Chapitre 15- Quand il devient
intéressant d’utiliser des métaphores en enseignement
Où le lecteur part dans une invitation à l’évocation
métaphorique du changement en éducation pour découvrir
l’organisation systémique de l’Education.
Nous pourrions commencer traitant de changement par le carré
magique.
Imprécations d’en haut ou d’en bas, entend-on, clamant : « il
faut changer ». Pourquoi, pour quoi ? pour qui ? L’insistance du
changement à régler dans notre système éducatif est régulière,
récurrente, elle est pourtant entendue ou sourde pour les
acteurs de terrain. Pourquoi changer quand les élèves sont
toujours les mêmes ! Même nombre, même âge, même origine.
Pourtant, les changements sont insidieux, sensibles sur une
période de cinq, voire dix ans. Les « choses » changent, dans
un impressionnisme formel, sans analyse, même dans l’éducation,
même à l’échelle d’une école, d’un établissement.
Nous tous, professionnels, devrions être attentifs à ces
micro-changements, de nos publics, et par interaction, aux
évolutions fortes que doivent connaître nos structures, nos
organisations et notre institution. Nous devrions les anticiper,
d’y préparer nos jeunes élèves, à l’accueil de l’inconnu et de
la complexité. Jamais béats, et toujours interrogatifs du sens,
ne nous somme-nous pas les initiateurs du changement pour la
société déjà actuelle et future ?
Dans ce dessein, nous vous proposons volontiers de nous livrer à
un jeu d’esprit et d’intelligence en système. En passant par le
détour du « carré magique », et par l’infléchissement du « clinanem »
cher à Lucrèce.
Le « carré magique », d’un jeu mathématique à une formalisation
du changement en éducation
Pour parvenir à une formalisation complexe, l’élaboration est à
la fois conceptuelle et progressive. Elle s’inspire d’abord d’un
jeu mathématique communément appelé le « carré magique ».
Les
chiffes ne représentent qu’eux-mêmes et en soi ne revêtent
aucune signification. Donnons-leur alors de la « valeur » ; en
retenant la combinaison gagnante, à savoir qu’il faut les quatre
éléments pour satisfaire toute ligne ou toute colonne.
Soient donc quatre valeurs essentielles et basiques : P pour la
pratique en œuvre, E pour l’espace et le temps du
travail, R pour l’organisation et la gestion des ressources
humaines, F pour la formation professionnelle.
Les
combinaisons sont donc multiples, d’autant que nous pouvons leur
attribuer quelques coefficients d’intensité possibles. Mais il
faudrait dans chaque combinaison retrouver les quatre éléments
indissociables.

Une fois posés les éléments de la
relation quadratique, de l’équation fondamentale, nous pouvons
tenter de jouer sur un ou sur plusieurs éléments du système.
Quelle variabilité attribuer à chacun des facteurs ?
Sur la formalisation présentée ici,
nous avons encore pris le parti de décliner chaque pôle du carré
en cinq (au moins) possibilités. Quitte à faire les
regroupements nécessaires ; la figure avait fait l’objet d’une
élaboration à l’issue d’un échange nourri mais parfois
désordonné entre enseignants ; les participants livraient bonnes
idées et pistes de réflexion, mais sans organisation préalable,
et sans concept porteur.
Nous avons pu alors proposé ce carré
en réinscrivant les items formulés dans leur cohérence
intrinsèque et aussi en système. La figure pût ainsi tenir lieu
de compte-rendu et permettre de nourrir l’action de formation
programmée plus tard en rapport avec les possibilités de
changement et leurs limites.
Faut-il tout changer pour que rien ne
change ? La tentation de la « tabula
rasa » a existé.
L’expérience par l’histoire, par nos vécus respectifs, nous
apprend que les forces d’inertie ou de régulation des systèmes
sont plus prégnantes que les grandes intentions ; à tout vouloir
changer de façon radicale, les effets sont moindres en
profondeur. « Plus cela change, moins cela change ». Ce n’est
pas le moindre des paradoxes.
Les leviers classiques du « pilotage pédagogique »
Depuis quelques années, a été introduit le concept de
pilotage pédagogique dans la culture des cadres de
l’éducation (chefs d’établissement, inspections), et nous
pourrons également interroger le rôle, la place et la fonction
de la formation des personnels dans ce concept.
Classiquement, le pilotage, Philippe Perrenoud l’a résumé en
quelques pratiques observées et communes que nous pouvons
rapporter aux quatre domaines de compétences énoncés plus
haut. : P (pratiques), E(espace et temps scolaires), R
(organisation et gestion des ressources humaines) , F (formation
professionnelle). Ainsi, l’institution entend orienter
l’activité enseignante :
:
Leviers du pilotage classique |
Domaine de compétences |
1. en
publiant des programmes et autres directives; |
R |
2. en
fixant une grille horaire; |
E |
3. en
imposant ou conseillant des procédures d'évaluation, des
exigences. des critères, des supports (bulletins scolaires,
tests critériés par exemple); |
P |
4. en
éditant ou en homologuant les manuels scolaires et autres
moyens d'enseignement, parfois en les imposant |
P |
5. en
développant et en diffusant des technologies éducatives qui
modélisent certaines pratiques; |
P |
6. en
proposant, parfois en imposant des méthodes d'enseignement; |
F |
7. en
formant les enseignants (formation initiale et continue) ; |
F |
8. en les
impliquant dans des échanges, des réseaux, des projets
susceptibles de les influencer; |
F |
9. en
accompagnant, en soutenant, en diffusant des démarches
innovantes ; |
F |
10. en
produisant et diffusant des connaissances et des idées
pédagogiques et didactiques; |
F |
11. en
exerçant une forme de contrôle de qualité, à travers
l’inspection traditionnelle ou d'autres formes d'évaluation
des enseignants. |
R |
12. en
organisant les relations et les responsabilités entre les
élèves, en classe, et dans l’établissement |
R |
Nous obtenons donc le carré suivant :
en proposant, parfois en imposant des méthodes
d'enseignement;
en formant les enseignants (formation initiale et continue)
en les impliquant dans des échanges, des réseaux, des
projets susceptibles de les influencer;
en accompagnant, en soutenant, en diffusant des démarches
innovantes ;
en produisant et diffusant des connaissances et des idées
pédagogiques et didactiques; |
en publiant des programmes et autres directives;
en fixant une grille horaire; |
|
F
|
E |
|
|
P
|
R |
|
en imposant ou conseillant des procédures d'évaluation, des
exigences. des critères, des supports (bulletins scolaires,
tests critériés par exemple);
en éditant ou en homologuant les manuels scolaires et autres
moyens d'enseignement, parfois en les imposant
en développant et en diffusant des technologies éducatives
qui modélisent certaines pratiques; |
en exerçant une forme de contrôle de qualité, à
travers l’inspection traditionnelle ou d'autres formes
d'évaluation des enseignants.
