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L'Ecole de notre temps

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Pour l’honneur de l’École

Passions et controverses en éducation

extraits d'un ouvrage paru en 2000, éd. Hachette éducation (droits libérés)

 

I Genèse et devenir des institutions culturelles et enseignantes

PARTIE 1: L’imbroglio des querelles anciennes et toujours modernes !

PARTIE 2: L’École française peut-elle convenir à notre temps ?

 

 

 

 

(1) Voir mon ouvrage, Énergétique personnelle et sociale, L’Harmattan, Paris, 1999. Par exemple, p. 263 : « À un premier niveau, le désarroi qui traduit l’altération s’effectue par l’influence excessive prise par une personne, physique ou morale, qui déstabilise les références d’un individu. Celui-ci ne peut plus situer et nouer les informations qui l’atteignent. » Voir aussi, dans ses effets au registre de la colonisation : « La décolonisation devint dès lors possible quand fut rompu le cercle magique de l’altération déprimante : car, privées de leur justification, les structures surannées de l’aliénation coloniale cédèrent. »

 

 

 

 

 

(1) R. Ballion, La Bonne École,évaluation et choix du collège et du lycée,Hatier, Paris, 1991,

p. 217.

(2) Ibid., p. 218.

 

 

 

(1) E. Renan, La Réforme intellectuelle et morale, op. cit., pp. 107 et 108.

(2) Ibid., p. 98, même J. Ferry plaidera, pour un autre mobile, en 1885, à la Chambre des députés, en faveur de la colonisation : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Cité dans La République n’éduquera plus. La fin du mythe Ferry, par Christian Nique et Claude Lelièvre, Plon, Paris, 1993, p. 118.

(3) Ibid., pp. 92 et 93.

 

 

 

 

 

 

(1) Cité par A. Prost, Histoire de l’enseignement en France (1800-1967), Armand Colin,Paris, 1968, p. 349.

(1) Voir A. Prost, Histoire de l’enseignement en France (1800-1967), p. 452. Dans les années 1960, en raison des difficultés du recrutement des professeurs, « des règles strictes fixent le seuil en deçà duquel il est interdit de dédoubler une classe : cinquante élèves pour une classe Terminale, quarante-cinq pour une Première ou une Seconde. Il en résulte pour les professeurs une surcharge de travail, mais aussi des avantages financiers pour certains ».

(2) On ferait bien de se remémorer les difficultés des surveillants et des maîtres d’antan, qu’évoque Henri Brunel, ancien proviseur, dans son ouvrage Chahuté, moi ? Jamais !, Fleurus, Paris, 1991, p. 56 : « Depuis mes seize ans, je suis moniteur dans les colonies de vacances, bouche-trou, surveillant dans les institutions privées, précepteur de familles riches, domestique sachant le latin. J’ai vingt-huit ans et j’ai déjà presque tout vu, tout enduré : les permanences de cent cinquante élèves, les boules puantes, les bagarres au couteau, les menaces physiques et verbales, une poule que l’on m’a un jour lâchée par une fenêtre ouverte. J’ai résisté aux pannes de courant, au roulement de brodequins, au jeu de la sirène... » C’était devant une classe difficile de « banlieue chic », en l’an de grâce 1957.

(1) Voir Bertrand Vergely, Pour une École du savoir, Milan, février 2000, p. 30 : « Sous couvert de personnalisation, on flatte aujourd’hui le moi narcissique et irréfléchi de tout un chacun en incitant même chacun à s’y complaire. » Dans ce livre intéressant, il y a beaucoup de « on ». Ainsi encore, p. 25 : « On ne punit plus. Et pour cause : il n’y a plus de résistance. On prend tout en charge. L’élève est devenu inutile. »

 

9

L’imbroglio perpétué ?

Nous savons que les luttes pour l’affirmation de certaines propositions (survoltées en valeurs, vraies ou fausses) portent périodiquement nos opinions ou nos factions à l’excès. On peut concevoir qu’il s’agit de la réaction explosive de nos instincts de défense terrienne et identitaire, s’ils sont mis en défaut. Notre cerveau reptilien se manifeste alors crûment, dès que nos spécificités culturelles, individuelles ou collectives, semblent menacées par quelque forme d’altération plus insupportable qu’aucune aliénation, économique ou matérielle, de nos forces ou de nos biens (1).

Les guerres de Religion, le réveil frénétique des ethnies, les spasmes nationalistes ou racistes et, en quelque sorte, la guerre froide nous ont enseigné les risques des exécrations ou des cloisonnements sans merci. Nos élites en sont-elles assagies ?

Moyennes ou excès

Dans ce pays du Français moyen (selon Herriot), dans cette douce France qui reste moyenne dans son équilibre difficile, l’accrochage paroxystique au passé ou à la tradition et même à des positions temporisatrices pousse, chez nous, pourtant, par réaction, des tempéraments novateurs ou techniciens vers des outrances modernistes.

Les accès d’autoritarisme ou d’absolutisme engendrent alors des réactions, tout aussi absolues, en anarchisme et fronde ou en relativisme. En sorte que se joue une amplification par résonance qui multiplierait nos emportements, et ralentit toute évolution. Résonance à défaut de raisonnement.

Un besoin d’identification

En ce qui concerne l’éducation ou l’enseignement, un autre mobile peut intervenir pour que soit soufflé de temps à autre sur les braises de nos susceptibilités.

Chacun a besoin, enseignant ou parent, de retrouver, idylliquement, son enfance dans celle de ses enfants ou élèves, de revoir son école (et l’enseignement qu’il y reçut), dans les programmes impartis à sa progéniture ou ses classes : il se ressent toujours compétent et informé, en matière pédagogique, automatiquement.

S’il soupçonne quelque changement qui lui resterait inconnu ou opaque, s’il s’imagine quelque modalité où il ne se retrouverait pas en confort ou avec componction, s’il subodore quelque saveur suspecte qui le surprendrait dans ses certitudes, il s’irrite tout rouge ou se vexe et se fâche, réagissant comme un taureau (ô culte de Mithra) avec une impulsivité immaîtrisée.

Celle-ci est d’autant plus mobilisée que l’image que les adultes se font d’une école est essentiellement une « rumeur » (1) dont, d’après toutes les enquêtes, le contenu [...] est très pauvre. On se contente, remarque Robert Ballion, « de deux ou trois caractéristiques (résultats aux examens, composition sociale, architecture, situation urbaine...) pour juger de la qualité d’un collège ou d’un lycée, pas nécessairement à tort d’ailleurs...Tels des paléontologues, les familles, avec quelques os, construisent un dinosaure. » (2)

C’est vrai, nous aimons bien la paléontologie, par suite, et les gigantesques boucs ou mammouths émissaires (le secondaire l’emporte !). Et c’est un esprit bien de chez nous qui a contribué à bâtir en dur la préhistoire à coups de cailloux taillés ou polis. Son créateur, Boucher de Perthes, n’a pas manqué, pourtant en fin connaisseur, de nous rappeler que « nous autres Gaulois, qu’on dit si légers, si inconsistants, nous sommes la fidélité même quand il est question de la routine ; en amélioration nous ne voulons que celle qu’on paie, toujours nous sommes les derniers à adopter une économie ».

L’accentuation anodine de quelque totalitarisme et d’un centralisme impénitent porte à des flambées de dilettantisme ou de particularismes fermés. Quelle chance ! Notre axe d’antagonisme laïc-clerc est alors souvent désigné, par Ernest Renan notamment : « Jusqu’ici, la France n’a connu que deux pôles, catholicisme, démocratie ; oscillant sans cesse de l’un à l’autre, elle ne se repose jamais entre les deux. Pour faire pénitence de ses excès démagogiques, la France se jette dans le catholicisme étroit ; pour réagir contre le catholicisme étroit, elle se jette dans la fausse démocratie. Il faudrait faire pénitence des deux à la fois, car la fausse démocratie et le catholicisme étroit s’opposent également à une réforme de la France sur le type prussien, je veux dire à une forte et saine éducation rationnelle. » (1)

Mais la référence prussienne (!) mise à part, Renan simplifie abusivement les polarisations typiquement françaises. Ses propres contradiction lui échappent et le rendent myope. Il s’affirme libéral, mais assure carrément, comme on l’a déjà exposé, que « la colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre » (2). Quel risque !...

Il se dit aussi hostile à la guerre mais prétend que « l’homme du peuple est toujours chez nous un noble déclassé ; sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état » (3).

De la sorte, Renan échappait à constater l’imbroglio des passions contradictoires où nous nous trouvons si anciennement, consacrant notre identité nationale, conflictuelle.

Peut-être cet imbroglio nous pousse-t-il à nous secouer d’aventure avec quelque furie ou, nous aveuglant à bondir inutilement comme Polyphème (ce parlant multiple), blessé dans sa vue identitaire, nous dispersant sans fin dans nos propres sursauts et balançant d’un axe d’oppositions sur plusieurs autres axes, indéfiniment !

C’est un point de vue analogue qu’exprimait à la même époque un Allemand, Ludwig Hahn, cité dans le Journal de l’Instruction publique du 28 avril 1848 : « Le corps enseignant est devenu tellement stationnaire en France, que je ne connais aucune autre société qui, dans ce temps de progrès universel, et chez la nation la plus mobile du monde, persiste en ses voies avec autant d’aise et de satisfaction, et qui repousse avec autant de dédain et de présomption toutes les méthodes étrangères, et qui soit si prompte à voir une révolution, même dans les changements les plus insignifiants. » (1) Avons-nous changé ? Pas changé en changeant ? Quel sort faisons- nous à l’identité ? Et à la « révolution » ?

Encore les deux nigauds

De la sorte, peut se perpétuer entre nous tous la querelle obstinée des deux nigauds, déjà invoquée. Le monde et notre École ont-ils changé? Ou nous-mêmes? Tout, dans nos moeurs et nos institutions, est-il toujours identique, ou bien incurablement différent et en mouvance ? La corruption des manières d’être est-elle récente ou de toujours ? Faudrait-il toucher à tout ou ne toucher à rien? Tout réformer de fond en comble ou tout préserver ?

Tout serait-il toujours en déclin ou en progrès ? L’avenir est habituellement invoqué contre le passé, autant que le passé est cité pour dénaturer l’avenir, par d’habiles arguties en je ne sais quoi de tout ou rien. Et faut-il carrément revenir au passé ?

Ces arguties de dédain s’appliquent assurément aux choses de l’éducation et de l’enseignement. Celles-ci sont dites lamentables, comparées à celles des pays voisins ou lointains (Angleterre, Allemagne, Japon, sinon États-Unis), ou, au contraire, incomparables, supérieures avec morgue (notre baccalauréat au-dessus de tous !). Notre lycée ne saurait être « light » (ni notre culture « hip-hop »). Mais il et elle sont en « détresse »... Langues de bois !

Chacun d’entre nous, en effet, a vite fait d’entendre dire que l’École est complètement abaissée ou changée, qu’on ne se retrouve en aucune manière dans les façons d’enseigner ou les contenus, qu’on ne comprend plus les jeunes et qu’on ne sait à quel saint ou dieu lare s’adresser ou se vouer en matière d’éducation. Mais j’entends en même temps clamer que l’École n’évolue pas, que les enseignants stagnent, que le système éducatif est irréformable, que les cours sont rabâchés, qu’aucun effort d’adaptation ne fut réalisé, que les modes pédagogiques retardent, que les manifs sont toujours les mêmes et qu’il n’y a décidément rien de changé, sinon notre propension à l’échec.

Je perçois pourtant aussi bien le cliquetis des indignations (vertueuses ?) relatives au niveau qui ne serait plus ce qu’il était, aux tailles des classes qui seraient redevenues excessives (1), à l’hétérogénéité des groupes d’élèves qui aurait crû dans des proportions intolérables (nous en reparlerons).

Mais je n’ai pas besoin d’avoir l’oreille fine pour recueillir également des verdicts sommaires sur des catégories d’enseignants, ou sur une université qui serait autant anémique que boursouflée, à moins que ce ne soit sur une jeunesse qui ne sait plus rien ou ne vaudrait plus rien (et, pourtant, veut tout !).

Ou alors il est question que cette jeunesse admirable soit indignement maltraitée par l’État ou bien par un corps enseignant inattentif et bureaucratisé, quand tous opinent (du bonnet ?) sur le scandale des professeurs généreux qui seraient tous molestés et sans trêve par des jouvenceaux insolents (2).

Que je sache, on vante les examens ou les titres de jadis ; on se demande où sont les écoles et les maîtres d’antan ; on a la nostalgie de la belle époque (avec froufrous) où régnait une haute dame Éducation, alma mater du temps passé, escortée par des hussards noirs ; on réclame des surveillants ou des policiers pour des enfants et des adolescents en accord ou en désaccord alternés avec eux, et à propos desquels on exige des égards et des gants.

Mais je constate qu’on se mobilise aisément contre les innovations, rénovations, réformes; car, si on veut que tout soit autre, il m’apparaît qu’on désire avec véhémence que rien ne change et surtout ne soit varié quoique, pourtant, différencié et distingué (1) ! Car on se rengorge sans fin de son propre succès (pas encore suffisant ? On se devrait donc de l’être ?) et on entend y voir conduis droitement tous les autres, à l’identique.

Il est alors banal pour les mêmes gens de se rebiffer parce que l’École ne se moderniserait pas et ne comprendrait pas les jeunes ou ne ferait aucun effort (ambitieux) en leur faveur que de s’affecter des modifications et allégements ou différenciations projetés dans les processus d’enseignement ou dans l’organisation et la vie des établissements.

 
 

 

(1) « Une référence-étalon qui serait absolue et n’aurait pas bougé », interprète Alain Finkielkraut, qui argumente en rejet du mythe identitaire en appelant le recours (évident ?) des grands anciens, ce qui nous honore : « Entre l’éducation humaniste et les sciences de l’éducation, entre Ange Politien, Rabelais,Comenius, Pierre de La Ramée d’une part, et d’autre part, André de Peretti, Louis Legrand et le recteur Bancel, il n’y a pas de rupture épistémiologique (passage de l’ombre à la lumière, de l’approximation à la certitude, du bricolage à l’objectivité), mais mutation de la sensibilité : à la démocratisation de la culture dont rêvaient les premiers – “Où sont les Écoles universelles ? Où la méthode affable ? s’inquiétait Comenius – a succédé l’idée d’un antagonisme de la culture et de la démocratie. » Mais c’est l’inversion de notre pensée ! Pour nous, culture et démocratie se soutiennent en générosité !

(1) E. Cassirer, La Philosophie des formes symboliques, Minuit, Paris, 1972, tome II, La Pensée mythique.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir Énergétique personnelle et sociale, pp. 336 et sq.

(2) G. Dumézil, Mythe et Épopée, Gallimard, Paris, 1968, tome I, p. 67.

(3) G. Dumézil, op. cit., tome III, p. 360.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir dans Jacques Miermont, Les Ruses de l’esprit ou les arcanes de la complexité, L’Harmattan, Paris, 2000, le paragraphe, p. 128, « Pensées préfabriquées, concepts prêts à porter » : « La langue de bois tire sa puissance persuasive de son caractère rituel. La moindre déviation de la formule consacrée lui fait perdre son pouvoir magique. Elle vise à priver les phénomènes de leur intelligibilité propre. »

 

 

 

 

 

(1) A. Finkielkraut, in : Le Monde du 19 mai 2000, dans un article doté d’un titre dépréciatif et qui n’est guère honorable pour son auteur : « La révolution cuculturelle à l’école ». On croyait de tels jeux méprisants plutôt réservés à l’extrême droite, ou Front national (en privilège culturel ?).

 

(1) F. Braudel, L’Identité de la France, Artaud, Paris, 1981, t. I, p. 109.

(2) Voir Adrien Barrot, L’Enseignement mis à mort, Librio, juillet 2000, p. 45, À l’affirmation « Les élèves ont changé », l’auteur, philosophe, réplique (pour toutes les disciplines et âges ?) : « lamentable imposture. Car que veut un élève en tant qu’élève, c’est précisément écouter un professeur, entendre et recevoir un enseignement digne de ce nom. » Et quelle référence socio-historique est invoquée : « que chacun d’entre nous se replonge dans ses propres souvenirs de l’enseignement »...

(3) H. Focillon, La Vie des formes, PUF, Paris, 1943, 4e éd., 1947, p. 86.

 

10

Le mythe identitaire

Je ne désire, quant à moi, aucunement partager la mode de la roulette pour débattre des gains ou des pertes advenus ou en attente dans le petit monde de l’éducation. Je ne m’incline pas à fréquenter quotidiennement des « Prés-aux clercs » où ferrailler en opposant des « humanités » aux savoirs scientifiques ou aux compétences techniques.

Et je ne me sens pas d’humeur à courber la tête, tel un fier Sicambre, sous des fourches de tout ou rien (ce rien qui est encore comme un tout, de même que ce tout qui revient souvent à rien !). Car il me semble que dire que les choses (en ce qui tient aux rapports des adultes avec enfants ou adolescents et de ceux-ci au savoir de ceux-là) ne sont plus comme avant du tout ou, à l’opposé, que rien n’a bougé, part d’un même risque de duperie qui viendrait de comparer ce qui n’est pas comparable ou d’omettre les variations qui ont affecté les caractéristiques et modèles qu’on est porté à supposer invariants et donc identiques.

Mais il faut nous prémunir constamment, et avec souplesse, contre ce que j’ai convenu d’appeler le mythe identitaire : qui vient de rapporter chaque individu (ou n’importe quelle disposition éducative ou programmation didactique) à une norme unique (républicaine ?) englobante, qui serait absolue et n’aurait onques oscillé. Car une norme qui s’absolutise (1) (et qu’elle veuille définir une origine, un statut, une appartenance ou une culture) se présente comme absorbant les variétés réelles, les originalités, les singularités, les différences concrètes, qui spécifient des existants et leurs rapports. Et elle provoque à des cloisonnements persistants.

Aussi bien, j’utilise, traitant de l’identité, à dessein, ce terme de « mythe » : en raison de ce qu’il sous-entend de séduction ou réduction, d’englobement, tels que les dénonce Ernst Cassirer, dans sa Philosophie des formes symboliques. Citant un pythagoricien, Philolaos, Cassirer observe, en effet : « À la place de cette harmonie qui est l’union des choses les plus variées et des voies les plus différentes, la pensée mythique ne connaît que le principe d’identité de la partie et du tout. Le tout est la partie, en ce sens qu’il pénètre la partie, avec tous les attributs de sa substantialité mythique. » (1)

S’il s’agit d’individus, ils sont absorbés, « cristallisés », objectivés, dans un tout qui les fait identiques, justement dans la référence à une entité unique (État, nation, culture, parti, classe, race, famille... ?) : en excluant toute altérité. Au lieu que l’unité soit l’aboutissement concret d’un accomplissement des différences, elle s’impose, selon le mythe, comme principe réducteur, dévorant. Statique, elle récuse ou évince l’union et la dynamique que celle-ci propose.

Je souhaite faire, dès maintenant, une première approche de ce mythe, dont il m’apparaît qu’il a souterrainement contaminé les diverses cultures et civilisations, notamment occidentales, au XIXe siècle. Il s’y est répandu en reflux, en contrepoint, de l’inspiration des « Lumières ». Celles-ci, dans la « démonstration » de l’Encyclopédie, n’hésitaient pas à faire mettre sur le même plan, en égalité de respect, des œuvres savantes et des pratiques professionnelles, des concepts et des métiers artisanaux, des écrits profonds et des gravures de machines, la philosophie et les technologies. Diderot était fils de coutelier...

Rien de tel avec le mythe identitaire. Car il incline impérativement à séparer, à exclure, pour mieux homogénéiser en identités distantes. Il impose, comme fondement des distinctions (ou caractérisations) et des organisations (ou structurations), le renforcement des similitudes et l’exécration des différences mises à distance. C’est tout bonnement le système indo-aryen des castes qu’il assure et pousse à reproduire.

Suivant la « nucléo-logique » (1) qui va structurer de l’intérieur toutes les représentations et tous les rapports sociaux, des individus sont considérés, réputés, comme identiques et sont poussés (ou perçus) à le devenir davantage, pour être groupés dans la clôture d’une caste : en bannissant radicalement ceux qui auraient ou se verraient attribuer quelque différence, regroupés séparément, et distinctivement, dans d’autres castes.

Selon cette nucléologique, l’« identité » est donc sacralisée et la « différence » est exécrée, mise en ségrégation : elle est « impure » et vaut l’apartheid (on peut s’en souvenir...). La différence de milieu familial ou d’origine, comme celle de fonction économique ou sociale, comme aussi celle de sexe (et même celle d’âge ou de couleur) entraînent des tabous de séparation, des interdictions de contact et de rapport. On ne se fréquente pas entre personnes de castes différentes, on ne se touche pas ; il s’agit de rester purs ! Pureté de la race, pureté de la culture, pureté ethnique, ghettos,... on se souvient.

