un site des sites sur la diversification en pédagogie

Retour vers la page d'accueil

Pratiques experimentales

Voir Le BLOG  - fil RSS    

 

 

 

À propos des "Parcours sciences expérimentales et technologiques"
Maryline Coquidé -

 IUFM et Université de Rouen - 29 novembre 2000  - Paris

1- Introduction

2- Quels enjeux éducatifs pour ces parcours ?

3- Quelles démarches ?

4- Quels rapports aux écrits ?

5- Quel rapport aux disciplines scolaires ?

6- Bibliographie

Introduction

La journée d'étude "Parcours sciences expérimentales et technologiques" a représenté pour moi une occasion de participer à la communication des pratiques pédagogiques innovantes, qui témoignaient de l'implication de tous. J'ai constaté la richesse des échanges mais aussi des interrogations et des questionnements, théoriques ou pratiques, concernant la mise en œuvre de ces parcours diversifiés. Aussi j'avance quelques réactions, modestes et personnelles, qui n'ont pas d'autres buts que d'accompagner une prise de recul et de contribuer à une analyse.

 

Quatre axes ont orienté cette réflexion :

les enjeux éducatifs relatifs à ces parcours,

les démarches mises en œuvre,

les rapports aux écrits dans les activités,

le rapport aux différentes disciplines scolaires impliquées dans les parcours.

 Début du texte

 

 

 

 

 

 

 

I) Quels enjeux éducatifs dans les parcours sciences expérimentales et technologiques ?  

a) Éducation scientifique et technologique des élèves

Ce dispositif semble, tout d'abord, favorable à l'éducation scientifique et technologique des élèves. En effet, les modèles socio-constructivistes de l'apprentissage et les cadres théoriques des rapports aux savoirs soulignent le rôle actif des élèves dans leurs apprentissages et l'importance du sens qu'ils doivent donner aux activités éducatives. Cependant, le curriculum actuel ne favorise pas toujours la formation scientifique et technique des jeunes. Les domaines scientifiques et techniques apparaissent par des programmes, centrés sur différents contenus disciplinaires, et la disparition des groupes à effectifs restreints peut compromettre les pratiques effectives de manipulation, d'expérimentation ou de fabrication, des élèves. Les parcours diversifiés, qui incitent à un travail d'équipe et qui sont moins soumis à des cadres stricts d'horaires et de programmes, peuvent représenter des dispositifs particulièrement propices à une éducation scientifique et technologique. Les tâches envisagées dans ces parcours, et qui peuvent concerner des objets non encore disciplinaires, visent davantage l'acquisition de compétences que de savoirs et favorisent l'acquisition de savoirs d'action comme préalables à des savoirs théoriques, tandis que les approches thématiques préconisées peuvent favoriser un lien entre les savoirs scolaires et la connaissance du monde contemporain.

Dans les finalités éducatives relatives au dispositif est mise en avant la présentation d'une démarche scientifique, ce qui contribue à "discipliner l'esprit". En effet, le temps prolongé dans l'année des ateliers permet soit une pédagogie de projet, soit la mise en œuvre d'une véritable démarche scientifique. D'autres finalités peuvent aussi être avancées. C'est, en effet, toute une possibilité d'analyser et d'"abstraire" à partir d'une situation concrète, élément essentiel pour le décollage de la pensée scientifique, qui peut être impulsée par les activités scientifiques et techniques. En permettant une articulation entre un phénomène concret et sa représen­tation abstraite, entre une action matérielle et sa représentation, ces activités concourent au développement de l'abstraction. La nécessité d'organiser le recueil des données empiriques, celle d'extraire un possible parmi tout un ensemble, sollicitent la pensée expérimento-graphique, comme nous le verrons plus loin. C'est dans ce sens, que nous pouvons citer le Conseil National des Programmes (1991) qui, en conclusion de son rapport de recom­mandations, insistait en ces termes sur les idées fortes de sa réflexion : "Au bout du compte, il s’agit de faire des sciences expérimentales un enseignement de formation et non de sélection. Elles doivent valoriser une forme d’esprit différente et permettre l’épanouissement de certains jeunes mal à l’aise dans l’abstraction". Ces activités permettent, en outre, d'envisager une formation technique, méthodologique et comportementale.

