Résistances en équipe | |||||
Le travail
collectif est le point focal où se rencontrent des exigences
institutionnelles, des conditions requises de management, des stratégies
individuelles et les besoins des élèves. Chacun de ces points peut
être facilitateur ou bloquant selon les cas. "Qu'est-ce qu'un établissement
scolaire ? Dans quelle mesure les établissements peuvent-ils
devenir des lieux de travail collectif et de construction locale de
projet collectif ?" Dans cette étude du GIRSEF (Louvain-la-Neuve),
Vincent Dupriez analyse les systèmes de relations sociales dans les
établissements. Ils sont marqués souvent par le désinvestissement.
L'implication peut aussi se faire autour d'un chef charismatique
sans réel projet collectif. Rares sont les exemples de construction
d'équipes. Pour faciliter celle-ci, "il serait logique de redéfinir...
la charge horaire des enseignants. l'architecture des établissements
scolaires, les formations". |
Pourquoi travailler en équipe ?
Les résistances si fondées soient-elles, elles expriment une étape nécessaire dans l’engagement du travail. Les équipes parviennent à se mobiliser ; certains déclencheurs sont cependant plus puissants que d’autres.
Lorsque les programmes l’imposent…
Choisir librement un sujet commun de travail entre enseignants, le développer avec les élèves sur la durée, c’est un cas de figure ; il est permis par la rencontre de quelques-uns, souvent sur une base affinitaire, sur des projets ponctuels. Ce cas existe certes, mais il n’est pas représentatif.
Un deuxième cas plus fréquent : le sujet s’impose à vous car il est « prescrit » dans le cadre d’une réforme institutionnelle par exemple, comme par exemple les TPE au lycée (travaux personnels encadrés) ou les IDD (itinéraires de découverte) au collège : la pluridisciplinarité est obligatoire pour conduire une démarche de projet avec un quota horaire et des éléments de programme. Pourtant, l’évaluation faite tant au niveau académique qu’au niveau national montre que si les formes semblent respecter, le fonctionnement efficace en équipe n’est pas toujours de mise. Cette dimension du travail en équipe est pourtant bien présente dans le document de référence sur le métier d’enseignant, édité en 1997.
TPE, IDD Une obligation de service ne déclenche pas automatiquement la collaboration professionnelle. |
Lorsque la situation devient critique…
Très souvent, c’est bien une situation problématique, voire une urgence qui déclenche par réaction un rapprochement des acteurs. C’est à dire que le travail collectif, non prescrit, mais conseillé par l’Institution, ne s’impose pas en situation classique, on le constate dans les établissements dits « de centre ville » et les zones favorisées. Mais il devient nécessaire quand tout devient plus difficile, quand il n’est plus possible de continuer comme si de rien n’était.
Qu’est-ce qui est reconnu comme difficile actuellement ? Le Grand Débat sur l’Ecole a proposé 22 questions qui ont été débattues dans plus de 15 000 réunions publiques (dans et hors les sites d’éducation). Les premiers résultats nous livrent les sujets traités en priorité[1] :
- « comment motiver et faire travailler efficacement les élèves ? » : 15, 76 %
- « comment lutter efficacement contre la violence et les incivilités ? » : 7 ,9 %
- « Comment prendre en charge les élèves en grande difficulté ? » : 7,33 %
- « Comment l’Ecole doit-elle s’adapter à la diversité des élèves ? » : 7,24 %
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Donc, ce sont prioritairement les difficultés des élèves, puis par réaction en chaîne, les difficultés d’exercice de la profession qui vont générer un sursaut de la communauté éducative dans le meilleur des cas.
Lorsque chacun y voit son intérêt professionnel…
Le déclencheur peut venir d’un changement dans les règles de fonctionnement de l’école ou l’établissement, qui rendent la coopération professionnelle nécessaire. Nécessaire ne signifie pas « obligatoire », mais « intéressant », au sens du profit que l’on peut espérer en tirer. Pour la majorité, travailler en équipe ou s’investir dans une démarche collective de projet d’établissement, c’est difficile.
« Pour franchir le pas, souligne Philippe Perrenoud, il faut donc de bonnes raisons, et des mobiles plus concrets. Seule l’organisation quotidienne du travail dans les écoles peut constituer une incitation forte à coopérer (…) On voit bien que la voie autoritaire ne mène à rien (…) Le jour où les gens qui veulent travailler en équipe auront la priorité dans la construction des horaires, le choix des formations continues, l’autorisation de s’écarter des normes pour expérimenter, chacun des acteurs reconsidérera ses stratégies.
Dans la mesure où le travail d’équipe comprend cette dimension forcément collective, on entre nécessairement en contact beaucoup plus étroit avec le rôle de direction pédagogique que prend de plus en plus le directeur d’école, comme le chef d’établissement. Et cela n’a rien d’administratif. Bien au contraire.
