Chapitre 14 – Comment il faut
revenir à la variété des modes d’évaluation
Où le lecteur est invité à une nouvelle Loi de la Relativité en
évaluation : « Dès que l’on crée un repérage, on crée de
l’inertie », disait Albert Einstein. Gare aux risques de nos
repérages évaluatifs et de leurs entraînements obsédants.
Un
principal de nos amis, ancien formateur par ailleurs, pensant à
nous, lors de sa première année dans un collège très républicain
dans la composition de son public scolaire, a entrepris de faire
la recension de tous les actes d’évaluation, par la seule voie
de la notation, qui faisait la performance (ou non) de son
établissement, en vue d’un débat avec ses enseignants. Pour 18
classes de 26 élèves en moyenne, sur 36 semaines, quelques 15
disciplines présentes, il est parvenu à la somme de 90 000
notes. Etonnant, non ?
Une
telle prolifération de notes monocordes semble répandue dans nos
établissements, tellement que nous n’y prêtons plus attention
(ou intérêt). Les pratiques de cette évaluation notatoire « vont
de soi », elles s’imposent à nous plus que nous ne les imposons
aux autres. Elles saturent de façon monotone le temps scolaire,
nos échanges et les propos de nos élèves. Et pourtant, nous
sommes insatisfaits, nous ne sommes point en accord entre nous,
nous constatons des discordances évidentes entre nos prétentions
objectives tellement subjectives !. Assurément, nous avons tous
besoin de travailler sérieusement sur la variété et la validité
des modes, des pratiques et des ressources d’évaluation pour
sortir des démesures de la notation.
Evaluer peut rendre fol !
De
tels constats nous font toucher du doigt un conflit
professionnel vécu par chacun d’entre nous, mais aussi éprouvé
par notre institution, collège, lycée. Accumuler des « notes »,
en sur-abondance, et sans rétrospection atteste que nous
cherchons toujours quelque part à nous rassurer. Nous agissons
tels des chauve-souris qui dans l’obscurité émettent des
faisceaux continus d’ultra-sons pour appréhender les réalités
diverses qui se présentent à nous. Finalement, nous sommes
aveugles ; nous nous privons, ou pire, nous nous amputons
d’autres « sens » ou techniques qui nous permettraient de mieux
nous repérer.
Il
nous faudrait faire ensemble la part entre la chimère de
l’objectivité recherchée en évaluation et le paradoxe que
l’évaluation n’existe que par la subjectivité. Il ne s’agit
pas d’évacuer la subjectivité, mais plutôt de faire avec, en
tout refus de l’arbitraire toujours endémique dans les
opérations évaluatives.
Ainsi, nous pourrions par exemple nous appuyer sur les constats
contrastés, contradictoires, de l’analyse faite par Jean
Cardinet, en 2002, à a la suite celle de Jacques Weiss, en
1984 :
1-
l’objectivité de l’évaluation est
nécessaire : rendre plus explicite les objets et l’objectif
de l’évaluation vaut tout autant pour l’évaluateur que pour
l’évalué. C’est même une des conditions premières de
l’évaluation.
2-
L’objectivité de l’évaluation est
souhaitée : car comment expliquer que des évaluations de
mêmes réalités conduisent à des décisions différentes ? Les
évaluations sont plus souvent rapportées à la personne qu’aux
compétences.
3-
L’objectivité de l’évaluation est
impossible : malgré les programmes, les objectifs
d’apprentissage sont différents selon les enseignants ; les
performances évaluées sont différentes ; les conditions
d’observation sont différentes ; les exigences sont
différentes ; le sens de l’évaluation est différent selon les
contextes.
4-
L’objectivité de l’évaluation est à
rejeter : une exhaustivité des critères, des indicateurs
déboucherait sur une standardisation extrême : « le flou des
échelles d’appréciation est le jeu de l’engrenage pour éviter
que la machine ne se bloque » (Perrenoud, 1984)
Il
importe, pour sortir de l’impasse, de consentir à : se
concentrer sur des instruments permettant une interprétation
clinique, partager des banques d’items étalonnés, favoriser des
portfolios, et… donner du sens à l’observation, ensemble mais
subjectivement et en « méta-cognition » de nos procédures
personnelles.
La subjectivité est nécessaire, si elle est prudente et
réflexive.
Nous pouvons donc nous autoriser ensemble à réintroduire et
travailler avec notre subjectivité ; non pour être « sujet »
mais bien acteur et responsable de nos actes, « auteurs » même
de supports favorisant la clarté.