 

  • "Rapport au savoir" et développement personnel des élèves

L'implication des élèves qu'induit ce dispositif et l'explicitation du sens des activités qu'ils conduisent peuvent interagir avec leur "rapport au savoir", leur "rapport à l'école", et avec leur développement personnel (Charlot, Bautier, Rochex, 1992 ; Charlot, 1997 ; Develay, 1996). Les parcours expérimentaux, se déroulant tout au long d'une année hors des contraintes scolaires de programme et avec des effectifs réduits, sollicitent en effet une réelle mise en activité des jeunes, sur des projets ou sur des investigations prolongées. Ils comportent des aspects sociaux et des aspects cognitifs.

Tout d'abord, les sciences et les techniques, avec leurs démarches, leurs pratiques et leurs réalisations, peuvent représenter un levier pour l'intégration scolaire et sociale d'élèves en difficulté, notamment dans les zones sensibles. L'image très positive des sciences et des techniques, et la valorisation sociale dont elles sont l'objet leur confèrent une légitimité aux yeux des adolescents. Il est intéressant de s'appuyer sur ce prestige particulier aux yeux de nombreux jeunes en difficulté, pour développer une confiance en soi et une motivation pour les apprentissages. Si les activités des ateliers apparaissent comme authentiques, si elles se référent à des pratiques sociales industrieuses ou scientifiques, non seulement elles auront plus de sens pour les élèves mais elles pourront également contribuer à une orientation professionnelle positive.

Ensuite, les ateliers favorisent le développement de la confiance en soi, l'organisation du travail de groupe, la socialisation, la coopération, l'esprit critique, mais aussi la nécessité de règles à appliquer. Ainsi, dans une étude effectuée récemment et relative à des ateliers de pratiques scientifiques et techniques pour l'insertion scolaire (Coquidé et Prudor, 1999), quelques indices, en termes de meilleure confiance en soi chez les élèves en difficulté, ou en termes de reconnaissance du jeune par l'institution éducative par ses productions des ateliers scientifiques rendues publiques, ont été dégagés. L'étude montrait également une amélioration de la perception par les jeunes de l'enseignant, rencontré dans des conditions moins conventionnelles et dans des fonctions d'animateur ou de personne-ressource.

Par ailleurs, les activités, dans le cadre des parcours, n'ont pas pour finalités essentielles des apprentissages de connaissances, elles visent l'appropriation de méthodes, l'acquisition d'attitudes et le développement de comportements scientifiques. Elles peuvent ainsi contribuer à des objectifs éducatifs généraux : développer l'autonomie, éduquer à la sécurité, apprendre des règles de civilités, responsabiliser (gestion du matériel, du groupe...), mais aussi mettre en confiance. La manipulation, l'observation, l'investigation, dans le cadre des ateliers, peuvent permettre de constater certaines conséquences de ses actes, et contribuer à une éducation à la responsabilité. Ainsi, apprendre et appliquer des règles de sécurité lors des activités (utilisation d'instruments coupants, manipulation de produits, organisation du poste de travail…), c'est se porter garant et être responsable vis-à-vis de soi et vis-à-vis des autres. D'autres activités peuvent susciter le développement du respect de l'environnement, mais aussi le respect de soi et le respect des autres.

Enfin, pratiquer des sciences, ce n'est pas seulement manipuler et expérimenter, ce sont aussi des manières de juger, de se confronter à la réalité et à la communauté, dans une perspective de mise à l'épreuve et de validation des idées. Les débats des activités scientifiques, qu'il est possible d'impulser dans les ateliers, permettent la confrontation des idées et des résultats. Tous les courants socio-constructivistes actuels soulignent l'importance des "autres" dans les apprentissages, et envisagent une "co-construction" des savoirs. Ces débats, avec la nécessité d'écouter et de tenter de comprendre autrui, mais aussi l'indispensable exigence d'utiliser une argumentation rationnelle, sont susceptibles de contribuer à développer une insertion citoyenne dans la communauté scolaire et sociale.

