J'ai donc décidé d'expérimenter une autre façon de travailler. Lors de la séance suivante, la plupart des élèves ont travaillé en autonomie, ils avaient des exercices à faire et les corrigés à disposition au fond de la salle. Pendant ce temps, j'ai revu la méthode de travail avec cinq ou six élèves, au bureau. A l'issue de la séance, tout le monde avait compris les méthodes de calcul. Certains, parmi les élèves qui avaient travaillé en autonomie, étaient même allés bien plus loin dans la difficulté des exercices que si le cours s'était déroulé comme d'habitude. Tous les élèves étaient satisfaits d'avoir atteint les objectifs, j'ai eu le sentiment que cette séance de travail diversifié était réussie.”

 

A la parole chorale....

Place aux questions. Chaque participant cherche à obtenir des informations complémentaires en fonction du domaine qui lui est attribué : les interrogations variées et précises amènent Anne-Hélène à compléter, clarifier des points de son récit.

 

Vers une parole hiérarchisée...

Ensuite, c'est la phase d'explicitation, la professeure n'a plus la parole. C'est au tour des binômes de s'exprimer, d'exposer leur analyse complétée par les remarques de François Muller, en suivant strictement l'ordre des numéros. On explique au préalable à Anne-Hélène que chacun a fixé son attention sur un élément de son récit, elle ne s'en est pas aperçue au moment de la ronde des questions.

 

Voici brièvement les principaux éléments mis au jour lors de cette phase d'explicitation :

Les supports d'enseignement étaient banals, fiches d'exercices et de corrigés, la professeure a atteint ses objectifs d'apprentissage sans utiliser beaucoup de technique. Marie-Odile, chargée de garder en mémoire les petites phrases énoncées au cours de l'atelier a noté ici cette remarque : “La technique peut parfois causer de sacrés désagréments ! ”. Il n'y a pas de situation-problème dans cette séance qui est consacrée à une consolidation, mais une mise en réflexion à partir d'explications différentes. Les élèves ont eux-mêmes décidé de leur rôle (autonomie ou non) en s'exprimant : “ j'ai compris, je n'ai pas compris ”. Les binômes se sont installés par affinités tandis que les élèves en difficultés ont bénéficié d'un rapport quasi-individuel adulte/élève indépendamment du groupe. Les élèves n'avaient pas de rôle véritable ici dans le sens où aucun n'exerçait une responsabilité particulière.

En revanche, la professeure investit plusieurs rôles, ce dont François Muller souligne l'importance : l'enseignante est coach, superviseur, organisateur/metteur en scène, et adopte aussi le rôle de miroir, notamment quand elle va voir les élèves qui travaillent en autonomie pour les encourager. Il établit une corrélation entre l'importance du sentiment de justice chez l'élève et le travail de mise en scène du professeur : “l'égalité n'est pas l'identité, l'inégalité n'est pas l'injustice ”, ce qu'illustre l'organisation du travail prévu par Anne-Hélène.

La question du temps prend dans cette séance une dimension particulière. La durée de la séance est la même que d'habitude. La consigne est donnée en début d'heure puis le fonctionnement reste fixe durant tout le cours. Mais le temps d'explications pour les élèves en difficultés est plus long que d'habitude. L'enseignante doit aussi tenir compte du temps matériel nécessaire pour installer la salle puis remettre les tables en place en fin de séance. François Muller fait remarquer que du temps individualisé s'est dégagé un temps collectif. La durée de la séance s'est vue raccourcie du fait des modalités matérielles de travail, mais le temps réel d'implication dans la classe a été plus important, plus efficace puisque les élèves se sont concentrés, ont réfléchi. Ce paradoxe est éclairant : le professeur a été moins présent mais le temps de travail s'est avéré plus important. Les élèves ont organisé l'espace autour du bureau, la professeure était assise avec les élèves en difficultés (un positionnement différent, inhabituel) mais quand elle se déplaçait vers les élèves qui travaillaient en autonomie, elle occupait tout l'espace et reconnaissait à chacun une “ consistance positive ”.

