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Pour l’honneur de l’École

Passions et controverses en éducation

extraits d'un ouvrage paru en 2000, éd. Hachette éducation (droits libérés)

 

I Genèse et devenir des institutions culturelles et enseignantes

PARTIE 1: L’imbroglio des querelles anciennes et toujours modernes !

PARTIE 2: L’École française peut-elle convenir à notre temps ?

II Problèmes de qualité, de dimensionnement, d’organisation et de formation

PARTIE 3: Querelles qualitatives et quantitatives

 

 

 

 

 

 

 

(1) C. Baudelot et R. Establet, Le Niveau monte, Seuil, Paris, 1989, p. 169.

(2) P. Gosling, Qui est responsable de l’échec scolaire ?, PUF, Paris, 1992, p. 226.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., p. 61.

(2) Ibid., p. 13.

(3) Ibid., p. 236.

(4) Ibid., p. 224.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) L. Boltanski, « L’idéologie de l’encombrement », in : Les Actes de la recherche en sciences sociales, no l, 1976.

(2) P. Gosling, ibid., p. 224.

(3) R. Ballion, La Bonne École, Hatier, Paris, p. 172.

(4) Cité par A. Prost, Éloge des pédagogues, Seuil, Paris, 1985, p. 216.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ces textes ont été recueillis par A. Chervel dans une étude intitulée Mais savait-on l’orthographe au XIXe siècle ?, INRP, Paris, 1984, ainsi que cités dans les revues École et socialisme, no 30, et Le Monde de l’Éducation, no 106, juin 1984. Également, partiellement, dans Le Niveau monte, op. cit., pp. 10 à 13.

(2) T. Zeldin, Histoire des passions françaises, tome III, Seuil, Paris, p. 350.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Chervel, op. cit., p. 17, citant l’auteur de l’ouvrage De la haute éducation intellectuelle, Lecoffre, Paris, 1857, tome 1, pp. 310 et 311.

(2) Cité dans Le Niveau monte, op. cit., p. 165.

(3) Ibid., p. 164.

(4) A. Chervel, ibid., p. 10.

(5) A. Chervel, ibid., p 11.

(6) Ibid., p. 12, voir Gebhart dans son ouvrage, Le Baccalauréat et les études classiques, Hachette, Paris, 1899, p. 100.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Cité par A. Prost, in : Éloge des pédagogues, op. cit., p. 216.

(2) Cité par J. Simon, Psychopédagogie de l’orthographe, PUF, Paris.

(3) Cité par A. Chervel, in : Le Niveau monte, p. 11.

(4) Cité par M.T. Maschino, in :Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?, Hachette, Paris, 1984, p. 206.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Chervel. op. cit., p. 17.

(2) Cité in : Le Monde de l’éducation, no 61, mai 1980, p. 12.

(3) Cité in : Le Niveau monte, p. 11.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Léger, Enseignants du secondaire, PUF, Paris, décembre 1989, p. 166.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, Les Lycées et leurs études au seuil du XXIe siècle, ministère de l’Éducation nationale, décembre 1983, p. 27.

 

 

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Du niveau

La langue commune, la vulgate en usage dans les sphères enseignantes (ou la langue de bois des salles de profs, diraient certaines mauvaises langues) recourt volontiers, et depuis des lustres, à quelques aphorismes définitifs du genre : « Nous n’avons pas les moyens » ; « On n’a pas été formés pour ça » ; mais surtout, « Le niveau baisse ». Qu’en est-il, au fait, de ce dernier axiome, culturellement, sociologiquement, pratiquement ? Dans le système scolaire, mais aussi en dehors.

Langage et chute

On peut observer, tout d’abord, après l’étude de textes, assurée par les auteurs universitaires d’un ouvrage ayant pour titre Le Niveau monte (Christian Baudelot et Roger Establet), que « la métaphore de la chute et la connotation méprisante pèsent depuis deux siècles sur le mot : le niveau est habituellement entraîné vers le bas » (1).

Parler couramment (je m’abstiendrai de dire obsessionnellement) de niveau, à propos des élèves ou des étudiants, reviendrait donc à évoquer une baisse fatale.

Il s’ensuivrait une persistance (non critiquée) à déprécier l’image de la jeunesse, et (par suite d’un jugement global) à effacer indistinctement les réussites individuelles et les progressions collectives sous un stigmate indistinct d’échec.

Niveau en baisse, échec : ces deux termes se renforcent mutuellement, sous le fait d’une logique de la globalisation de l’évaluation, comme le note Patrick Gosling, au terme d’une recherche approfondie sur le thème Qui est responsable de l’échec scolaire ? (2)

Nous avons déjà fait observer la référence obligée de l’échec pour nos modes évaluatives (élitiques par élection) et la bascule qui peut en résulter pour les estimations globales, dans la mesure où, remarque Patrick Gosling, « d’après nos résultats ainsi que d’autres (Darom et Bartel, 1981), les enseignants acceptent la responsabilité de la réussite, mais pas celle de l’échec » (1).

Il en advient donc, par défensivité face au « sentiment que la société ne reconnaît ni leur valeur, ni celle de leur savoir » (2), que pour les enseignants « la représentation globale de l’élève est une représentation dévalorisée. L’enseignant renvoie sur l’élève la perte de valeur qu’il subit » (3), avec des risques de choc en retour, comme il en advint.

Le professeur dégage donc souvent sa responsabilité de tout échec, en l’imputant à la responsabilité des élèves, et en conséquence, globalement, à leur niveau réputé insuffisant ou au climat familial et social (en crise).

En retour, si les parents (mais quels parents ? de milieu aisé ou non?) abondent dans le sens de la « focalisation sur l’échec » (4) et de la baisse du niveau, ils sont conduits, par volte-face ou instinct stratégique, à en faire porter la responsabilité uniquement à l’École et au corps enseignant. Les élèves ou les adultes sont à tour de rôle inculpés ou disculpés pour la baisse du niveau.

L’ambiance du monde adulte s’explicite encore ouvertement dans une telle allégation. Son prétexte sert donc périodiquement de pomme de discorde, comme on l’a vu, entre les différentes parties de l’opinion publique, partagée entre les positions élitiques et égalitaristes, bienveillantes et pessimistes, avouées ou tues.

Sans doute, les discours sur ce sujet réfèrent à un vrai problème qu’il nous reviendra de dégager ; mais il nous faut d’abord démonter les tendances fantasmatiques qui en faussent les perspectives.

On doit reconnaître, en premier lieu, que la véhémence récurrente des critiques psalmodiant la baisse du niveau est activée, plus ou moins distinctement, par le changement d’échelle que nous avons décrit et la complexité accrue du système éducatif.

Il en résulte, comme l’exprime le sociologue Luc Boltanski, une « crainte de l’encombrement », ou encore le recul devant « la relation angoissée à la foule et à la perte dans la foule, le fantasme de la chute dans le commun et de la submersion par les masses. Mais cette obsession du nombre, de la rareté et de la fréquence n’est pas nouvelle et elle semble caractériser l’humeur constamment associée à l’occupation d’une position dominante ».

Boltanski, pour sa part, imputait alors ce bien commun, ce leitmotiv, au « bavardage bourgeois » (1), cependant que Gosling y voyait « une véritable question-écran, un symptôme bavard qui obscurcit les véritables enjeux » (2).

Il convient, en bonne méthode, de vérifier la consistance culturelle de ce symptôme-axiome de la baisse du niveau, parmi quelques fantasmes associés à notre imbroglio traditionnel, en des temps où, comme le remarque Robert Ballion, dans le conflit élitisme-démocratie, « la démocratie de l’accès aux biens a fait que la rareté devient un attribut... rare » (3).

La rengaine du niveau qui baisse

Bourgeois ou non, intellectuel ou médiatique, légaliste ou démocratique, ce bavardage défaitiste est, il est vrai, ancien. Déjà, au XVIIIe siècle, en 1763, dans son Essai d’éducation ou Plan d’études pour la jeunesse, La Chalotais écrivait : « On n’acquiert dans la plupart des collèges aucune connaissance de notre langue... Sur mille étudiants qui ont fait ce qu’on appelle leurs cours d’Humanités et de Philosophie, à peine en trouvera-t-on dix... qui sussent écrire une lettre. » (4)

Ces propos, d’une époque où il n’y avait pas encore d’encombrement, gardent une tonalité moderne d’acrimonie contre l’enseignement, déjà en défaut ou en détresse !

