La pédagogie du cours magistral prend appui sur les travaux du philosophe anglais John
LOCKE (Essai sur l'entendement humain, 1693): il présente l'idée
révolutionnaire pour l'époque que nos images, nos pensées sont le fruit de notre seule
expérience. Contrairement aux rationalistes, qui ne jurent que par la croyance en une
raison innée, le cerveau est pour lui une tabula rasa, c'est à dire un
"tableau vierge" ou une pièce sans meubles. Le rôle du maître est d'exposer
clairement, de montrer avec conviction, éventuellement de répéter.
Ce modèle a obtenu un quasi-monopole à l'école, à l'université et dans toutes les
formes de médiation. Il est vrai que cette conception de l'apprendre peut être
très efficace...
Cependant, le résultat de son emploi s'avère féroce: le message n'est entendu que
s'il est attendu ! En d'autres termes, l'apprenant et le médiateur doivent se poser le
même type de question, avoir le même cadre de référence (vocabulaire compris) et
une façon identique de raisonner. Encore faut-il qu'ils aient en plus le même
projet et qu'ils donnent le même sens aux choses. Quand tous ces ingrédients sont
réunis, un exposé, une présentation est le meilleur moyen de faire passer le maximum
d'informations dans le minimum de temps.
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Le modèle sous-jacent du cours magistral
Nous vivons une mutation d'âge, un sociologue écrit que nous sommes
passés de l'ère quaternaire à l'ère quinternaire. Je symbolise ce changement d'une autre manière, symbolique qui se rapporte à la nature des relations entre un
décideur et l'ensemble des autres personnes d'une entreprise. Nous passons d'une époque dominée par les modèles des empires des mers, ce que Fernand
Braudel a appelé «l'ère thalassocratique», à
une époque «aérocratique». Les États qui possédaient une marine, dominaient le monde ; les empires coloniaux étaient
d'abord des puissances maritimes. L'expansion du 19ème siècle a vu les usages maritimes s'inclure, consciemment ou inconsciemment, dans le fonctionnement de
l'organisation sociale. C'est-à-dire, un seul maître à bord, ses décisions sont immédiatement exécutées par une foule d'interprètes, il n'y a pas de communication
réciproque. Le maniement de la lunette, du porte-voix, du sextant est réservé, par conséquent c'est une direction sans retour possible, sans feed-back. Ce modèle
s'est déplacé dans le système taylorien, la division entre ceux qui savent et décident, et entre ceux qui exécutent, nombreux, séparés et surveillés. C'est le rêve
panoptique de Bentham : une surveillance constante de chacun, par la vue, le sens de l'ouïe étant délaissé, l'oreille ne sert qu'à entendre l'ordre et non à écouter. Ce
modèle a construit la fin du 19ème siècle et très largement le 20ème siècle, et c'est ce modèle qui demeure dominant, avec les résultats qu'on lui connaît.
(...)
Warren Benis, compagnon de Kurt Lewin dans la création de la dynamique de groupe, disait que nous sommes entrés dans l'époque de la succession accélérée des systèmes sociaux temporaires. Il faut le
vivre, ce qui suppose des enseignants qui ne soient pas ritualisés, rigides, compassés ; ce qui suppose des structures de travail autres que celles des cours en
amphithéâtre, ou des travaux dirigés. Les chefs d'entreprise nous demandent, et ils ont raison, de préparer des individus qui s'adaptent aux changements incessants.
Mais, cette souplesse évolutive, cette rapidité n'est pas constituée chez les jeunes, ils sont très «popotes», conditionnés par les manières de travailler, et les routines
qui s'établissent. Pour vivre cette époque de changements accélérés, il faut de l'activité, du dynamisme, de la joie d'être, d'apprendre, d'enseigner...
Entretien avec André de PERETTI, Les périphériques vous
parlent, JANVIER/FÉVRIER 1994 pp. 33-35
http://www.globenet.org/periph/journal/01/fr0133.html
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