Ainsi des individus distincts sont (quand le mythe « prend ») réputés identiques (A _= A _= A...), cependant que d’autres sont invinciblement inscrits, englobés dans d’autres identités (B _= B _= B..., C _= C _= C, etc.). Mais comme toutes les formes de rapports entre les divers individus, d’une caste à l’autre, sont proscrites, il ne leur reste que la « relation d’ordre » : n’importe quel A, en n’importe quelle circonstance, en n’importe quel lieu, est réputé catégoriquement supérieur à n’importe quel B, quoique fasse l’un ou l’autre, et ce B est supérieur à n’importe quel C, etc. De la sorte peuvent se construire des civilisations d’ordre, dans lesquelles sont commodément réparties, en séparation d’action et de fonction, les castes dûment cloisonnées.

C’est ce que Georges Dumézil a décrit, précisément pour les civilisations indo-européennes, selon une « idéologie des trois fonctions ». Celle-ci organise les individus en « trois classes sociales, aux trois varna dans lesquels l’Inde a, très tôt, incarné ces trois fonctions en les durcissant : brahmanes, ksatriya, vaisya – prêtres, guerriers, éleveurs-agriculteurs » (2). Georges Dumézil note une dérive d’une telle répartition des individus en une « triade des orgueils et des morales séparées » (3). On sait les luttes courageuses de Gandhi contre une telle dérive, ses efforts en faveur des « intouchables » ou « parias », ses interventions contre les cloisons et haines religieuses : au prix de sa vie.

Mais qu’on ne se laisse pas aller à penser que ce primat d’identités closes, et de supériorités rendues absolues, n’a pas affecté nos civilisations et nos cultures occidentales. Il n’y a pas si longtemps, les cadres d’une société étaient réputés former un milieu bourgeois, s’adjoignant quelques intellectuels (élites) ; les travailleurs étaient censés former un second ensemble complètement séparé, rigoureusement différent et repoussé dans sa différence (et selon son manque de « distinction », comme le rappelle Pierre Bourdieu), à distance du milieu bourgeois. Castes ! Les mésalliances étaient exclues ou conduisaient au rejet, à l’exclusion. Plus anciennement, les nobles qui « touchaient », en France, aux affaires étaient frappés de « dérogeance » : ils devenaient « ignobles ».

De même, n’importe quel ingénieur était en toute circonstance, quoi qu’il ait fait, réputé avoir raison contre n’importe lequel de ses subordonnés (ou n’importe quel maître vis-à-vis d’un élève ?...). Il y eut aussi la « dictature » du prolétariat...

De fait, la « différence » a longtemps signifié l’infériorité même dans notre doux pays. Les filles sont différentes des garçons : donc, logique nucléaire, n’importe quelle fille pouvait être, au plan intellectuel ou à celui des responsabilités, déclarée inférieure ou incapable, et devait être séparée. Pas de droit de vote, pas de mixité dans les écoles, mais mise en tutelle, interdiction d’accès à Polytechnique ou HEC, faible représentation tolérée dans les pouvoirs de l’État... C’était vrai, il y a moins de cinquante ans. Et j’en passe de ces médiocres mises en infériorité ! Il fallut bien imposer quelque parité, par la loi, contre la « pureté » !

Rappelons encore que longtemps, en Europe, l’enfant, étant visiblement différent des adultes, était très séparé de ceux-ci et n’avait qu’à se taire (à table ! et ailleurs, en classe ?). La Convention sur les droits de l’enfant n’est que de 1989. On décidait urbi et orbi, pour l’enfant, sans tenir compte de ses inclinations, ni de ses différences. Garçon, il devait se complaire à des jeux de garçon (puis au « machisme ») ; fille, à des jeux de fille (et à la soumission ?). Chacun devait se conformer à un modèle de plus en plus distinctif, au plan affectif comme au plan intellectuel. S’il s’adaptait, plus ou moins, aux méthodes et aux programmes d’enseignement, il était bon élève ou élève moyen; sinon, cancre...

Nous ne pouvons oublier non plus, qu’avant la décolonisation, n’importe lequel des autochtones ou indigènes, « évolué » ou non, était réputé, toujours, partout, quoi qu’il se passe et fasse, inférieur à n’importe quel « Blanc » ou « petit Blanc » de même « culture ». Et cette absolutisation de la supériorité engendrait, selon la nucléologique même, une affirmation de sa pérennité conservatrice : la colonisation était un fait définitif ; rien ne devait être changé ; « avec ces gens-là il n’y a rien à faire » ; « “ils” sont incapables de se gouverner » ; ce sont de « grands enfants », etc. Civilisation d’un ordre définitif. Les autres cultures n’étaient que « primitives », à éliminer ou mettre aux musées.

Soit ! ? Mais, même entre pays européens, le nationalisme avait insidieusement préparé des idéologies portant rejet des différences ainsi qu’affirmation des supériorités, au fil du XIXe siècle. Tout étranger (métèque?) était suspecté et la « patrie » était exaltée (über alles...). On ne peut oublier qu’Hitler s’était ouvertement référé à la civilisation indo-aryenne.

Et on ne peut minimiser les conséquences de cette exécration des différences. Car elle provoqua de terribles explosions de violence et d’horreur : luttes des classes ; luttes des sexes ; guerres coloniales ; antisémitisme ; guerres mondiales ; Holocauste ; génocides ; guerres de décolonisation ; guerre froide...

On peut métaphoriquement concevoir, en quelque électrostatique, ce que signifient de telles explosions. Des énergies, durement réprimées et isolées, ne rétablissent leur relation naturelle de circulation dynamique, de « conduite », que par la rupture des énergies, accumulées (jusqu’à une tension trop forte) en cloisons « isolantes ». C’est la décharge électrique, la foudre, la violence, l’outrance destructrice ! À l’opposé, en quelque analogie électrodynamique, les différences traitées en « différences de potentiel », si elles sont reliées par des « conducteurs» appropriés, offrent de l’énergie disponible, en réciprocité, aux deux pôles entre lesquels elles communiquent. Il s’agit de « puissance » assurée, d’équilibre créateur par « concertation », de coopération d’entités complémentaires, d’une articulation des différences qui sont mises en émulation : sans cliquetis des « langues de bois » (1) !

Hors métaphores, on ne peut ignorer que, si des opposants, des adversaires s’écoutent et négocient, s’ils se respectent dans leurs différences, des équilibres peuvent venir se substituer aux dominations et aux violences réactionnelles (voire vite réactionnaires). C’est bien l’esprit et l’expérience de la démocratie (si on ne la récuse pas !). Et c’est bien ce à quoi prépare la culture.

Il ne s’agit plus, alors, de « tout ou rien », de diabolisation symétrique, ni des « deux nigauds », non plus que d’absolutisation ; et pas davantage d’indifférence narquoise. Et il importe de ne pas laisser l’égalité se rétrécir en identité. Car l’égalité suppose la mise en relation, en « équation », de différences, alors que l’identité exclut celle-ci. Et l’égalité se soucie d’« équivalences », alors que l’identité prescrit la répétition, l’imitation, le bégaiement.

On voit bien apparaître le respect primordial des différences, même si on a le souci d’inviter, d’accompagner des individus à des parcours d’efforts (matériels, intellectuels) en vue de les rapprocher, en direction, en ambition, de buts lointains, « rêvés », comme par Comenius, si on admet, avec « affabilité » à la Comenius, des cheminements qui ne soient pas identiques, ni spatialement ni temporellement.

Et on voit bien la réduction à l’identique en laquelle peuvent s’enfermer, sans s’en apercevoir, ceux-là qui s’obstinent passionnément (pourquoi ?) à une unité dite « républicaine » pour la plupart d’entre eux. Ils peuvent même traduire à leur façon un texte de Jaurès qu’ils citent : « En vertu de quel préjugé nous refuserions aux enfants du peuple une culture équivalente à celle que reçoivent les enfants de la bourgeoisie. » (1) Jaurès dit précisément équivalente, et non pas pareille ou identique : si on « sait » lire...

En revanche, si on se fixe à promouvoir de l’identique, on corrompt, en même temps que toute adaptation et évolution, la recherche progressive d’une équivalence (ou égalité dans la différence) entre les personnes (ou leurs parcours singuliers) en raison d’une impulsion de conformité, rigide, en tout ou rien, à quelque modèle absolutisé. En on provoque alors, d’un même mouvement, par l’implication de tous les rejetons ou de leurs apprentissages scolaires à une modélisation unique et constipée, aussi bien une crispation élitique (recalant indéfiniment des inadaptés ou impurs) qu’une diarrhée égalitariste (éliminant de façon hargneuse les talents ou les différences). Oscillations !

Pourtant nos enfants sont portés, par notre culture même, à être aussi différents qu’il est possible de l’être, si on entend le rappel de Fernand Braudel que « la France aura vécu sans fin, elle vit encore entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace comme le chiendent, son singulier, sa tendance à l’unité, à la spontanéité et volonté réfléchie – mais pas seulement volonté » (1). Et pas toujours réfléchie ni raisonnable. Pour notre chiendent (parfois interprété comme chienlit !).

Car notre manie hexagonale et jacobine nous pousse à vouloir nos jeunes identiques, dans l’espace et le temps (2) pour les considérer ou les rejeter (les nuls), comme nous voudrions contracter aussi ou suspendre dans un présent pérennisé notre système scolaire et universitaire : omettant de comprendre ou d’accepter qu’il a bougé et ne cesse, en dépit de tous, de se transformer et de se différencier.

Entre constance et variété, notre nation balance ! Mais l’éducation, elle, tourne et « se meut » à la mode de Galilée ! Mais avec des cloisonnements encore rigides !... Et notre nation? Henri Focillon nous assure dans son ouvrage magistral sur La Vie des formes qu’elle est une « longue expérience » et qu’elle « ne cesse de se penser elle-même et de se construire » (3). La France évolue et se transforme : dans un monde qui change, n’en déplaise à certains ! Mais qu’on veuille y jeter un bref regard pour le siècle vingtième du nom, au moins, immédiatement, dans sa première moitié.

 

 

 

 

 

(1) Cité par Malet et Isaac, Histoire Première, Hachette, Paris, 1961, p. 225.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, op. cit., p. 328.

(2) A. Prost, op. cit., p. 328.

(1) Ibid., pp. 329 et 330.

(2) Ibid., p. 330.

(3) E. Goblot, La Barrière et le Niveau : étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, 1re éd., Alcan, Paris, 1925; nouvelle éd. PUF, Paris, 1967. Goblot observe : « Et cette instruction, il ne suffit pas qu’il l’ait reçue ; car on pourrait ne pas s’en apercevoir. Il faut encore qu’un diplôme d’État, un parchemin signé du ministre, constatant officiellement qu’il a appris le latin, lui confère le droit de ne pas le savoir. » Bien sûr, Alain Finkielkraut se déclare choqué par les propos d’Edmond Goblot.

(4) E. Goblot, op. cit.

(5) Dans l’ouvrage Les Collèges du peuple, J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie donnent comme effectifs, masculins seulement, en 1938-1939 : 50755 élèves d’EPS, plus 58 864 élèves de cours complémentaires (CC), INRP, Paris, 1992, p. 166. Il faut ajouter les effectifs féminins : 54 478 élèves d’EPS et 67 578 élèves de CC (ibid., p. 273). Au total, 231 973 élèves.

(1) P. Albertini, op. cit., p. 45.

(2) J.-P. Briand et Chapoulie, op. cit., p. 432 : par le décret J. Zay du 1er juin 1937, « les EPS furent détachées de la direction de l’Enseignement primaire pour être rattachées à une direction du Second degré, dont dépendaient également les lycées et collèges, alors que la direction de l’Enseignement technique restait intacte. [...] Cette réforme administrative rencontrait les voeux du personnel des EPS » soucieux « d’une séparation plus nette d’avec les CC, dont la concurrence inquiète de nombreuses EPS depuis les années 1930 » (ibid., p. 433) et assurait une distance avec l’Enseignement technique.

 

 

 

 

(1) A. Prost, op. cit., p. 407.

(2) R. Rémond, Notre siècle,1918-1988, Fayard, Paris, p. 98. L’auteur ajoute à propos de cette querelle : « Elle tournera chaque fois au désavantage d’une laïcité de combat. »

 

 

 

 

 

(1) J. Poirier, « De la tradition à la postmodernité : la machine à civiliser », in : Histoire des moeurs, t. III, Gallimard, 1991, p. 1563.

(2) Ibid., p. 1565, voir : « L’humanité, née à l’extrême fin de l’ère tertiaire, aura ainsi traversé les deux millions d’années de l’ère quaternaire pour aborder maintenant ce qui devrait être la dernière étape sinon de son destin, du moins de la “carrière” de l’homo sapiens sapiens. »

 

 

11

Stagnation sur un demi-siècle

Le XXe siècle est né à l’issue des crises convulsives ou des affaires marquant la fin du siècle antérieur (il finira avec les mêmes embarras). Après la défaite cuisante de 1870 et l’occupation du territoire, les Français ont été agités en 1891 par les scandales de Panama (qui atteignent Clemenceau) après les affres du boulangisme (une affiche pour les élections législatives du 27 janvier 1889, sous le nom du général Boulanger, propose : « Dissolution – Révision – Constituante. Plus de pots-de-vin !!! Vive la République honnête. Vive la France. » (1)).

Dans le même temps, on doit déplorer le développement de l’anarchisme (sous le titre d’Action directe déjà !) et d’attentats terroristes d’une part, mais aussi de grèves dures (au-delà de la reconnaissance des syndicats par la loi de 1884).

Enfin le drame de l’affaire Dreyfus casse en deux la nation (le J’accuse de Zola est dans L’Aurore de Clemenceau à la date du 13 janvier 1898). Et des conceptions irréductibles s’opposent alors sur la justice et la raison d’État, les droits de l’homme et les nationalismes, la recherche de la paix ou le besoin de revanche.

Un début agité

Si les oppositions entre cléricaux et laïcs avaient cependant connu une relative détente (en raison des positions conciliantes du pape Léon XIII, 1878-1903, appelant les catholiques au ralliement à la République et à l’exercice de la justice sociale), le pontificat de son successeur Pie X allait relancer les condamnations du modernisme et attiser les conflits.

Le siècle nouveau s’affirmait alors avec l’interdiction d’enseigner faite aux membres des congrégations en 1904, la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, et, sur le rapport d’Aristide Briand, le vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État en décembre 1905. Aux vifs conflits religieux et sociaux s’ajoutaient de violentes manifestations dans le monde paysan et dans la Fonction publique.

La guerre de 1914-1918 et la victoire déplaceraient seulement toutes ces causes d’agitation. Car, après l’épisode de l’Union sacrée et de la Chambre bleu horizon, les conflits ataviques purent reprendre leurs jeux : antiparlementarisme et antirépublicanisme (avec les Camelots du roi) ; scissions véhémentes (à droite, comme dans le mouvement socialiste et les syndicats) ; cartel des gauches et ligues de droite ; collusion aux dictatures ou antifascismes ; programme de l’École unique ou réouverture d’écoles privées ; réarmement et ligne Maginot ou antimilitarisme; revendications populaires (assurances sociales en 1930 seulement) ou réticences élitiques (protestations contre les congés payés de 1936 et les conventions collectives).

Et l’École ?...

Au milieu de ces turbulences, le système éducatif se serait quant à lui, mais non sans de vives controverses, stabilisé dans ses effectifs et ses procédures jusqu’au milieu du siècle, en dépit de deux guerres mondiales. Stabilisation ou relative stagnation ?

Dans le premier degré, en effet, les quelque 80 000 écoles accueillaient en 1901-1902 cinq millions et demi d’élèves et, mis à part les écarts dus à la Première Guerre mondiale, recevaient dès 1937- 1938 des effectifs équivalents. Dans les classes élémentaires des lycées et collèges, comportant 16000 élèves en 1881, on pourrait noter une faible croissance : 36000 élèves en 1913 et seulement 55000 dans les années 1930 à 1940. On peut de même relever, avec Antoine Prost, la « stabilité des effectifs de l’enseignement secondaire de 1880 à 1930 » (1), et au-delà, malgré l’impulsion relative qu’allaient provoquer la gratuité consentie aux établissements du second degré à partir de 1929 et le développement de l’enseignement féminin. Cet auteur ajoute : « Entre la croissance rapide des années 1840- 1880..., et celle qui commence en 1930, cette période enregistre une surprenante régularité. » (2) Aux quelque 150 à 160000 élèves des lycées et collèges du public et du privé, des années 1876, 1887 et 1898, on ne peut, en effet, opposer, malgré le retour de la jeunesse d’Alsace-Lorraine, que les seuls 180000 élèves de 1925(1). Cette « stagnation de l’enseignement général, précise Antoine Prost, ne résulte pas d’une demande insuffisante. Elle naît de l’attachement aux barrières malthusaniennes qui le protègent, du refus d’une politique dynamique de développement » (2).

C’est bien ce que dénonçait, dès avant 1914, Edmond Goblot dans une Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne intitulée La Barrière et le Niveau, où il soulignait l’attachement véhément aux études latines en vue de « maintenir entre les classes sociales cette distinction si nette, si aisément saisissable : d’un côté, ceux qui ne savent pas le latin, de l’autre – je ne dis pas ceux qui le savent – mais ceux qui l’ont appris » (3). Goblot précisait : « Le bourgeois a besoin d’une instruction qui demeure inaccessible au peuple, qui lui soit fermée, qui soit la barrière. » (4) Pour des castes discrètes ?

En raison de ces barrières, les écoles primaires supérieures (EPS) et les cours complémentaires (CC) pouvaient en revanche se développer, leurs effectifs passant de 66 000 en 1901 à plus de 100 000 en 1920 et plus de 200 000 en 1939(5).

Ce qui fait que, si on additionne alors les chiffres des collèges, lycées, EPS et cours complémentaires, on peut compter, pour l’enseignement post-élémentaire, 243000 élèves en 1930, puis 426000 en 1939, et, comme nous l’avons déjà indiqué, 463000 en 1945.

La croissance relativement progressive des effectifs du secondaire annonce à peine le développement exponentiel dans la seconde moitié du siècle, comme on le rappellera ci-après.

À côté des enseignements primaires et secondaires, on doit encore noter l’insuffisant développement des enseignements proprement professionnels. Il a fallu attendre que le chômage dû aux conséquences de la crise mondiale de 1929, l’absence de main-d’oeuvre masculine en raison de la mobilisation et de la captivité de millions de travailleurs, et l’inactivité forcée des jeunes contraignent à se préoccuper à une échelle suffisante des formations orientées vers les emplois. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, seulement 60000 jeunes étaient chaque année pris en charge par l’État dans des formations techniques de trois ans ou dans des écoles de métiers et un nombre égal était accueilli parcimonieusement dans des centres de formation professionnelle à la Libération. La doctrine de l’époque était celle de la formation par l’apprentissage direct (comme en Allemagne) ?

Élitisme et conflits

La IIIe République, vigoureusement parlementaire, avait opté ainsi donc pour l’élitisme et quelque attentisme ou immobilisme, délaissant les besoins professionnels et promotionnels. « La contrepartie de cet aristocratisme généralisé, observe Pierre Albertini, est tout à fait claire : la France excelle à produire des élites, mais que fait-elle du reste ? » (1) Question encore ouverte ?... Ou bien déjà fermée? Et cet auteur constate que le Front populaire avec Jean Zay (2), puis, paradoxalement, Vichy et la Libération, qui vont enfin expliciter un schéma d’ensemble en trois niveaux de l’enseignement professionnel jusque-là laissé de côté : des centres d’apprentissage pour former des ouvriers, des collèges techniques pour former des techniciens, des grandes écoles pour former des ingénieurs.

Sans doute, des débats très vifs sur la réforme de l’enseignement n’ont cessé de remplir avec emphase la scène de l’éducation. Ils éclatent d’abord à propos de l’École unique, dès les années 1920 qui sont marquées par un plaidoyer incisif du philosophe Léon Brunschvicg et par un réquisitoire de Paul Lapie contre la séparation des ordres d’enseignement ou leurs cloisonnements multiples (entre le premier et second degré ; entre les filles et les garçons ; entre l’enseignement général et l’enseignement technique).

Une commission de l’École unique est instituée en 1924, à la suite de la victoire du cartel des gauches : « Il n’en résulte pourtant à peu près rien », note Antoine Prost (1) ; il faudra attendre encore cinquante ans ! La dispute sur le latin a toujours ses protagonistes et ses adversaires : là encore, rappelons-le, statu quo, malgré la tentative sans lendemain de Léon Bérard qui voulait supprimer en 1923 la section moderne (c’est-à-dire sans latin ni grec) du premier cycle du second degré. Pour une École encore plus unique !