 

b) Mieux connaître les élèves

Le dispositif favorise une meilleure connaissance les élèves par l'équipe éducative. La réduction des effectifs, par rapport au groupe classe, permet en effet une meilleure observation des élèves, tandis que le travail d'équipe incite aux interactions entre enseignants impliqués dans ces parcours. Le travail en équipe sur un projet commun conduit à la régulation des actions éducatives et au développement de l'évaluation formative.

De nombreux échanges, lors de la journée d'étude, ont permis de débattre de l'importance de l'évaluation formative. Les dispositifs d'ateliers et le travail en équipe nécessitent, en effet, de suivre l'évolution de l'élève. Des difficultés ont été avancées pour construire des outils communs à l'équipe. Peut-être conviendrait-il de distinguer les outils qui présenteraient des indicateurs facilitant l'observation de comportements relatifs à des objectifs généraux d'éducation, telle l'autonomie ou la socialisation, et ceux aidant à l'évaluation de compétences qui pourront être mises au service d'apprentissages disciplinaires. Dans ce dernier cas, Perrenoud (1997) argumente qu'il convient mieux de retenir des indicateurs qui aident au repérage des progrès par rapport à des compétences assez larges, plutôt que des compétences très spécifiques.

Début du texte 

 

 

II) Quelles démarches ?

a) Faire des sciences

Les contenus scientifiques des ateliers, pouvant être très variés et sans programme préétabli, importent moins que l'occasion qui est donnée aux jeunes, à travers les manipulations, les expérimentations, les réalisations et les symbolisations, de réussir. Cependant, il semble important que les démarches soient aussi fidèles que possible aux caractéristiques d'une formation scientifique et technique authentique. Faire des sciences, c'est s'interroger sur les objets et les phénomènes, c'est se méfier des explications premières et spontanées, c'est apprendre à regarder au-delà des apparences, c'est rechercher plusieurs solutions possibles à un problème, et confronter ces solutions au réel et à autrui.

b) Des démarches d'investigation

L'effectif restreint des ateliers représente une facilité pour impulser les "recherches" ou les "investigations" des jeunes, avec leur mise en activité effective (pratiques de manipulation, de construction, d'expérimentation et d'enquête). Le temps prolongé consacré aux ateliers autorise, par ailleurs, la mise en œuvre d'une véritable démarche scientifique (problématisation, élaboration d'hypothèses, conception et réalisation de protocoles, communication, discussion), incluant des moments d'exploration, de tâtonnement, des moments de mise à l'épreuve des idées et de validation.

La construction de problèmes scientifiques est rarement envisagée en tant que telle en classe. Déjà au début du siècle pourtant, Dewey (1938) puis les militants de l'Éducation nouvelle argumentaient de l'importance de construire des problèmes qui aient du sens pour les élèves. Le fonctionnement des ateliers peut représenter une occasion de développer un réel questionnement, de susciter des échanges avec les jeunes. Sans doute serait-il utile de réfléchir à des contextes, à des activités et à des mises en situations qui sollicitent un questionnement scientifique. En outre, les approches techniques sollicitant des démarches de conception et de réalisation peuvent être valorisées.

 

c) Différentes formes et différents moments de l'expérience

Toute science expérimentale nécessite l'articulation d'un système matériel et d'un système intellectuel. Dans les enjeux de pratiques de laboratoire, soulignons l'importance de l'instrumentation et des écrits, comme moments dans le rapport expérimental. La rationalité expérimentale ne peut jamais se réduire à la seule logique, avec :

  • l'importance qui doit être donnée à la matérialité ;

  • l'importance des dynamismes entre divers moments : tout processus de recherche, en effet, nécessite l'articulation de différentes postures, depuis l'expérience "vécue", en passant par les pratiques empiriques plus ou moins contrôlées et systématiques (exploration et enquête), jusqu'aux pratiques expérimentales, et l'articulation, dans les investigations, de recherche documentaire et de recherche expérimentale ;

  • ce qui conduit à une vision élargie de l'expérience scientifique, avancée par Legay (1997), et qui inclut de façon très interactive, la démarche d'enquête, l'observation active, l'application de techniques, l'expérimentation et la modélisation.