en organisant les relations et les responsabilités
entre les élèves, en classe, et dans l’établissement |
La
distribution des items laissent apparaître deux domaines bien
investis, deux autres fort désertés. Pour résumer, le changement
se conduit essentiellement dans les pratiques (il suffit de
prescrire pour faire) et avec l’aide de la formation, aux
modalités plus variées. Mais, le pilotage classique laisse
(étonnamment ?) de côté les domaines encore peu explorés
relatifs à l’organisation des espaces et des temps de travail,
comme de la gestion des ressources humaines. Le système semble
bien ici verrouillé et peut laisser penser des « pertes en
ligne »,dirait-on dans une politique énergétique : pratiques et
formation sont surinvesties de fonctions qu’elles ne peuvent
seules assumer. Et tout un chacun sera autorisé à constater que
l’inertie du système est trop forte, à quoi bon tout cela,
est-ce vraiment efficace ?
La
question de la formation mise en débat depuis quelques années ne
peut faire l’économie de ce type de réflexion plus large.
Portons alors notre regard bienveillant et formatif sur les
quatre variables de notre « carré magique ».
P comme pratiques professionnelles
Le
principe de la « liberté pédagogique » est consubstantiel au
métier d’enseignant ; il est à la fois historiquement affirmé et
actuellement inscrit. Pourtant, les pratiques enseignantes sont
rigoureusement balisées par les instructions officielles et
autres programmes, illustrés par autant de manuels et de
publications attenantes, plus ou moins fidèles à l’esprit.
Dans le même temps, les rapports d’inspection, régionale, ou
ceux de l’inspection générale
disent la difficulté de faire évoluer les pratiques et identifie
par ailleurs les facteurs d’inertie et les freins, pas toujours
au niveau des enseignants eux-mêmes.
En
accompagnant les équipes sur le terrain, nous retrouvons les
cinq arguments d’inertie et d’usage ou ici de non-usage,avec
quelques variantes indubitables, justifiant le statu quo :
-
On n’a pas les
moyens…
-
Je n’ai pas été
formé….
-
Que va dire mon
inspecteur ?
-
Cela a déjà été
essayé, mais cela n’a pas marché…
-
Que vont penser les
collègues ?
Ou sous une autre forme, plus joliment

On
ne peut décider, suivre décréter ou même suggérer le
changement,, sinon en prendre l’initiative, sans en comprendre
d’abord les mécanismes psycho-sociaux, car ses acteurs sont
légitimes dans leurs choix ; l’investissement dans l’action est
un processus à la fois individuel et collectif.
Tensions et renforcement paradoxal
Au
moment d’un séminaire de cadres au niveau national, on a pu
faire l’analyse des propos tenus en plénière comme en atelier,
pour mettre au jour (dit-on en archéologie) les forces et
inerties qui travaillent notre corps social en tension
dynamique. Il s’agissait alors d’analyser les « pratiques »
observables du pilotage, pour un chef d’établissement, pour un
inspecteur d’académie, pour un inspecteur pédagogique ; tous
sont cadres et, comme l’enseignant de base qu’ils ont été,
éprouvent parfois quelques difficultés à identifier les
questionnements professionnels.
Les
couples ainsi identifiés sont comme les deux côtés d’une même
médaille, avers et revers, à savoir indissociables.
Juger <- -> comprendre
fatalisme sociologique <- -> acte pédagogique
Évaluer <- -> accompagner
Indicateur <- -> indication
Contrôler <- -> vérifier, réguler
Confidentialité <- -> élargissement du cadre, des
acteurs
Militantisme <- -> professionnalisme
Transversal <- -> didactique
Didactique <- -> pédagogie
Pédagogie <- -> organisation de la classe
Formation <- -> changement
Changement <- -> identités professionnelles
Application de réforme <- -> résolution de problème
Statuts <- -> fonctions, compétences
Hiérarchie à la « française » <- -> pilotage pédagogique
tâche <- -> Activité
Performance immédiate <- -> temps du projet
Je sais <- -> je ne sais pas (faire) (tout seul)
Expertise <- -> co-élaboration , négociation convenable
Approche scientifique <- -> prégnance des « idées sur les
choses »
Absolutisme <- -> modestie et pragmatisme
Dans l’analyse des pesanteurs et des inerties de la pratique,
nous pouvons proposer quelques hypothèses explicatives..
Certaines sont en rapport avec la collectivité à l’intérieur de
laquelle on souhaite instaurer des changements: mais le
caractère plus ou moins imposé de ces changements par l’autorité
responsable implique trop souvent que celle-ci ne tient aucun
compte de l’expérience préalable acquise par les intéressés,
dénie à ceux-ci toute possibilité de remarque ou de suggestion,
a fortiori évite de les consulter préalablement à toute
application et tende à les considérer comme quantité
négligeable.
D’autres ont trait aux individus eux-mêmes. D’une part
l’inertie, ou l’économie de ses propres énergies, inhérentes à
la nature de chaque homme l’incitent à hésiter devant la
nécessité d’un effort de transformation : qu’il s’agisse de ses
propres connaissances, de ses vieilles habitudes, ou même de ses
méthodes, devenues des routines : "cela allait bien jusqu’ici;
il n’y a pas de raison pour changer". Cette opposition réflexe
à l’innovation a été la cause de bien des échecs et de nombre
de retards sur la voie de l’amélioration des techniques
d’enseignement.
D’autres encore dépendent des interactions dans le groupe. La
pression du groupe s’exerce vers l’uniformisation des
performances individuelles ainsi que l’a montré l’expérience de
Coch et French concernant une ouvrière séparée de son équipe de
travail. Il existe de plus chez chacun une tendance endogène à
éviter de se désolidariser de la norme élaborée et admise par le
groupe. Si bien que Lewin a été fondé à poser en principe qu’il
est plus facile de modifier les normes d’un groupe restreint
(qui s’imposeront alors à ses membres) que de modifier isolément
les normes acceptées par chacun des participants. Un groupe
demeure solidaire, et c’est solidairement qu’il pourra
réexaminer et modifier ses normes de fonctionnement ou de
performance. Et les enseignants, dans les établissements et dans
l’institution, travaillent délibérément ou passivement en
groupe,ou plutôt, dans la pesanteur de divers « mondes » (sinon
slogans).