Toutefois, la gratuité de l’enseignement secondaire finit par se faufiler à partir de 1930, amorçant la démocratisation en puissance, corrélative des changements économiques et sociaux.

Pour sa part, la querelle laïcité-cléricalisme tourna court malgré une offensive jacobine, en 1924, menée par Édouard Herriot : contre le concordat de 1801 avec l’Église romaine qui était maintenu pour l’Alsace-Lorraine réintégrée au territoire national ; contre la réouverture en 1921 d’une ambassade au Vatican ; mais aussi à l’encontre des tendances girondines manifestées trop visiblement à droite et dans les établissements privés en pleine réinstallation. René Rémond observe l’apaisement provisoire de cette querelle tutélaire : « L’anticléricalisme n’est plus un thème mobilisateur ; au contraire, le sectarisme choque. L’épreuve de la guerre a rapproché les deux France », tout en notant que la querelle de la laïcité rebondira et jusqu’à nos jours « une bonne demi douzaine de fois » (2) comme on le verra.

La Seconde Guerre mondiale, en dépit des lois de Vichy, à la fois amortit encore les querelles entre laïcs et cléricaux (par les solidarités issues de la Résistance) et, cependant, n’empêcha pas que ricochent successivement de violentes controverses, sous la IVe, puis la Ve République.

À la suite d’un décret Poinsot-Chapuis de 1948, la loi Marie, en 1951, délivrait, en effet, à l’encontre des principes laïques, des bourses aux élèves de l’enseignement privé, qui représentaient le cinquième des effectifs scolaires. Et la loi Barangé subventionnait également, par le relais de tous les enfants, les établissements publics et privés, à l’issue de violentes campagnes associées aux élections.

En 1959, profitant d’un 31 décembre, la loi Debré, sous l’égide du général de Gaulle (revenu depuis 1958 au pouvoir), établissait un régime de contrats avec l’État pour les établissements privés, non sans provoquer de très vives protestations : au cours de la préparation de cette loi, le socialiste et résistant André Boulloche, polytechnicien, démissionna de son poste de ministre de l’Éducation nationale.

En contrepartie, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la loi Haby, en 1975, unifiait les diverses catégories de collèges, organisant le passage direct de l’École à ceux-ci. Le gouvernement réalisait ainsi le voeu laïque de « l’École unique » dans l’enseignement public.

Les conflits allaient néanmoins couver, éclatant à l’occasion des campagnes électorales et séparant alors hommes de droite et hommes de gauche. Toutefois, les modalités d’enseignement et les recrutements des élèves, dans les secteurs publics et privés, allaient lentement se rapprocher, tout en assurant sauvegarder leurs spécificités : contrôles par les mêmes corps d’inspection.

Ainsi les temps avaient changé sans que notre système scolaire soit réellement touché. Cependant les changements économiques, technologiques et sociaux, intervenus depuis le début du siècle, en s’accumulant, atteindraient une masse critique et bousculeraient à terme les barrières, l’élitisme et le parlementarisme en même temps que les moeurs françaises.

Les responsables français et l’opinion éclairée ne se laisseraient pourtant pas facilement convaincre que les temps ont vraiment changé et que, ainsi que le propose Jean Poirier, « c’est d’une transformation totale de la société qu’il s’agit, allant jusqu’à l’inversion des modèles et valeurs, et débouchant parfois même sur la confusion et l’absurde » (1). Ce renouveau du baroquisme ne laisse pas d’inquiéter encore tous les tenants de la stabilité classique. Ils persistent à se masquer ou minimiser les « changements qui ont transformé les sociétés industrielles en sociétés postindustrielles » (2) et qui ont poussé le modernisme vers la postmodernité, au point que Poirier peut qualifier l’époque, au-delà de l’ère quaternaire, de « mutation quinternaire » (1).

Car bien des mobiles et des conduites dans les moeurs ont dû changer. Si, dans l’entre-deux-guerres puis surtout après la Libération, la natalité avait repris en France, les moeurs à l’égard des enfants allaient être, progressivement puis de façon plus rapide, fortement modifiées, même si l’adaptation des relations familiales et sociales aux formes de la vie moderne a mis du temps à s’effectuer.

La science et la technologie avaient prolongé la vie humaine ; elles avaient multiplié les objets et les moyens d’existence, les contacts et les communications ; même si elles avaient amplifié également les capacités de destruction ou de trouble et de déstabilisation.

L’éducation serait-elle restée insensible, dans les familles et dans les écoles, aux multiples transformations ? Lequel des deux nigauds répondrait ? Il nous faut voir de plus près, même en vue panoramique.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) G. Lapassade, L’Entrée dans la vie, PUF, Paris, 1969.

 

 

(1) Le terme est de Nietzsche qui annonçait prophétiquement (mais en sens inverse de ce qui est ici marqué) un bouleversement de toutes les valeurs, appelant même, comme on le sait, la folie, dans Aurore : Importance de la folie dans l’histoire de la moralité : « Le doute me dévore ; j’ai tué la loi » (XXX, 21-23).

(2) L. Mumford, Technique et Civilisation, Seuil, Paris, 1950.

(3) F. Braudel, Grammaire des civilisations, Arthaud-Flammarion, Paris, 1987, p. 41.

 

 

 

 

(1) M. Foucault, Surveiller et Punir, NRF, Gallimard, Paris, p. 202 : « La foule, masse compacte, lieu d’échanges multiples, individualités qui se fondent, effet collectif, est abolie au profit d’une collection d’individus séparés. De là, l’effet majeur du panoptique (Bentham). » Orwell écrira 1984.

(2) A. de Peretti, Risques et Chances de la vie collective, Épi, Paris, 1972, p. 100... et « Minipsychologie de l’Ad-mini-stration », Hommes et Perspectives, Marseille, 1991

 

 

 

(1) Voir les réflexions de l’urbaniste P. Virilio : « Lorsqu’une publicité de ligne aérienne dit, justement :“Effacez l’Atlantique ou la France, un carré d’1h30 de côté”, que reste-t-il de l’océan et du pays ? Il faut repenser la notion de proximité, la proximité électromagnétique est différente de la proximité physique immédiate » in : Le Monde, propos recueillis par J.-M. Frodon.

(2) P. Virilio, De l’extrême limite à l’extrême proximité, in « Lumières de la ville », Paris,1992, p. 37.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) L. Mumford, op. cit., pp. 222 et 223.

 

 

 

(1) J. Audouze, J.-C. Carrière et M. Carré, Conversations sur l’invisible, Belfond, Paris, 1988, p. 256. M. Carré ajoute : « L’aberration, la marge, l’exception, l’incertitude, tous ces mots qu’on appelait autrefois des “erreurs” » (ibid.). Également, p. 267, parlant du transistor et de ses applications : « Il faut savoir que la mécanique quantique a envahi notre vie quotidienne. » Son collègue J. Audouze remarque, pour sa part, p. 256 : « Comme aimait à le dire Heisenberg, la prétendue réalité matérielle s’est diluée dans la clarté des symboles mathématiques. »

(2) J. Dieudonné, Penser les mathématiques, Seuil, Paris, 1982, p. 16.

(3) B. d’Espagnat, À la recherche du réel, Fayard, Paris, 1979. Également, Une incertaine réalité, Fayard, Paris, 1985.Voir Le Réel voilé, Fayard, Paris, 1994.

 

 

(1) Voir P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, « Terre humaine », Plon, Paris, 1975, p. 30 : « Telle était la hantise de la misère qu’on s’attendait à la rencontrer au détour d’un chemin, sous la forme d’une chienne efflanquée, hérissée, les babines retroussées sur des dents jaunes, la chienne du monde. »

(2) A. Prost, L’Enseignement et l’Éducation en France, Nouvelle Librairie de France, tome IV, Paris, 1981 (voir p. 133).

(3) M. Mead, Le Fossé des générations, Denoël-Gonthier, Paris, 1971 : « Postfigurative, dans laquelle les enfants sont instruits avant tout par leurs parents ; cofigurative, dans laquelle les enfants comme les adultes apprennent de leurs pairs ; préfigurative, dans laquelle les adultes tirent aussi des leçons de leurs enfants. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) En 1932, E. Mounier créait la jeune revue Esprit et proposait dans le no 1, paru en octobre, de « refaire la Renaissance ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. de Peretti, Les Contradictions de la culture et de la pédagogie, Épi, Paris, 1969, chapitre VII, « Sismologie de Mai », p. 229 : les « événements de mai et juin 1968 » se sont présentés sous la forme d’un ébranlement sismique au sein de l’organisation sociale, disloquant les conduites relationnelles. Des idées ont « ébranlé la France ». Voir également, p. 235 : « Un détachement effectif des structures sociales se propageait à la vitesse d’une réaction en chaîne, retirant vertigineusement tout appui et toute consistance aux actes du pouvoir. Tout durcissement comme toute concession de celui-ci apparaissaient dérisoires et saugrenus. »

 

 

 

 

12

Évolutions et transvaluations

Dans la première partie du siècle, les formes sociales et les moeurs avaient été dès l’abord sévèrement éprouvées par les mobilisations de masse provoquées par les deux guerres mondiales, et par suite des coude à coude dans les tranchées, les campagnes ou les jungles. Bien des activités n’étaient plus restées l’apanage des hommes ou des adultes : femmes et enfants avaient dû relayer les chefs de famille éloignés, sur le front ou en captivité. Les distances entre individus de classes sociales différentes ou d’âges multiples s’avéraient réduites.

L’autorité amoindrie

L’éducation s’est donc effectuée avec une autorité amoindrie, en l’absence des pères : les marges de laisser-aller ont pu s’accroître. Et, comme Georges Lapassade en a fait la constatation : « Les caractéristiques de l’adolescence tendent à devenir, dans la civilisation contemporaine, un des caractères universels et permanents de l’existence » (1), avec ce qu’elles comportent d’irrévérence et de contre-dépendance.

Une dépression des rôles et modèles de comportement, une déflation de leur ordonnance et de leurs cloisonnements se sont donc progressivement propagées dans les après-guerres. Les autorités reconnues, les paternalismes ou machismes consacrés se sont vus de plus en plus décriés.Tous les corps sociaux ont subi une cuisante dévaluation. Celle-ci a profité aux strates sociales jusqu’alors infériorisées : le prolétariat, les peuples colonisés, le petit monde du spectacle et des médias, le sexe féminin et la jeunesse.

En revanche, évêques et cadres, savants et officiers, patrons ou poètes, professeurs ou responsables politiques ont vu leur prestige s’affaiblir ou fluctuer. Les enseignants eurent aussi, plus tardivement, à le déplorer. Les valeurs, déplacées de leur échelonnement vertical et absolu, se sont donc progressivement disposées en localisation horizontale et en rapport réciproque, cependant que la notion de hiérarchie (étymologiquement commandement sacré) était fortement désacralisée.

On peut faire l’hypothèse que cette déchéance symbolique ou transvaluation (1) des situations et des rôles ou des statuts a été rendue possible en raison de la bascule d’un état de la civilisation que Lewis Mumford qualifiait de « paléotechnique » (2), fondé sur le rude maintien des distances et séparations entre les individus ou les groupes, vers un état néotechnique provoqué par leurs interactions technologiques. La civilisation se placerait ainsi à l’envers de la vision élitique de Nietzsche qui n’avait pu prévoir que la première phase des structurations sociales.

Sans doute cette inversion provoquerait-elle le raidissement désespéré des inspirations indo-aryennes, au long du XXe siècle, soutenant les totalitarismes.

Civilisations thalassocratiques ou civilisations aériennes

Il est vrai, nous sortons tout juste d’une suite d’époques marquées par l’affirmation des distances et des hauteurs, et caractérisées en quelque façon par la primauté radicale du sens de la distance, c’est-àdire de la vue.

D’une part, comme l’avait remarqué McLuhan dans ce qu’il avait appelé la galaxie Gutenberg, les informations nécessaires au pouvoir y étaient relevées et traitées par les yeux, dans les livres et leur typographie, ou par l’observation extérieure, à distance et sans échange. Et les décisions, monopolisées par un petit nombre de rôles, devaient être exécutées à distance et sans échange ni réplique. Le sens de l’ouïe, ainsi que les autres sens étaient serfs, liés à l’exécution.

D’autre part, comme les décrivait Fernand Braudel, les civilisations dominatrices étaient filles de la mer, thalassocratiques : « L’essentiel de l’Occident actuel et de ses dépendances n’est-il pas groupé autour de l’Océan, comme le monde romain, jadis, autour de la Méditerranée ? » (3)

Mais, dès lors, le modèle de l’organisation sociale, et donc du commandement, pouvait-il s’abstraire des contraintes et des usages maritimes : un seul maître à bord (après Dieu) ; une discipline de fer pour assurer l’exécution des ordres (sans communication réciproque possible) ; le maniement réservé des longues-vues et du porte-voix ou des cartes et des sextants consacrant la distance entre chaque décideur et la foule des exécutants vouée à la réception muette des ordres, cependant que se développait l’observation incessante des horizons et des lieux ainsi que l’utilisation des transmissions optiques et des sémaphores ?

Sous la pression de ces modalités de structuration socio-économique, la société était poussée à se scinder en deux fractions séparées strictement : celle des décideurs, en petit nombre et en vue, attachés à l’oligarchie bourgeoise (et au parlementarisme) ; et celle d’exécutants nombreux, agglutinés en masses émiettées, dont les tâches et même les vies privées étaient surveillées, comme le note Michel Foucault, selon le rêve panoptique de Bentham, toujours « à vue » (1).

C’est à l’acmé de ces époques que s’affirme le taylorisme, avec une volonté d’organiser également de loin et d’en haut, scientifiquement, le travail dans les ateliers. L’empire du regard distant et cloisonnant apparaît justement dans les pratiques du chronométrage et d’une observation servant à décomposer et recomposer, sans discussion, les gestes et les temps élémentaires de travail impartis aux travailleurs (2).

Dans le même temps et le même primat des distances, la bureaucratie se développe et travaille à l’écart des assujettis, dans l’anonymat du Château de Kafka. Et le rôle d’inspecteur s’impose. On reconnaît bien, dans les aboutissements de ces pratiques, l’ère des Temps modernes et du Dictateur, illustrée par Charles Chaplin, où des bureaux de méthodes (ou des partis) imposaient des occupations parcellaires, en miettes selon Friedmann, à des individus mécanisés et enrégimentés.

Cependant, a contrario, se préparait une revanche des sens asservis, notamment de l’ouïe, par la voie technologique ou technobiologique (comme la désigne Mumford), en raison des découvertes en électromagnétisme puis en électronique. Dans le dernier quart du XIXe siècle, Graham Bell inventait, en effet, le téléphone, assurant la réciprocité dans les échanges oraux. Cependant qu’Edison mettait au point le phonographe (ainsi que le télégraphe) permettant de conserver, stocker et reproduire les sons et les voix. Au tout début du XXe siècle, Branly et Marconi mettaient au point la transmission quasi immédiate par les ondes, des messages, transformant bientôt l’échelle des échanges multilatéraux et des communications à distance, cependant que l’aviation prenait son essor, reléguant la domination maritime (1).

Appuyée sur les ondes multipliées et les vols commerciaux ou militaires de même que sur les observations et informations par satellites, une civilisation aérienne allait dès lors émerger, contractant et démystifiant les distances ou les délais, favorisant les rapprochements et les mélanges de populations ou de catégories. « C’est soudain l’anticipation d’une fin, énonce Paul Virilio, fin du monde extérieur tout au moins, perte de terre autant que de vue, ... à l’avantage de l’action à distance des télécommunications. » (2)

Cette civilisation est basée sur la maîtrise des télécommunications aériennes (ou leur domination, comme la guerre du Golfe, en 1991, en a donné la démonstration militaire) ainsi que sur le développement des automatismes, c’est-à-dire des allers-retours rapides, des rétro-actions régulatrices ou feed-back, stimulant et soutenant les usages croissants de l’écoute réciproque et des échanges toujours plus immédiats. Et ces usages, rendant plus symétriques et directs les rapports humains, allaient être encore multipliés par les puissances de saisie et de calcul développées par l’informatique et les ordinateurs, permettant une miniaturisation des appareils de réception et d’émission et affinant la circulation et le stockage ou l’amplification des sons et des paroles comme des informations désormais aux mains de chacun, comme nous l’avons évoqué dans notre introduction.

Tous les sens étaient alors interpellés, provoquant un accompagnement vocal et musical individualisé aux activités les plus diverses (le walkman et le portable donnent l’exemple!). Le sens de l’ouïe, intériorisant les psychés, reprenait, en ces conditions, son importance face aux images, dans le cinéma devenu parlant puis par l’extension fantastique des émissions de télévision qui s’avèrent difficilement compréhensibles si on coupe le son qui les scande et porte leurs significations.

Le pouvoir désormais autonome acquis par les médias audiovisuels superposait leurs influences aux autorités sociales et relativisait les pouvoirs classiques, en séparation (et de séparation), distingués par Montesquieu.

Il en résultait l’ébranlement des distances hiérarchiques. De la sorte, la diffusion de plus en plus large des moyens d’expression, de sondages d’opinion ou d’écoute (l’audimat devait faire reculer l’inspection) allait, par la suite, éprouver culture et moeurs, amplifiant les exigences esthétiques ou les trépidations perceptuelles sonores et visuelles ou inséparablement audiovisuelles.

Intensités et incertitudes amplifiées ou brusquées

De la révolution impressionniste du siècle précédent au cubisme provocant et au dadaïsme, du mouvement symboliste au surréalisme, du wagnérisme à la naissance du jazz et plus tard du rock ou de la « techno », les courants esthétiques ont, en effet, bousculé les habitudes de perception feutrée et les canons de la beauté pudique.

La lumière crue et les couleurs vives sont entrées dans les intimités et les façons de vivre ou d’être. Rideaux et paravents ou masques et froufrous ont cédé au règne envahissant de la vitre et du verre ou de la nudité. Le dévoilement allait avec Freud jusqu’au plus intime de la personne et des liens sociaux.

Lewis Mumford put écrire : « La lumière brille partout dans le monde néotechnique. Elle filtre à travers les solides, elle perce le brouillard, elle est réfléchie par la surface polie des miroirs et par les électrodes. Avec la lumière, la couleur reparaît... La chaleur, la lumière, l’électricité et également la matière se révèlent toutes des manifestations de l’énergie » (1), mais également les sons et les significations.

Pirandello triomphait au théâtre avec la mise à nu de ses propres desseins de dramaturge, insérés sur la scène, comme dans Six Personnages en quête d’auteur. Transparence et sons et soupçons, conscience et inconscient, subtilité et brusqueries ont alors servi à des joutes incessantes et troublantes, de façon larvée dans l’entre-deux-guerres, puis avec une amplitude croissante depuis lors.

Car le mouvement et le changement l’emportaient irrésistiblement partout sur les apparentes stabilités et identités d’antan. Au niveau conceptuel, les théories de la relativité puis de la physique quantique bousculaient les perceptions habituelles du temps et de l’espace. « Le certain est remplacé par du probable », observe un astrophysicien. Même la matière, « au niveau des particules, s’est dissipée en une distribution diffuse de probabilités » (1).

Les certitudes scientifiques ou intellectuelles, esthétiques ou logiques, matérielles ou morales pouvaient donc vaciller. L’objectivité ou le déterminisme s’évanouissaient, la distance entre le bon sens populaire et les conceptions élaborées s’accroissait dangereusement.

Les constructions du passé se révélaient ambiguës, aussi bien réalistes qu’irréelles, au niveau d’énergies aux intensités de plus en plus élevées. Même les mathématiciens réformaient de fond en comble leur édifice majestueux et tout leur langage. Dieudonné a pu écrire en1980 : « Je crois, et sans exagération, qu’il s’est produit plus de mathématiques fondamentales depuis 1940 qu’il y en a eu entre Thalès et 1940. »(2)

Quant aux physiciens, gardiens du réel, ils avaient perdu celui-ci et se retrouvaient à sa recherche comme le titra Bernard d’Espagnat, optant « pour un réalisme non physique que l’on peut appeler théorie du réel voilé. »(3)

Lumière mais aussi contrastes et ombres ou bruits et voiles : dans cette civilisation de flux accélérés et de clair-obscur (à nouveau baroque), les conquêtes technologiques accéléraient les mouvements migratoires et les heurts ou les cris.

En Occident et ailleurs, les campagnes se dépeuplaient continûment, les traditions familiales et l’homogénéité sociale se défaisaient au profit de la famille nucléaire (plus ou moins isolée et fermée au sein des concentrations urbaines), l’hétérogénéité des peuplements étrangers devenait perceptible. Les communications allaient s’accroître démesurément. Et la multiplication des échanges favorisait les croissances économiques.