Plus près de nous, un chercheur de l’Institut national de recherche pédagogique, André Chervel, a eu la curiosité d’étudier les rapports faits sous le Second Empire, entre 1858 et 1866, aux recteurs d’antan par les doyens des facultés des Lettres et des Sciences, présidents des jurys de baccalauréats (qui étaient alors seulement ès lettres ou ès sciences).

Les constatations sont toutes alarmantes en ce siècle où pourtant le latin était de rigueur et alors que les filières du second degré restaient purement élitistes (il y avait quelques milliers de candidats seulement au baccalauréat). Elles constituent une édifiante anthologie de lamentations répétées dont on ne voudrait pas priver le lecteur d’apprécier au moins quelques échantillons (1).

C’est ainsi que le doyen Olleris constatait amèrement, à Clermont en 1858 : « Les candidats ignorent et la biographie et le titre des principaux ouvrages de Montesquieu, de Bossuet, de Racine. » Il confirmait, en 1859 : « La valeur des mots, leur sens propre et figuré sont rarement compris. » Sur quoi, surenchérissait le doyen Victor Le Clerc, à la Sorbonne, à la même date : « Les fautes d’orthographe, l’ignorance des plus simples éléments de la langue française laissent trop voir qu’un grand nombre se présente à ces épreuves comme à un jeu de hasard où c’est la fortune qui doit tout faire. »

Les copies, s’irrite le doyen Bouillier, à Lyon, en 1864, sont « presque toutes médiocres et quelques-unes ont des fautes grossières à toutes les lignes en latin et en français ». Son collègue de Lille, le doyen Girardin, confirmait la même année : « Il semblerait que, dans nos lycées et collèges, on n’apprenne plus la langue française. »

Outre ces propos sévères sur les candidats littéraires, il faut noter la déception accrue à l’égard des candidats scientifiques dont on connaît le petit nombre : « Ce qui m’a le plus frappé – écrit en 1862 le doyen de Rennes, Malaguti, résumant bien les propos de tous ses collègues –, c’est l’ignorance presque générale de l’orthographe. » Serait-ce seulement les candidats, les jeunes qui seraient à blâmer pour leur insuffisance ?

Théodore Zeldin rappelle que, à la même période, « en 1867, V. de Laprade se livre dans L’Éducation homicide à une violente attaque du système » (2). Une crise de l’orthographe et des langages ou de l’École est donc dénoncée ouvertement sous le Second Empire. Monseigneur Dupanloup, autre témoin du temps, le reconnaît sans ambages : « On se plaint universellement que la jeunesse française achève ses humanités, fait ses études ou ses classes, comme on voudra l’entendre, passe huit ou dix années à étudier le grec et le latin, et arrive souvent à la fin de cette longue et laborieuse éducation sans savoir l’orthographe. » (1)

Même élitiste ou cléricale, l’éducation n’est donc ni aisée ni automatiquement performante! Le Suisse Amiel croit pouvoir conclure en 1866 : « La moyenne de nos étudiants français est archi-médiocre et fait baisser tout le niveau de nos études. » (2)

Mais la crise du langage et de l’orthographe ou la baisse du niveau ne sont pas accusées seulement sous le Second Empire. Sous la IIIe République, les Goncourt peuvent s’irriter dans leur Journal, en 1878 : « Évidemment, le niveau de l’esprit national baisse et le peuple français, naturellement excessif, est prêt à devenir le plus imbécile et le plus gâteux des peuples. » (3)

En 1881, dans un discours de rentrée solennelle des facultés, le doyen Gaffarel, à Clermont, exprimait avec un style bien universitaire l’irritation de ses collègues : « Nous voudrions simplement rappeler aux candidats que la Faculté désirerait ne plus avoir à corriger des fautes d’orthographe aussi nombreuses que stupéfiantes. Elle désire aussi que les aspirants ne fassent pas prononcer par Bossuet ses oraisons funèbres à la cour d’Henri IV, ni prêcher la première croisade par Claude Bernard. » (4)

En 1899, l’helléniste Victor Bérard, maître de conférences à la Sorbonne, répond à son tour à une commission parlementaire qui prépare les réformes de 1902 : « J’estime que les trois quarts des bacheliers ne savent pas l’orthographe. Le mal n’est pas grand peut-être ; mais si l’enseignement classique ne sert même pas à cela, à quoi peut-il servir ? » (5)  Ces réflexions montrent assez le dédain où risquait déjà d’être tenue l’orthographe, réputée affaire des primaires à l’aube du XXe siècle.

Mais, déjà en l’année 1895, Gebhart, qui se flattait d’avoir examiné dans sa carrière 16 000 candidats, dénonçait la croissance excessive des échecs aux examens : « La version latine, cause de cette catastrophe, témoignait d’une ignorance formidable des éléments de la langue latine. Et je ne dis rien ni de la traduction barbare, ni de l’orthographe folle. » (6)

Ainsi en était-il au temps de la Belle Époque. Et il est possible de continuer indéfiniment le florilège des condamnations péremptoires jusqu’à nos jours, tant il est habituel chez les professeurs ou les intellectuels de s’indigner des nouvelles générations, de stigmatiser leurs sottises ou leurs cuistreries et d’en accuser les temps ou le système.

C’est encore Émile Faguet qui manifeste son indignation, en 1909, dans L’Univers : « Tous les professeurs et tous les examinateurs de France (et non pas seulement du baccalauréat) sont d’accord là-dessus : les jeunes Français n’écrivent pas en français. La déchéance progressive est, en cette affaire, d’une prodigieuse rapidité. »

À cette généralisation, ce critique réputé ajoute la prédiction définitive, comme d’autres en font non moins consciencieusement de nos jours : « La crise du français n’est pas une crise, c’est une décadence définitive et sans retour, compensée par des progrès qui ont lieu dans un tout autre ordre de choses. On n’écrira plus le français, voilà tout. Il ne sera plus écrit que par un certain nombre d’hommes très restreint... » (1)

Catastrophe, déchéance, décadence sans retour, déclin, avec cependant la consolation élitique du petit nombre : on en entendra reparler dans le fonds commun de notre culture alarmiste, nous l’avons déjà rappelé. Mais persévérons encore dans notre quête des propos amers et définitifs.

En 1911, paraît une plaquette intitulée Le Péril de la syntaxe et la crise de l’orthographe : « La crise de l’orthographe y est analysée comme une conséquence du déclin politique et militaire de la France à cette époque. » (2)

L’issue positive de la guerre de 1914-1918 atténue pour un temps les sombres prédictions. Mais les anciennes habitudes ne tardent pas à être reprises. En 1929, Paul Laumonnier, décrivant la Crise de la culture littéraire, annonce que « l’enseignement secondaire se primarise » (on l’a redit récemment). De la sorte, « les élèves des lycées n’ont ni orthographe, ni vocabulaire exact et varié » (3).

Huit ans plus tard, en plein Front populaire, c’est un recteur, Jules Payot, qui s’indigne en 1937 de la Faillite de l’enseignement qui, avec son système d’examens, « détruit irrémédiablement l’énergie, rend mélancolique, nerveuse, agitée ou aboulique toute une masse de jeunes » (4). Il jugeait aussi qu’« avec les copies d’une session de baccalauréat, on composerait unsottisier d’une grande richesse » (1). Mais pour le rapport aux insuffisances de notre temps, Fernand Braudel a eu la sagesse de rappeler : « Il y a eu chez les jeunes de somptueux sottisiers, bien avant 1939. »(2) Et bien avant la fin du XXe siècle. Qui ne le reconnaîtrait, en son âme et conscience (ou en son humour secret) ?