Les « mondes » de l’enseignant

Les « marqueurs » du changement en établissement
Faudrait-il alors renoncer à tout changement, à toute
innovation, à toute incitation ? Ou faudrait-il trouver des
indications de lieux et des facteurs de possibilité et
d’opportunité pour une évolution adéquate des pratiques
La
recherche pédagogique peut ici apporter des éléments à la
conduite du changement. Quand bien même la reproductibilité n’a
rien d’évident dans ce domaine, l’observation attentive et
l’étude comparée ont permis de mettre en exergue quelques
facteurs facilitant, que font que « cela marche », sans que cela
relève pour autant de la pensée magique ou de l’admonestation
intempestive.
Françoise Cros, à l’occasion de la mise en œuvre des dispositifs
« parcours diversifiés au collège », plus tard devenus
« itinéraires de découverte », avait retenu sur l’étude de sept
établissements, sept domaines constitutifs et corollaires du
changement ; un seul ne suffit pas et il entre en système avec
d’autres pour que la « masse critique », dit-on en physique
nucléaire, engage à l’évolution.

En
ces conditions, il sera pour nous, chacun à sa place et dans son
rôle respectif, qui enseignants, qui direction, qui formateur,
de veiller à développer tel ou tel de ces domaines, ferments du
changement en un établissement.
Car, nous avons donc commencé par là, le changement est d’abord
un processus interne. Et donc, avant toute autre béquille
externe (formation, ingénierie, organisation, évaluation,
inspection, intervention) une question de pratiques !
E comme espaces et
temps du travail en éducation
C’est ici la variable du carré qui
semble à l’étude des pratiques la plus invariante. Sur notre
« tableau de bord » de notre système de pilotage, il
apparaîtrait que, quel que soit l’école ou l’établissement
considéré, nous soyons tous soumis au même régime, morcelé,
émietté, de l’organisation du travail ; une salle, une classe,
un enseignant, une heure. A étudier ce type d’organisation, nous
pourrions facilement la rapprocher de celle imaginée par
l’ingénieur Taylor dans les usines Ford des années 20. Un
travail simple d’effectuation de tâches, posté à la chaîne pour
des emplois non qualifiés. Les enseignants seraient-ils alors
des « O.S. » de la pédagogie ?
La variable de l’espace scolaire reste
encore plus que le temps lui-même l’oublié de notre champ
éducatif ; les domaines de l’architecture, de l’aménagement des
espaces, et plus finement, celui de l’ergonomie scolaires,
demeurent de vastes champs à défricher en France, là même où des
pays comme l’Allemagne, et la Finlande (si, si) ont prospéré.
Une étude récente
s’est attachée à montrer le lien entre l’architecture et la
réussite éducative. Cette
question fait particulièrement sens au moment où les
collectivités locales investissent massivement dans les
bâtiments scolaires - on construit presque deux fois plus de
collège en ce début du 21ème siècle que dans les
années 1980 -, où l'Ecole est en crise et où les nouvelles
technologies "brisent les murs de l'Ecole" comme le soulignait
une étude de l'Inspection générale.
Il ne suffit pas de placer des
personnels d'éducation dans une architecture en rupture de
l'espace traditionnel de l'école pour que leurs pratiques
éducatives changent". MC Derouet-Besson, INRP, rappelle par
l'exemple des aires ouvertes impulsées dans les années 1950 et
rejetées par les communautés éducatives. Les nombreux exemples
évoqués dans l'ouvrage montrent plutôt comment des pratiques
modernes trouvent place dans des espaces traditionnels.
C'est visible aussi bien pour l'utilisation des tice dans des
salles de classe anciennes que pour la mise en place d'un self
dans une cantine traditionnelle. Les constructions neuves
reprennent donc souvent pour les salles de classe les formules
traditionnelles (espace rectangulaire avec un tableau sur un
mur).
Et pourtant ça bouge, mais au CDI !
Pour Jean-Marie Lanchon , par exemple, "les professeurs
documentalistes doivent redéfinir leurs fonctions et imaginer
les espaces dont ils ont besoin". Ce qui implique un redécoupage
de l'espace : "le maintien d'une petite structure de prêt… la
mise en place de petites salles de travail… l'accès à des postes
informatiques dans des espaces de circulation". C'est parce
que les CDI sont les lieux d'entrée des Tice dans les
établissements qu'ils sont les premiers sujets au changement.
Car, si l'architecture ne peut modifier les pratiques
pédagogiques, les nouvelles pratiques d'apprentissage des
élèves, profondément modifiées par la culture numérique,
remettent en question et ces pratiques et ces espaces. Ce
sont elles qui déplacent le travail scolaire vers des petites
salles de travail en groupe ou vers des espaces collectifs que
le wi-fi permet de s'approprier. L'architecture informatique
évoluant plus vite que l'architecture traditionnelle, les
architectes ne manqueront pas de chantiers.
A ne pas penser l’organisation du
temps et de l’espace, il a trop souvent été aisé d’administrer
la chose scolaire en laissant agir d’autres logiques que
celles de l’efficacité des apprentissages. De fait, il est
plus simple pour tout le monde d’en rester à des petits
arrangements aux dépens de l’intérêt des élèves, d’assurer
plutôt le confort des anciens, de conforter la routine
inévitable, et ainsi de faire jouer des petites « unités »
interchangeables. Toute autre organisation plus volontariste, si
ce n’est obligatoire, due aux textes, comme par exemple, les
temps d’EPS ou de laboratoire, les alignements de langues
vivantes, ou encore les travaux interdisciplinaire, est vécue
comme une contrainte dont on se défait au plus vite, on la
« réduit ». Mais de façon générale, la réflexion ne porte jamais
sur l’aménagement du rythme scolaire, surtout dans le
secondaire.
Les dernières évaluations attestent
dans le primaire que 40% des élèves connaissent une autre
organisation, souvent un aménagement minime comme le passage du
samedi matin au mercredi matin, à la demande des parents.
L’histoire récente montre que toucher au temps et à l’espace
scolaire est un facteur déclencheur de conflits, et que dans ce
domaine, il faut bien adopter le sceau de l’expérimentation pour
s’autoriser à quelques initiatives… que rien n’interdit par
ailleurs.