Mais si, dans les pays développés, la misère, « chienne du monde » (1) tant redoutée au début du siècle, était progressivement écartée, une insécurité, en raison des instabilités politiques, monétaires et militaires, la relayait cependant en dépit des progrès acquis. Précarisation ! Comment, dans ce tohu-bohu, les principes et les pratiques générales d’éducation seraient-ils restés invariants ? Le devraient-ils ? Jusqu’où ?

De nouveaux rapports familiaux

De fait, les conceptions de l’éducation et des rapports familiaux allaient se modifier en se relativisant, perdant leur aspect rectiligne pour se traduire en de multiples zigzags. Antoine Prost a décrit avec vivacité et profondeur les évolutions successives de l’École et la famille dans une société en mutation depuis 1930.

L’espace familial s’était resserré. Le mariage avait perdu progressivement ses caractéristiques de négociation collective et de destination économique. Le couple et sa réciprocité avaient émergé, l’amour physique avait été réhabilité, l’Église catholique avait célébré l’amour conjugal à partir de l’entre-deux-guerres. Une sensibilité nouvelle s’était développée « qui avoue une émotion, et comme un attendrissement, devant les tout-petits. Que le bonheur entre explicitement en jeu, désormais, dans l’éducation de la première enfance est le signe qu’une place centrale lui a été reconnue dans la famille, et d’abord dans le couple. » (2) Au-delà des conceptions nouvelles en puériculture, c’est toute la relation à l’enfant, puis au jeune, qui se transformait. L’amour recevait droit de cité, conjugal ou parental.

Une telle évolution ne s’est pas effectuée sans à-coups, ni conflits. Aux principes et pratiques coutumiers postfiguratifs, devenus incertains, tels que les qualifiait Margaret Mead(3), ont succédé des campagnes d’opinion en vue d’éclairer les couples sur la façon d’« élever des enfants capables d’élan, d’initiative », comme le conseille Irène Lézine, psychologue, chargée de recherche au CNRS.

Des pratiques cofiguratives ont donc été encouragées, les adultes se confortant pour éduquer de façon plus réfléchie, en fonction des théories psychologiques et médicales, en dialogue avec les enfants, en attendant que ceux-ci prennent la direction préfigurative des enjeux éducatifs (comme on le verra en 1968).

Cependant, la nouvelle méthode d’éducation ne s’est pas introduite sans raviver l’ambivalence des attitudes. Elle divisa les couples, ayant d’abord « séduit les mères... alors qu’elle menace directement le rôle masculin et viril du chef de famille, qui sait se faire obéir ». Les contradictions apparurent entre les affirmations idéales (on désapprouvait à plus de 80 % les punitions corporelles, dans une enquête, déjà en 1938) et les pratiques réelles.

L’affection accordée aux enfants a contrasté bientôt avec la croissance notable des divorces. Et la rigidité des mentalités se perpétua longtemps, en dépit de la proximité plus grande consentie aux enfants par les adultes. Ceux-ci ont tenté également de compléter l’encadrement de leur progéniture en les engageant dans des mouvements de jeunesse, avant de les pousser à des études prolongées.

Les mouvements de jeunesse

Dans l’entre-deux-guerres, de puissants rassemblements d’enfants et d’adolescents se sont, en effet, développés, en ville comme dans les campagnes : patronages, mouvements périscolaires (francs et franches camarades), scoutismes, jeunesses laïques et chrétiennes, colonies de vacances, centres aérés, auberges de jeunesse, indépendamment des embrigadements politiques.

Dans ces organismes, l’oscillation des considérations basculait en faveur de la valorisation des jeunes et de leur autonomie ; des responsabilités leur étaient confiées. Ils étaient associés à l’éducation d’eux mêmes et des autres. La société s’intéressait donc aux enfants pendant que s’amorçaient des pratiques et des théories de pédagogie nouvelle, hors de l’École mais aussi en son sein.

Les mouvements de jeunesse ont alors pris une ampleur considérable en l’espace d’une demi-génération : leurs responsables entendaient mettre en valeur l’initiative et le sens de la solidarité chez les jeunes. Il en résultait une conception nouvelle de la jeunesse, conscience d’elle-même et de ses luttes. Elle aspirait à une transformation de l’École. Mais cette jeunesse était bientôt conviée à assurer la relève des générations antérieures, aseptisées ou blasées (en Europe comme dans les pays colonisés), et à refaire le monde(1).

On ne s’étonnera pas d’observer que, partout, les jeunes aient pu ensuite s’enrôler dans les mouvements de combat ou de Résistance, rejoignant leurs aînés au cours et à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut bien la première vague de la jeunesse qui déferla sur les sociétés et les pays, quel que soit leur développement, soutenue du dehors par les politiques libérales des États-Unis et par les visées mondiales du marxisme, mais également stimulée par les renouveaux chrétien, juif et musulman.

En dépit de son reflux (vers les années 1950) et des ultérieures poussées d’intégrisme, cette première vague en amorcerait d’autres, dans le courant même des flux mondiaux.

Libérations et émancipations

Car la Seconde Guerre mondiale ouvrit la voie à de considérables changements sociaux et politiques. Au-delà des libérations successives, les plus notables ont été ceux qui sont intervenus à l’issue de la décolonisation – rapidement généralisée malgré de regrettables luttes retardatrices – mais aussi ceux qui ont suivi les progrès de l’émancipation féminine.

Des clôtures et des tabous sont tombés ; des idéalisations et des totems ont été déchus ; les racismes ont été provisoirement défaits et mis au pilori, même si des emprises violentes venaient recréer des servitudes. Le mythe indo-aryen a pu être rejeté, évacué.

La complexité croissante des sociétés et l’expansion exponentielle des technologies obligeaient désormais à placer les décisions au plus près des prises d’information, donc du terrain : selon des délégations de plus en plus larges de responsabilités, et en fonction d’échanges accélérés. Et ces pressions économiques entraient en résonance avec les conceptions développées par les sciences humaines qui infiltraient chaque jour davantage les structures sociales et leurs assises philosophiques ou psychiques.

Sous l’influence formidable de Nietzsche ou de Marx, de Freud ou de Sartre, de Rogers ou de Reich et Marcuse, pour ne citer que quelques noms, les interdictions et les liens institutionnels se sont progressivement affaiblis. Avec la réhabilitation du corps (déjà appelée par des phénoménologues tels que Merleau-Ponty et Goldstein), une libération sexuelle se produisit, se conjuguant à de multiples courants de démocratisation.

Des tabous se sont dissous. La mixité dans les écoles, interdite depuis des siècles, devint la règle. La régulation des naissances devint officielle avec la loi Neuwirth en France (1967), et l’interruption volontaire des grossesses se vit complètement soutenue avec la loi Veil (1974), en attendant le vote du PACS (1999).

Brassages et oecuménismes

Les échanges entre jeunes mais aussi entre adultes ont, d’autre part, poursuivi les brassages effectués par les mouvements des armées et l’exode des populations. Les courants culturels multiples se sont rencontrés et reconnus.

À la suite de Gandhi et de Teilhard de Chardin, de Jean XXIII et de Martin Luther King, puis de Jean-Paul II et du Dalaï-Lama pour ne citer encore que quelques personnalités, des poussées d’oecuménisme se sont manifestées dans les milieux religieux et même laïques.

Le succès des rassemblements organisés par les moines protestants de Taizé en a été l’une des plus claires manifestations. L’opposition entre les forces spirituelles et les puissances temporelles s’est atténuée.

Malgré des résistances et des soubresauts violents, les dogmatismes de toute nature ont progressivement perdu leur influence. Nikita Khrouchtchev a osé déclencher la déstalinisation que poursuivraient Gorbatchev et ses successeurs, harcelés par Soljenitsyne. Jean XXIII a eu l’audace de réunir un concile : son aggiornamento de l’Église catholique n’a cessé de provoquer des remous puissants. Sadate est allé à Jérusalem, au nom d’Abraham. Le pape Jean-Paul II irait y exprimer une repentance. Une sismologie sociale s’est manifestée (1) : elle ébranlerait à terme les dernières structures dictatoriales et totalitaires, mettant fin à la guerre froide, sans évincer totalement les intégrismes qui pouvaient s’exacerber.

Le besoin de savoir

On ne peut méconnaître, cependant, l’abaissement des idéologies et de leurs ostracismes radicaux ou de leurs prétentions immodérées à expliquer de façon réductrice le monde. Architectes, philosophes et sociologues ou penseurs ont récusé des barrières de séparation qui paraissaient définitives. La postmodernité a eu son heure.

Porté par l’ardeur des reconstructions matérielles dans les pays dévastés par la guerre, encouragé par une mystique de croissance continue, un besoin incoercible de bien-être mais aussi de savoir et de compétence a déferlé. En France, corrigeant les épreuves de la guerre et de l’Occupation, un renouveau démographique a témoigné d’une nouvelle ardeur de vivre à partir de 1945 et jusqu’aux années 1960.

Même s’il s’est amoindri depuis lors, il en est résulté, en quarante ans, une augmentation de presque 50 % de la population française. Mais cette croissance (ce baby-boom), accompagnant les progrès économiques, notable après trois quarts de siècle de stagnation, a été cependant mineure à côté des conséquences entraînées par la demande sociale d’enseignement.

Il s’est agi d’une véritable explosion scolaire vers le second degré, on l’a déjà évoquée, suivie d’une seconde onde de choc produisant une explosion universitaire.

Une fantastique crête d’espérance a, dans ces conditions, déferlé sur l’École et l’a emportée dans un tourbillon d’extension quantitative et de mesures incessantes d’ajustement, décuplant la plupart de ses dimensions, à la mesure des changements d’échelle de grandeur de la civilisation en mue. Elle multiplierait aussi ses problèmes et, par suite, les contradictions sociales de l’éducation.

 

 

 

 

 

 

(1) Si le terme est d’Alain Finkielkraut, il peut s’appliquer à d’autres intellectuels insatisfaits comme l’indiquent les titres de leurs écrits polémiques.

(2) L. Cros et alii, Gustave Monod, CEMEA, Paris, 1981, p. 94.

 

 

 

 

(1) L’expression est de L. Cros qui l’a donnée comme titre à un ouvrage paru en 1961, dans les Publications du comité universitaire d’information pédagogique. La seconde explosion scolaire lui succéderait trente ans plus tard pour les lycéens.

(2) Les chiffres récents peuvent être consultés dans les Repères et Références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, publiés annuellement par la Direction de la programmation et de la prospective, anciennement Direction de l’évaluation (DEP), antérieurement Service de la prévision, des statistiques et de l’évaluation (SPRESE et plus anciennement SEIS ou SIGES) du ministère de l’Éducation nationale. C’est l’exemplaire de 1999 auquel nous empruntons les chiffres cités dans ce chapitre. Nous avons également pu utiliser pour des chiffres plus récents les chiffres communiqués par la DEP pour la rentrée scolaire 1999 ou ceux contenus dans Éducation et Formations, « Scénario de développement du système éducatif, 1991-2000 ». On trouvera aussi des chiffres importants dans l’ouvrage d’Antoine Prost L’Enseignement et l’Éducation en France, tome IV, op. cit., pp. 22 et sq. Cet auteur note la difficulté d’établir les chiffres, compte tenu des changements multiples opérés selon les moments.

 

 

 

 

 

(1) Voir les chiffres des tableaux de V. Isambert-Jamati, dans Crise de la société, crise de l’enseignement, PUF, Paris, 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) « L’objectif que nous nous assignons... : mettre à la disposition d’un large public des séries statistiques propres où les erreurs, les insuffisances ou les discordances auront été signalées à l’attention de l’utilisateur. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) « De nombreux enseignants ont été engagés à titre temporaire, non titulaires, et ont eu sur le tas leur formation pédagogique. Cette situation s’est retrouvée plus tard dans le secondaire. Des étudiants n’ayant pas encore terminé soit leurs études, soit leur formation pédagogique, ont été nommés à des postes vacants. Ce fut le cas notamment au Danemark, aux Pays-Bas, en Autriche, au Royaume-Uni, en France. » Aux États-Unis, des enquêtes faites entre 1955 et 1958 dans nombre d’États « ont montré que la majorité des professeurs n’étaient pas diplômés à titre principal dans la discipline scientifique qu’ils enseignaient » (Marcel Postic).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Allusion à l’ouvrage de François de Closets, Toujours plus, Grasset, Paris, 1982, où l’auteur décrit la quête, individualiste ou catégorielle, d’avantages croissants mais cachés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir Éducation et Formation, « Scénarios de développement du système éducatif 1991-2000 », ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation et de la prospective.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir la revue Éducation et Gestion, Paris, INAS, no 9, 1967, p. 35.

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, Les Lycées et leurs études : rapport du groupe de travail national sur les seconds cycles, ministère de l’Éducation nationale et CNDP, Paris. 1983. Notamment : « Les taux de scolarisation à seize ans dans le second cycle long, général et technique, varient du simple au double. Dans certains départements méridionaux, comme la Haute-Garonne, les Alpes-Maritimes ou les Hautes-Pyrénées, plus de 45 % des jeunes de cet âge sont accueillis dans le second cycle long. À Paris, ils sont plus de 60 %. En revanche, ils ne sont plus qu’un quart dans la Meuse ou la Haute-Saône. » Et p. 236 : « On compte en moyenne 2,7 lycées (publics ou privés) pour 1 000 adolescents de seize ans, mais cet indicateur sommaire tombe à 1,5 pour l’Oise, l’Eure, le Pas-de-Calais ou le Loir-et-Cher, tandis qu’il dépasse 4 pour l’Ardèche, la Haute- Loire, les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes. » Ou encore : « Là... où le réseau de lycées est sous-développé, les places en Seconde, voire en préparation de CAP ou de BEP sont rares et donc chèrement disputées : la sélection est beaucoup plus forte et les éliminations plus nombreuses.À résultats scolaires identiques, il est plus difficile d’entrer en Seconde à Vesoul ou Verdun qu’à Toulouse ou Tarbes. »

 

 

13

Explosions scolaires et universitaires

On ne peut manquer d’être stupéfait par l’ignorance habituelle à propos des changements et bouleversements survenus aux systèmes éducatifs. L’histoire n’est pas aimée !

Cette ignorance (ou inconséquence) est patente chez de grands journalistes, parfois attentifs à les décrier (et à oublier les efforts consentis pour ajuster leur volume aux dimensions nouvelles de la demande sociale), comme chez les enseignants eux-mêmes (même s’ils se sentent simultanément infériorisés et renforcés par l’ampleur de leurs propres effectifs). Il en résulte une méconnaissance des changements (entretenue par quelques mécontemporains (1)).

Sans doute, l’École est traditionnellement incriminée, selon l’imbroglio de nos démêlés nationaux. La débâcle de 1940 n’a pas manqué, comme celle de 1870, de provoquer de véhéments réquisitoires contre ses modalités et son fonctionnement. La suppression provisoire des Écoles normales en 1940 en fut une des manifestations. Cependant, dans les camps de prisonniers et dans les maquis, des conceptions réformatrices s’ébauchaient.

Il en résulta la création, dès la Libération, des classes nouvelles sous l’impulsion de Gustave Monod qui avait déjà participé en 1933, comme directeur de Cabinet du ministre Anatole de Monzie, à la transformation du titre officiel d’Instruction publique en celui d’Éducation nationale. Le départ à la retraite, en 1952, de Monod marqua l’affaiblissement de cet effort de rénovation fondé sur une pédagogie innovante, associant « la liberté à la discipline, le sens de l’effort et l’intérêt souvent passionné pour l’étude » (2).

Mais une commission, d’abord présidée par Paul Langevin puis par Henri Wallon, était chargée d’élaborer de nouvelles dispositions, en application du projet scolaire conçu par la Résistance : elle publia en 1947 des recommandations connues sous le nom de projet de réforme Langevin-Wallon, dont la rédaction fut assurée par Roger Gal.

Ce projet prévoyait une organisation du système scolaire en trois cycles : un premier cycle de sept à onze ans, un deuxième cycle de onze à quinze ans (cycle d’orientation), un troisième cycle de quinze à dix huit ans (cycle de détermination).

C’est ainsi qu’en avance sur l’époque, il préconisait la prolongation de la scolarité. Quoique décrié ou oublié, ce plan se verrait à terme appliqué en la forme d’une première puis seconde « explosion scolaire », (1).

L’explosion scolaire

Dès sa reprise du pouvoir, une ordonnance du général de Gaulle prolongea, en 1959, la scolarité obligatoire et gratuite jusqu’à seize ans : la réforme Berthoin organisait donc un premier cycle du second degré (de la classe de Sixième à celle de Troisième) étendu enfin à tous les enfants.

Aux quelque 400 000 élèves de niveau « collège » (scolarisés en 1939 dans les classes analogues des lycées et collèges, publics ou privés, ainsi que dans les écoles primaires supérieures de l’époque) ou aux un million et demi des années 1960, on peut alors comparer le total de plus de 3300000 collégiens à la rentrée 1999 dans ce premier cycle : plus de huit fois plus en soixante ans (2).

Plus précisément, on peut opposer aux 23 000 élèves des classes de Sixième (de type lycée ou collège d’avant-guerre) les plus de 800000 élèves (redoublants inclus) abordant dans les collèges actuels des études d’ambition analogue (et même accrue par l’adjonction de plusieurs disciplines et l’alourdissement des programmes) : des années 1940 aux années 1990, quarante fois plus !

Si l’on regarde l’évolution des effectifs dans tous les établissements secondaires (EPS et CEG compris pour les époques où ils existaient indépendamment des autres établissements), ceux-ci s’élèvent de plus de 600 000 de 1945 à 3160000 en 1960-1961, puis 4100000 dix ans plus tard, pour se stabiliser de 1980 à 1999 à 5500000 élèves, soit dix fois plus qu’à la Libération et qu’avant la guerre (1), en dépit d’une baisse de la démographie.

Redétaillons. En ce qui concerne le nombre des bacheliers, au terme du second degré, il est passé de :

– 27 777 en 1940 ;

– 32 362 en 1950 ;

– 59 287 en 1960 ;

– 138 707 en 1970 et 167 307 avec le bac technique ;

– 159 769 en 1980 et 222 429 avec le bac technique ;

– 226 901 en 1989 et 347 770 avec le bac technique ;

– plus de 430 000 en 1992 (cette fois avec les bacs technique et professionnel) où il dépasse la moitié d’une classe d’âge ;

– plus de 500 000 en 1999 où il concerne plus de 60 % d’une classe.

Une telle croissance est éloquente et indique assez les efforts qui ont dû être accomplis par tous les acteurs du système éducatif : enseignants, administratifs, responsables de tous niveaux mais aussi élèves et parents. On doit regretter que de tels effectifs ne soient pas reconnus. Mais, controverse oblige ! en France ?

Précisons encore. Entre 1960 et 1970, période au cours de laquelle éclate la première explosion scolaire, la hausse du nombre de bacheliers dépasse 11 % en moyenne chaque année. Si, avant guerre, la proportion du nombre de bacheliers d’une génération oscillait autour de 4 % (et de 5 % en 1950), il s’agit maintenant d’une proportion de plus de 60 % : et la progression n’est pas arrêtée. Notons en 1990 au plan des meilleures réussites :

– environ 18 % de mentions Assez bien (de 12 à 14/20) ;

– 4 % de mentions Bien (de 14 à 16/20) ;

– 0,6 % de mentions Très bien (au-delà de 16/20) ;

soit encore plus de 2 000 élèves obtenant la mention Très bien. Et au total des mentions, plus d’un quart d’une classe d’âge. Les élites se portent bien. Et cela continuerait encore...

Pour les élèves accédant à l’enseignement technique professionnel, on peut constater que celui-ci s’est aussi, en quelques années, puissamment développé : aux dizaines de milliers de diplômes délivrés avant 1939, on peut comparer les près de 400 000 certificats et brevets (CAP, BEP), décernés depuis, en 1990 pour les niveaux d’emploi V (ouvrier ou employé qualifié) ; les plus de 200 000 de niveau IV (technicien) dès 1998 ; les chiffres des baccalauréats technique et professionnel sont eux aussi en croissance. Jouxtant 150 000 pour le premier et 80 000 pour le second, ouvert à partir de 1987 pour 5 spécialités, puis 26 en 1991. On doit noter encore l’accueil de 350 000 jeunes dans des centres d’apprentissage. Tous ces chiffres sont, chaque année, en voie de croissance.

À l’autre bout du système scolaire, une montée significative des effectifs d’enfants à l’école maternelle s’est également produite, sous la pression des familles et en raison de l’évolution de la condition féminine.