En
guise d’exergue, nous allons alors nous appuyer sur la
définition de J. M. de Ketele (1989) : évaluer implique :
-
recueillir un ensemble d’informations
suffisamment pertinentes valides et fiables
-
examiner le degré d’adéquation entre cet
ensemble d’informations et un ensemble de critères adéquats aux
objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route
-
en vue de prendre une décision
évaluative, il nous revient par suite de réfléchir sur :
1-
le choix du type de décision et de
l’objectif de l’évaluation
D’abord, identifier le type de décision qui pourrait être prise
au terme de l’évaluation :
Soit :
Sanction positive o
Sanction d’attente o
Sanction négative o
|
Ou bien :
éclaircissement o
Encouragement o
Orientation o
|
Ou encore :
Certification o
Classement o
Sélection o
|
La
détermination de l’objectif est souvent partagé, flou ou
…subjectif.
En
toute hypothèse, jetez un coup d’œil sur le « triangle des
objectifs de l’évaluation ».
TRIANGLE des objectifs de l’évaluation

Si
vous aimez vous déplacer à deux dimensions sur un triangle, ne
serait-ce même qu’une pyramide, vous pouvez aller jeter un coup
d’œil sur le « triangle pyramidal » que nous vous proposons à
propos des relations entre des objectifs multiples, se
traduisant en fait non seulement d’évaluation et d’appréciation,
mais de mesures, voire de certification, d’orientation.
A
noter, en lisant bien ce triangle, que tout ce qui est en
dessous des pointillés signifie des visées et des procédures qui
peuvent être quotidiennes, en continuité ; avec patience et même
insistance. Cependant, que ce qui est au dessus des pointillés,
avec des mesures, des certifications, des classements,
aboutissant par la notation à la sélection, n’a de sens qu’à
terme : après un temps prolongé d’enseignement et de mesure
quotidienne d’évaluation.
Prenons appui sur le « socle commun »
Les
compétences désignées pouvant être revues dans les pages qui
suivent, notamment en ce qui peut inspirer notre façon de
traiter la compétence dans la progression des élèves par des
critères adéquats, des formes variées qui peuvent être
d’inventaire,ou check-lists brèves, de questionnaires, de formes
interrogatives aussi bien que dans la correction de copies
demandées aux élèves dans les épreuves plus professionnelles,
ainsi que dans les formes d’évaluation projective ou par tri.
La
référence aux sept modes de présentation de l’évaluation peut
permettre de traiter la variété des connaissances, capacités et
attitudes citées dans la richesse du socle commun, en évitant le
seul recours à une notation qui peut être abstraite sinon
subjective, mal interprétable par les élèves.
La
régulation des moyens pratiques consultables ci-après peut
permettre de résoudre les difficultés d’harmonisation
rencontrées dans la pratique lors de la mise en œuvre du « socle
commun ».. Des difficultés tenant souvent à la disparité des
profils d’élèves, mais aussi des potentiels identifiés, enfin
des possibilités offertes, éventuellement attrayantes, des
disciplines. Par exemple, se satisfaire de connaissances en
vocabulaire (domaine 1), l’un se satisfait de 100 alors que
l’autre de plusieurs centaines. Ou peut-il y avoir entre
plusieurs enseignants une idée du socle qui pour certains se
limitent à une centaine et pour d’autres estiment à plusieurs
centaines ; en évaluation opératoirement différenciée.
Par
la référence pratique et concrète, le risque d’excès et d’écarts
dans l’application des données du socle aux élèves -réduire à
l’optimum l’ensemble des exigences cognitives et actives - peut
être conjuré d’une façon positive : en vu d’être accordé à
chaque enseignant, à chaque discipline, mais aussi à chaque
élève.
Avant de regarder du côté des exigences requises et des moyens
concrets pour les atteindre, il peut être juste, au préalable,
de réfléchir aux choix des critères et des indicateurs qu’il
nous faut mettre en œuvre, selon les possibilités et de
situations, et de voies d’évolution.
Inventaire des possibilités de situations et de voies
d’évaluation
Il
est intéressant pour chaque enseignant de prendre connaissance,
en un parcours rapide ou en s’attardant parfois, de cet
inventaire (en forme de « clavier ») afin de saisir la
multiplicité des situations ou voies d’évaluation qu’il peut
emprunter ; nous pourrions ainsi éviter l’usure et la
réduction consécutives à l’emploi de modalités trop
habituelles.
Cet
inventaire peut aussi attirer l’attention sur la pluralité
des variables dont le professeur peut être tenté d’apprécier
l’intensité ou l’émergence dans la voie ou situation choisie ou
à choisir, inédit ou oublié, selon des critères et des
stratégies adaptées sur lesquels nous reviendrons.