Dans n’importe quelle autre
organisation, l’organisation du travail réunit et constitue des
moyens et des ressources mis au service d’objectifs affirmés et
évalués. Non, ce n’est pas le cas dans nos établissements. Ils
ont beau afficher des projets d’établissements aux objectifs,
pas trop différenciés, leurs choix en organisation
spatio-temporelle des apprentissages sont en indépendants.
Notre travail de formateur est ici
d’étudier ce champ d’investigation, en s’appuyant notamment sur
les travaux menés à l’INRP par Aniko Husti
notamment.
Les différentes expérimentations menées en ce temps dans des
centaines d’établissements sur tout le territoire ont permis
d’envisager qu’à moyens horaires égaux (on dit DHG, dotation
horaire globale), les solutions alternatives en organisation
sont nombreuses, pourvu que et enseignants et direction,
ensemble, accordent leurs objectifs. La relative complexité
technique engage la compétence partagée ; et il s’agit bien ici
d’un besoin de formation, peu satisfait malencontreusement ou
encore jusqu’ici.
Nous pourrions retenir quelques pistes
intéressantes en matière d’organisation du travail :
n
Annualiser les
disciplines à faible horaire (enseignements artistiques)
n
Proposer des
temps forts chaque semaine ou trimestre, ou des semaines
thématiques, sur la base de deux emplois du temps, un classique,
un autre plus adapté pour ce projet d’immersion,
d’intensification, de bains
n
Organiser deux
rentrées, une en septembre, une autre en février, avec des
organisations horaire complémentaires, voire des groupements
différents d’élèves, pour répondre aux dangers des doublements
prévisibles.
n
Traiter
différemment la fin d’année, qui part trop souvent en
quenouille, compte tenu de la désorganisation des examens pour
certains niveaux.
n
Organiser des
temps choisis pendant la pause méridienne
n
Organiser les
élèves en équipes diverses et selon des rôles complémentaires
n
Réserver 10%
de l’horaire global à des modules transversaux ou
interdisciplinaires
Rien de tout cela n’est nouveau en
soi, il ne s’agit pas de cela ; mais bien de poser la question :
en quoi notre organisation scolaire s’ajuste aux besoins de nos
élèves et aux objectifs que nous nous fixons ? Le suivi attentif
de ces expériences a montré qu’en faisant jouer cette variable,
nous touchions par effet-système les autres domaines : non
seulement, la répartition des espaces, le mode de groupement des
élèves, mais aussi des domaines professionnels tels que les
modalités d’évaluation des temps partagés, la cohérence des
curricula.
Dans tous les cas, il y aura
possibilité de dispositifs et inventivité retrouvée ; c’est
assurément une question de pilotage partagé. Mais qu’est-ce qui
déclenchera le changement ? Le projet, la prescription, la
nécessité, l’obligation ?
R comme gestion et valorisation des
ressources humaines
Par un mauvais jeu de mots, nous
pourrions dire que nous manquons d’R. Cette autre variable du
jeu en carré est traitée, comme la précédente, comme un
quasi-invariant, mécanisé. Pourrait-on dire même comme une
absence de gestion et de valorisation des ressources humaines ?
Il est intéressant, tout comme il est
curieux, de noter que l’apparition d’une direction des
ressources humaines est apparue dans l’institution, dans chaque
académie, au même moment qu’une mission des innovations
pédagogiques. L’esprit fut là, après,… c’est une autre histoire.
Le passif en matière de ressources humaines est extrêmement
lourd ; les situations n’ont jamais été bien ou correctement
traitées, tant est si bien qu’encore les DRRH ou DRH, c’est
selon, gèrent l’urgence et la difficulté des personnels, avant
tout autre chose ; encore une fois, ils se trouvent en situation
d’administrer, sans avoir à penser prévisionnellement les postes
et à valoriser les compétences.
Quelles sont alors les motivations
profondes d’un professionnel, personnel enseignant, pour faire
plus, pour faire autrement, pour changer sa pratique, pour
évoluer, si jamais dans son institution, dans ses cadres, et
auprès de ses supérieurs, il n’est fait mention de ses
compétences identifiées, reconnues, valorisées, et de ses
besoins, et de ses projets plus personnels ? Finalement, nos
enseignants de base ont le cœur bien accroché et la foi
chevillée au corps, pour exercer au bénéfice des élèves, mais
sans aucune reconnaissance externe ni validation de leurs
réussites.
D’une certaine façon, on peut ici
comprendre l’individualisme constaté, et noté par ailleurs. Les
fondements du métier sont quasiment et au sens propre du terme
« autonomes » en ce qu’ils puisent dans une motivation
intrinsèque, sans recours aucun à l’extériorité.
Pour cette raison, si nous désirons,
corps d’inspection, chefs d’établissement, formateurs, faire
évoluer le système, et par interaction, faire évoluer les
pratiques professionnelles, cela doit commencer par la prise en
compte plus ajustée des compétences existantes, par la
reconnaissance des réussites, par la valorisation des
initiatives, et par la validation des acquis. C’est un acte
instituant, bienveillant et salvateur pour l’institution que de
compter sur les énergies positives et l’investissement de ses
propres personnels. Les traiter de façon égalitaire et
indifférenciée aboutit à nier tout ce qui existe et germinatif.
Cela peut se passer au travers, ou contre elle parfois, d’où
l’ambivalence récurrente des « expérimentateurs » et autres
« innovateurs » envers l’Institution. Une variation d’un vieil
air connu (encore un R) : « je t’aime, moi non plus ».
En ce qui concerne le domaine de la
formation plus précisément, il s’agirait de quelques mesures
relativement simples :
Identifier plus clairement les
compétences visées dans les contrats de formation
Garantir les durées réelles de
formation initiales et contenues
Procéder plus régulièrement et plus
efficacement à une évaluation interne des besoins en formation,
en envisageant la délivrance formelle de certificats de
capacités, validant le module, pourquoi pas ?
Organiser le suivi des parcours
professionnels et l’histoire en formation des personnels ;
techniquement, c’est possible, et les outils sont déjà en place,
mais tout est fait comme si cela n’existait pas, et surtout pas
pour l’évaluation des personnels.
Réinvestir les études de cas et les
réussites dans la formation professionnelle, où la mémoire
s’avère toujours très courte
Conduire les entretiens d’évaluation
en prenant en compte à la fois le parcours en formation, en
reconnaissant les compétences construites, en identifiant les
possibilités d’évolution sur des postes profilés, et que la note
soit significative de cette richesse, sans aplanir tout dans un
barème sans signification.