Les chiffres de scolarisation en maternelle doivent également être multipliés par neuf : près de 400 000 enfants en 1938-1939 ; stabilisation vers deux millions et demi, soixante ans plus tard. On estime que la scolarisation en préscolaire est pratiquement totale, à l’issue de divers programmes de planification, pour les enfants de trois à six ans ; le taux de scolarisation dépasse 35 % pour les enfants de l’âge de deux ans. Ce qui correspond à une scolarisation de plus de 50 % des enfants qui ont effectivement deux ans à la rentrée (ceux de moins de deux ans ne peuvent être scolarisés).

L’accroissement des capacités d’accueil en maternelle est venu compenser la baisse récente des effectifs dans l’enseignement élémentaire où la scolarisation était déjà considérée comme totale avant guerre entre six et treize puis quatorze ans (avec nombre de réserves sur la précision des chiffres anciens, comme l’expose l’étude de Jean- Noël Luc sur La Statistique de l’enseignement primaire aux XIXe et XXe siècles (1).

Au total, les effectifs des enseignements préscolaires et élémentaires (à la différence des pays voisins comme l’Allemagne qui ont subi des baisses importantes de leurs populations scolaires) se sont stabilisés, en France, autour de six millions et demi d’élèves contre un peu plus de cinq millions et demi en 1938-1939 et de 6,2 millions dans les années 1950 durant lesquelles les élèves restaient pourtant davantage en classes primaires. Pour le second degré, les effectifs, nous l’avons déjà rappelé, ont dépassé la barre des six millions d’élèves, avec l’apport des enseignements agricoles et des CFA.

La multiplication des moyens

On n’étonnera personne en soulignant également la multiplication des moyens en personnel et en locaux qui ont dû accompagner, ou plus exactement rejoindre, tant bien que mal, ces changements d’échelle dans les effectifs scolaires.

Le nombre des instituteurs et professeurs des écoles, publics ou privés (ceux-ci représentant 12 % du total), passe de moins de 200 000 en 1950 à près de 350 000 (plus de 40 000 enseignants du privé sous contrat compris), s’accroissant ainsi largement.

Mais l’accroissement est plus sensible pour les professeurs du second degré ; leur nombre n’atteignait pas 40 000 à la veille de la guerre ; il jouxte ou dépasse 500 000 dorénavant (dont 20 % dans les établissements privés). Il faut ajouter que les professeurs du second degré sont aidés dans leur tâche par plus de 200 000 non-enseignants, dont deux tiers de femmes.

Les recrutements, massifs et accélérés mais irréguliers, qui se sont avérés nécessaires dans les années 1960, pour assurer les enseignements, ont été trop souvent difficiles, sinon aléatoires : ils ont fait l’objet d’amères critiques, portant un doute souvent injuste sur leur qualité, en France comme dans la plupart des pays développés (1). Ces problèmes semblent en voie de dépassement.

En ce qui concerne les ensembles immobiliers du domaine scolaire, ils se sont multipliés et diversifiés. Il est possible de dénombrer présentement, en 2000 (secteurs publics et privés réunis), en chiffres ronds :

– 20 000 écoles maternelles ;

– 40 000 écoles élémentaires (dont 6 000 encore à classe unique) ;

– près de 7 000 collèges ;

– 4 400 lycées, dont 1 800 lycées professionnels.

Soit environ près de 300 000 classes mixtes dans le premier degré (dont 28 % de classes maternelles et presque 3 % d’enseignement spécialisé pour enfants handicapés ou à problèmes) et plus de 200 000 dans le second degré (dont la moitié à installation spécialisée).

Plus des deux tiers des bâtiments existants pour l’enseignement en collège et lycée ont été construits entre 1960 et 1980, dont plus de 2 000 collèges en moins de dix ans, de 1966 à 1974 : un ministre a pu dire que, chaque jour, un nouveau collège était inauguré, pendant dix années de suite. Les programmes de construction dans les années 1990 concernent principalement les lycées, à la charge des régions.

Il serait lassant de détailler les matériels, machines, appareils audiovisuels et vidéo, micro-ordinateurs appartenant au parc du système scolaire. Le coût des investissements réalisés est, au total, considérable.

La part du budget de l’État consacrée à l’Éducation nationale est, par suite, passée de 7 %, dans les années 1950, à 17 ou 18 % puis 20 % dans les années 1980. Et il a continué à croître.

L’effort consenti sous la pression des familles a bénéficié à nombre d’entre elles, en vue d’assurer la ponctualité scolaire.

L’aide aux familles s’est, en effet, considérablement développée : aux quelques dizaines de mille de boursiers dans le second degré, avant guerre, il faut opposer le million et demi de bénéficiaires actuels, soit près d’un quart des élèves du second degré.

Dans le cadre des subventions, il faut ajouter que plus de trois millions d’élèves prennent un repas quotidien dans les établissements secondaires, à un prix avantageux, et que deux millions d’élèves du premier et du second degré bénéficient des transports scolaires largement subventionnés (soit plus de 2 000 francs annuels par élève).

On ne peut oublier non plus la gratuité assurée à tous les degrés, les allocations attribuées aux familles pour les frais de rentrée scolaire, ainsi que la fourniture gratuite des manuels essentiels à tous les élèves de collège.

Il en résulte, comme charge générale pour l’État, dans les établissements publics seuls, un coût moyen annuel, par élève, de plus de 20000 francs (dont 1/10e pour les dépenses de fonctionnement des établissements). Les dépenses moyennes varient naturellement beaucoup selon le niveau de l’enseignement, respectivement en 1986 et 1998, en francs 1998, de l’ordre, par élève, de :

– 16000 francs à 24 600 francs pour un élève de maternelle,

– 19700 francs à 24 800 francs pour un élève du premier degré,

– 30700 francs à 41 500 francs pour les collèges,

– 39300 francs à 52 300 francs pour les lycées,

– et plus de 40 000 francs pour leurs classes supérieures, à 64 500 francs pour les sections de techniciens supérieurs et près de 80 000 francs pour les « préparatoires » aux Grandes Écoles.

À ces dépenses s’ajoutent les subventions régionales ou locales et les dépenses des familles.

Il pourrait paraître excessif d’avoir présenté tous ces chiffres comparatifs qui n’ont été que trop rarement rassemblés. Pourtant, les Français sont trop habituellement ignorants des dimensions considérables prises par leur système éducatif, l’un des plus unifiés du monde. Ils l’ignorent ou l’incriminent, mais ils n’ont guère conscience du soutien étatique dont ils bénéficient, auquel il faut désormais ajouter les apports régionaux, départementaux et communaux.

Ils ne se rendent guère compte de l’originalité de nos conceptions scolaires, modelées par des normes nationales (de programme, de cursus et de procédures) sur toute la surface d’un pays qui s’affirme pourtant si jaloux des libertés et des parcours individuels.

Loin d’être satisfaite par les progressions réalisées, chaque famille française demande toujours davantage à l’État pour encadrer ses enfants puis ses adolescents de l’âge de deux ans jusqu’à vingt-deux ans. L’explosion universitaire devint inévitable dès la fin des années 1960 et au terme des Trente Glorieuses de notre économie. L’enfance devait s’allonger : « Toujours plus ! » (1)

L’explosion universitaire

Dans les années 1960, le taux moyen de croissance annuelle des effectifs d’étudiants a dépassé 10 %. Leur nombre, qui avoisinait 75 000 avant la guerre de 1939-1945, atteint en 1988 un palier très provisoire de 1 500 000 (universités, grandes écoles et facultés privées incluses) : soit vingt fois plus. Le stade de deux millions est enfin atteint en 1992, où il se maintiendra, oscillant autour de 2 100 000.

Plus d’un tiers des étudiants est inscrit dans les établissements de la région parisienne : plus de la moitié est du sexe féminin depuis 1982. 12 % sont d’origine étrangère.

Les enseignements supérieurs, au lieu de quelques dizaines de milliers avant guerre, décernent annuellement, déjà pour l’université seule, plus de 400 000 diplômes : dont, en 1998, plus de 10 000 diplômes de doctorat (avec 600 en médecine et 118 en pharmacie) mais également près de 25 000 diplômes d’ingénieur et 10 000 diplômes de commerce et de gestion. Ces chiffres peuvent être largement dépassés, année après année.

L’effort de développement de l’enseignement technologique au delà du baccalauréat (dans des sections de techniciens supérieurs des lycées et dans des instituts universitaires de technologie créés auprès des universités à partir de 1966) permet d’autre part en 1997 l’attribution de plus de 120 000 diplômes (niveau d’emploi III) de techniciens supérieurs après deux années de formation de bonne qualité, comblant un déficit de compétences moyennes qui se faisait fortement sentir dans l’industrie française.

Dans le domaine des effectifs, il ne faudrait pas non plus oublier la croissance rapide depuis la loi de juillet 1971 des actions de formation continue qui ont intéressé dès 1990 près de cinq millions et demi de stagiaires (dont deux tiers de femmes), absorbant en 1996 un budget de cent quarante milliards de francs (dont presque la moitié venant de l’État, autant des entreprises et 10 % des régions) et couvrant plus de 900 millions d’heures-stagiaires d’enseignement (dont un tiers réalisé par les établissements scolaires et universitaires). Plus de 750 000 agents du ministère de l’Éducation nationale ont aussi bénéficié de plus de 800 000 semaines de formation continue, soit pour presque deux tiers de leur effectif global.

Une telle croissance des enseignements supérieurs, explosive, a requis des recrutements massifs de professeurs. Le corps enseignant du supérieur, qui comprenait moins de 2 000 titulaires en 1935, en comptait désormais, à la fin du XXe siècle, près de 80 000 (dont un quart de femmes), auxquels il faut ajouter 50 000 personnes non enseignantes.

Il fallut aussi créer de très nombreux campus ; des immeubles et de nombreux laboratoires ont dû être édifiés en hâte. Les enseignements supérieurs comprennent en fin de siècle 90 universités, 240 écoles d’ingénieurs, 290 écoles supérieures de commerce et d’administration, plus de 100 instituts universitaires de technologie, auxquels il faudrait ajouter plus de 2 000 autres institutions (de très haut niveau ou plus modestes).

Près de 20 % des étudiants et de 30 % d’élèves de classes préparatoires ou de techniciens supérieurs reçoivent l’aide de l’État par des bourses : en 1990-1991, pour plus de 270 000 d’entre eux ; en 1998- 1999 plus de 400 000. Largement subventionnés, les restaurants universitaires offrent 150 000 places en self-service. Les cités universitaires ou les foyers agréés accueillent également 115 000 étudiants dans des conditions avantageuses.

L’action sociale pour les étudiants entraîne par suite une dépense de plus de trois milliards. Mais l’effort public consenti pour chaque étudiant s’établit, en 1988, à environ 20 000 francs en université, mais plus de 30 000 en IUT et 60 000 en formation d’ingénieur. En 1998, les chiffres correspondants sont de 40 000 en université, 60 000 en IUT et 80 000 en préparatoires et Grandes Écoles. Contrairement à de nombreux pays, la France assure aux étudiants leur cursus supérieur la plupart du temps en gratuité, avec des tarifs d’inscription relativement faibles.

Une expansion quantitative du système universitaire de cette ampleur n’est sans doute pas terminée, comme cela est affirmé dans les différents secteurs de l’opinion publique et des milieux politiques.

Des projections selon plusieurs scénarios prévoyaient 2 200 000 étudiants en l’an 2000(1). Ce qui fut atteint. Une telle importance ne devrait pas masquer (pas plus que dans le cas de l’explosion scolaire) la multiplicité des mesures de diversification de ses structures : avec, notamment, le passage à une répartition du cursus universitaire en trois cycles (et cinq à six degrés de certification) au lieu de la répartition binaire d’antan (licence, puis doctorat), mais aussi avec la prolifération de filières multiples. De telles diversifications et certains regroupements ne sont pas encore terminés.

Le système universitaire (comme son homologue scolaire) s’est, en fait, profondément compliqué, comme la société elle-même, sous la pression des aspirations populaires et des emballements technologiques. Et ses différents partenaires ont été emportés, dans le cyclone double de la complexification et, paradoxalement, de l’homogénéisation.

Complexification et homogénéisation

La complexification de la vie sociale et de l’éducation ne s’effectue pas de façon régulière et avec opportunité. Retards, décalages, improvisations, inadaptations et destructions la ponctuèrent.

Il faut préciser également la rotation rapide des ministres de l’Éducation nationale. À quelques exceptions près (Rouland et Duruy au XIXe siècle qui ont duré plus de six ans, Fouchet et Jospin au XXe siècle pour plus de quatre ans), on a pu constater, en 1967, qu’Alain Peyrefitte a été, suivant les comptes, le cent dixième titulaire (ou le cent quatre-vingt-dixième en raison de ceux qui sont revenus dans plusieurs ministères ou en intérim) depuis la création du ministère (de l’Instruction publique à l’origine) en 1828(1).

Avec ces fluctuations de commandement, les recrutements des enseignants nécessaires alternèrent en lenteur et précipitation, mais aussi en perfectionnisme et laxisme, provoquant rancoeurs et désordres.

L’admission massive des élèves puis des étudiants perturba le fonctionnement routinier des établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur. L’aménagement des locaux fut rarement ajusté à temps à la mesure des effectifs. L’accueil des nouveaux élèves et étudiants était plutôt de nature à les déconcerter qu’à les mettre au travail.

L’orientation dans le labyrinthe des cursus proposés n’allait guère de soi. La rigidité des formalités et leur complication bureaucratique (par crainte des débordements de masse) contrastaient avec l’apparente libéralité affichée par le système éducatif.

La disparité des carrières offertes à la sortie des enseignements devait aussi surprendre ou décevoir. L’irrégularité des notations et des certifications s’avérait dissuasive avec ses caractéristiques de sélection sournoise ou masquée.

Au surplus, la distribution irrégulière des moyens et des filières d’enseignement entre les différentes régions appelait une protestation contre les injustices qu’elle perpétrait (1). Et l’évidence des inégalités des cursus offerts selon l’origine socio-économique ou socioculturelle des jeunes poussait à mettre en doute la démocratisation demandée et promise.

La multiplication des diplômes allait enfin accroître de façon aveugle la compétition entre les jeunes : mais elle devait aussi dévaluer les titres, obtenus massivement, en les banalisant et en réduisant les différences entre les individus.

Dans le même temps, bien plus que les adultes, les jeunes étaient soumis à des mouvements puissants d’homogénéisation. La montée générale des niveaux et des conditions de vie, le développement vertigineux des communications et des mobilités, le martèlement incessant des informations propagées instantanément par les médias, l’interaction accélérée des phénomènes mondiaux sur l’existence quotidienne et sur les structures locales engendraient des pressions croissantes de conformité éphémère.

La génération des blue-jeans, de la mode unisexe, des chevelures allongées ou raccourcies et colorées, d’un certain négligé ou de quelques recherches d’originalité convergeait avec l’émancipation féminine pour diminuer les différenciations traditionnelles qui séparaient les sexes et les classes sociales, surtout chez les jeunes, déjà marqués par la mixité établie dans tout le système scolaire (et même dans nombre de mouvements des jeunes).

Mais la compression de la jeunesse dans des structures statiques ou archaïques et dans des locaux vétustes allait renforcer sa cohésion.

Les moyens financiers dont elle se voyait pourvue, de plus en plus importants à mesure que la croissance économique se prolongeait, augmentaient ses chances d’autonomie mais aussi ses revendications.

Un puissant mouvement de syndicalisme étudiant allait se développer, réclamant un présalaire pour les étudiants au nom de la démocratisation mais aussi pour affranchir les jeunes de la tutelle familiale. Et ce mouvement influencerait les jeunes scolaires et contrarierait la vie familiale.

Des sociologues ou des psychanalystes inviteraient à décoloniser l’enfant et annonçaient déjà vaillamment la mort du père, après la mort de Dieu et la mort de la pédagogie ou peut-être aussi la mort de l’éducation (ou de son ministère...).

Adolescents et jeunes, teenagers ou salariés, étaient donc conduits à s’affirmer solidairement, en se différenciant de plus en plus radicalement des adultes.

Manières vestimentaires, choix musicaux, opinions libertaires, extension de l’usage de drogues, licences sexuelles allaient provoquer la nouvelle vague de la jeunesse.

Des modes successives permettaient de marquer le territoire d’émancipation : bandes multiples ; blousons noirs mais bientôt hippies ;Woodstock puis Jésus-Christ Superstar ; enfants du rock et aussi punks; maoïsme et gauchisme rapidement relayés par les intégrismes et les mouvements écologiques ; au travers des différents milieux sociaux, dans de multiples appartenances religieuses dans la plupart des pays.

Cette effervescence fut encore surexcitée par les luttes développées au cours de la décolonisation. Alors que les valeurs de la résistance à l’Occupation étaient encore dominantes, les jeunes Français se voyaient astreints ou promis à un service militaire prolongé, pour accomplir des actions de guerre contre des mouvements autochtones de résistance aux formes multiples du colonialisme.

L’impopularité de ces obligations et les tentatives de rébellion d’un quarteron de chefs militaires devaient souder davantage la solidarité entre les jeunes et faire apparaître les contradictions des adultes ainsi que l’establishment et notre goût des oppositions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) R. Boudon, Effets pervers et ordre social, PUF, Paris, 1977.Voir p. 18 : « La crise de l’éducation des années 1960 est certainement en grande partie le résultat d’effets de ce type : la croyance selon laquelle l’augmentation massive de l’éducation ne pouvait apporter que des bienfaits était démentie par les faits. » Et Boudon évoque l’aspect inéluctable « des effets pervers engendrés par l’interdépendance des agents sociaux ».

(2) P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Revue française de sociologie, no spécial, 1967-1968. Plus complètement, La Reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, éd. de Minuit, Paris, 1970.

(3) Christian Baudelot et Roger Establet, L’École capitaliste en France, Maspero, Paris, 1971.

(4) D. Hameline, Le Domestique et l’affranchi, éd. Ouvrières, 1977.Voir p. 178 : « Contradiction de l’École : tout le monde le sait, elle domestique et affranchit dans le même mouvement.» Et p. 183 : « Lorsqu’il est affronté, au même titre que qui que ce soit, aux réalités de l’élevage de sa propre progéniture, il n’est pas rare que le théoricien de la pédagogie ne doive abandonner beaucoup de sa superbe. »

(5) Notamment pour les enseignements supérieurs comme le mesurait une étude publiée en 1978 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) et l’Institut de recherche sur l’économie de l’éducation (IREDU) sous le titre : De l’inefficacité du système français d’enseignement supérieur.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ce serait 1,2 % du PIB en fin de siècle pour le supérieur.

(2) « L’examen, remarque M. Foucault dans Surveiller et Punir (NRF, Paris, 1975, p. 189), intervertit l’économie de la visibilité dans l’exercice du pouvoir. »

(3) G. Berger, Cahier de l’évaluation, CIEP, Sèvres, 1986.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid.

(2) A. Prost, Éducation, société et politiques, op. cit., p. 159.

 

 

 

 

(1) Pour une analyse approfondie, voir dans notre livre : Les Contradictions de la culture et de la pédagogie, DDB, Épi, Paris, 1969, le chapitre « Sismologie de Mai », pp. 229 à 270.

(2) P. Albertini, op. cit., p. 140.

(3) Le terme fut vulgarisé par D. Cohn-Bendit : voir P. Labro et al., Mai-juin 1968, ce n’est qu’un début, Éditions et Publications Premières, Paris, 1968, p. 33 : « C’est un thème qui revient souvent dans le langage de Daniel :“Ridiculiser. Il faut que les partis, les gens s’expriment pour se ridiculiser eux-mêmes.” »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ce texte qui « laisserait pantois » est cité par Thierry Desjardin, dans Le Scandale de l’Éducation nationale, op. cit., p. 142.

(2) Voir l’ouvrage d’un professeur de psychologie, sous le pseudonyme d’Épistémon (alias D. Anzieu), Ces idées qui ont ébranlé la France, Fayard, Paris, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., p. 183.

(2) Épistémon, op. cit., p. 19. Ibid., p. 128 : « Pendant que les étudiants, sur leur radeau ivre, réinventent les règles et les formes de la société civilisée, les professeurs réinventent, dans un salon, la société primitive. »

(3) M. de Certeau, La Prise de parole, DDB, Paris, 1968, p. 121.

 

 

 

14

Grandes manœuvres

(ou l’imbroglio retrouvé ?)

Vers les deux tiers du XXe siècle, la société française allait être prise en flagrant délit d’ambivalence à l’égard de sa jeunesse ou de ses institutions. D’un côté se manifestaient un intérêt affectif apporté aux enfants, le souci de les défendre, l’empressement à les pousser vers le savoir et les études afin d’assurer leur établissement.

Mais, d’un autre côté, le monde parental, marqué de façon critique par une enfance de privation, en raison de la guerre 1939-1945, à défaut de proposer un système vivant de valeurs attractives, se réservait un pouvoir de contrôle, maintenait en dépendance les jeunes et postulait des velléités de rigueur et de reprise en main à l’égard des adolescents et des jeunes adultes.