Bonne chance et bon choix ! Profitez des bonnes occasions et
cochez doctement !





Quelle que soient les modalités concrètes que nous choisissons
de mettre en œuvre, il nous faudra également réfléchir sur les
choix des critères, des indicateurs et des stratégies, ainsi que
l’adéquation entre indicateurs et critères adoptés.
Le choix des critères
Les
critères d’appréciation de paliers ou de résultats atteints dans
l’acquisition des connaissances, des capacités, des
savoir-faire, d’attitudes dans l’activité scolaire peuvent être
selon les cas et les objectifs de :
Clarté o
Exactitude o
Soins o
Conformité o
Efficacité o
Efficience par rapport aux moyens
o
Pertinence o
Cohérence o
Adhésion aux valeurs o
Originalité o
Il
est opportun de pouvoir renouveler nos choix nécessaires sur
quelques critères non standards, selon quelques précautions, à
condition qu’il soit :
xpertinents
xindépendants les uns
des autres
xpeu nombreux pour
être réalisables
xpondérés
Le
choix des critères, adapté à chaque travail d’élève, participe
du processus d’évaluation (et non de contrôle), phase délicate
et difficile, toujours subjective pour l’enseignant.
Le choix des indicateurs
Pour fixer à quels degrés d’intensité ou de qualité les critères
sont atteints, l’évaluateur doit disposer de quelques
indicateurs, dont l’application sur :
xles faits, à
constater
xles représentations
offrira des indications quantitatives (du genre %) ou
qualitatives (du genre platonique bien, bon, juste, vrai , mais
aussi passable)
Le choix de la stratégie
Nous pensons pouvoir seulement évaluer par des devoirs, des
interrogations et des contrôles. Mais il importe de pouvoir
enrichir nos façons de faire grâce à une variété de méthodes de
recueil d’informations : interview, sur questionnaires, par
étude documentaire, par observation, sur des graphiques ou tris,
par métaphores ou significations. On pourra tapoter sur le
« clavier » ou inventaire des instruments d’évaluation.
Il
faut bien sûr d’abord s’assurer de la validité et de la
fiabilité de la stratégie à l’objectif visé et aux personnes
concernées.
Enfin, un retour sur l’examen de l’adéquation entre indicateurs
et critères. La question du sens au terme de l’évaluation
exprimée. En celle-ci, l’évaluateur donne du sens au processus
(comme le juge devant des faits similaires) ; et il le fait dans
la conscience responsable de la subjective. Comme on vient de le
voir, la subjective implique des prises de choix, obtenus et
exprimés dans la clarté, mais en « loyale subjectivité ». Et
c’est parce qu’il y a subjectivité qu’on peut alors parler
d’évaluation.
Reconnaissons que le problème de la plupart des évaluations
n’est pas leur subjectivité, mais le flou dans lequel elles se
déroulent. Soyons clairs et éclaircissons, mais en nous gardant
d’être péremptoires et définitifs. Nous ne faisons pas de
jugement. Nous donnons des indications de repérage et des
stimulations positives.
Et
souvenons-nous, avec Charles HADJI, que l’évaluateur est un
tisserand funambule :
o
capable de juger ce qu’il est et
ce qu’il fait, avec une distanciation critique à l’égard de la
réalité
o
mais incapable de connaître
exhaustivement la réalité et d’en prévoir l’évolution avec
certitude
o
c’est un choix et un pari : il est
acteur dans cette dynamique évolutive ; un pari en ce qu’il peut
concevoir un état des choses meilleur.
Il
est tisserand, parce qu’il met en lien. Et il tisse d’abord un
message accessible, palpable et lisible pour qui le reçoit.
Mais il est funambule : se mouvoir dans un espace entre un être
en mouvement et un devoir-être difficile à cerner, en chaque
élève, en chaque classe, en chaque amphi !
Pourrions-nous mettre d’abord sur le fait qu’une évolution
professionnelle de l’évaluation requiert cinq compétences
1-
des compétences théoriques en évaluation
2-
des compétences méthodologiques :
3-
des compétences en ingénierie pédagogique
4-
des compétences sémiotiques
5-
des compétences éthiques
Et
aussi, elle demande trois attitudes :
|
Convaincu |
Encore hésitant |
De modération
|
o |
o |
De confiance
|
o |
o |
De réflexivité sur ce que l’évaluateur effectue.
|
o |
o |
L’évaluation, règles du
jeu, Charles HADJI, 1989
|