Quelques principes de la
conduite et gestion du changementconçus
ailleurs mais consultables ?
" Pas de changement sans
nécessité "
Tout changement génère des peurs et
nécessite des efforts : l'être humain n'acceptera de s'engager
dans le changement que s'il en perçoit la nécessité pour la
pérennité de l'entreprise et/ou surtout pour son propre
développement en tant que personne ou dans sa fonction.
" Un escalier se balaie
toujours par le haut "
Réussir la conduite du changement
d'un système (entreprise, organisation…) passe inévitablement
par une forte implication de ses dirigeants. Au-delà des
exhortations verbales et des décisions correspondantes, c'est
surtout par leurs comportements et leurs actes observables, en
cohérence avec la transformation visée, qu'ils feront avancer
leur projet.
" Donner du sens et le
rappeler en permanence "
Tout changement génère des
turbulences. Dans l'inévitable tempête (au minimum 6 mois - 1
an), les managers devront rappeler en permanence le cap visé
et les raisons du choix de cette destination.
" Désapprendre pour
réapprendre"
Tel un joueur de tennis qui change
de raquette et perd momentanément ses meilleurs coups et ses
sensations, tout changement d'outils, d'organisation ou de
mode de travail génère baisse de compétence et d'efficacité.
Une seule solution : accepter de désapprendre pour ensuite
réapprendre et gagner en efficience.
" Adopter la politique des
petits pas et fêter les victoires "
Quand le cap est encore loin et que
les tempêtes se succèdent sans discontinuer, tout bon
capitaine soutient le moral de ses troupes en proposant des
petits objectifs réalistes et atteignables, des escales
intermédiaires. Reste alors à ouvrir une bouteille de
champagne à chaque fois que l'équipe arrive à bon port !
" Perdre du temps sur
l'essentiel pour mieux se consacrer à l'important! "
Plus il y a de problèmes et plus il
faut manager ! Or la tendance naturelle de tout manager face à
des problèmes d'organisation, de qualité ou de satisfaction
est de se centrer sur la résolution de ces dysfonctionnements
au détriment du facteur humain…pourtant à l'origine des
difficultés rencontrées.
En
reprenant sans tarder notre « carré magique », nous pouvons en
proposer une lecture en trois dimensions, de sorte à faire
apparaître alors deux niveaux connexes, un niveau local qui
rassemble pratiques et organisation du travail, ces deux
variables appartenant à l’expérimentation stricto sensu. Le
deuxième niveau rassemble alors les deux autres variables,
celles qui actuellement posent problème, à savoir formation et
ressources humaines, car elles relèvent bien du dispositif de
pilotage d’un bassin, d’un département, d’une académie.

La
conduite du changement joue alors sur l’imbrication de ces deux
niveaux et sur ces quatre variables, avec plans formels ou
informels ? Consultons le message que nous donne André Giordan,
professeur à l’université de Genève et chercheur ;
il invite à la « réforme informelle » :
« Le
changement réussi est de l'ordre de l'informel et du
complexe. C'est une transformation du regard qu'il s'agit de
mettre en place en premier. Le changement s'opère d'autant
mieux qu'il s'effectue inconsciemment, un peu comme les
modifications du rythme cardiaque qui se produisent à notre
insu. Il s'élabore d'autant plus efficacement que l'on évite
le recours aux ordres et aux décrets, qui sont généralement
subis comme des cassures et des ruptures, et que l'on prend
appui sur les potentialités que tout système humain possède
pour évoluer.
Ce sont
les conditions de base pour obtenir la coopération des
membres et des parties d'une organisation dans sa dynamique
d'évolution. Et cette approche requiert toute la vigilance
du promoteur de changement. Si celui-ci met l'accent sur les
défauts et cherche en premier lieu à les éliminer, il a
toutes les chances d'activer les blocages et par effet
rétroactif de renforcer les dysfonctionnements repérés. Par
contre, le respect et la valorisation des systèmes humains
et des personnes dynamisent leurs possibilités d'évolution
et les autonomisent.
Paradoxalement, c'est au moment où l'on s'accepte dans ses
propres manques et où l'on se sent reconnu que l'on peut
entrer le plus facilement dans un processus de changement.
Toute organisation humaine, et cela est encore plus vrai
pour l'école et ses personnels, y compris de direction, a
fondamentalement besoin de cette reconnaissance et de cette
valorisation avant de pouvoir entrer dans une dynamique
d'évolution.
C'est
alors que les ressources et les compétences du système
deviennent facilement mobilisables pour parvenir aux fins
souhaitées. Or, contrairement à ce que l'on pense
généralement, les innovations ne manquent pas à l'école. Le
problème est qu'elles sont peu connues, pas évaluées,
rarement mutualisées, jamais valorisées. La plupart du
temps, les enseignants les font même en cachette de peur de
se faire taper sur les doigts.
Le
changement est éminemment paradoxal. Sans doute sont-ce ces
savoirs qui devraient faire partie du «socle commun de
connaissances» de l'école. Cela serait certainement très
utile à nos hommes politiques, mais pas seulement !...
C'est
cette culture du changement qu'il s'agit d'injecter dans nos
organisations, et pour commencer à l'école. Nombre
d'enseignants sont déjà prêts à s'y lancer si on leur «lâche
les baskets», si on les reconnaît dans leurs efforts et
leurs compétences, et surtout si on les accompagne dans
leurs faux pas. Pour les autres, tout est une affaire de
recrutement, de formation et de reconnaissance... Sur ce
dernier plan, un ministre a alors peut-être sa place... « |
C’est dans une telle vue qu’il convient d’en venir aux problèmes
de la formation professionnelle des acteurs de l’enseignement.
F comme formation professionnelle, initiale et continue
Tous s’entendent pour dire que la formation doit exister, mais
former pour quoi ?Et à partir de quoi ? Former comment ? Les
réponses sont conflictuelles, et ce n’est pas le moindre des
paradoxes que constater que dans notre institution consacrée à
la formation, nous ne soyons pas encore d’accord sur les
objectifs et les modalités de la formation des enseignants.
Encore très récemment, un ministre disait reconnaître ne pas
savoir ce qu’était un IUFM. Et ceux-ci disparaissent !