Ambivalence et contradictions

Pourtant, l’amélioration continue des moyens d’existence, le développement physiologique plus précoce des jeunes, la forte diminution des principes moraux affaiblissaient l’argumentation des familles. Celles-ci résistaient moins fortement à une libéralisation des moeurs, notamment sexuelles, dont l’exemple était donné dans les pays anglo-saxons et scandinaves (où la pornographie avait pignon sur rue).

Le soin pris à protéger les jeunes contrastait enfin avec la décision (pour les garçons) de les exposer tous, physiquement et moralement, aux risques indéfinis de guerres coloniales consenties par l’opinion adulte, en obligation pure, sans adhésion ni volontariat : car c’est le contingent entier qui fut envoyé en Algérie au long de six années, à partir de 1956 jusqu’en 1962. Six classes d’âge furent ainsi confrontées à la gravité de dizaines de milliers de morts, pour ne rien dire des blessés ni des pertes énormes du côté algérien.

À propos des contrastes et contradictions en éducation, Raymond Boudon élaborerait l’expression d’« effets pervers omniprésents dans la vie sociale et engendrés par la plupart des structures d’interdépendance », plutôt que par des oppositions simplistes dites « de classe » (1).

Mais Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron développaient, pour leur part, leur thèse de la reproduction (des discriminationssociales et de l’« héritage culturel » (2)), cependant que Baudelot et Establet observaient le conservatisme social d’une « École capitaliste en France » (3). Mondialement, comme on l’a rappelé, le fonctionnement des systèmes éducatifs était critiqué en raison de la stagnation de leurs résultats. Ivan Illich proposant après 1968 une société sans école, Daniel Hameline mettait en cause la tutelle scolaire (traitant sur « le domestique et l’affranchi » (4)). Un proviseur décrivait le lycée impossible ; certains dénonçaient vigoureusement la violence pédagogique et le directivisme abusif du monde enseignant.

L’ambiguïté était aussi manifeste dans les comportements institutionnels du système éducatif. On poussait les adolescents vers le collège, on les invitait à entrer dans les lycées et les enseignements supérieurs, mais les moyens accordés et les efforts financiers consentis par la société restaient à peine suffisants (très en dessous de ceux de la plupart des autres pays développés (5). Le total des dépenses de tous les budgets des ministères qui supportent des charges d’enseignement supérieur (0,51 % du PNB) n’était, malgré une croissance considérable entre 1956 et 1966, que le tiers du pourcentage du PNB alloué aux Pays-Bas, la moitié du chiffre correspondant en Angleterre et en RDA, un peu moins de la moitié des chiffres des pays de l’Est, et les trois quarts des chiffres de la Belgique, de l’Autriche et de la Suisse (1). Des idéaux et des mesures de démocratisation étaient solennellement annoncés, mais les analyses faites par les sociologues et les psychologues témoignaient de la dérive de leur mise en oeuvre.

Sélection et dissuasion clandestines

On n’a pas suffisamment tôt prêté attention aux mécanismes de sélection invisible et fonctionnant par dissuasion moralisante qui ont été et sont parfois sous-jacents aux procédures d’orientation, de redoublement et de notation (2), telles qu’elles se sont ancrées dans les habitudes scolaires en France, en dépit des alertes proférées par des chercheurs.

La docimologie, discipline française, créée au début du siècle, notamment par les travaux de Piéron,Wallon, et quelques sociologues et psychologues de renom, n’a pu, en effet, imposer une prudence sur la valeur relative (et conventionnelle) des notes ni surtout des moyennes (amortissant les meilleures performances par le rappel insistant des moins bons résultats).

Nos inclinations absolutistes n’ont donc pas permis de conjurer chez nous ou de réguler le processus du ressentiment des adultes à l’égard de la poussée des jeunes et le souci, souvent excessif, chez les enseignants mais aussi dans l’opinion, de ne pas aider trop de jeunes à réussir dans un enseignement disciplinaire, car on croirait courir le risque de dévaluer cet enseignement. Élitisme oblige ! ou pseudo-jansénisme selon lequel seul compterait un petit nombre d’élus et où importerait la détection anxieuse des fautes disqualifiant d’emblée les erreurs ou les inexactitudes et ignorances des jeunes en formation.

C’est ce qu’observe fortement le professeur Guy Berger : « L’échec joue un rôle important dans nos pratiques : un rôle positif. » Ce qui veut dire que le taux d’échec rassure l’enseignant (et les familles) sur la légitimité disciplinaire : « Si trop d’élèves parvenaient à obtenir la moyenne, le professeur aurait une bonne image de lui-même comme enseignant, mais il considérerait qu’il est un traître par rapport à sa discipline... Plus le taux d’échec est élevé, plus l’enseignant est rassuré sur la qualité et le niveau de ce qu’il enseigne, mais, en même temps, il est inquiet sur sa pratique pédagogique. » (3)

Il s’ensuit naturellement un cercle vicieux, où se retrouvent les ambiguïtés et les ambivalences de naguère : enseigner serait aussi bien dégager élitiquement les réussites scolaires de quelques-uns qu’établir un fond étendu d’échecs répétitifs, dans leur scolarité, pour beaucoup de jeunes taxés (républicainement ?) de l’épithète de mauvais élèves. Et l’application incorrecte de la courbe de Gauss, pour la répartition des notes dans l’échantillon signifiant de chaque classe, dévaluait aussi trop directement les nombreux élèves moyens.

De toute façon, que pouvaient opposer élèves ou familles à des chiffres, apparemment indiscutables et absolutisés en matière d’orientation et de cursus ? Le fait d’organiser une pédagogie de la réussite n’était donc pas facilement reconnu : « Quand on évoque ce problème avec les enseignants, constate un inspecteur remarquable, M. Masset, on entend assez souvent : “Si on fait comme vous dites, ils vont tous réussir, ils vont tous avoir de bonnes notes !” Panique! »(1)

Cette incitation à pousser à l’échec nécessaire (ou à ce qui pouvait être perçu comme des règlements de compte) est encore plus contradictoire quand elle concerne des jeunes soumis à une scolarité obligatoire dans laquelle ils sont enfermés en un collectif indistinct. Qui plus est, il en résultait une sélection prématurée, et donc injuste, imposée souvent de façon bureaucratique aux familles.

Pour que les décisions d’orientation qui en provenaient eussent été acceptables, il aurait fallu « que les pronostics sur l’avenir scolaire d’un élève fussent fiables ; or ils ne peuvent l’être, car trop de choses dépendent de l’élève lui-même » (2), mais aussi de l’établissement scolaire, réputé ou non, auquel il était assigné par la sectorisation ou l’habitude, au plus proche de son domicile.

Seules les familles d’enseignants et de cadres supérieurs, encadrant habituellement les associations de parents d’élèves, connaissaient le mode d’emploi du système pour obtenir l’admission de leurs propres enfants aux établissements sûrs comme aux filières élitiques. En ces conditions, l’opinion publique et parentale manifestait encore ses conflits intérieurs quand elle incriminait l’École en raison des échecs des élèves ou des étudiants, mais que, dans le même temps, elle comptait sur un taux d’échec élevé pour garantir les exigences de l’enseignement français et préserver le succès de ses propres poulains.

La dénonciation des conséquences ou contradictions parentales et sociales allait porter la nouvelle vague de la jeunesse vers une forme inattendue : ce furent les événements de mai 1968, hissant sur le pavois la contestation systématique (1).

Mai 1968

Soudainement, en pleine prospérité de la gestion Pompidou, mais à une échelle inouïe (dimensionnée aux explosions scolaires et universitaires), élèves et étudiants, critiquant les échecs et les évaluations scolaires, « les notes chiffrées, les compositions, les classements, les distributions de prix et les examens » (2), envahissaient par centaines de milliers les rues. Ils occupaient et ouvraient à d’autres jeunes ou badauds les édifices d’enseignement, prenaient en otages les corps enseignants, incriminaient les mandarins, complexaient toutes les familles, bloquaient l’activité administrative, mettaient hors jeu les responsables politiques, « ridiculisaient la puissance publique et l’establishment » (3), plaçaient au pouvoir l’imagination et la contestation, suspendaient toutes les activités économiques et sociales. Ils frappaient de paralysie l’organisme étatique.

Ils faisaient reculer la justice, poussaient à la grève et à l’occupation des lieux de travail près de six millions de travailleurs, obligeant à passer des accords nouveaux dans les entreprises après les négociations de Grenelle, menées par le Premier ministre Pompidou. Ils amenaient enfin, après un aller et retour incognito en Allemagne du général de Gaulle et un discours de quelques minutes à la radio, à une dissolution de l’Assemblée nationale et à de nouvelles élections, le tout en quelques semaines.

La France avait frissonné, la bourgeoisie eut chaud, l’État avait subi une apnée. Mais le Parti communiste et les syndicats aussi.L’ordre revenait. Les parents, soulagés, donnèrent du mou aux liens familiaux.

Le pouvoir politique, hésitant sur une « société nouvelle », concéda, six ans plus tard, la majorité et le droit de vote dès dix-huit ans. Le monde enseignant hoqueta. Le système scolaire donna de la gîte. Une réorganisation complète du système universitaire obligea les facultés disciplinaires à se coordonner au sein d’universités pluridisciplinaires par la loi d’Edgar Faure de 1968 votée à l’unanimité, fait rarissime ! Dans le premier et le second degré, les compositions et les classements comme les distributions de prix furent supprimés, à partir d’une circulaire du 6 janvier 1969, dans laquelle Edgar Faure constatait  « C’est un texte ancien, l’arrêté du 5 juillet 1890, qui a prescrit que, dans les compositions, chaque copie aurait une note chiffrée de 0 à 20. Il en résultait un classement linéaire. Or les études docimologiques qui se sont multipliées dans les vingt dernières années ne laissent aucun doute sur le caractère illusoire de la note et du classement obtenus. Le principe du classement lui-même a été contesté pour de fortes raisons. En vérité, ce qui importe, ce sont les progrès de l’élève par rapport à lui-même et leur constatation n’exige pas nécessairement une note chiffrée. Elle l’exige d’autant moins que l’importance de la place est presque toujours surestimée. »(1)

Sage constatation ! Le « contrôle continu » vint donc remplacer le train épisodique des compositions seulement trimestrielles : mais, bientôt, pour un marché de dupes ! Car chacun des multiples contrôles quotidiens prévus se moula dans l’esprit compétitif des « compositions» : il y eut donc prolifération des mises en comparaison, non plus une fois par trimestre, mais tous les jours, dans toutes les disciplines, entraînant par suite, pour chaque élève, un afflux de notes et de stress.

Il fallut recourir à des moyennes de moyennes, et même des moyennes « générales » de moyennes de moyennes, vite dénuées de sens, aggravant et absolutisant les écarts entre les élèves.

Au travers de la France entière, une fièvre de débats et de négociations persista : chaque établissement scolaire ou universitaire vécut plusieurs années au rythme agité d’un petit parlement constituant (le conseil d’administration) où élèves et étudiants furent admis. Les associations de parents d’élèves connurent un développement exponentiel. On vota à satiété. Et on discourut selon un marathon de palabres : révolution culturelle à la française, avec un petit signe de la tête pour honorer Mao Zedong et son livre rubicond ! (2)

La jeunesse avait critiqué la croissance économique, le consumérisme, la facilité de vivre dont elle avait bénéficié, le plein-emploi qui soutenait son assurance mais aussi toutes formes de répression et d’« interdit » ou d’autorité et d’absolutisme ou de conservatisme. Elle s’était acquis des droits au sein de la famille.

Et, pourtant, elle n’avait pu obtenir l’assouplissement des institutions et des procédures du système éducatif. Il est vrai que les enseignants, pourtant visés, avaient su à temps s’identifier aux étudiants : « Jamais le corps enseignant, observa Alain Geismar, dans son ensemble n’avait connu un tel mouvement de solidarité avec les étudiants. »(1)

Épistémon constata également l’axiome provisoire : « Il n’y a pas de différence de nature entre l’enseignant et l’enseigné. » (2)Voire ! Les modes d’examen, de concours, de contrôle, de directivisme, de mandarinisme se renforcèrent sourdement, sous la grâce du contrôle continu ! Les taux d’échec et d’élimination avec ou sans examen sur toute la surface des systèmes scolaire et universitaire, loin d’être réduits, s’accrurent. On compta encore en 1990 plus de la moitié d’échecs en première année d’université, même s’il s’agissait pour de jeunes étudiants d’un abandon relatif en vue de changer de voie.

L’École fut plus que jamais en question au moment où elle tentait de prendre tranquillement une revanche sur les jeunes. Ceux-ci avaient gagné une prise de parole, s’interrogeait Michel de Certeau. mais la parole a-t-elle effectivement redéfini la culture ? Y a-t-il équivalence entre prendre la parole et prendre les affaires en main? (3) Certains enseignants allaient paradoxalement répondre à leur façon en provoquant l’opinion

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) L. Géminard, L’Enseignement éclaté, Casterman,Tournai, 1973.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) B. Girod de L’Ain, in : François de Closet et al., Scénarios du futur 2.

(2) A. Savary, En toute liberté, Hachette, Paris, 1985, p. 140.

(3) M.T. Maschino, Hachette, Paris, 1984.

(4) Maschino, Hachette, 1984.

(5) In R. Albertini, op. cit., p. 160, ultérieurement à l’époque désignée.

(6) M. Jumilhac, Plon, Paris, 1984.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Savary. op. cit., p. 117.

(2) A. Prost précise : « La passion emporte parfois les critiques à des accusations si excessives qu’ils auraient dû en soupçonner l’invraisemblance. J.-F. Revel affirme, par exemple, dans Le Point du 21 mai 1984,que “tout enseignement au sens propre est désormais formellement interdit” dans les écoles élémentaires », in : Éducation, société et politique, op. cit., 1992, p. 177. M. Revel saurait persévérer dans ses outrances et dans Le Point, sans plus de précautions.

(3) A. Savary, ibid., p. 64.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Savary, op. cit., p. 113.

(2) Voir ibid., p. 126 : « Pour une large majorité de parents (58 %),l’enseignement privé apparaît comme un recours en cas de difficultés... » Voir également A. Léger, « Les stratégies des familles et le choix des établissements », in : La Décision dans l’Éducation nationale, PUF de Lille, 1992, p. 168 : « On constate que 35,3 % d’une génération d’élèves a utilisé, au moins temporairement, le secteur privé. » Ibid., p. 175 : « Le transfert apparaît alors à l’évidence comme une pratique de recours en cas d’échec... »

(3) Ibid., p. 63.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir A. Savary, op. cit., p. 42 : « Ces taux d’encadrement devaient être les mêmes, or les chiffres montrent qu’aucune contrainte financière n’a été imposée aux établissements privés en matière de recrutement des maîtres. Ainsi, de 1975 à 1981, alors que les effectifs scolaires dans le privé augmentaient de 4 %, le nombre d’emplois d’enseignants était accru de 13 %. En note : à titre de comparaison, durant la même période, les effectifs scolaires dans le public augmentaient de 9 % et le nombre d’enseignants de 7 %. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir A.Toffler, Le Choc du futur, Fayard, Paris, 1991.

(2) A. Savary, op. cit., p. 173.

(3) Ibid., p. 174.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Cité par Thierry Dejardins, Le Scandale de l’Éducation nationale, op. cit., p. 181, qui s’en délecte.

 

 

15

La revanche des adultes et des clercs

Car il y eut un deuxième round. Progressivement, l’opinion des adultes se mit résolument en mesure d’incriminer l’École. Les vieux débats, auxquels une sourdine avait été mise, reprirent de plus belle. Les doutes et leur imbroglio, auxquels les Français se rallient allégrement, s’explicitèrent. Il avait déjà coulé beaucoup d’encre pour tenter de comprendre et de maîtriser les événements de 1968. Il y en eut encore autant pour faire la leçon à l’institution scolaire et universitaire.

La structure de celle-ci n’avait que trop timidement évolué, alors que la distance parents-enfants avait considérablement diminué, mais en ranimant des nostalgies. L’ambivalence des rapports pouvait donc se projeter, cette fois, hors de la famille : elle s’institutionnaliserait dans l’École qui prétendait garantir l’avenir des jeunes alors qu’elle en décourageait un nombre croissant, juste au moment où s’amorçait, en effet, avec la crise pétrolière de 1973, une crise structurelle de l’emploi.

L’enseignement en 1973 demeurait éclaté, et ses cadres (c’est-à dire, aussi bien, « l’architecture scolaire et ce qu’elle implique comme concept pédagogique, la forme des programmes d’enseignement, le type de découpage du savoir, les modes de travail de l’élève, les relations entre les maîtres, les relations maîtres-élèves-savoir ») étaient restés constants alors que la société évolue vite et est contestée dans ses structures, de l’avis même d’un expert qui fut le doyen de l’Inspection générale (1).

Interrogations et crise économique

Les ouvrages soutenant l’institution scolaire prirent dès lors des titres interrogatifs : Écoles de demain ?, ouvrage publié en 1977 chez Delachaux et Niestlé par le conseil franco-québécois d’orientation pour la prospective et l’innovation en éducation ; Quelle éducation scientifique pour quelle société ? proposèrent sept auteurs aux Presses universitaires de France en 1978 ; Est-il possible d’enseigner les mathématiques ? surenchérit André Revuz, pour les mêmes éditions en 1980 ; L’École unique, à quelles conditions ? interrogea Louis Legrand, aux éditions du Scarabée en 1981; cependant que Louis Cros reposait la question : Quelle école pour quel avenir ? et que Francis Imbert interrogeait les enfants : Si tu pouvais changer l’École ? aux éditions du Centurion.

Entre-temps, la crise économique s’était appesantie. Au lieu du besoin dévorant en cadres, après les destructions de la guerre, pour bâtir les économies modernes, qui faisait que l’École poussait tout le monde vers le haut, la conjoncture s’était totalement inversée : « Maintenant, l’École devient une épouvantable pompe refoulante », décrit Girod de l’Ain. « Il faut qu’elle trie, il faut qu’elle sélectionne. Les élèves le sentent bien. » (1) Les parents et les professeurs aussi.

Mais bientôt le ton s’échauffa. Il y avait eu, en 1981, un profond changement politique. La nouvelle majorité, avec un programme commun de gauche, suscitait des espoirs ou des impatiences excessives en même temps que des hostilités véhémentes.

La problématique mesurée en éducation n’était plus de mise : ce fut donc la forme du réquisitoire (ou le discours de Cassandre), déjà rodée, qui redevint de rigueur, en dépit de la politique prudente menée par le ministre Alain Savary qui entendait « convaincre sans contraindre » (2).

Qu’on en juge sur les titres et les thèmes de l’année 1984. Voulez vous des enfants idiots ? (3), et même : Vos enfants ne m’intéressent plus (4). Mieux encore que L’Enseignement en détresse, ou que Le Déclin de la société enseignante (5) et Le Massacre des innocents (6) ; l’ouvrage d’un intellectuel républicain qui porte le docte titre De l’école n’en contint pas moins, comme on l’a déjà vu, des insinuations d’une volonté de génocide que révéleraient certains projets pédagogiques (évoquant même à leur sujet et sans rire Pol-Pot et les Khmers rouges).

Ce furent généralement des professeurs (souvent à contre-pied de leurs positions gauchistes de 1968) qui accusèrent leur propre institution, incriminant les responsables politiques, les syndicats, leurs collègues, les administrateurs, les parents, au nom de la liberté ou de la République, ou bien par référence jacobine provoquant à terme bref un sursaut girondin. « C’est ainsi que, sous couvert de la laïcité, observa Alain Savary, certains ont défendu l’uniformité et le jacobinisme au risque de ne pas bouger. » (1)

Par suite, on dénonça à tort et à travers des incompétences ou des complots, des haines et le mépris du savoir, l’absence de sélection (!) et le laxisme de notre système éducatif, le terrorisme qui serait exercé depuis 1968 par des médiocres sur les savants (ou bien-savants), des arriérations inadmissibles ou un progressisme insensé. C’était l’Apocalypse ! Le vertige de la chute du niveau ! Le pédagogisme ! (2)

Dans ce climat surchauffé, les parents qui avaient pris, en 1968 et depuis, le parti de leurs enfants se voyaient encouragés dans leur mouvement de récusation du système éducatif par le concours de ces quelques professeurs ayant parfois une notoriété scientifique, même s’ils n’avaient pas daigné étudier sérieusement le dossier complexe de l’École.

Une occasion serait donnée pour aller plus loin dans une période d’alternance politique où l’opposition de droite avait choisi comme terrain privilégié d’attaquer la majorité de gauche, amoindrie par ses déçus rigoristes, dans le domaine de l’éducation. Il fallait ranimer la vieille querelle laïcisme-cléricalisme et entrer dans son « dédale » (3).