Il faut ajouter qu’il y a aussi un sottisier respectable réunissant les propos des censeurs sans vraie mémoire ni vergogne (au bon sens que lui rend le philosophe Michel Serres), ou alors candides, et même s’il s’agit d’auteurs ou d’enseignants respectables s’exaltant pour annoncer que « la décadence est réelle » (Noël Deska, 1956, dans Un gâchis qui défie les réformes : l’enseignement secondaire), ou qu’« il serait malhonnête de parler d’un bon cru » (Guy Bayet, président de la Société des agrégés, en 1988)(3) ; enfin (provisoirement !), que nous sommes entrés dans L’Horreur pédagogique (Guy Morel et Daniel Tual-Loiseau).

Même un homme aussi lucide que Lévi-Strauss, interrogé à la télévision au cours d’un entretien consacré à son oeuvre, opinait sur une dégradation du niveau, en l’an de grâce 1984. Mais il précisait que cette dégradation aurait été déjà évidente du temps de sa jeunesse, quand il commençait à enseigner, et même plus, quand il était élève, à la fin des années 1920. Et il indiquait à son interlocuteur la chute du niveau visible sur les copies de sa classe comparées à celles de Bergson et de Jaurès. Le journaliste Bernard Pivot put lui faire remarquer la relativité extrême de ses références.

On le voit, en matière de baisse du niveau, nous avons de bonnes références culturelles. Mais au fait, de quel niveau parle-t-on, à propos de quelles strates sociologiques et pour quelle argumentation sociale ?

Une notion sociologiquement confuse

L’ancienneté des remontrances faites aux élèves ou au système scolaire, à l’opinion, à l’esprit national, ou bien aux moeurs devrait alerter notre vigilance.

Nous devrions, en conséquence, chercher à situer la signification de cette rengaine ou de ce radotage séculaire (comme le qualifiaient irrévérencieusement Baudelot et Establet) sur la crise ou la baisse de niveau, trop aisément admise quoique la notion même de niveau reste confuse et difficilement mesurable.

Parmi les enseignants interrogés sur le niveau des élèves, au cours d’une recherche effectuée par un sociologue dans les années 1980, 16 % seulement refusent de répondre : « Cette question, explique l’un d’eux, pour avoir un sens, nécessiterait une étude approfondie : les moyens de référence changent avec le temps. » (1) Et avec les publics visés. Mais quels sont-ils ?

Il faut, en effet, relever une imprécision constitutive. Du niveau de quelle strate sociale ou catégorie est-il question dans les allégations, les attributions, ou dans les dires ? Serait-ce celui d’élèves sortant des écoles ? ou bien ceux des collèges ? ou encore ceux des lycées ? voire de l’enseignement supérieur ? Serait-ce celui des conscrits, au régiment ?

Ou encore, parle-t-on de la bourgeoisie, des milieux populaires, ou même des masses? À moins que ce ne soit des élites dont on déplorerait l’insuffisance ? Ou des catégories de techniciens et d’ingénieurs ?

Dès lors qu’on généralise hardiment ou qu’on globalise, en toute hypothèse, il faudrait préciser si l’on désigne le niveau des meilleurs ou celui d’un individu moyen (ou d’une moyenne d’individus) d’un groupe ou classe donnés (mais lequel ou laquelle ?), ou le niveau des faibles ; si l’on taxe les aptitudes ou performances d’établissements particuliers sinon de leur ensemble ; ou enfin si on évalue péjorativement une génération comparée à d’autres générations qui l’ont précédée, mais sur quelles références précises ?

Par l’invocation de la baisse du niveau veut-on signifier des possibilités moindres ou une proportion plus forte de jeunes en difficulté ?

Ou bien veut-on assurer que c’est le niveau supérieur des capacités (mais lesquelles et en quel dosage ?) d’une classe entière ou d’un groupe entier qui a fléchi, si ce n’est la moyenne ou la médiane de résultats à des tests sérieux (mais il n’existe aucun système d’épreuves normalisées en France, sinon de façon récente et donc sans rapport possible à quelque passé, proche ou lointain !).

S’il s’agit de niveau dans le système scolaire, il faudrait encore apprécier si c’est celui de l’activité intellectuelle, des capacités de raisonnement ou d’expression (verbale ? écrite ?), de la culture générale (est-elle définissable ? Par qui ? : un petit groupe « médiatique » se donnant en référence ?), des valeurs, ou d’un certain brio (très prisé dans notre culture franco-française). S’il est question du niveau des connaissances, il faudrait dire en quelle discipline ou dans quel ensemble de disciplines, pour quel bagage de savoir (mais lequel ?), pour quelle spécificité de savoir-faire (et à quel étiage de ceux-ci ?).

Il importerait aussi, si on veut être clair, de définir suivant quelles références temporelles et sociologiques on se dispose à juger du niveau : en comparant notre temps ou l’année qui vient à quelle époque, en quels programmes, quelles moeurs, quels objectifs cognitifs ou sociaux, pour quelles tranches d’âges, selon quel volume de matières imposées, par rapport aux attentes de quel groupe social de référence, pour quels âges, pour quels pourcentages d’une classe d’âge déterminée?...

Dans la mesure où on prétend juger de façon catégorique, il faudrait encore caractériser le modèle de jeune (armé de quelles connaissances et de quelles capacités ?) par rapport auquel on établit des mesures objectives de niveau (selon quelles batteries d’épreuves et de tests validés ?) pour des individus ou des groupes.

Tout se passe comme si ce modèle (ou cet étalon) d’élève existait. Mais, aussi souvent, on voudrait comparer les performances (réelles ou idéalisées ? supposées ou mesurées ?) des meilleurs élèves d’autrefois aux élèves d’aujourd’hui, en oubliant les changements d’échelle.

Peut-on établir une comparaison correcte entre les 3 % des plus instruits d’une génération qui étaient bacheliers avant 1939 et les plus de 60 % des générations actuelles qui sont bacheliers (dont 67 % en enseignement général), qui réussissent chaque année au baccalauréat (différent de celui d’antan, en raison de nombreuses surcharges de programme et d’un nombre accru de disciplines, mais aussi en conséquence des modifications de forme et de jury) ?

Comme Antoine Prost le remarquait, en 1983, « pour comparer ce qui est strictement comparable, il faudrait comparer les bacheliers actuels aux 27 % les plus instruits des jeunes de 1963, 1953 ou autres années, qui n’avaient même pas tous fait des études primaires supérieures, ou encore les 6 % d’aujourd’hui aux bacheliers de 1953. Le résultat serait alors probablement l’inverse : on découvrirait que le niveau monte, aussi bien celui de l’élite des écoles que celui de la masse de la population » (1).

Mais pour comparer correctement, il y faudrait quelque intérêt qui s’avérât supérieur à l’entraînement des habitudes ou des réflexes défensifs.

 

 

(1) Outre le réflexe langagier qui fait utiliser cet aphorisme dans les salles de professeurs ou en ville sinon en classe, les enseignants, quand ils sont l’objet de sondages sur le niveau, se déclaraient convaincus, pour un peu plus de 50 % des personnes interrogées, de sa baisse, d’après une enquête SOFRES de 1977 (dans les lycées, pourtant avant la création des Secondes indifférenciées ou de détermination) et dans une enquête d’Alain Léger, dans Enseignants du secondaire. Il reste que presque une moitié des personnes interrogées contestent l’aphorisme, et qu’entre 8 et 15 % refusent de répondre, certains justifiant leur abstention « par une remise en cause de la notion de niveau ou par le changement des critères de référence qui interdit, selon eux, toute comparaison des temps ». Ces appréciations peuvent se modifier : en 1991, un nouveau sondage SOFRES faisait apparaître des proportions de 29 % d’enseignants à estimer que le niveau de connaissance de leurs élèves a reculé depuis dix ans et 36 % à juger, au contraire, qu’il a progressé – tendance à l’optimisme, juge alors la journaliste Christine Garin.

(2) Le sondage, réalisé par la SOFRES pour le ministère de l’Éducation nationale en avril 1991, indique que 72 % des enseignants de collège et 81 % de ceux des lycées considèrent que l’hétérogénéité des classes a accru, depuis dix ans, les difficultés du métier. Voir Le Monde du 21 décembre 1991. Et cela a continué...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) P. Gosling, op. cit., p. 192.