« L’injonction « travaillez en équipe » est loin d’être efficace toute seule (…), le fonctionnement simultané de divers groupes (de niveau, de soutien, de projet, de besoins) et de plusieurs dispositifs (remédiation, options, interdisciplinaires) exige une division du travail et une bonne entente entre les enseignants. Il reste à convaincre tous les professeurs que l'organisation du travail devrait être leur affaire, collectivement, à l'échelle de l'établissement et de l'équipe pédagogique, alors qu'aujourd'hui encore, elle reste principalement l'affaire de l'administration centrale ou des chefs d'établissements. Les professeurs ne sont maîtres de l'organisation du travail que dans la classe, pour une petite fraction de la grille horaire.[2]
Agir sur son propre rapport au savoir
« Les seules info qu’on s’échange en salle des profs, c’est l’ouverture de la chasse ou le bon établissement à trouver pour son petit dernier », se plaignent nombre d’enseignants. Philippe Perrenoud analyse une résistance au travail en équipe qui vient de loin : le rapport au savoir de l’enseignant (1).
« Croire qu’il n’y a rien à apprendre du collègue le plus proche autorise, en toute bonne conscience, à ne parler avec lui que de sports ou de vacances, et à estimer que travailler en équipe serait du temps gaspillé. Le rapport au savoir masque la peur de la confrontation des pratiques et de la force des arguments pratiques des uns et des autres. Si c’est « à chacun sa vérité pédagogique », à quoi bon se parler ? On peut reprendre l’image de Lortie à présent classique de la boite à œufs comme métaphore d’une salle de profs. : chacun reste protégé dans une alvéole, hors tout contact potentiellement dangereux.
(1) Philippe Perrenoud, « Peut-on apprendre du travail d’autrui ? » journée Transférer l’innovation, Paris, 1999, disponible sur innovalo.scola.ac-paris.fr |
Les bénéfices du travail en équipe pour les élèves
« Je ne suis pas convaincu des effets d’un travail d’équipe sur les élèves et sur leurs résultats. » | Une équipe du collège Buffon (Paris 14è) regroupant les disciplines scientifiques a croisé ses interventions pendant deux ans : co-animation, programmes communs d’activité, pédagogie de projet, évaluations partagées. Elle s’est efforcée de faire sa propre évaluation du travail au regard des résultats des élèves en juin 2000. Extraits : |
· Notre meilleure connaissance des élèves, avec un jugement plus affiné de leurs aptitudes et de leurs difficultés. Les groupes ont de ce fait facilité le repérage de ces dernières.
· Une meilleure valorisation de chaque élève, selon son propre niveau. Un élève moyen se révèle souvent être un bon expérimentateur, d’où une certaine valorisation, une meilleure confiance, et des progrès.
· Des échanges oraux plus fructueux parce que plus fréquents et plus individualisés. La relation élèves-professeurs varie selon la personnalité des individus, mais la disponibilité du professeur n’est pas la même.
· Un investissement plus important de chacun d’entre eux, accompagné d’un réel plaisir à participer à l’activité.
· Une mise en valeur de l’aspect expérimental de nos disciplines, avec une participation plus active et concrète : ils deviennent acteurs de leur savoir, parce que nous donnons du sens à notre enseignement.
· Un développement de l’autonomie de l’élève, car celui-ci se retrouve en situation d’expérimentation pour découvrir la réponse à apporter, en s’aidant de documents ressources et de ses connaissances. L’élève en début d’année, hésite à se lever pour chercher le matériel manquant ; en fin d’année, ces pratiques sont automatiques. L’élève est capable de gérer son temps, ses besoins.
· Ce travail permet le passage du concret à l’abstrait et inversement. Cela conduit petit à petit l’élève à modéliser, en faisant appel à un langage rigoureux et symbolique. Le passage de la pratique à la théorie se fait sans difficulté.
· L’obligation, pour les élèves, à faire un effort dans la lecture des consignes. (renforce la maîtrise de la lecture).
· Obligation pour les élèves de lire les documents ressource pour pouvoir réaliser les expérimentations ou exercices dirigés. Les élèves sont capables désormais de lire les consignes attentivement, de réaliser un circuit à partir d’un schéma normalisé, d’observer et de tirer des conclusions d’une expérience.
· Toutefois en SVT, les professeurs déplorent un retard dans la progression, qui ne permettra pas de couvrir la totalité du programme. Malgré tout, les connaissances fixées par les élèves semblent plus enracinées.
· En technologie et en sciences physiques, le fonctionnement en groupes n’a pas perturbé le déroulement du travail prévu sur l’année. Les professeurs notent un avancement plus rapide et de meilleure qualité dans le programme. De plus, la déperdition des connaissances semble moins importante.
· La manipulation en classe entière se révélant parfois « périlleuse », le problème de la sécurité ne se pose plus en groupe.
· Nous avons pu constater une meilleure écoute dans une atmosphère plus agréable et plus propice au travail, et donc une meilleure acquisition des connaissances.
Le bilan ne masque pas certaines difficultés du côté des enseignants (progression plus lente, programme pas tout à fait terminé), mais met en valeur les changements pour les élèves : un travail en équipe, en croisement de disciplines, en ouverture sur ses pratiques, en co-animation ont eu pour effet de concentrer l’attention des acteurs sur les travaux des élèves, sur leurs acquisitions plus solides, sur les occasions démultipliées d’expérimenter dans une ambiance plus sereine, qui ne menace pas la sécurité de chacun et du groupe.
[1] Tous les résultats et synthèses sont sur www.debatnational.education.fr
[2] www.cafepedagogique.net/disci/article/ entretien avec Perrenoud, 3 sept. 2003