L’administration pèse lourd dans cet état des choses : en se
cantonnant à la prescription et aux instructions, elle
n’envisage pas les moyens techniques, humaines, conceptuels pour
sa réalisation. L’enfer est pavé de bonnes intentions ;
manifestement, l’Education nationale y songe aussi. Et
l’histoire ?...
Quand il s’est agi d’organiser plus rationnellement la formation
des enseignants, au moment de la création des IUFM, à l’issue
du rapport de Peretti, les situations se sont très vite, trop
vite, perverties par le jeu des forces en présence et des
intérêts parfois contradictoires. Anciens personnels des Ecoles
normales, personnels universitaires, économie de la formation
(en particulier pour la préparation aux concours), temps des
décharges, statuts infinis des formateurs. L’équation a donné
une forme irrésolue et pesante de l’organisation des formations,
d’ailleurs assez similaire à ce que nous trouvons dans un
établissement classique d’enseignement du second degré. Il
s’agit de faire cours, d’organiser des services, de valider des
diplômes.
Mais jamais, à distance des mises en œuvre et des
responsabilités, on n’a remis en question la place d’un
concours à l’issue de la première année, qui transforme celle-ci
en un bachotage, et pervertit la deuxième année en quelques
modules saccadés ; dès le début, il y a eu perte de sens et de
cohérence. Plus l’ouverture à des candidats extérieurs,
inexactement légale.
Finalement, on a vite ramené la formation professionnelle à
quelque chose de connu, l’instruction de savoirs à des élèves.
Sans prendre en compte la réelle spécificité d’une formation
professionnalisante. Philippe Perrenoud fait une distinction
classique toujours vérifiée entre des savoirs à enseigner et des
savoirs pour enseigner. Il est clair qu’en France nous recrutons
et nous formons encore sur des savoirs à enseigner, dans une
approche de type contenus, comme l’on trouve dans les collèges
et lycées.
Si
l’institution détermine aujourd’hui de façon plus affirmée
(enfin) quel élève elle doit former (en rapport avec le « socle
commun » en fin de collège), nous pouvons donc désormais
travailler sur les profils adaptés des enseignants, sur leurs
compétences nécessaires et donc sur leur besoin professionnels
en formation.
Cependant, il faut croire que dans notre analyse il faille
encore intégrer d’autres ingrédients qui selon les doses,
prescrites ou non, rendront la mixture douce-amère ou salé-sucré.
Dans tout protocole scientifique d’observation, nous devons
tenir compte de l’observateur et des hypothèses qui préside à
l’expérience qu’il mène. C’est la même chose en formation ;
cadres et formateurs ne sont pas extérieurs au processus de
formation ni aux contenus ; ils sont parties et acteurs pleins
et entiers en ce qu’ils jouent et font jouer des valeurs qui les
transcendent, ne serait-ce que par les mots ou paradigmes
auxquels il se réfèrent.
Ainsi, au cours d’une conférence sur le métier, Jean-Pierre
Astolfi
a débusqué deux séries de dix mots : d’un côté, les mots
couramment employés, de tradition « classique » ; de l’autre,
des mots, plus nouveaux en un sens, que l’on trouve tout aussi
bien dans les mêmes textes que les précédents, mais n’empêche,
ils sont issus des sciences de l'éducation.. Ces deux séries de
mots renvoient à deux modèles de l'acte d'apprendre, comme à
deux modèles de la profession d’inculquer des connaissances ou
savoir-faire.
Transmission |
<------à |
Construction |
Instruction |
<------à |
Formation |
Maître |
|
Médiateur |
Elève |
|
Apprenant |
Programme |
|
Curriculum |
Leçon, cours |
|
Dispositif |
Notion |
|
Concept |
Mémoire |
|
Cognition |
Connaissances |
|
Compétences |
Contrôle |
|
Evaluation |
|
|
|
Le
propos ici n’est pas dogmatique, il s’agirait bien de former
concrètement et opérativement des enseignants, impliqués,
efficaces, diversifiés dans leurs profils d’apprentissage,
d’enseignement, d’expérience, autant que les élèves, concernés
et soucieux de la formation des jeunes, capables de s’adapter à
des contextes d’enseignement différents selon les niveaux, selon
les régions, et de s’ajuster aux évolutions contemporaines de
notre société.
Bien sûr, il peut y avoir débat sur le métier, ses valeurs et
ses variétés de pratiques ; le problème bien souvent, c’est
qu’il n’y en a pas encore de débat dans les salles de profs ou
des formateurs. Le rôle de la formation initiale doit être à la
fois réaffirmée et replacée dans un contexte de parcours
professionnel. On ne peut pas tout avec un diplôme. Et la
formation initiale ne peut pas préparer à tout. C’est un leurre
dont nombre de jeunes s’emparent et c’est dommage pour eux comme
pour l’institution.
Faisons alors le point sur la nature et l’ampleur de la
formation par l’examen de quelques éléments sur la
formation des enseignants....
Bien des reproches ont été formulés sur la formation, initiale
et continue : infantilisante, inefficace, redondante,
inadaptée ; à tort ou à raison parfois, le regard porté sur sa
propre formation est souvent critique, il montre une certaine
réflexivité sur le métier.
Nous n’avons cependant pas toujours à réinventer la formation ;
nous prendrons ici appui sur deux descriptions qui nous ont
semblé efficaces ; comme toute recette de cuisine, c’est déjà
pas mal de la suivre, puis de s’en détacher pour y apporter sa
propre touche.
D’après Barbara Mac Combs, Mid.Continent Education laboratory
Colorado, 1993, former revient à :
}
Proposer des objectifs et des
consignes clairs
}
Tenir compte de l’intérêt des
élèves
}
Proposer une activité à l’image
des activités accomplies dans leur métier
}
Représenter un défi à relever
}
Utiliser des stratégies de
résolution de problèmes
}
Utiliser des connaissances
acquises dans différents domaines
}
Donner l’occasion de faire des
choix
}
Travailler sur une période de
temps suffisante
}
Conduire à un produit fini
Pour sa part, Perrenoud
reprend quelques critères de qualité d’une formation
professionnelle en ce qu’elle puisse mettre en œuvre :
}
Une transposition didactique
fondée sur l’analyse des pratiques et de leurs transformations.
}
Un référentiel de compétences
clés.
}
Un plan de formation organisé
autour des compétences.
}
Un apprentissage par problèmes.
}
Une véritable articulation entre
théorie et pratique.
}
Une organisation modulaire et
différenciée.
}
Une évaluation formative.
}
Des temps et des dispositifs
d’intégration des acquis.