(2) Voir P. Ranjard, Les Enseignants persécutés, R. Jauze, Paris, 1984, proposant sa thèse « pour la défense des enseignants, contre les défenses des enseignants », p. 9, et rappelant : « la plus visible de ces défenses, et la plus connue des non-enseignants, est le sentiment de persécution des enseignants, c’est-à-dire le fait qu’ils se sentent agressés dès qu’on les critique, lorsqu’on les critique, ou plutôt avant même qu’on les critique : ils s’attendent à être agressés » (p. 11).

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir l’analyse par J. Filloux de ce mécanisme de clivage fantasmatique, dans Du contrat pédagogique, Dunod, 1974, p. 33.Voir p. 32 : « L’image que l’on a de soi, c’est d’abord et de façon essentielle une image en opposition avec l’image perçue des autres enseignants. »

(2) A. Revuz, Est-il possible d’enseigner les mathématiques ?, PUF, Paris, 1980, p. 106.

(3) D. Glasman, Le Niveau baisse, réflexions sur les usages sociaux de la fausse évidence, CRDP, Grenoble, 1984, p. 25.

 

 

 

 

(1) J. Auba et J.-M. Leclercq, Les Enseignants dans les sociétés modernes, La Documentation française, Paris, 1984, p. 10.

(2) Ibid., p. 13.

(3) J. Benda, La Trahison des clercs, Grasset, Paris, 1927. Voir p. 150 : « On peut dire qu’il s’est constitué de nos jours, avec certains écrivains politiques, un véritable romantisme du pessimisme, aussi faux dans son absolutisme que l’optimisme de Rousseau et de Michelet duquel il s’est formé, et dont l’attitude hautaine et soi-disant scientifique impressionne grandement les âmes simples. » Ibid., p. 207 : « Que d’écrivains, en France, depuis cinquante ans, dont les noms sont sur toutes les lèvres, croient visiblement se conférer des lettres de noblesse par leur dégoût des institutions démocratiques ! », p. 208 : « Et de fait, les doctrines réactionnaires prêtent à un romantisme pessimiste et méprisant dont l’impression sur le vulgaire est bien autrement forte que celle du romantisme enthousiaste et optimiste. »

(4) J. Auba et J.-M. Leclercq, op. cit.

 

18

Mythe du niveau et mécanisme de défense

En fait, et mises à part les études des chercheurs et d’experts, qui restent encore confidentielles, les enseignants, qui parlent si fréquemment du niveau qui baisse (1), ne se réfèrent à aucun fondement critique ni à aucune référence sérieuse. Il s’agit d’une trop habituelle rengaine (ou même d’un tic culturel ou professionnel) qui peut s’expliquer dans la convergence de mobiles divers.

Par cette expression toute faite et qui dispense de toute recherche difficile, tel enseignant peut tout d’abord expliciter les difficultés qu’il ressent de façon croissante dans son métier (2). Ou bien il exprime la surprise qu’il éprouve, une année déterminée, à rencontrer des problèmes insolites pour lui, dans une classe particulière, sur une discipline donnée, et par rapport à quoi il extrapole trop promptement.

Parfois c’est sa lassitude professionnelle ou des contrariétés qu’il annonce, à mi-course de sa carrière : et il faut lire que c’est bien le niveau de son enthousiasme ou de ses espoirs professionnels qui a baissé.

Dans beaucoup de cas, il peut s’agir de problèmes d’humeur conjoncturels pour certains enseignants : à l’égard d’un groupe d’élèves, ou vis-à-vis de leurs collègues, ou encore en raison de modifications de leur travail par suite de réformes, de rénovations ou de conditions locales différentes.

Il est habituel de signifier son embarras devant une classe plus hétérogène, ou dont les élèves n’ont pas les habitudes méthodologiques et les connaissances qu’on souhaiterait acquises depuis l’année précédente : il faut alors lire que c’est le niveau des facilités pédagogiques qui a baissé (ou le niveau de la complexité d’enseigner qui s’est élevé).

C’est aussi un langage-réflexe devant les modifications incessantes des conditions d’enseignement qu’impose le zèle inépuisable des cabinets ministériels en succession accélérée.

La plupart du temps, c’est pour un enseignant une façon de se consoler ou de se dédouaner de résultats toujours insuffisants (à ses yeux ou aux yeux des autres) obtenus par ses élèves. Il est aisé de constater que les professeurs réfèrent trop fréquemment leurs appréciations non pas à des objectifs accessibles mais à des finalités culturelles, par définition inaccessibles. C’est aussi une façon de se défouler de l’ambiguïté naturelle à l’égard des jeunes.

C’est également une bonne manière pour s’affirmer rigoureux, à bon compte, dans l’aréopage des collègues enseignants. C’est enfin une manière facile de fronder les parents, l’État ou la nation, et de rehausser sa propre qualification ou de défendre son savoir fragilisé par l’accélération technique et scientifique.

Toutefois, ce jeu de renvoi des responsabilités, après un temps de badinage, s’est élevé d’un cran. Il a pu servir de discours de lutte en direction d’interlocuteurs multiples, avec une ambiguïté encore accrue, sinon quelque « dommage » à produire.

Discours du niveau et arguments de lutte

C’est d’abord un argument de lutte feutrée, en effet, entre enseignants. La baisse du niveau sert de prétexte pour se critiquer d’une catégorie à l’autre et s’opposer entre élitistes et démocrates, absolutistes et quiétistes, conservateurs et progressistes, droite et gauche, en savant mélange.

Les plus titrés, soucieux de maintenir des privilèges non négligeables, n’hésitent pas à laisser la responsabilité mal définie de cette baisse à des enseignants dont les diplômes ou les concours sont moins cotés.

Comme le constate Patrick Gosling : « Bien qu’ils répondent plus fréquemment que les autres à un questionnaire sur la réussite, les enseignants les plus diplômés sont aussi ceux qui font le moins de prédictions positives (V = 0,150). Les plus diplômés sont donc les plus élitistes » (1) ajoutons : quelles que soient leurs positions politiques.

Il faut reconnaître, au passage, la situation irrationnelle qui a eu tendance à se perpétuer en France depuis 1932 jusqu’à la fin du XXe siècle : dans les mêmes établissements, face aux mêmes élèves, des professeurs ont eu des charges de travail allégées pour des salaires largement supérieurs à ceux d’autres catégories d’enseignants, au seul vu de titres acquis une fois pour toutes. Les temps de service d’enseignement hebdomadaire devant tous les élèves du secondaire ont été, en effet, limités à quinze heures pour les agrégés, à dix-huit heures pour les certifiés, encore souvent à vingt et une heures pour les professeurs d’enseignement général des collèges, ou les professeurs d’enseignement général des lycées professionnels.

Plus on est réputé compétent, moins on doit donc travailler devant les mêmes élèves, mais plus on doit être rémunéré, même si le recrutement par concours et la formation reçue n’ont permis l’acquisition d’aucune méthodologie professionnelle (et même si aucune application aux charges convenues n’est contestable).

Une telle position, indéfendable en toute justice ou en équité, pousse, en conscience malheureuse, à rechercher des arguments non mesurables scientifiquement (et donc irréfutables) – par exemple, avec la dénonciation de l’échec, celui d’une baisse du niveau qui serait due à d’autres catégories d’enseignants, éliminant donc toute autre forme d’évaluation du service accompli.

Tant est forte la vulnérabilité des enseignants se ressentant promptement persécutés par le regard des autres. Chaque catégorie d’enseignants se défend en agressant, entre autres défenses mobilisables (2), même celle de certains mandarins. Car la même mise en accusation est exercée par les enseignants à l’encontre des collègues dont l’action pédagogique s’effectue en amont de leur propre activité.

Ainsi voit-on les instituteurs tenus en discrédit par des professeurs de collège ; ceux-ci sont à leur tour admonestés pour l’insuffisance de leur enseignement par les professeurs de lycée. Et le jeu continue : les professeurs d’enseignement supérieur se lamentent sur la formation donnée dans les lycées, cependant que les professeurs du second cycle s’indignent dans l’université des insuffisances du premier cycle en attendant d’être l’objet des sévères critiques de leurs collègues de chaire en troisième cycle. Et les intellectuels...