François Muller insiste sur la réflexion fondamentale à mener sur la mobilité du mobilier pour créer des espaces de travail spécialisé. Cet aspect a des conséquences sur la liberté des mouvements,  et l'on voit d'ailleurs ici que la mise en place des deux espaces de travail a modifié les règles de classe : les élèves avaient le droit de se lever pour aller chercher des fiches d'exercices, sans que cela perturbe le calme de la classe. La créativité ne réside pas dans le contenu -il s'agit d'appliquer des règles mathématiques-, mais dans la nouvelle façon de travailler : dans le calme, en coopération, avec une possibilité d'approfondir les notions pour les élèves autonomes ce qui constitue une mise au jour valorisante de leurs ressources. Le facteur nécessaire à cette création d'une ambiance studieuse est que les groupes sont reconnus dans leur travail puisque l'enseignante va les voir. Les résultats attendus sont déplacés : ceux qui ont le plus profité du cours sont ceux qui ont coopéré, travaillé en autonomie et ont créé une ambiance de travail ; c'est aussi un paradoxe. Cette séance ne proposait pas de véritable évaluation formative mais une fiche de travail qui permettait à l'élève de s'auto-évaluer, de se co-évaluer au sein des binômes,  voire de préciser ce qui fondait son assertion “ je ne comprends rien ” pour les quelques élèves installés avec le professeur. François Muller explique que dans ce cadre, on s'est rapproché de l'élève, sans sanction, sans notation, à travers un rôle différent du professeur qui adopte une attitude professionnelle, celle de l'attente positive.  Les niveaux de maîtrise sont identifiables : le professeur sait précisément ce que ses élèves ont appris lors de cette séance, les échanges avec les uns, les fiches d'exercices des autres en témoignent. 

La phase d'explicitation s'achève sur ce point, le gardien du temps fait remarquer que l'atelier s'achève dans quelques minutes, chacun a pris la parole et les coups de projecteurs portés sur les différents domaines de diversification repérables dans cette séance de mathématiques ont permis  de croiser les techniques et les  processus en jeu.

 

 

Une mise en abyme : l'atelier comme mise en scène du propos

 

La parole est restituée à Anne-Hélène qui reprend ce qui a été objectivé. Elle explique qu'en amont de sa séance, elle n'avait pas réfléchi à tous les éléments évoqués. Et chacun reconnaît ici que l'intuition de l'enseignant a sa place au sein même de son rôle de superviseur et metteur en scène... L'enseignante retient surtout la notion de temps, cette idée que le temps perdu est au final du temps gagné, que l'on peut désorganiser le temps scolaire si l'apprentissage s'en trouve plus dynamique. Elle envisage de reconduire ce type de séance en collège, mais reste convaincue que cela fonctionne seulement si les objectifs sont simples et clairs pour les élèves.

 

Les réactions du groupe viennent ensuite et portent autant sur la réflexion de fond que sur le déroulement de l'atelier, “ j'ai moins noté, mais j'ai davantage appris ; chacun a pu s'exprimer ”... Moins noter mais recevoir plus, se positionner dans une attente positive où chacun acquiert une place véritable, prendre le temps d'organiser l'espace pour gagner en efficacité du travail (“organiser le travail, c'est le travail ”, précise François Muller) : nous ne pouvons que constater que ces modalités de l'atelier illustrent en définitive les points d'appui de la diversification du travail en classe. Le metteur en scène de ce jour était François Muller et nous le remercions vivement pour cette orchestration éloquente où fond et forme se font écho.

Reste une question en suspens, que nous n'avons pu traiter, faute de temps : cette séance de mathématiques, comment l'auriez-vous faite ? Quelle alternative pouvez-vous proposer ? Et François Muller de conclure qu'il faut se décentrer, aller apprendre de l'autre ce qu'il est pour ensuite transférer à soi, réfléchir à son mode de fonctionnement et trouver ses propres options et pluralités pédagogiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
   

extrait de "Voyage au centre de l’Enseignement", Exploration méthodique de ressources  et de points d’appui

indispensables à l’accomplissement du métier d’enseignant, André de Peretti et François Muller - éd. ESF, Paris, 2008

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Table des matières

Avant-propos

ntroduction: où le lecteur découvre la navigation

conclusion: retour vers la Lumière

en complément: pédagogies de l'autonomie





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