 

d) Affronter un réel moins aménagé

Il semble possible de développer, dans le cadre de ces ateliers :

  • des situations de familiarisation pratique des jeunes à des objets et à des phénomènes scientifiques et techniques,

  • des situations, qui laissent le temps d'une réelle expérimentation, avec des contraintes de résistance du réel à surmonter.

Dans les travaux pratiques en classe, en effet, le réel est le plus souvent aménagé et structuré pour que "ça marche" et pour que soit occulté tout ce qui pourrait conduire à douter du modèle enseigné. Les incidents critiques, les pannes, les résultats non attendus et tout ce qui fait que le réel résiste à l'investigation constituent cependant un élément important dans le déroulement d'un TP (Coquidé, Bourgeois, Salviat, 1999).  Leurs modes de gestion, par les élèves ou par les enseignants, sont en relation avec l'image de sciences expérimentales, et l'histoire des sciences nous apprend que le réel ne se laisse pas facilement conceptualiser, ni modéliser ; elle rend compte de la nécessité de construction en synergie d'une problématique, d'une théorie, de tâches et d'outils (Clarke et Fujimura, 1996).

 

e) Affronter la complexité

Par ailleurs, les activités scolaires expérimentales mettent en avant le plus souvent une causalité linéaire stricte, inspirée du paradigme bernardien fondé sur la relation "une cause égale un effet", une conception de protocole du type présence ou absence, et la nécessité d'un témoin. Ce paradigme ne permet cependant pas d'envisager des causalités pluri-factorielles, pour lesquelles des protocoles de type covariations sont nécessaires, comme dans l'approche expéri­mentale des interactions écologiques ou dans celle de l'absorption de l'eau par les végétaux. Plutôt qu'un paradigme bernardien d'expérimentation, nous sommes conduits à retenir la vision élargie de l'expérience. C'est, par exemple, le cas dans la démarche de modélisation du fonctionnement d'un membre ou dans l'élaboration et l'utilisation d'un terrarium. La compréhension de l'environnement ou bien encore les essais de reconstitution de milieu (terrarium, aquarium) peuvent aussi favoriser une investigation expérimentale et modélisante du vivant dans sa complexité.

 

f) Trois modes didactiques

Pour permettre d'articuler les fonctions et les formes scolaires des activités expérimentales, j'ai proposé de distinguer trois modes didactiques (Coquidé, 1998).

  • Mode d'expérience-action ou d'expérienciation

Le mode d'expérience-action, ou d'expérienciation, permet aux élèves d'explorer et d'agir, à travers des situations variées et diversifiées, avec des finalités de familiarisation pratique à des objets, à des phénomènes, et à des instruments scientifiques et techniques. Les rôles de l'enseignant sont donc de penser les aménagements, les situations ou les interventions qui permettront une fécondité. Mais aussi de favoriser les comparaisons, de relancer le questionnement, d'introduire le doute, d'aider à reformuler et de favoriser les apprentissages d'ordre pratique.

  • Mode d'expérience-objet ou d'expérimentation

Le mode d'expérience-objet, ou d'expérimentation, facilite la compréhension des pratiques effectives de la science, avec des articulations indispensables entre moments empiriques et moments expérimentaux dans l'investigation, et une importance particulière donnée au raisonnement, à la méthodologie, et à la validité des conclusions. Il s'agit de confronter les élèves à un réel peu aménagé, de les aider à problématiser ou à émettre un projet, de favoriser la mise en œuvre effective des investigations, de favoriser les dynamismes et les confrontations, de distinguer un guidage pédagogique d'exploration et un guidage pédagogique de validation, et d'inciter les élèves à réfléchir sur les démarches et sur les raisonnements.