Plus généralement, chaque enseignant peut être enclin à se plaindre de la déficience (1) de ses collègues de l’année précédente et tout particulièrement des enseignants du primaire. Et les uns et les autres se rebiffent, ainsi que le rappelle le professeur André Revuz : « Comme chaque niveau de professeur résiste mal à montrer de la condescendance pour les connaissances de ceux qui enseignent à des élèves plus jeunes, par réaction, chaque niveau attaque l’insuffisance pédagogique de ceux qui enseignent à des élèves plus âgés. » (2)

L’incantation sur le niveau en péril a été aussi utilisée comme un argument immédiat en vue de s’opposer à des innovations ou pour couper court à des adaptations proposées par le ministère, par des chefs d’établissement, ou même par des collègues.

C’est une réplique automatique dans un psychodrame de la suffisance qui tend à disqualifier toute réorganisation des pratiques d’enseignement, toute évolution fondée sur les résultats de recherche, toute modification aux conditions d’exercice de la profession, et plus encore toute intervention de l’opinion ou des milieux parentaux. « Tout semble se passer, a écrit Daniel Glasman dans une étude approfondie, comme si la baisse du niveau qui s’affirme dès aujourd’hui ou qui se profile à l’horizon proche stimulait le corps enseignant dans la défense d’un monopole menacé de tous côtés. » (3)

Car, dans le même temps, « à une économie et à une société trop sûres d’elles-mêmes », ont succédé dans les années 1980 « une économie et une société de plus en plus conscientes d’être tributaires de leurs réseaux d’enseignement et de formation, auxquels elles ont alors naturellement de plus en plus tendance à demander des comptes » (1). Les enseignants ont passé au premier plan des débats publics où « on ne les retrouvait que pour les transformer en boucs émissaires » (2).

C’est que leur discours à la baisse du niveau ou à la dévaluation des études serait, en effet, resté sans conséquence s’il était demeuré dans les détours du sérail éducatif. Mais il en avait franchi le portique, allégrement diffusé par quelques enseignants en mal de notoriété, ou clercs, tentés périodiquement par le double romantisme du pessimisme et donc du mépris, comme Julien Benda les en démasquait dans son ouvrage sur La Trahison des clercs, dès 1927(3), ainsi que nous l’avons déjà rappelé.

Pour le plaisir des politiques, l’air du temps à volonté pouvait tourner à la tempête, comme on l’a vu, aidé par des zélateurs (voire par des membres de l’Inspection), appelant à la voie des débats les associations de parents d’élèves soucieux de grandes liturgies, qu’ils soient laïcs ou cléricaux.

Dans la lancée, chaque famille était reconnue compétente pour juger les problèmes de l’École en fonction des difficultés de ses enfants et dans la légitimation de ses propres souvenirs scolaires, enjolivés ou noircis ; enfin, « le journalisme et les divers médias ont généralisé, banalisé le débat sur l’éducation et rien ne pouvait paraître plus pénible, voire insupportable aux enseignants, généralement si enclins à douter du sérieux et de la validité des informations concernant l’éducation diffusées par la presse ou par la radio-télévision » (4).

Les enchères ont monté. Les enseignants ont explicité plus vivement leur déception chronique à l’égard des jeunes, tout en se livrant à leurs conflits catégoriels.

Mais les familles ont rétorqué en défendant leur progéniture et en pratiquant une critique de plus en plus injuste à l’égard des enseignants, considérés sans raison comme des privilégiés (à cause notamment de leurs vacances), dans l’oubli de leurs charges réelles.

Il s’est alors constitué un mécanisme de défense tous azimuts chez les enseignants, embarrassés dans leur double rôle contradictoire de prestataires de services publics et néanmoins de notables libéraux (agents doubles ? remarquait avec humour Daniel Hameline).

Ils en venaient nécessairement à rejeter corporativement toute critique visant tel ou tel collègue (même indéfendable) ou toute proposition d’ajustement (même raisonnable). L’inadaptation résiduelle du système scolaire et donc l’incapacité des enseignants à assurer rapidement la mise à jour des études scolaires ou universitaires ont, par suite, été vivement (et injustement) incriminées. C’était à nouveau comme la faute à Voltaire ou la faute à Rousseau. Les professeurs, de leur côté, accusaient, à défaut d’une étude sérieuse, de ce qu’ils pensaient être le laxisme familial, la faute à Gavroche, sinon même la faute aux Thénardier.

Pour tous, ce pouvait être la faute au gouvernement, voire, pour quelques-uns, la faute à l’État, à ses chefs ou au régime. Le monopole de distribution des diplômes détenu par le secteur public devait donc lui valoir auprès de certains une acrimonie particulière.

On se souvient de la mise en cause radicale qu’il subit à propos du débat sur l’enseignement privé : le niveau d’études et de résultats de celui-ci a été alors miraculeusement épargné, en ce qu’il demeurait comme une réserve d’espoir au profit éventuel de jeunes qui seraient en difficulté dans l’école publique.

L’opinion, on le voit bien, supportait de moins en moins l’évidence fallacieuse d’une fatalité des échecs scolaires ou universitaires : elle admettait mal l’érosion de la valeur des titres et l’insuccès d’une démocratisation des savoirs, décidément trop lente ou trop rapide.

Des discours élitistes paraissaient donc de mise ; une subversion des institutions publiques, une mise en poudre du système scolaire et universitaire, jugé trop compact dans sa forme jacobine (soviétiforme, prétendaient sans rire certains ultra-libéraux.), semblèrent même licites à certains.

Les réformes gouvernementales paraissaient excessives et insuffisantes simultanément, en France comme dans divers pays dont les jugements (et les exemples de privatisation) se paraient de vérité pour notre opinion.

Les enseignants étaient de plus en plus en discrédit. « Un livre blanc britannique ne craignit pas d’affirmer que certains d’entre eux sont incompétents et devraient être licenciés. » (1) Il ne peut en être question en France, mais l’animosité demeure toujours vive.

La querelle du niveau, finalement, ne sert à personne, et surtout pas aux élèves qui en sont finalement les victimes. Les mesures pour sortir de l’imbroglio qui en résulte, même si celui-ci plaît à nos habitudes, ne peuvent être établies que si on tente de démythifier le débat, en dépassant une bonne fois controverses émotionnelles et rêves d’un âge d’or mythique.

Il importe de rompre avec la délectation morose sur un obscurantisme des jeunes (même s’il faut convenir qu’ils ne sont pas toujours accueillis dans notre société et par nos intellectuels bougons !) et sur l’annonce d’une dégradation de l’enseignement en tentant d’établir l’état présent et la problématique de notre système éducatif : tâches ardues, s’il en est, mais indispensables. Il faut, autant qu’il est possible, en venir aux faits.

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) B. Ernst, « Le niveau général des conscrits : évolution depuis 20 ans », in : Que sait-on des connaissances des élèves ?, MEN, DEP, Paris, 1992, p. 31.

(2) C. Baudelot et R. Establet, op. cit., p. 79.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) C. Baudelot et R. Establet, op. cit., p. 80.

(2) Ibid., pp. 86 et 87.L’étude de B. Ernst note en revanche, entre 1981 et 1991, qu’« aux extrémités de l’échelle scolaire le niveau s’est accru tandis qu’au milieu il est moins élevé qu’il y a 10 ans », ou au moins stabilisé, in : Que sait-on des connaissances des élèves ?, op. cit.,p. 34. Il précise même (ibid., p. 32) : les « “cancres” de 1991 sont meilleurs que ceux de 1981 ».

(3) A. Prost, L’Enseignement et l’éducation en France, Nouvelle Librairie de France, tome IV, Paris, pp. 165 et 166.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) C. Seibel, Genèses et conséquences de l’échec scolaire, communication au colloque « Sociologie de l’éducation »,Toulouse, 16 et 17 mai 1983, p. 25.