}
Un partenariat négocié avec les
professionnels.
Ces
deux listes sont intéressantes en ce qu’elles prennent en compte
la dynamique professionnelle d’adultes, où la formation se fait
par processus et construction.
Mais la formation doit être soutenue, impulsée dans sa
complexité institutionnelle.
Le concept de « clinamen » dans la conduite du changement en
éducation et en formation
Le
message ici à retenir est que la formation ne peut en effet se
suffire à elle-seule. Elle fait partie intégrante d’une
combinatoire complexe qui fait jouer à la fois des facteurs
comme l’appropriation in situ (les pratiques, d’où l’importance
stratégique d’une évaluation post-formation, nous y reviendrons
dans un chapitre ultérieur), des aménagements dans le domaine de
l’espace et du temps du travail professionnel comme dans la
valorisation des ressources humaines. Toutes ces choses encore
très insuffisamment prises en compte dans notre institution
scolaire et universitaire Education nationale.
Si
la formation ressort donc d’une telle combinatoire complexité,
elle peut représenter un outil puissant du changement comme être
à l’inverse foncièrement inefficace au sein d’une organisation
verrouillée. Mais ce n’est pas la formation qui doit porter à
elle-seule la responsabilité des effets, c’est bien un système
qu’il faut interroger ; dans le langage vernaculaire actuel, on
dirait qu’il s’agit d’un système de pilotage dont la formation
n’est qu’un élément parmi d’autres. .
Mais ce pilotage peut-il s’exercer avec lourdeur, jouant tous
azimuts ou jouer avec subtilité ? Référons-nous à une nouvelle
référence.
Il s’agit du concept de
« clinamen », introduit par Lucrèce dans son « De
natura rerum ».
« A la physique de la chute, de la
répétition, de l’enchaînement rigoureux se substitue la science
créative du hasard et des circonstances »,
observe Michel Serres dans un ouvrage
consacré à Lucrèce.
Il en résulte un regard nouveau porté sur le « clinamen »,
ce très petit écart angulaire qui s’introduit dans les
trajectoires des masses ou dans les flux inertes (apportant
comme un « pré calcul infinitésimal » une « fluxion » au sens de
Leibniz, assure Serres), et qui néanmoins provoque, selon
Lucrèce, par naissance de tourbillons, la structuration, « la
formation des choses à partir de la cataracte atomique »
Et le prix Nobel Ilya Prigogine vient
consolider de son autorité la position (ou proposition) de
Michel Serres, évoquant pour sa part « le trouble qui fait
naître les choses ». Il assure à cet effet : « Sans le
clinamen, qui vient perturber la chute verticale et permet des
rencontres, voire des associations entre atomes jusque là
isolés, chacun dans sa chute monotone, aucune nature ne pourrait
être créée, car seuls se perpétueraient les enchaînements entre
cause et effet équivalents, sous le règne des lois de la
fatalité. »
Une formation nouvelle n’est pas
nécessairement produite, n’en déplaise à beaucoup, par une
subversion brusque, une conversion immédiate et massive des
modalités anciennes. Elle peut résulter d’une réorientation
légère, d’un « clinamen » subtil qui vient perturber à point
donné les lourdeurs des centralisations inertes, les
« cataractes » d’actions « isolées », les procédures
« monotones » d’inculcation assorties dans leur « chute » d’une
sensation incessante (et mythique ) d’une « baisse de niveau »
justificatrice.
Les mesures quantitatives,
inexorablement additives (voir les programmes…) peuvent être
réordonnées par des voies qualitatives, provoquant l’échec des
« lois de la fatalité ».
Un effort léger, appelant « la science
créative du hasard et des circonstances », peut effectivement
attirer des rencontres, il vient appeler des associations entre
des catégories ou des organismes jusque là séparés dans leurs
parcours (ou chutes) parallèles ; il peut induire des
localisations régionales, équilibrant des réflexes
centralisateurs ; il amorcerait une « synergie » nécessaire
entre des efforts jusque là dispersés et disjoints ou
disproportionnés aux objectifs à atteindre ; il engendre des
structurations.

Mais il peut provoquer, ce faisant, un
« trouble » qui suscite des craintes et des désenchantements
alors qu’il ferait aussi « naître des choses. ». Ne
craignons-nous pas tout changement ? N’appelons-nous pas
toujours des retours au formatage du Paradis perdu de
l’enseignement d’antan ? Ah, clinamen, viens cependant
nous libérer !
La notion de clinamen donne
quelques indications sur la tendance à respecter : on ne plaide
pas ici pour des changements radicaux ou révolutionnaires. La
référence au clinamen montre qu’il est parfois utile de chercher
ce qui est germinatif, susceptible de pousser au changement sans
provoquer des réactions de rejet. Ne pas mettre en marche les
réflexes immunitaires et défensifs de toutes individualités, de
toute institution humaine : c’est la précaution « rusée » à
observer.
Il importe d’observer en effet, comme
y invitait W. Thackerey (mort en 1863, auteur de Vanity Fair
et de Barry Lyndon), « qu’il n’est pas nécessaire de
vouloir faire de grands changements, mais qu’il importe plutôt
de veiller à changer seulement ce qui peut aisément l’être. »
En
ce sens, il faut nous intéresser aux espaces informels et non
aux structures de réformation lourde et controversée. « En
médecine, on fait des progrès ; à l’Ecole, on fait des
réformes. »
Attachons-nous donc à la réforme informelle prônée par André
Giordan (université de Genève), à propos des pratiques et des
organisations locales, sous couvert ou non de l’expérimentation
et de leur formalisation en indispensable ingénierie.
Car
pratiques et organisation sont actuellement dépourvues de
l’ingénierie nécessaire pourtant indispensable pour que dans son
action, chaque enseignant puisse disposer d’une variété requise
de points d’appui et de ressources, dans sa formation initiale,
puis continue ; il sera amener à jouer sur un clavier de
possibilités multiples de prise de contacts pour les élèves en
raison de leur diversité.
Il
nous revient, en conséquence, avec soin et précaution
d’identifier la variété requise des ressources et des points
d’appui à disposition de l’enseignant.
Variété
requise des points d’appui et des ressources à disposition de
l’enseignant

Nous devons, en effet, en la complexité des problèmes de
formation et d’enseignement, tenir compte de la loi systémique
d’Ashby :
Plus on augmente la variété, l’hétérogénéité d’un système, plus
ce système sera en principe capable de performances plus grandes
du point de vue de ses possibilités de régulation, donc
d’autonomie par rapport à des perturbations aléatoires de
l ’environnement.