Le dispositif des parcours sciences expérimentales et technologiques offre un cadre privilégié pour mettre en œuvre une telle investigation empirique, en donnant la possibilité de réaliser de longues expériences, de s'affronter à la résistance du réel et de faciliter une meilleure compréhension de certains aspects du travail scientifique.

  • Mode d'expérience-outil ou d'expérience-validation

L'expérience, dans ce mode, peut être considérée comme un outil mis au service de l'élaboration théorique, pour la construction de concepts ou de modèles. Les expériences sont envisagées dans un cadre d'apprentissage conceptuel systématique, et ce mode est plus développé dans les travaux pratiques. Il s'agit de mettre à l'épreuve les constructions intellectuelles, pour en éprouver la pertinence et le domaine de validité. Remarquons qu'ici la résistance du réel est souvent estompée, par aménagement ou par aide directe de l'enseignant.

Début du texte

 

III) Quels rapports aux écrits ?

a) Une médiation entre l'action matérielle et sa représentation symbolique

Les sciences et les techniques fournissent une médiation essentielle entre l'action matérielle et sa représentation symbolique. Au collège, de nombreuses disciplines scolaires ont pour objet d'apprentissage un texte déjà "décroché du réel" qui est, sans qu'on le perçoive toujours, le résultat d'une première abstraction où l'on plonge d'emblée les élèves. Ce qui leur manque, et que proposent a contrario les activités scientifiques et techniques, c'est la référence à un réel qui soit manipulable et qui, éventuellement, puisse résister... Ce n'est pas tant, comme on le dit souvent, que les sciences et les techniques soient plus "concrètes", elles font plutôt éclater l'opposition factice entre le concret et l'abstrait, en proposant des voies de passage vers l'abstraction. Les sciences et les techniques fournissent des occasions de représentation et d'écriture, à partir des données empiriques qu'elles ont construites. La "raison graphique", en reprenant les termes de Goody (1979), transforme justement les contraintes de la production en ressources pour penser.

 

b) Le rapport à l'écrit des collégiens

Nombreux sont les collégiens qui éprouvent des difficultés par rapport aux écrits, difficultés qui restent complexes à analyser. Or, plusieurs études pointent les nombreuses interactions entre le rapport à l'écrit et le rapport au savoir (Charlot et al., 1992 ; Charlot, 1997). La production d'écrits joue, en effet, un rôle déterminant d'outil pour l'élaboration des savoirs. La langue n'est pas seulement l'outil mais plutôt le moteur des apprentissages. Les recherches actuelles en didactique du Français (Barré de Mignac & al., 1993), de leur côté, rendent compte d'une indispensable "appropriation" de l'écrit, pas seulement en tant que code mais comme une nouvelle forme de pensée. Les observations faites par les didacticiens du Français, en effet,  mettent en évidence la possibilité d'une dualité, chez de nombreux collégiens entre écriture de type "scolaire" et écriture "pour soi".  Ce n'est pas que les jeunes refusent tout écrit, mais les écrits du contexte "scolaire" restent extérieurs à l'élève et apparaissent, de ce fait, fastidieux et contraignants.  Il semble que ce sentiment d'extériorité, qui se double souvent d'un aveu d'ignorance, se met en place très tôt dans la scolarité : au collège, ce rapport à l'écrit est donc déjà bien installé. Toute activité pleinement vécue et réalisée par un jeune, comme dans les ateliers des parcours, peut être l'occasion d'une médiation à une meilleure maîtrise de la langue. C'est également une possibilité de renouveler les représentations des jeunes au sujet de l'acte d'écrire, avec des répercussions espérées dans les disciplines scolaires (Collectif, 1998).