(2) Chiffres tirés de la revue Éducation et Formations, no spécial, « Scénarios de développement du système éducatif », Direction de l’évaluation et de la prospective, ministère de l’Éducation nationale, Paris, juin 1992, p. 55, ainsi que de Repères, références statistiques 1999.

 

 

 

 

 

 

(1) Il est intéressant de voir, par exemple, un extrait du registre des procès-verbaux d’admission et de sortie de l’École pratique d’agriculture de Clion-sur-Indre, au 6 août 1898, comportant la conclusion suivante : « Le comité ayant constaté, comme l’année dernière déjà, que certains candidats possédant le certificat d’études primaires n’ont qu’une instruction très élémentaire, font un très grand nombre de fautes à la dictée et sont par suite incapables de suivre les cours de l’école, émet le voeu qu’à l’avenir, le certificat d’études primaires ne soit pas un titre donnant droit à l’entrée à l’école sans examen. »

(2) C. Baudelot et R. Establet, op. cit., pp. 44 et 45.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Dans l’Enquête sur l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire, INRP, Paris, 1979, tome 1. Parmi les outils, des tests pour les enfants de CE2 (c’est-à-dire âgé de huit à neuf ans) qui requièrent l’utilisation de tables de multiplication en base 4, en base 7 ou en base 10 ainsi que la capacité d’écrire le prédécesseur ou le successeur de nombres en diverses bases ou de savoir découvrir des opérateurs dans les tableaux de nombres.

(2) L. Legrand, La Différenciation pédagogique, Scarabée, Paris, 1986, p. 32.

(3) J. Guion, dans L’Institution orthographique, Centurion, 1974, p. 75.L’auteur dénonce, dans la même page, l’abus de jugements radicaux : tout ne serait que « débâcle », « régression», « barbarie », « abdication », « ravages », « délabrement », « ruine », etc.

(4) F.Ters, Orthographe et vérités, ESF, Paris, 1973, p. 21.

(5) L. Legrand, ibid., p. 27.

 

 

 

 

 

 

 

(1) C. Thélot, « La maîtrise de l’orthographe il y a cent ans et aujourd’hui », in : Que sait-on des connaissances des élèves ?, MEN, DEP, Paris, 1992, pp. 37 et 38.

(2) L. Legrand, op. cit., p. 90.

(3) Ibid., p. 91.

(4) L. Poriniot, La Crise de l’orthographe et l’École primaire, Lamertin, Bruxelles, 1933, p. 6.

(5) L. Legrand, op. cit., p. 27.

(6) Ibid., p. 28.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Horneman, 1968.

(2) L. Legrand, op. cit., p. 29.

(3) Ibid., p. 29.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Département des études et formations sur les systèmes d’éducation, CIEP, Sèvres. Publié dans : Que sait-on des connaissances des élèves ? ministère de l’Éducation nationale, Paris, 17 octobre 1992, p. 80.Voir Émilie Barrier in : Éducation et pédagogies, p. 165 : « Si 5% des élèves en CM et 1 % en collège ont de réelles difficultés, on est très loin des chiffres avancés ici ou là. L’autre élément positif est que le système éducatif français est capable d’amener les enfants qui ne sont pas de langue française à un niveau comparable à celui des autres pays développés. Il est temps que le pessimisme éducatif traditionnel dans notre pays soit remis en cause. » (sur le niveau d’illettrisme des élèves français).

(2) Note d’information 98-39, décembre, page 1.

(3) Ibid., p. 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., p. 4.

(2) Ibid., p. 5.

(3) Ibid., p. 5.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) L’ensemble de ces données est présenté dans un document publié par le ministère de la Défense sur les Journées d’appel de préparation à la Défense, notamment entre les pages 18 à 24. Ils ont été repris dans une note d’information du ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, datée du 9 mars 2000.

(2) Le Monde de l’Éducation, mai 2000, p. 46.

 

19

Repères factuels sur la qualité de l’École

L’état présent ?

Nous ne reprendrons pas, tout d’abord, les résultats déjà observés au plan quantitatif : ce n’est pas rien d’avoir pu asseoir tous les jeunes de France sur les bancs des écoles maternelles, primaires et secondaires du premier cycle ainsi que d’avoir plus que décuplé les capacités d’accueil en lycée et université. Mais il nous faut rechercher des indications précises et vérifiables au plan des progrès qualitatifs.

Une première information factuelle et globale nous a été fournie par les psychométriciens de l’armée, grâce aux mesures de tests sur le niveau de formation des jeunes effectuées au cours des trois jours passés, chaque année, dans les centres militaires de présélection depuis 1954. En 20 ans, observe Bernard Ernst, « le niveau moyen des conscrits s’est accru de 17,6 % » (1).

Sans doute, ne s’agit-il que des garçons. Mais les batteries de tests de niveau général ou de performances scolaires, fortement corrélées, donnent continûment des résultats à la hausse. Appliquant, en effet, aux quelque 400 000 appelés de 1982, le barème avec lequel avait été jaugé le contingent (de volume égal) en 1967, on constate que la note médiane de 10, séparant en 1967 l’effectif en deux moitiés égales, s’est portée à 13,5 en 1982 avec les mêmes tests : « Cette élévation du niveau de formation s’est concentrée sur les très bons niveaux, car il y a 58000 jeunes de plus au-dessus de la note 15, constatent Baudelot et Establet qui ajoutent que, corrélativement, la diminution des plus mauvais éléments compense presque exactement la croissance des meilleurs. » (2)

Ces auteurs observent également que les psychométriciens de l’armée ont dû plusieurs fois réviser en hausse leur barème. « Toutes les fois qu’ils ont procédé à des comparaisons entre deux périodes, ils ont aussi constaté une hausse de niveau... La classe des forts, qui regroupait 10 % du contingent en 1948, regroupe en 1974 65 % des conscrits sur le test d’intelligence générale (Matrix), 25 % sur le test de connaissances mathématiques (Maths), 28 % sur un test d’attention (Consignes), 23 % sur un test de langage (Verkal), 38 % sur un test de compréhension mécanique (MECA).Symétriquement, la classe la plus faible, qui comptait 10 % de l’effectif en 1948, est pratiquement désertée (de 1,5 à 3,5 % selon les tests) : le niveau a encore monté. » (1)

Complétant par d’autres études ces indications d’une hausse moyenne, les auteurs retiennent l’hypothèse que « l’élite scolaire s’étoffe numériquement, maintient son niveau et se détache plus nettement du peloton.

Le peloton central s’étoffe, s’essouffle et s’étire. Loin derrière, des éléments moins nombreux peinent à refaire leur retard. (2) »

Le baccalauréat a tenu le coup, en dépit de son exceptionnelle extension. Mais il faut regarder du côté des enseignements de base.

Retards scolaires dans le premier degré

Qu’en est-il des retards scolaires et, par cause ou effet, des redoublements tout d’abord dans le premier degré ?

« En 1966, note Antoine Prost, dans la meilleure hypothèse, quatre écoliers sur dix seulement achevaient leur scolarité élémentaire sans aucun redoublement (41,6 %),un tiers avait redoublé au moins une classe (33,1 %), un huitième, deux (16,2 %) et près d’un dixième (9,3 %) avait connu trois redoublements ou plus. Le cas normal, c’est de redoubler. »(3) Vingt ans plus tard, le pourcentage d’enfants achevant sans redoubler les cinq années d’une école primaire (dont les programmes n’ont pas été réduits) a presque doublé (en 1979, 70,5 %) et il a continué à se maintenir (en 1989, 71 %). La tendance se confirme actuellement.

Cette amélioration importante est à attribuer en partie à la généralisation de la préscolarisation en école maternelle, indispensable notamment pour les enfants de milieux non favorisés.

Mais il faut ajouter que l’utilisation du redoublement s’est avérée relativement inefficace : sa pratique a été abandonnée dans la plupart des pays – ce qui n’a pas convaincu en France.

Les études approfondies menées en France, notamment sous l’impulsion de Claude Seibel, en 1983, ont montré le frein au développement qu’il établit chez les enfants, surtout s’ils sont jeunes.