Variété et complexité vont évidemment de pair : or, ce que nous
constatons, c’est qu’il y a une grande variété des pratiques ou
qui ont existé ; mais la plupart du temps, elle est escamotée
par une réponse de type du mythe identitaire, par réduction à un
schéma unique, au lieu de réponses multiples à un problème,
fût-il récurrent.
On
observe à cet égard un foisonnement des formes à utiliser en
raison de l’extrême différenciation des personnes, enseignants
comme élèves, ainsi que de la richesse des modalités
d’adaptation qui ont été réussies. Et c’est une contradiction de
voir, à l’intérieur de l’université et des habitudes
enseignantes, penser qu’on n’a pas à tenir compte de toutes les
expérimentations, passées en recherchant la transmission de
connaissances et l’aide au développement de la personnalité.
C’est une attitude anti-scientifique, une indéniable indécence,
de faire avec morgue, ignorante, fi de toutes les autres
pratiques, en rejetant leur prise en charge et le dégagement de
la variété des formes à accomplir. Une telle oblitération est
facilitée par une imagerie idyllique du passé (« quand j’étais
élève »), avec des erreurs flagrantes et une idéalisation fort
loin de toute réalité historique, et osant s’appuyer sur un
rejet contradictoires de toutes les recherches scientifique.
Mais ne voit-on pas par ailleurs les sciences humaines traitées
avec mépris ou amusement. !
Il faut
contribuer à la dynamique professionnelle de la compétence, en
sachant opérer une combinatoire des ressources

La compétence renvoie à un contexte de mise en
oeuvre déterminé, combinant originalement des ressources, en
fonction des exigences concrètes et de l’environnement. Elle
n’est donc pas assimilable à un acquis de formation, obtenu
dans un cadre abstrait, réducteur. Elle se développe au cours de
la carrière et peut se perdre (obsolescence !). Elle ne
peut se repérer selon le seul mode absence/présence, il faut en
vérifier le degré réel et le niveau d’adéquation persévérante.
Le niveau d’expertise est en effet une donnée essentielle,
notamment dans une logique de repérage des transferts effectifs
de savoirs et de méthodes cognitives ou professionnelles. Si la
compétence est un système qui associe de façon combinatoire
divers éléments, il ne s’agit pourtant pas d’un phénomène
cumulatif.
Le Boterf, 1994, propose en cette perspective
une définition rigoureuse de la compétence, en termes de savoir
combinatoires et suggère de remettre le temps au centre
de la compétence :
« L’individu peut être considéré comme
constructeur de ses compétences. Il construit ses compétences en
combinant et en mobilisant un double équipement de ressources
des ressources incorporées (connaissances, savoir-faire,
qualités personnelles, expérience...) et des réseaux de
ressources de son environnement (réseaux professionnels, réseaux
documentaires, banques de données...). La compétence qu’il
produit est une séquence d’actions où s’enchaînent de multiples
savoir-faire. « La compétence est un savoir-agir responsable et
validé, c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir intégrer et
savoir-transférer des ressources...
Elle ne réside pas dans les ressources mais
dans la mobilisation de ces ressources... elle n’est pas de
l’ordre de la simple application mais de la construction ».
C’est précisément à une possibilité de mobilisation avisée,
large et sans oubli ou « actes manqués », que répond
l’enrichissement d’une ingénierie propice au métier
d’enseignement et de formateur.
Le puzzle ci-dessous peut nous rappeler la
figure des savoirs à correctement placer dans la situation
scolaire, par rapport à soi, mais quels sont les deux ou trois
savoirs ou ressources qu’il nous renforcer : entourez-les !

On pourra encore ajouter aux éléments
cognitifs ou techniques ci-dessus la capacité de recourir ou
faire recourir à la méta-cognition. Du point de vue d’Argyris
et Schön : « Tout être humain a besoin de devenir compétent
dans son action et simultanément dans la réflexion sur son
action, de façon à apprendre à partir d’elle. » D’une
manière générale, on a pu observer que les praticiens compétents
en connaissent ordinairement plus que ce qu’ils peuvent en dire.
Ils font preuve d’une sorte de savoir dans l’action dont la plus
grande partie est tacite. Les compétences ne s’enseignent pas
abstraitement. Autrement dit, la compétence est inséparable
de l’action et de l’expérimentation persévérante. et elle ne
peut être véritablement appréhendée qu’au travers de l’activité
concrète et responsable par laquelle elle s’exprime et dont
elle permet la réalisation.
D’après Perrenoud, Ph. (2001). Piloter les pratiques
pédagogiques ?, article disponible sur le site de
l’Université de Genève, LIFE.
Dernier ouvrage paru : Apprendre ! (Belin), nouvelle
édition 2004.
Par André Giordan professeur à
l'université de
Genève et
directeur du Laboratoire de didactique et épistémologie des
sciences. Libération, 15 février 2005
Perrenoud, Ph. (1999) De quelques compétences du
formateur-expert, Université de Genève, Faculté de
psychologie et des sciences de l'éducation.
Clinamen,
infime changement dans un monde si parfait, si ordonné et
si prévisible qu'il reste stérile. De la légère déviation
d'une trajectoire trop rectiligne vinrent rencontres,
créations, grouillement de la vie et des idées et tous les
possibles. De
la
Nature,
par Lucrèce,
Éditions Garnier-Flammarion (dont sont extraites les
citations, traduction de
Henri Clouard).
Extrait de
http://clinamen.free.fr/index.html
André de
Peretti, Pour une formation nouvelle des enseignants,
in European Journal of Teacher Education, vol.6, n°3, 1983,
p.215 sq.
en
référence explicite à l’article 34 de la Loi d’orientation
pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005
qui offre l’opportunité pour chaque école ou établissement
de s’engager dans un processus expérimental :
« Sous
réserve de l’autorisation préalable des autorités
académiques, le projet d’école ou d’établissement peut
prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée
maximum de cinq ans, portant sur l’enseignement des
disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation
pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement,
la coopération avec les partenaires du système éducatif, les
échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers
d’enseignement scolaire. Ces expérimentations font l’objet
d’une évaluation annuelle. »
Un
premier bilan nous montre que le label « expérimentation »
n’entraîne pas forcément des pratiques et qu’inversement,
des initiatives cachées ou encore inconnues relèvent
franchement de l’expérimentation.
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