 

c) Écrits et apprentissages scientifiques et techniques

L'opération Main à la pâte des écoles primaires valorise la place et le rôle du cahier d'expériences dans les activités scientifiques (Collectif, 1996). Écrire, rendre compte, représenter, formuler des résultats ou schématiser restent cependant des opérations ni faciles, ni arbi­traires. Plusieurs études (Astolfi & al., 1998) montrent l'importance des écrits, sous ses formes multiples, à la fois pour soi et pour les autres, et témoignent de la nécessité d'organiser ses observations et de schématiser, tout au long de la démarche scientifique. Les pratiques d'investigation favorisent, en effet, le développement d'une raison que l'on pourrait qualifier d'expérimento-graphique. Les écrits sont importants dans la construction d'un rapport expérimental, mais ils ne doivent pas apparaître comme imposés ou comme frein à l'action.

Comme en ont témoigné les participants à la journée d'étude, des écrits, le plus souvent individuels, sont parfois réalisés dans les ateliers des parcours expérimentaux. Tous ces écrits n'ont pas la même fonction, il est nécessaire de réaffirmer leur importance dans les activités scientifiques et techniques. On peut rappeler la variété possible des écrits réalisés (pour soi ou pour les autres, textes et schémas...), et des écrits consultés (documentation). Ceux-ci ne doivent apparaître ni systématiques, ni stéréotypés (le résumé, la prise de notes), ni "prétextes" ou "extérieurs" à l'activité. Le recours au brouillon, avec des exigences linguistiques moins contraignantes, peut rassurer les jeunes. Plusieurs recherches INRP ont analysé la nécessité de faire naître des besoins fonctionnels d'écrits variés dans une activité scientifique : pour chercher, pour expliquer, pour communiquer, pour se souvenir... (Repères 12 ; Astolfi et al. 1991). Faire naître, dans les ateliers, un besoin fonctionnel des écrits et faire découvrir la variété des formes d'utilisation paraissent indispensables pour pouvoir contribuer à transformer ce sentiment d'extériorité du jeune. Soulignons aussi l'importance à faire connaître et à valoriser les productions des ateliers, sous des formes diverses qui nécessitent souvent des écrits collectifs (exposition, article, poster…).

 

d) Rapport à la documentation

Par ailleurs, les acquis empiriques ne peuvent s'organiser spontanément : activités expérimentales et travail sur documents apparaissent complémentaires. Il semble, cependant, que les relations entre documentation et expérimentation soient rarement clarifiées. Comment s'articule la recherche d'informations par rapport à l'investigation ? Est-ce que les élèves ont accès à la bibliogra­phie, soit pour contribuer à poser un problème, soit pour aider à concevoir et mettre en œuvre des protocoles, soit pour interpréter des résultats ?  Malgré le développement de l'édition scolaire et périscolaire, et malgré l'expansion des technologies de l'information et de la documentation, il demeure un déficit de ressources documentaires scientifiques et techniques adaptées au collège.

 Début du texte

 

IV) Quel rapport aux disciplines scolaires ?

a) Disciplines académiques et disciplines scolaires

Le découpage en différentes sciences académiques ne correspond qu'à une récente construction intellectuelle et sociale, datant du XVIIIe siècle. Une science se caractérise, en effet, par un système matériel et un système intellectuel. Elle définit ses objets d'étude, les types de questions qu'elle pose et les méthodes employées pour tenter d'y répondre, les concepts utilisés et les concepts élaborés. Par exemple, la géologie et la géographie étudient toutes deux le paysage, mais les interrogations sur celui-ci diffèrent. Mais une distinction nette doit être faite entre disciplines de recherche, telles qu'elles se déroulent dans les laboratoires et les universités, et disciplines qui sont enseignées à l'École. Les pratiques des enfants, en effet, diffèrent des pratiques des adultes. Les disciplines scolaires peuvent apparaître comme des découpages du réel permettant aux élèves de l'explorer, de le comprendre et d'intervenir. Ce sont donc des objets distincts, selon l'âge des élèves et la structure du curriculum. Dans le curriculum français actuel, les domaines scientifiques et techniques apparaissent dans plusieurs disciplines scolaires successives : Découvrir le monde au cycle 1, Découverte du monde au cycle 2, Sciences et Technologie au cycle 3 de l'école primaire, Sciences de la vie et de la Terre, Physique et Technologie au collège. Il ne s'agit plus de penser les savoirs comme se construisant sur des bases, du simple au complexe, du disciplinaire vers l'interdisciplinaire, mais comme se construisant par approximations, restructurations et affinements successifs des identifications disciplinaires, compte tenu de l'élargissement des champs d'étude, des questionnements. Une discipline scolaire n'est jamais une simple adaptation d'une discipline académique.