Ce constat conduisit ce polytechnicien, alors directeur des informations générales et des études statistiques au ministère de l’Éducation nationale, à assurer : « Quelle que soit la force des réticences à vaincre, d’autant plus ancrées qu’elles sont en partie inconscientes, les responsables de l’Éducation nationale doivent affirmer qu’aucune forme de sélection ou de présélection, consciente ou inconsciente, ne doit marquer l’école maternelle et l’école élémentaire. Ce changement d’attitude pédagogique sera d’autant plus difficile à obtenir que pour beaucoup exigence et sélection sont synonymes. » (1)

Échec, sélection, redoublement : on retrouve le débat démocratisation- élitisme et les réticences confuses qu’il entretient, quelles que soient les positions politiques des enseignants. L’alerte de Claude Seibel a fini par être entendue : la pratique du redoublement a été limitée au petit nombre de cas utiles et devrait moins servir à des choix et sélections prématurés, malgré les obsessions élitiques.

Toujours dans le premier degré, on doit, de même et complémentairement, noter une constante amélioration en ce qui concerne la variable des retards scolaires.

Entre 1981 et 1991, le taux de scolarisation à onze ans, en élémentaire, a baissé de 36 % à 24 % et devrait diminuer encore (19 % en CM2 en 1999); le taux analogue pour les élèves de douze ans a chuté, entre 1981 et 1991, de 12,5 % à 5,1 % (1,2 % en 1999), et celui des élèves de treize ans est passé, dans le même laps de temps, de 4 % à 0,4 %(2). De tels résultats ne peuvent résulter seulement de décisions technocratiques ; de patients et prudents efforts, de la part des enseignants, les ont rendus possibles, année après année. Bien entendu, les controverses habituelles à nos moeurs demeurent possibles. Il faut porter notre attention vers d’autres faits, de nature à confirmer ou infirmer les progrès réalisés dans le premier degré au bénéfice de tous les élèves.

On pourra se demander s’ils peuvent pérenniser ou non nos passions sur l’École.

L’école primaire et les apprentissages essentiels

Que peut-on dire sur le niveau des apprentissages fondamentaux ? « Il est clair, remarque Louis Legrand, qu’une étude objective du phénomène est quasi impossible en toute rigueur. » Outre la complexité du phénomène, on doit noter l’absence de tests stables, de données statistiques suffisantes.

On doit aussi prendre en compte le fait que la référence affective au certificat d’études, souvent alléguée pour magnifier la qualité de l’enseignement élémentaire de jadis, n’a pas toujours bénéficié d’une faveur constante (1). Elle ne concernait pas non plus la majorité des élèves (de l’ordre de 10 % en 1880-1881; 20 % entre 1914 et 1916, pour une région très scolarisée ; 33 % entre 1916 et 1928 ; et 66 % entre 1934 et 1941, pour cette même région).

En 1964-1965, au faîte de sa gloire, l’examen est décroché par à peine plus de la moitié (54 %) d’une génération d’enfants (2). Il faut aussi observer que l’enseignement primaire allait autrefois jusqu’à quatorze ans pour la très grande majorité des élèves, alors qu’il s’arrête actuellement en moyenne vers dix-onze ans !

On ne peut donc comparer brutalement les résultats globaux des écoles primaires d’antan à ceux de la totalité des effectifs des écoles d’aujourd’hui. Il faut ajouter les différences notables des programmes enseignés, mais aussi les nouvelles disciplines introduites.

Toutefois, les seules recherches sérieuses, trop peu nombreuses, sont toutes opposées à l’hypothèse d’une baisse de niveau.

Ainsi en est-il pour les mathématiques : en ce qui concerne les acquis traditionnels ou les techniques opératoires, les comparaisons qui ont pu être faites avec des enquêtes plus anciennes montrent que contrairement à une opinion répandue le niveau ne baisse pas. Les élèves d’aujourd’hui savent aussi bien faire les opérations qu’il y a vingt ans, et ont de plus la maîtrise d’outils que ne connaissaient pas leurs aînés (1).

Ces conclusions d’une enquête minutieuse effectuée sur un échantillon représentatif (3 669 élèves de CE2 et 3 654 élèves de CM2), en 1976 et 1977, sont confirmées par des enquêtes plus récentes.

Comparés aux résultats d’une enquête analogue effectuée à l’entrée en Sixième en 1959 (pour une fraction des meilleurs élèves de CM2), « il n’y a pas baisse, mais progrès » (2).

En ce qui concerne l’orthographe, les choses sont plus complexes, en raison des « dimensions pathologiques du discours attaché à la crise de l’orthographe » (3). Pourtant, des recherches précises et comparatives (par exemple l’étude des résultats de la dictée d’un même texte à des enfants français ou suisses, à Paris en 1904, à Neuchâtel en 1912, à Genève en 1921 et en 1948, à Besançon et Belfort en 1965) permettent à François Ters de constater que « les enfants de l’École française, en 1965, ont gagné un an par rapport aux résultats de leurs camarades de la Belle Époque » (4).

Louis Legrand a fait reprendre par des étudiants de maîtrise, une recherche sur la dictée du même texte en 1985. Le tableau des résultats selon les âges dans des écoles élémentaires et des classes de Sixième, en Alsace, « fait apparaître avec netteté qu’il n’y a pas, dans cette population du moins, de baisse de niveau en orthographe dans le cadre des difficultés contenues dans la phrase dictée. En revanche, il est possible, sinon probable, que cette moyenne maintenue cache une détérioration chez les plus faibles comme la dispersion constatée le laisse penser » (5).

C’est ce que confirme encore une étude comparative, réalisée en 1987, comparant les résultats obtenus (pour une dictée sur un texte de Fénelon comportant 78 mots) par un échantillon aléatoire d’élèves actuels à ceux de meilleurs élèves ayant fait la même dictée entre 1873 et 1987. « Contrairement à ce qui est souvent dit, les élèves d’aujourd’hui sont meilleurs en orthographe qu’il y a cent ans [...]. La maîtrise de l’orthographe s’accroît avec l’âge [...] ; en 1987, les élèves de CM2 ont eu en moyenne 6 ; ceux de Troisième ont eu en moyenne 15 ; la note moyenne fait donc plus que doubler, ce qui illustre l’efficacité orthographique du collège. »(1)

À l’appui de ce constat, il peut être piquant de rappeler le succès médiatique croissant de l’épreuve d’orthographe organisée chaque année par Bernard Pivot au plan national et international : des jeunes y réalisent d’étonnantes performances, distançant nombre d’adultes « cultivés » !

Jean Guion, pour sa part, a effectué une analyse serrée de résultats à des tests étalonnés (notamment l’échelle Dubois-Buyse datant de 1938, ainsi que des tests élaborés en 1968) ; il a également procédé à une revue critique des études antérieures. Il a alors été « conduit à refuser l’idée d’une baisse du niveau orthographique des enfants à un moment quelconque de l’histoire de la scolarité obligatoire » (2). Et il conclut : « Il y a permanence du niveau, ce qui sous-entend une absence d’amélioration de l’École. » (3) Dysorthographie comme dyslexie ne se laissent pas réduire facilement : surtout à une époque où prédomine l’action des médias audiovisuels.

Il est piquant de constater que c’est à un même résultat qu’avait abouti le Belge L. Poriniot en 1933 : «Toutes les critiques que l’on formule au sujet des insuffisances en orthographe des écoliers d’aujourd’hui étaient formulées il y a cinquante ans ou vingt ans, avec la même insistance : il n’y a rien de changé sous le soleil. » (4) Nous avons déjà vu cela pour les bacheliers d’antan ! Et cela peut continuer !

Il reste encore le problème de la lecture, « domaine également privilégié de plaintes et de pseudo-scandales » (5) observe Louis Legrand, qui ajoute : « Ici encore, la prudence est de rigueur. » (6) Les tests du savoir-lire qui existent depuis 1918 ont terriblement vieilli ; les tests nouveaux et plus complets sont récents (1) : ils ne permettent aucune comparaison avec le passé. En l’absence d’une enquête nationale sur un échantillon représentatif, toute généralisation serait scientifiquement condamnable.