Les controverses sur la laïcité

Incitées chez les uns et les autres par la promesse de la création d’un grand service public unifié et laïque de l’Éducation nationale (qui avait figuré, en 1981, dans les cent dix propositions de François Mitterrand, avant son élection présidentielle), les controverses relatives au statut de l’enseignement privé et de ses enseignants firent, en effet, monter les enchères.

À nouveau, il y eut des foules dans les rues, mais, cette fois (mis à part quelques groupes de jeunes), ce furent les adultes, les parents qui manifestèrent ! Le vieux débat de l’école laïque-école catholique se ranimait de façon fulgurante, et avec les formes de l’imbroglio national où chacun se retrouvait à l’aise sinon en clarté ! Le gouvernement, qui négociait avec l’épiscopat catholique, se vit donc contesté par une puissante marée de protestations (soutenues par l’opposition) auxquelles adhérèrent les familles dont les enfants allaient dans les établissements privés mais aussi dans les établissements publics.

Il y eut, en contrepartie, en mars 1982, une vive réaction d’impatience des troupes laïques, lors d’une manifestation organisée par le Comité national d’action laïque (CNAL), au Bourget, devant le Premier ministre Pierre Mauroy et Alain Savary, et réunissant 300 000 personnes. Ce dernier avait tenté de prévenir les surenchères dès le début de son discours : « Puisque le mot laïqueflotte sur notre tête comme un drapeau, il nous faut saisir l’occasion de restituer son message qui est de tolérance, et son objectif qui est de rassemblement. » (1) Ses propos, de part et d’autre, furent mal entendus, tant ils ne pouvaient l’être. Cependant, le libéralisme et le pluralisme en tant que références traditionalistes allaient l’emporter sur le laïcisme et le légalisme. Mais à condition, l’imbroglio jouant, que l’État assume toutes les dépenses d’éducation, tout en étant vilipendé.

Juin 1984

Car ce qui fut alors crié au cours de défilés (dont le plus important, le 24 juin 1984, regroupa un million de manifestants), ce fut, au nom de la liberté et d’un dépit contre l’État, d’une part, une remise à jour de l’École publique et de ses contraintes, majoritaire mais critiquée pour ses taux d’échec et de dissuasion, d’autre part, le recours potentiel à un enseignement de relais, l’enseignement privé (2), en cas d’insuccès dans le public.

Les efforts considérables réalisés par les responsables et les enseignants du public étaient injustement effacés. « J’aurais aimé, regretta Alain Savary, que les Français aient une conscience plus vive du rôle des enseignants, rôle aussi ingrat que magnifique. » (3)

L’insécurité de l’emploi en période de crise prolongée exigeait pour la jeunesse l’assurance d’une formation personnelle et professionnelle réussie ; elle incitait à des réflexes de survie de type individualiste et donc égalitaire, ainsi qu’à la contestation de ce qui apparaissait trop réglementaire et trop bureaucratique.

Mais alors l’inégalité entre les établissements ou les jeunes, les disparités locales et régionales de dotations et de qualité (avérée plus ou moins réellement), mais aussi le défaut de diplômes pour 15 % d’une classe d’âge, paraissaient insupportables, d’autant plus qu’elles étaient confuses et mal perçues, notamment aux dépens de l’enseignement public astreint aux charges d’accueil dans les zones difficiles. À défaut de bilan correct, l’égalité revendiquée pouvait donc soutenir la demande de traitement et de subvention identiques pour les établissements privés souvent idéalisés et qui avaient déjà bénéficié d’avantages pour leurs taux d’encadrement (1) par rapport à ceux du public, ainsi qu’une souplesse nouvelle dans les mesures d’affectation liées à la sectorisation.

Nombre de parents se sentaient trop exclus de la vie des institutions éducatives, alors que leur propre niveau culturel s’était élevé ; ils étaient vivement indisposés par le corporatisme des enseignants auquel ils se heurtaient ; ils se voyaient agressés par l’argumentation routinière, décrivant chez leurs enfants une sempiternelle baisse de niveau, comme on le verra plus loin.

Les parents avaient déjà mal interprété la proposition de Louis Legrand, dans un rapport de 1983 sur la rénovation des collèges, instituant auprès des élèves un rôle de tuteur pédagogique confié aux professeurs.

De la sorte, ils laissaient remonter du fond d’eux-mêmes, contre les professeurs, une rivalité d’influence face aux jeunes, leurs jeunes, dépendants si fortement de l’institution publique. Ils projetaient leur nostalgie d’une autorité réduite pour eux, accrue en dehors d’eux, dans l’École, et apparemment incertaine.

Ils regroupèrent leurs incertitudes mêlées au coude à coude d’une fraternité. Par une sorte de gigantesque psychodrame collectif (ou psycho- socio-drame), les parents vécurent leur histoire personnelle dans l’École d’antan : en forme de dépit ou en souvenir de lauriers, en frustrations différées ou en idéalisations étalées entre le passé et l’avenir. L’attendrissement ou le ressentiment sur le passé équilibrait l’émotion trop vive du présent ou le « choc du futur » (1).

Des critiques excessives, des procès de tendance profondément injustes sur les projets gouvernementaux, des positions radicales se développaient sur un roulement de rumeurs soutenues par des batteurs d’estrades politiciennes.

De part et d’autre, les humeurs étaient portées irrésistiblement par une houle de fantasmes et de rejet réciproque. Le chômage considérable des jeunes, partiellement consenti par l’égoïsme des adultes (arrivés, à meilleur compte que leur progéniture au temps de la croissance), était véhémentement reproché au pouvoir : il introduisait l’insécurité dans tous les foyers et quelque culpabilité diffuse dont on voulait se débarrasser.

L’État-providence n’apparaissait plus apte à sauvegarder comme autrefois la sûreté de la vie professionnelle, donc la liberté. Par suite, la liberté d’un enseignement privé (à 97 % catholique) servait à point, en tant que symbole, une revendication viscérale contre l’impuissance collective et singulière.

La défense de l’enseignement privé permettait de reprendre, au nom du monde adulte, la harangue lancée par les jeunes en 1968, contre l’appesantissement des institutions, l’écrasement de l’imagination et des initiatives privées (proclamées libres), l’ingérence de l’État qui, lui, n’aurait vis-à-vis des parents que des devoirs et non des droits.

On sait que le chef de l’État intervint. Il retira une loi conciliatrice sur l’enseignement privé déjà votée en mai 1984 à l’Assemblée nationale et qui aurait dû subir les tempêtes sénatoriales. Il créait une décompression mais provoquait la démission d’un grand ministre de l’Éducation.

Celui-ci avait pourtant réussi, avec le gouvernement, à proposer « par son projet de loi, des solutions qui constituaient pour la gauche une véritable révolution culturelle » (2), favorable à l’établissement d’une paix scolaire. Il pourrait, avant de mourir prématurément, écrire de lui : « J’ai toujours été attaché à la clarté et à la transparence. » (3)

Pause?

Un nouveau gouvernement fut chargé d’aménager une situation de temporisation. Les dispositions prises calmèrent les vagues. Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, s’exerça à moderniser avec habileté l’image (et les moyens, plus partiellement) de l’enseignement public, la dépouillant de traits jugés trop progressifs (ou gauchistes). Il annonçait à la tribune de l’Assemblée nationale, le 29 octobre 1985, le retour simultané de la rigueur et de la volonté de progrès : « J’ai insisté sur la nécessité d’une École exigeante et rigoureuse. C’est à ce prix seulement que l’École publique relèvera le défi de la justice sociale. Si l’École n’est pas exigeante, c’est aux enfants qui n’ont pas chez eux les incitations culturelles et les conditions morales favorables à la réussite scolaire qu’elle fera défaut. C’est à ceux pour qui l’École est le seul recours, le seul moyen de leur élévation qu’elle manquera. Pour les autres, il y a toujours la famille, les relations, les institutions privées. » (1)

Ces dispositions ont plu à la droite et à une partie de la gauche. Elles introduisaient néanmoins une équivoque en affirmant un primat d’« élitisme républicain » qui semblait s’opposer aux mesures pédagogiques assurant la démocratisation, dans la mouvance des propos de Jean-Claude Milner, ami du ministre.

Un conflit entre démocrates « réformateurs » et républicains « conservateurs » allait se développer, comme nous l’avons déjà rappelé et comme il semble se continuer à partir de ses sources anciennes. À l’encontre de l’égalitarisme qui avait triomphé de façon ambiguë, l’idéal républicain de toujours était réaffirmé ; il rappelait le bon vieux temps de la croissance économique et plus anciennement de la suprématie française en 1918. Un langage de communication plus directe avec les parents fut mis en honneur. Les liens avec le passé parurent donc établis ; le jumelage de l’institution scolaire avec le pays (et les entreprises) fut aussi assuré très largement et celle-ci fut tirée vers l’avenir.

Paradoxalement, la politique de Chevènement allait rapprocher l’École des entreprises (de quoi contrarier certains républicains). Se fondant, en effet, sur les travaux du haut comité Éducation économie et les projections établies par le BIPE, Jean-Pierre Chevènement tirait la conclusion que les entreprises utiliseraient de moins en moins d’ouvriers ou d’agents à faible niveau de culture générale et qu’il fallait donc orienter l’institution scolaire, comme l’avait annoncé Alain Savary, vers la perspective de 80 % d’une classe d’âge en Terminale.

Il décidait, en conséquence, la création d’un baccalauréat professionnel voué à un développement rapide car, contrairement aux pratiques des pays voisins, les entreprises françaises s’en remettaient totalement à l’État du soin des formations initiales des travailleurs.

Celles-ci étaient requises à la fois et contradictoirement comme assurant une insertion rapide à des emplois précis et cependant une adaptation facile aux incessants changements technologiques dans les emplois. Les objectifs définis par Jean-Pierre Chevènement ne seraient guère remis en cause ni par ses successeurs, ni par l’opinion publique.

Des programmes précis et délimités furent diffusés abondamment à tous les enseignants, en livre de poche. Le choix d’une méthode pédagogique personnelle y était reconnu à chacun, en mode pluraliste. Un cours d’instruction civique fut également ajouté aux programmes (déjà lourds !) des collèges.

Cependant, la rénovation entamée depuis dix ans, mais mise en forme depuis 1981, fut poussée en avant. La différence demeurait entre les établissements publics et ceux du privé, mais sans discrimination accusée dans les apports financiers ou réglementaires de l’État ou des régions.

Alain Savary avait mis en oeuvre, dès 1982, une politique de formation et de soutien pour les enseignants et tous les personnels de l’Éducation nationale. Des « missions académiques à la formation des personnels de l’Éducation nationale » (MAFPEN) furent instituées dans chaque académie, répondant concrètement aux voeux des personnels et de leurs syndicats pour une formation continue. Des instituts universitaires étaient prévus pour les formations initiales, réunifiées.

Les fantasmes de défense ou d’agressivité pouvaient se dégonfler et les vrais problèmes de l’École réapparaître. Au moins, aux enseignements supérieurs près... car il y aurait bientôt un troisième round ou, si l’on préfère, une nouvelle chance pour des grandes manœuvres, où les jeunes reprendraient à nouveau l’initiative (et le dessus !), en alternance !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir A. de Peretti et alii, Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, ESF, Paris, 1998, pp. 464 et sq.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J.-L. Derouet, École et Justice, Métailié, Paris, 1992, p. 65.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Dit Rapport de Peretti, La Documentation française, 1982, p. 340.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir Ph. Joutard et Ch.Thelot, Réussir l’École, Seuil, Paris, 1999, p. 165.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Pour avoir réuni dans de mêmes lieux des enseignants du primaire et ceux du second degré, désormais recrutés avec des titres universitaires de même niveau et disposant d’un statut égal ! Horreur pour les purs !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir deux ouvrages de base : Une École sans violences ? De l’urgence à la maîtrise, par Georges Fotinos et Jacques Fortin (Hachette Éducation, 2000); et Questions pour l’éducation civique, coordonné par Jean-Pierre Obin (Hachette Éducation, 2000).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Des difficultés surgirent aussi du côté des universités et du CNRS.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Le Monde du 26 avril 2000.

 

 

 

 

 

 

16

Cohabitation et manifestations

À la suite des explosions scolaire et universitaire, le système éducatif se voyait désormais reconnu comme une institution massive : au coeur d’une société elle-même enflée par l’énorme accroissement des moyens dont disposent les individus et les groupes ; au flanc d’une civilisation en mue, vrillée vers la complexité par des changements d’échelles de grandeur pour tous les phénomènes, matériels et sociaux.

Par ses ramifications et ses dispositions, l’École était devenue notablement complexe, sinon même chaotique : mais la vie moderne s’était elle-même et d’abord puissamment diversifiée. Les jeunes générations apparaissaient incomparablement plus hétérogènes que ne l’étaient les échantillons limités des générations d’antan qui étaient bénéficiaires des enseignements de l’École dans ses divers degrés : en face de quoi, les corps enseignants apparaissaient eux-mêmes profondément diversifiés et divisés, pour un métier de jour en jour davantage compliqué et par rapport à des attentes professionnelles et culturelles de plus en plus exigeantes et évolutives.

L’appréciation correcte des talents ainsi que des acquisitions intellectuelles et professionnelles avait pris désormais une importance considérable pour assurer une sélection équitable et productive entre les individus (1).

Automne 1986

Toutefois, l’équilibre des capacités et des connaissances ne cessait d’être remis en cause au sein de structures économiques et technologiques perturbées par d’incessants réajustements. De la sorte, des réactions explosives menaçaient imprévisiblement les rues et les établissements de toute la France, comme on s’en aperçut en novembre 1986, au faîte d’un raz-de-marée portant la troisième nouvelle vague de la jeunesse française.

En mai 1986, les élections législatives avaient redonné une majorité à la droite et au centre : il s’ensuivit un épisode de cohabitation entre un président de la République qui était socialiste et un gouvernement inspiré par une idéologie libérale, attaché à des privatisations et à une déflation des charges publiques. Ce gouvernement dirigé par le gaulliste Jacques Chirac avait à nouveau séparé un ministère de l’Éducation nationale, cantonné aux premier et second degrés, sous la responsabilité de René Monory, centriste, et un ministère des Universités, confié au professeur Alain Devaquet, personnalité estimée.

Une politique de réaction était alors conçue chez le Premier ministre, sous l’impulsion d’un vice-président d’une association d’extrême droite (UNI ou Union nationale interuniversitaire),

Il importait en effet à Yves Durand de casser la loi de 1984, organisant les universités, notamment dans leurs premiers cycles, et qui était due à Alain Savary : en vue d’enrayer la massification dénoncée dans les enseignements supérieurs et imputée à l’égalitarisme ambiant (même par des personnalités se pensant situées à gauche). Il s’agissait par conséquent d’accorder une liberté d’action très étendue (sinon totale) aux universités : pour la sélection des étudiants telle que chacune d’entre elles en déciderait, ainsi que pour la libre détermination des droits d’inscription aux cours, afin d’accroître leurs moyens non publics de fonctionnement. Une liberté de manoeuvre serait aussi consentie à la définition des enseignements et des cursus.

Une telle option, ultra-libérale, orientée vers l’élitisme et un pluralisme anti-jacobin, inquiéta aussi bien René Monory qu’Alain Devaquet. Celui-ci élabora, comme contre-feu, une loi plus modérée. Mais l’atteinte même légère portée à la qualité du baccalauréat ouvrant le libre droit aux enseignements supérieurs et à la quasi-gratuité de ceux-ci (confiés traditionnellement à la charge de l’État) allait enflammer aussi bien les étudiants, menacés dans leurs cursus et leurs intérêts, que les lycéens qui se sentaient visés. La loi Devaquet fut pourtant lue attentivement par la jeunesse française.

Rapidement, défilés, occupations d’universités, manifestations monstres se multiplièrent à Paris et dans toutes les provinces : un nouveau mouvement 1968, plus responsable, déferla, mobilisant des millions d’étudiants et de lycéens, sous l’oeil intéressé (sinon attendri) des parents, anciens soixante-huitards.

Le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, s’était fait fort de garder le contrôle de la rue avec des brigades de motocyclistes armés de matraques. Un étudiant, gravement et inutilement frappé, décéda. La mort de Malik Oussekine coalisa les jeunes et l’opinion. Alain Devaquet démissionna, sa loi fut abandonnée, le gouvernement dut recaler ses projets ultra-décentralisateurs. Restait entier le problème des dimensions massives qu’avait pris notre système d’éducation et celui des mesures d’organisation nationales et locales qu’elles nécessitaient en vue de répondre aux craintes sur le niveau, exprimées trop souvent de façon fantasmatique mais avec d’autant plus de force d’agitation.

Recentralisation et régionalisation

L’élection présidentielle de 1988 allait mettre fin à la première cohabitation.

L’homogénéité retrouvée et l’ouverture établie dans le gouvernement confié en mai 1988 à Michel Rocard entraînèrent à réunifier, à nouveau, sous une seule autorité, celle de Lionel Jospin, les ministères de l’Éducation et des Universités mais aussi celui de la Jeunesse et des Sports : l’unité manifestée par la jeunesse en 1986 avait montré la nécessité de traiter ensemble les problèmes variés la concernant, en réduisant les antagonismes d’administrations référées à des autorités distinctes. Jacobinisme nécessaire !

Le nouveau ministre entreprit alors de mener à bien les réformes préparées par Alain Savary. Au-delà de grèves des enseignants qui militaient à juste titre pour une réévaluation de leurs traitements, il réussissait à faire voter une loi d’orientation sur l’éducation, le 10 juillet 1989, au cours de la célébration du bicentenaire de la Révolution : celle-ci avait donné lieu à de nombreux travaux et manifestations dans les établissements scolaires ; permettant de rappeler les voeux de Condorcet.

Cette loi, note Jean-Louis Derouet, « mène à son terme le mouvement d’évolution vers le local et le particulier initié par Alain Savary, en faisant descendre le niveau des négociations de celui de l’établissement vers celui des rapports interindividuels (1). »

La loi centrait désormais l’institution scolaire sur les élèves et les étudiants ; chacun d’entre eux se voyait reconnu le droit d’un projet personnel de formation et d’orientation, élaboré avec l’assistance des enseignants.

Les enseignants, pour leur part, étaient invités à travailler en équipe et leur formation initiale, différenciée, était réorganisée dans le cadre d’Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) où la parité de traitement était désormais établie entre professeurs et instituteurs (ceux-ci devenus professeurs des écoles), tous recrutés après la licence.

Les cursus de formations étaient, d’autre part, conçus comme devant être professionnalisants (à l’image de ce qu’ils sont dans le secteur non public) mais également aussi personnalisés que possible, comme cela avait été proposé dans le Rapport au ministre de l’Éducation sur la formation des personnels de l’Éducation nationale (1).

Le ministre, d’autre part, lança une grande campagne de consultation nationale déconcentrée auprès des enseignants, des familles et de l’opinion publique sur le thème : quel enseignement pour demain ?

Malgré la mauvaise volonté conservatrice et jacobine de certains syndicats du second degré (notamment le SNES, à direction communiste), de nombreuses réponses locales et souvent personnelles, plus d’une centaine de mille, furent élaborées et synthétisées dans vingt-sept colloques académiques puis dans une réunion nationale au ministère.

La loi de 1989 prévoyait la création d’un Conseil national des programmes, inspirée par un rapport de Pierre Bourdieu et Louis Gros, tous deux professeurs au Collège de France. Une réorganisation des filières dans les lycées et dans leurs programmes surchargés s’avéra nécessaire et fut préparée par ce Conseil, en vue de réduire la complication excessive des sections de lycées. Il importait de sauvegarder des souplesses d’options pour les lycéens mais en supprimant la filière par trop élitique de la Terminale C. Celle-ci, ouverte principalement aux enfants de familles culturellement développées, avait entraîné un double effet pervers : elle avait affaibli les formations purement littéraires et simultanément appauvri le vivier des formations scientifiques, au moment où les besoins de recrutement se faisaient massifs et où des améliorations étaient apportées aux rémunérations des professeurs.

Automne 1990

Animée par l’incitation aux 80 % en Terminale, l’entreprise considérable d’un remaniement des formations dans les lycées (associé à une réduction des redoublements excessifs dans les écoles et les collèges) eut alors trois conséquences.

Il y eut, d’une part, une augmentation des effectifs dans les classes qui fut mal supportée par les professeurs et les élèves, surtout dans les banlieues. D’autre part, sensibles à la mise en évidence de leurs besoins en formation, les lycéens supportèrent de moins en moins leurs conditions de travail et la vétusté de certains établissements dont les constructions et l’entretien, par l’effet des mesures de décentralisation (girondine !), étaient désormais à la charge des régions et non plus de l’État. Enfin, les jeunes revendiquaient leurs droits de citoyens et une meilleure prise en considération de la part des enseignants et de l’institution.