 

b) Des disciplines scolaires à construire

 

Les différentes disciplines scientifiques et techniques au collège ne sont pas "données", elles seraient plutôt à construire. La plupart des élèves, en effet, conçoivent les différentes disciplines essentiellement par rapport à un "emploi du temps" : le cours de Mme X ou celui de M. Y, de telle heure à telle heure, dans une salle qui peut être plus ou moins spécialisée, et il est nécessaire d'apporter tel ou tel matériel… Certains élèves rapportent aussi les disciplines à des domaines ou des objets d'étude (par exemple la "nature" ou la "technique", le vivant, la matière ou les objets fabriqués), mais il est nécessaire que les différents formateurs les aident peu à peu à caractériser les spécificités disciplinaires comme des manières d'interroger ou d'intervenir sur le monde avec des démarches, des méthodes et des concepts, parfois communs, parfois spécifiques.

 

c) Points communs et spécificités des disciplines

 

Il m'apparaît que les parcours expérimentaux représentent une opportunité pour faire émerger les points communs d'une part, et les spécificités d'autre part, des disciplines scientifiques expérimentales et technologiques. Ainsi, au moins trois points essentiels me semblent rapprocher SVT, la Physique et la Technologie : ce sont toutes trois des disciplines de raisonnement et d'action, elles doivent se confronter à la résistance du réel et sont toujours dépendantes de la matérialité, elles développent à la fois un rapport systémique et un rapport pratique au monde.

 

Mais ces trois disciplines sont spécifiques aussi. On peut, par exemple, distinguer démarche scientifique et démarche technologique (Lebeaume et Martinand, 1998). En ce qui concerne les sciences expérimentales, le vivant et la matière constituent des domaines dont l'investigation nécessite des protoco­les et des méthodologies, souvent spécifiques. Dans une démarche expérimentale de résolution de problème, en effet, seul un détour par analyse du système permet d'imaginer les hypothèses possibles qui seront mises à l'épreuve dans un dispositif construit et contrôlé. La séparation de variables impose la réalisation d'un montage expéri­mental. Cependant, dans la construction d'un rapport expérimental au vivant, la sépa­ration de facteurs reste souvent difficile, voire impossible, et l'approche analytique d'un système biologique est souvent plus difficile que pour un système technique ou pour un phénomène physique. Dans les situations biologiques, l’élève expérimentateur est confronté à des facteurs biotiques et abiotiques, souvent en interaction, et pour les­quels il doit renoncer à tout maîtriser.

 

d) Pour élargir la réflexion

 

La société change, les élèves changent, le métier d'enseignant évolue. Lors de la journée d'étude "Parcours sciences expérimentales et technologiques", je me suis demandé si j'assistai au témoignage d'une innovation ou aux prémices d'un nouveau métier en évolution. Face à un "métier nouveau", en reprenant l'expression de Meirieu (1990), quelles seront les "nouvelles compétences professionnelles", selon les termes de Perrenoud (1997) ? Des compétences pour un nouveau rôle d'enseignant médiateur et des compétences pour créer des conditions d'apprentissage (Jonnaert & Vander Borght, 1999) sans doute, mais aussi des compétences pour le travail en équipe et pour mener des projets, et des compétences pour articuler savoirs scolaires et extrascolaires…

Début du texte

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

* ASTOLFI J.-P., PETERFALVI B. & VERIN, A. (1991). Compétences méthodologiques en sciences expérimentales. Paris : INRP.