Le milieu scolaire restait agité et l’opinion perplexe. Une petite réforme de l’orthographe, d’abord acceptée par l’Académie française, fut même rejetée !

Une vive controverse agita également, en 1989, l’opinion publique à propos du port du voile dans les établissements par des filles de familles musulmanes. La manifestation d’intégrisme qu’elle parut expliciter entraîna de vives réactions au nom de la laïcité, en raison d’événements mondiaux de caractères fanatique et antiféministe.

Sous des occasions multiples, un mouvement des lycées put donc se déclencher et se propagea rapidement à toute la France, même dans les établissements où les conditions de travail étaient convenables.

Derechef, des centaines de milliers de lycéens et collégiens défilèrent dans les rues. À partir d’un collectif partiellement animé par des organisations politiques de jeunes, des négociations laborieuses furent imposées au gouvernement.

Des crédits considérables, quatre milliards de francs, furent alors dégagés dans les budgets de l’État et des régions pour des constructions ou l’aménagement des locaux, mais aussi pour la vie scolaire.

Une reconnaissance solennelle fut à l’occasion accordée aux délégués-élèves des établissements ; les conseils de ces délégués reçurent une consécration réglementaire et se virent attribuer des crédits importants (30000 F en moyenne pour un lycée de cinq cents élèves) ; des fonds sociaux furent mis à la disposition des établissements pour parer aux situations difficiles de certains lycéens (en raison de leurs familles au chômage, notamment); des formations furent organisées, avec l’intervention de l’Inspection générale et de mouvements pédagogiques, pour les délégués-élèves.

Printemps 1992

Les enseignants étaient dès lors invités à mieux tenir compte de la personnalité de leurs élèves, ce qui pouvait soulever à nouveau la querelle « pédagogisme versus disciplinarisme » et ranimer de façon diffuse l’invocation du niveau et des élites entravés par les masses et la démocratisation.

Dans ce climat, les propositions ministérielles visant dans le même temps à réduire (en application partielle des recommandations du Conseil national des programmes) le nombre d’options dans les lycées, tout en créant un module de méthodologie de travail au bénéfice de tous les élèves, entraînèrent inéluctablement un mouvement de ressentiment réactionnel du côté des adultes conservateurs. Ce mouvement pouvait s’animer d’autant plus qu’il s’agissait de réduire l’hégémonie de la filière élitique (1).

Les groupes de pression habituels, société des agrégés, mais aussi latinistes et idéologues plus ou moins gauchistes ou agités, se coalisèrent à nouveau, au nom de la plus grande liberté de choix et de la capacité de travail des élèves doués.

Cependant les universitaires étaient de leur côté agités par une réforme réduisant le nombre des diplômes d’études universitaires des premiers cycles du supérieur.

Il y eut, en ces circonstances, changement de ministères et de ministre. Des apaisements furent donnés, qui déplacèrent les lieux d’application des critiques mais ne touchèrent pas leur motivation endémique. Un ministère de l’Éducation nationale et de la Culture fut constitué et confié à Jack Lang.

Au quatrième round gagné par les jeunes, si l’on en croit les déclarations incessantes et fracassantes, des adultes ont préparé ou prépareraient encore leur revanche, oubliant peut-être les leçons des mouvements d’étudiants et de lycéens : qu’il ne faut pas intervenir trop directement dans l’évolution, progressiste ou régressive, du système éducatif en France (comme ailleurs ?) surtout pour des motifs idéologiques, quels qu’ils soient.

En dépit des sages mesures du ministre Jack Lang, qui avait calmé le jeu de tous côtés, mais en prévision des élections prochaines, des partisans se disposèrent une fois de plus à faire revivre l’imbroglio, délice de nos moeurs, toujours recherché.

Une seconde cohabitation

En 1993, la droite avait gagné à nouveau les élections. Une nouvelle cohabitation, moins heurtée, s’établit entre le président de la République, socialiste, François Mitterrand, et le chef du gouvernement, Édouard Balladur. Cependant, le ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou, voulut honorer, « à l’arraché », une promesse électorale de la droite en faveur de l’École privée (trop facilement vantée pour des performances qualitatives).

Il entendit faire voter à la mi-décembre 1993 une loi amendant la loi Falloux (nous avons déjà évoqué cette loi controversée de mars 1850!), qui plafonnait fortement la contribution des collectivités locales aux écoles privées.

Cette référence obligée à une querelle historique, qui fit date, allait immédiatement réactiver l’immémorial antagonisme français entre « cléricaux » et « laïcs », revivifiant l’unité de la gauche, en faveur de l’École publique (scolarisant 80 % des jeunes en France). À nouveau, de grandes manifestations d’adultes occupèrent les rues, en 1994, à Paris et en province. Les protestations furent si énergiques que le texte de loi dut être retiré. François Bayrou devait mener, par la suite, une politique prudente, ménageant le syndicat SNES en prévision d’un avenir présidentiel.

Le ministre sut s’entourer d’une bonne équipe de directeurs. Comme ses prédécesseurs et avant son successeur, il sut organiser d’amples consultations sur « un nouveau contrat pour l’École », pendant cette phase de « cohabitation ». Il faut aussi noter en 1996 la création d’une sous-direction ministérielle chargée de la valorisation des innovations pédagogiques. À cet effet, était placé auprès de chaque recteur un délégué académique à l’innovation. Et des comptes rendus importants, diffusant les procédures et les résultats d’innovations réalisées dans les établissements, étaient, en conséquence, publiés dans chaque académie.

L’encouragement, l’animation des initiatives, souvent associées à des recherches ou prolongées par celles-ci, s’avéraient et s’avèrent indispensables à la santé des corps enseignants. Quoi qu’en pensent certains, la pédagogie, au coeur de l’acte d’enseignement, est l’art de la fraîcheur et du renouvellement pertinent ; elle est aussi l’expression d’une responsabilité créatrice. Et sa réalisation innovante a été soutenue par les enseignants français, sur le terrain.

Dès la constitution du ministère Balladur, en 1993, à nouveau dans les flux et reflux d’organisation, les Enseignements supérieurs avaient été séparés des scolarités confiées au ministère de l’Éducation nationale. Un ministère des Universités et de la Recherche était alors dirigé par François Fillon. Celui-ci héritait des IUFM qui venaient d’être créés et qui faisaient l’objet de vives attaques de la part des conservateurs de divers bords (1). On crut à leur disparition : mais celleci eut entraîné plus de difficultés et de risques que d’avantages. La direction des Enseignements supérieurs se contenta de supprimer, dans les concours de recrutement, une épreuve qui imposait à chaque candidat la rédaction d’un mémoire « professionnel ». Sa mise en oeuvre avait pourtant donné des résultats prometteurs, mais son principe déplaisait aux partisans des seuls savoirs à requérir comme « sésame » d’admission au rôle d’enseignant. À vrai dire, il eût mieux valu parler d’une épreuve « pré-professionnelle » de sélection, les candidats ne pouvant acquérir, en quelques semaines de stage d’observation, une connaissance suffisante de cette profession de plus en plus complexe.

Les IUFM perdurèrent, employant de nombreux professeurs d’ex-Écoles normales pour un temps – les MAFPEN, malgré la réduction progressive de leurs crédits, continuèrent à répondre aux besoins exprimés par les personnels, en proposant des séminaires, soit dans, soit hors des établissements : une partie croissante de leurs moyens cependant fut utilisée pour l’aide à la préparation de concours promotionnels d’un petit nombre de candidats, aux dépens des besoins directement professionnels de l’ensemble des corps. Un décret de délocalisation à Rouen de l’Institut national de recherche pédagogique (sis à Paris, rue d’Ulm, en suite d’une tradition établie depuis Jules Ferry) fut signé, sous la pression du directeur de cabinet d’Édouard Balladur (mais sans fiche financière et donc sans effet).

Mais vinrent les élections présidentielles de 1995 où entrèrent en concurrence Édouard Balladur, Jacques Chirac et Lionel Jospin notamment. Jacques Chirac l’emporta et nomma Alain Juppé Premier ministre. Celui-ci reconduisit, malgré quelques réticences de celui-ci, François Bayrou à l’Éducation nationale. L’INRP, promis à Lyon, ne bougea pas, les équilibres éducationnels non plus. Le ministre lança, en 1997, une réforme du premier et second cycle universitaire, obtenant un quasi-consensus, puis des revirements.

Une troisième cohabitation

Mais on sait qu’en 1997, devant la dégradation de la situation socio-économique, le chef de l’État décida la dissolution de l’Assemblée nationale. Les élections furent alors regagnées par la gauche. Lionel Jospin devint à son tour Premier ministre. Il y eut donc une troisième cohabitation : et un nouveau grand ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, confié à un ministre qui fit parler de lui par des réformes hardies, Claude Allègre. À celui-ci était associée une ministre des Enseignements scolaires, Ségolène Royal.

Le nouveau ministre avait décidé de pousser le travail de déconcentration administrative, déjà engagé à la suite des mesures de régionalisation. Il entendait réduire le poids du ministère sur les services extérieurs, et accroître les autonomies. Cet objectif se révéla difficile à réaliser.

Il entendait également remédier aux pesanteurs du système, notamment en ce qui concerne les programmes et les examens. Il demandait aussi une meilleure organisation des emplois du temps, assurant une régularité des présences d’enseignants devant les élèves, en remédiant convenablement aux absences pour maladie ou pour formation.

Avec la ministre des Enseignements scolaires, Ségolène Royal, il eut à affronter, d’autre part, la montée des violences (et des rackets) au sein des établissements et à leur périphérie : avec des agressions portées contre les enseignants ou les élèves. Un projet d’éducation à la citoyenneté, à tous les degrés de l’École, s’avéra nécessaire. Il en ressortit le principe d’un cours d’éducation civique, juridique et social (ECJS) en Seconde (puis en Première). Il importa également de poursuivre le renforcement de la vie lycéenne (1).

Sans doute les manifestations de violence étaient les symptômes d’une crise morale chez les jeunes (souvent accrue par l’entassement de certaines cités et les déficits d’emplois). Mais elles témoignaient aussi du défaut d’ajustement et de la monotonie des méthodes pédagogiques (bien plus que des contenus) aux intérêts des jeunes et à leur perception de l’époque ; elles concernaient plus généralement l’organisation des enseignements et la formation des personnels.

Malencontreusement, le ministre devait, avec brusquerie, intégrer les Missions académiques à la formation des personnels de l’Éducation nationale (MAFPEN) dans les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Il paraissait de la sorte, et avant toute concertation avec les personnels, minimiser les actions de formation continue auxquelles les enseignants sont légitimement attachés.

Claude Allègre s’en prenait, d’autre part, ouvertement aux syndicats, notamment le SNES, dénoncé comme responsable des immobilismes et du corporatisme des enseignants. Ceux-ci s’émurent rapidement.

Une campagne d’hostilité au ministre se développa (1). Claude Allègre entreprit alors de se rapprocher des parents et des élèves. Il lança deux vastes consultations nationales, à échelle réelle : l’une auprès des lycéens et de leurs professeurs, l’autre auprès des collégiens.

Ces opérations difficiles, continuant et amplifiant les enquêtes et consultations des années 1980 et 1990, furent conduites respectivement par Philippe Meirieu et François Dubet, de façon remarquable dans les deux cas. Les propositions obtenues à l’occasion du dépouillement des données recueillies obtinrent une approbation massive du côté des élèves et des parents. Les milieux enseignants furent plus réservés ; et le SNES ainsi que le SNALC (syndicat de droite) se montrèrent opposés à leurs applications.

Pourtant, 1812109 questionnaires personnels avaient alors été adressés en 1998 aux lycéens (10 % seulement ont été remplis collectivement); 78 % des élèves des lycées publics répondirent.Tous lycées et disciplines confondus, 52 % des enseignants se sont exprimés, individuellement ou collectivement. Près de 100 % des établissements ont apporté une contribution spécifique, « même si celle-ci n’a pas toujours impliqué tous les personnels », note le Rapport final du comité d’organisation publié à l’issue de deux colloques réunissant les interlocuteurs habituels de l’Éducation nationale en mai 1998.

Dans leur ensemble, les lycéens avaient exprimé des souhaits raisonnables, notamment en demandant d’avoir des relations plus proches et plus fréquentes avec leurs professeurs. Ils demandaient aussi à « apprendre et comprendre les principes qui régissent la vie sociale », sollicitant aussi une approche moins scolaire de l’histoire, ainsi que des occasions, en philo ou en lettres, de débats. Ils étaient majoritairement soucieux d’une formation à l’informatique : mais tout autant d’assimiler une culture commune grâce à la mise en oeuvre de méthodes différenciées.

Le rapport final présentait quarante-neuf « principes » relatifs aux savoirs à enseigner dans les lycées.

La consultation nationale sur les collèges fut entreprise ensuite sous l’impulsion de Ségolène Royal. La ministre observa, dans un bulletin officiel (supplément au no 23 du 10 juin 1999), qu’« à travers la restitution publique des résultats collectés par François Dubet et son équipe, on constate l’abondance et la franchise de la parole enseignante pour dire l’inconfort des situations vécues mais aussi l’exigence malgré tout maintenue ».

Elle annonçait les grands chapitres des dispositions de nature à assurer « la mutation nécessaire du collège » : « En 6e :démarrer du bon pied » ; « Tout au long de la scolarité, prendre en compte des élèves différents dans un collège pour tous » ; « Diversifier les méthodes d’enseignement pour aiguiser l’appétit d’apprendre et accompagner la conquête de l’autonomie ; mieux vivre dans la maison collège».

Et les dispositions prévues, cohérentes et sages, prévoyaient notamment une création « d’heures de remise à niveau en 6e et 5e », un « tutorat de l’élève par un adulte référent », « la scolarisation des élèves handicapés» au sein des établissements ; un « livret des compétences » pour « positiver l’orientation des élèves après la 3e » ; un début d’affinement des perspectives d’évaluation ; des « dispositifs d’aide et de soutien en 4e » ; des « travaux croisés » (réalisations interdisciplinaires) en 4e ; l’accès pour tous à la micro-informatique ; des « ateliers lecture pour tous » ; enfin et surtout des « études dirigées en 6e et 5e ».

La formation initiale et continue des professeurs devait en conséquence être renforcée en vue d’assurer la mise en oeuvre des dispositions annoncées tant pour les collèges que pour les lycées. Mais la ministre entendait procéder « à moyens constants ». Il lui fallait donc annoncer des réductions d’horaires de disciplines de base, français et mathématiques notamment, ainsi qu’une réduction (souhaitée, souhaitable) de tous les contenus et programmes pseudo-encyclopédiques.

Mais c’était se placer en provocation face aux habitudes des enseignants, mais aussi vis-à-vis des « lobbies » disciplinaires et des intellectuels médiatiques (et républicains), gardiens de la « culture ». Et c’était négliger la capacité de résistance des syndicats.

Au-delà d’un « anti-Mai 1968 » (par des « soixante-huitards »)

Nous avons déjà, dès notre introduction, évoqué la violence extrême des réactions d’opposition au ministre et à ses propositions.

Les chances d’imbroglio et d’invectives ont alors dépassé les niveaux admissibles. Campagnes de presse et défilés dans les rues ont associé aux enseignants, jeunes et parents d’élèves, souvent malgré eux. Pédagogismes, sciences de l’éducation, expertises et principes d’organisation furent insidieusement dénoncés comme sources d’inspiration maligne, en même temps que la personne du ministre était diabolisée indignement. La confusion fut parfaite.

À nouveau, il fut fait recours à Jack Lang, par le Premier ministre, pour calmer le jeu (perverti). Le nouveau ministre, assisté d’un ministre délégué à l’Enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon, écouta, maintint les dispositions essentielles mais rejeta le point de vue des « moyens constants ».

Le 27 avril 2000, Jack Lang s’exprimait lors d’un « point de presse » : « Au cours des quatre semaines qui viennent de s’écouler, j’ai pris la mesure du travail considérable accompli par mon prédécesseur, Claude Allègre. J’ai surtout pris le temps de consulter, d’écouter et de comprendre. Les organisations d’enseignants, de parents et de lycéens m’ont, tour à tour, fait part de leurs inquiétudes mais aussi de leurs espoirs. » Et le ministre explicitait d’emblée son ambition première : « redonner confiance aux femmes et aux hommes qui consacrent leur vie à l’éducation des jeunes de notre pays ».

Soucieux d’une « école d’excellence pour chacun », Jack Lang annonçait que l’innovation pédagogique serait encouragée, notamment en poursuivant deux « nouveautés riches de promesses : l’aide individualisée et les travaux personnels encadrés » (TPE), mises en oeuvre par Claude Allègre. Il s’agit d’une « personnalisation des méthodes et des approches par une attention portée à l’élève, à ses difficultés, à ses projets, à ses goûts ».

L’aide individualisée intervient donc en classe de Seconde, par petits groupes de huit élèves maximum, en mathématiques et en français, sur un minimum de soixante-douze heures. Les travaux personnels encadrés (TPE) seront généralisés en classe de Première, avant d’être introduits en Terminale : « Il s’agit de proposer aux élèves de choisir un thème d’étude auquel ils consacreront deux heures par semaine, guidés dans ce travail par des professeurs appartenant à au moins deux disciplines. Ce travail donnera lieu à une production personnelle, une sorte de chef-d’oeuvre... » Par la poursuite de ces dispositions, le ministre accomplissait ainsi une institutionnalisation de la « pédagogie différenciée» énoncée par ses prédécesseurs : et il développait le principe inclus dans le premier article de la loi de 1989, centrant sur les élèves l’effort de l’institution scolaire.

Jack Lang maintenait également l’éducation civique, juridique et sociale en Seconde et l’introduisait en Première. Et il entendait soutenir un renforcement de la vie lycéenne, mais aussi les mesures d’allégement des contenus et programmes en classe de Seconde.

En contrepartie, répondant aux craintes des détracteurs, il ne continuait pas l’allégement des emplois du temps des lycéens ; il doublait même la possibilité d’option facultative (pour le latin et le grec) en Première ; il portait l’horaire hebdomadaire de français de cinq heures à six heures, et il introduisait un nouvel horaire de la littérature en Terminale littéraire (de quatre heures). Il proposait également « un renforcement important de l’horaire de première langue vivante en classe entière, avec une heure supplémentaire par semaine. Cet ensemble de mesures placera la filière littéraire au même niveau d’exigence et au même nombre d’heures d’enseignement que les autres filières ». Les journalistes du journal Le Monde notaient : « C’est la série littéraire qui se taille la part du lion. » (1)

Des crédits de formation pour assurer ces dispositions étaient accordés aux enseignants, ainsi que des conditions souples d’application. La réforme du baccalauréat était remise à plus tard. Et le ministre entendait créer une instance d’évaluation du système éducatif et des innovations qui soit « indépendante ». Il semblait ainsi réduire le champ d’exercice de l’Institut national de la recherche pédagogique, d’autant plus qu’il apparut prendre de la distance avec « la Charte sur l’école du XXIe siècle » explorée, sous la responsabilité scientifique de l’INRP, dans 1 715 écoles. Philippe Meirieu, directeur de l’INRP, démissionna avec éclat, soutenu par les associations de parents d’élèves (la FCPE notamment). Et le principe du Collège unique parut mis en discussion par son adjoint, Jean-Luc Mélanchon.

La politique d’équilibre du ministre Lang réussirait-elle à calmer l’explosion des revendications ? Certains arrêteraient-ils de s’en prendre inlassablement au problème des « quantités », particulièrement sous l’angle des tailles de classe et des démembrements ou des privatisations ? Et l’opinion publique leur emboîterait-elle le pas, en contradictions croissantes : réclamant davantage de professeurs, toujours plus de moyens, mais, en même temps, moins de charges et d’impôts (ou de contraintes) ?!

Les contestataires perpétués soulèveraient-ils encore (et plus fort ?) la question de la qualité, à propos de la sempiternelle « baisse de niveau », à propos de laquelle il importe de démêler sans tarder les aspects utiles pour éviter le parasitage des faits par des altérations mythiques ? Et réclamerait-on de façon pressante une « obligation de réussite » auprès de tous les élèves ?

Au-delà des éclaircissements opportuns en vue d’éclairer, sinon de dépassionner (comme cela est souhaitable), les querelles qualitatives et quantitatives, il sera souhaitable que nous essayions d’aborder les problèmes d’organisation et de formation propres du système scolaire, avec leurs complexités et leurs chances : en écartant le poids des gesticulations hâtives ou des effets de mépris.

 

En complément, la banque des graphes et des schémas en éducation et en formation

Quelques pages lui sont plus particulièrement dédiées:

 

 

Bibliographie une interview exclusive sur le sens des nouvelles réformes et l'évolution du métier

concept :François Muller @ 1998-2009

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