* ASTOLFI J.-P., PETERFALVI B. & VERIN A. (1998). Comment les enfants apprennent les sciences. Paris, Retz.

* BARRE de MIGNAC C., CROS F. & RUIZ J. (1993). Les collégiens et l'écriture. Paris, INRP/Retz.

* CHARLOT B., BAUTIER E. & ROCHEX J.-Y. (1992). École et savoir dans les banlieues… et ailleurs. Paris, Armand Colin.

* CHARLOT B. (1997). Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie. Paris, Anthropos.

* CLARKE A. & FUJIMURA J. (dir.) (1996). La matérialité des sciences. Savoir-faire et instruments dans les sciences de la vie. Paris, Synthélabo.

* COLLECTIF (1991). Déclaration du CNP sur l'enseignement des sciences expérimentales. Paris, Ministère de l'Education nationale.

* COLLECTIF (1998). La maîtrise de la langue au collège. Paris, CNDP.

* COLLECTIF (1996). La main à la pâte. Paris, Flammarion.

* COLLECTIF (2000). Rapport bilan d'étape de l'expérimentation académique Parcours sciences expérimentales et technologiques. MEN Académie de Paris.

* COQUIDÉ M. (1998). Les pratiques expérimentales : propos d'enseignants et conceptions officielles. Aster 26, 109-132. Paris, INRP.

* COQUIDÉ M., BOURGEOIS-VICTOR P. & DESBEAUX-SALVIAT B. (1999). "Résistance du réel" dans les pratiques expérimentales. Aster, 28 : 57-78. Paris, INRP.

* COQUIDÉ M. & PRUDOR P. (1999). Des ateliers de pratiques scientifiques pour l'insertion scolaire : vers l'élaboration d'un cahier des charges. Aster 29 : 203-228. Paris, INRP.

* COQUIDÉ M. (2000). Le rapport expérimental au vivant. Mémoire d'Habilitation à Diriger des Recherches. Université de Paris Sud Orsay.

* DEVELAY M. (1996). Donner du sens à l'École. Paris, ESF éditeur Collection Pratiques et Enjeux Pédagogiques.

* DEWEY J. (1938). Logique. La théorie de l'enquête. Paris, PUF (rééd. 1993).

* GOODY J. (1979). La raison graphique. Paris, Les éditions de Minuit.

* JONNERT P. & VANDER BORGHT C. (1999). Créer des conditions d'apprentissage. Bruxelles, De Boeck.

* LEBEAUME J. & MARTINAND J.-L. (coord.) (1998). Enseigner la technologie au collège. Paris, Hachette Education.

* LEGAY J.-M. (1997). L'expérience et le modèle. Un discours sur la méthode. Paris, INRA éditions.

* MEIRIEU Ph. (1990). Enseigner, scénario pour un métier nouveau. Paris, ESF éditeur.

* PERRENOUD P. (1997). Construire des compétences dès l'école. Paris, ESF éditeur Collection Pratiques et Enjeux Pédagogiques.

* REPERES (1995). Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques. n°12. Paris, INRP.

Début du texte

 
 

concept :François Muller @ 1998-2009

Remonter ] [ Pratiques experimentales ] deux méthodes ] grille pour une démarche ] Ressources en ligne ] bibliographie ]
Accueil ] la situation de classe ] le cours magistral ] situation-probleme ] Inventaire des techniques d'études ] le travail de groupe ] Travail sur dossier ] la démarche expérimentale ] T.I.C.E. ] Les études dirigées ] REMEDIATION ] le tutorat ] aide au travail pers. ] Médiation ] Atelier LECTURE ] le travail de recherche ] 4eme aide et soutien ] Autour des classes multi-niveaux, étude de cas des écoles d'entreprise de la mission laique française ] E.C.J.S. ] Liaison CM2-6ème ] Travailler en partenariat ] Maitrise de la langue ] Enfin au lycée ! - site de François Muller@2008 ]