Louis Legrand note toutefois, à partir d’une comparaison systématique des performances de lecture silencieuse sur huit collèges entre 1971 et 1978, une baisse de performance significative statistiquement de 2 points sur 45 points possibles (4,4 %). Mais cette baisse est surtout sensible chez les élèves faibles : « Est-elle catastrophique ? Et quelles peuvent en être les raisons ? Pédagogiques ou culturelles ? (Ch. Barré-de-Miniac, 1982). » (2)

Pour ce qui est de la vitesse de lecture fonctionnelle, l’auteur a procédé en 1984 à une évaluation rigoureuse auprès de 753 élèves à l’entrée en Sixième : « Seulement 22 % de ces élèves étaient en dessous de la vitesse d’orientation normale (moins de 600 signes/minute). » (3) Une comparaison avec des résultats obtenus à Genève en 1924 interdit d’affirmer une baisse de niveau quelconque.

Des enquêtes comparatives

Une enquête internationale sur le niveau en lecture, qui s’est déroulée au printemps 1991 dans une trentaine de pays des deux hémisphères (dont tous les pays de la CEE, sauf le Luxembourg et la Grande-Bretagne), nous donne même des indications comparatives réconfortantes. Le journal Le Monde put titrer en première page « Premiers en lecture dans l’Europe », dans son numéro du 24 septembre 1992. Cette enquête a été effectuée sur un échantillon représentatif de 1 877 élèves de CM1 (dans 140 écoles) qui devaient répondre à des questions standardisées relatives à trois types de textes (des documents; des exposés ; et des narrations, plus littéraires), ce qui donnait lieu à des scores. La France obtient en moyenne, dans les trois domaines, des scores autour de 530 points.

« Par rapport aux pays de la Communauté européenne – notent les chercheurs du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) – la France se trouve en tête, accompagnée selon les domaines de lecture de l’Allemagne (documents) ou de l’Italie (exposés et narrations). Dans les pays de l’OCDE, la Finlande vient largement en tête avec 569 points. Viennent ensuite la Suède et les États-Unis, puis un groupe de pays (France, Italie, Nouvelle-Zélande). L’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Espagne, le Portugal, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, le Canada ont des scores significativement inférieurs par rapport à la France [...] ; les élèves français les plus faibles ont des scores supérieurs à leurs homologues des autres pays, Finlande et États-Unis exceptés. Donc, même pour cette catégorie d’élèves, la France est bien placée. » (1)

Au plan national, une étude comparative a été conduite entre 1987 et 1997 sur des échantillons représentatifs d’élèves en fin de CM2, en vue de mesurer leurs performances en lecture-compréhension à dix ans d’intervalle (1987-1997), selon un même protocole.

L’épreuve était constituée de huit textes, chacun étant suivi de cinq questions destinées à en tester la compréhension. Du point de vue statistique, on s’était assuré de la parfaite comparabilité des deux échantillons et de leur correcte représentativité de l’ensemble des élèves de CM2 des écoles publiques de France métropolitaine.

La note d’information, publiée par la Direction de la programmation et du développement (DPD), précise : « Les résultats des deux cohortes sont équivalents : en 1997, les élèves ont obtenu une fréquence moyenne de réussite de 66,1 %, contre 65,6 % pour les élèves de 1987. En 1997, comme en 1987, trois questions sur quatre relevant de la compréhension immédiate, et une sur deux mettant en jeu la construction d’informations sont réussies par les élèves. » (2) Une fois de plus, le « niveau » se maintient !

Si les performances globales sont restées stables en l’espace de dix ans, quelques tendances intéressantes peuvent aussi être observées. « Les résultats des filles et des garçons sont similaires au sein de chacune des deux populations. [...] Aux deux époques, les résultats des élèves en avance sont supérieurs à ceux des élèves “à l’heure”, eux-mêmes supérieurs à ceux des élèves présentant, à l’entrée en CM2, un retard d’au moins un an » (3).

Les rédacteurs insistent, à ce propos, sur la modification de la structure par âge des élèves en l’espace de dix ans : « nette augmentation de la proportion d’élèves “à l’heure” [64,0 % en 1987 et 76,9 % en 1997] et nette diminution de la proportion d’élèves en retard », par suite de la limitation du nombre des redoublements.Toutefois : « ceux qui sont autorisés à passer en Sixième ont bien des résultats supérieurs aux futurs redoublants» (1), en moins grand nombre mais dont les résultats se sont détériorés sur la période de manière significative (– 4,2 points). « En 1997 comme en 1987, l’origine sociale des élèves induit une différenciation forte des résultats à l’épreuve considérée » (2) : on peut comprendre que « les élèves scolarisés en ZEP réussissent moins bien que les autres à l’épreuve,

[...] Cependant, près d’un élève scolarisé en ZEP sur trois a obtenu à l’épreuve de lecture-compréhension un score de réussite supérieur au score moyen de réussite des élèves non scolarisés en ZEP » (3). On peut penser que c’est encourageant.

Au plan national, on peut encore constater les résultats d’une étude réalisée en 1999 par la Direction du service national, au ministère de la Défense, dans le cadre des journées d’Appel de préparation à la Défense. Des tests de lecture ont été conçus, en partenariat, par le ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie (DPD) et par l’université Paris-V.

Ces tests étaient proposés à un échantillon de 16 666 jeunes hommes (entre 17 et 19 ans), avec des précautions prises pour assurer la représentativité nationale de cet échantillon. Le traitement des données recueillies fait apparaître un groupe de 9,7 % de jeunes, d’environ 17 ans, qui peuvent être considérés en difficulté pour accomplir des lectures nécessaires à la vie quotidienne.

Un examen plus approfondi permet de détecter, au sein de ce groupe, 3,9 % de jeunes en grande difficulté en lecture comme en orthographe.

On est loin des chiffres souvent proférés avec passion. On trouve, d’autre part, un groupe de 5,3 % de lecteurs en difficulté partielle (« rigides » mais sans trouble apparent des mécanismes fondamentaux) et 0,6 % de « lecteurs repêchés par des nouveaux tests ».

Sur les 91 % de jeunes dont les résultats sont satisfaisants, les scores moyens obtenus en fonction du type de compréhension sont de 92,7 % de réussite sur des items de compréhension immédiate, 70,3 % sur des items de compréhension logique, et encore de 56,9 % en items de compréhension fine. À l’épreuve de l’orthographe, le score moyen est de 73,9 sur cent (1).

Au total, on doit constater que plus des deux tiers des jeunes réussissent sur plus des trois quarts des items : et même 16,2 % réussissent plus de neuf dixièmes des items. En revanche, il faut déplorer moins de 4 % de jeunes ayant de grandes difficultés de lecture (et d’orthographe).

On ne saurait dire que les générations de jeunes Français sont illettrées aujourd’hui ou davantage qu’hier, sinon par excès de passion.

Sur ce thème rebattu de l’illettrisme, le sociologue Bernard Lahire constate, au surplus, « le détournement d’un vrai problème », en mai 2000(2). Il note que ce néologisme a été « inventé vers la fin des années 1970 par le mouvement ATD Quart-Monde, utilisé par les médias à partir de 1983, puis officialisé par l’État en 1984 ». Mais il observe que « la catégorie “illettrisme” est devenue une catégorie attrape-tout permettant de parler aussi bien d’“échec scolaire”, de “dyslexie”, de “défense de la langue française”, de “problèmes de lecture publique”, de “citoyenneté” que de “violence dans les banlieues” ».

Le problème est devenu, dans la confusion et l’imprécision réelle, « grande cause nationale » ! Moyennant quoi, « certains “experts” (qui) se servent cyniquement du thème en vue d’accroître leurs profits symboliques et matériels personnels » s’inquiètent ou « crient au meurtre » devant l’analyse sérieuse de leurs « manipulations rhétoriques ».

L’auteur s’indigne alors, à juste titre, qu’« on voit aujourd’hui, dans des discours pseudo-savants, s’établir un lien de causalité entre “illettrisme” et “violence” ou “montée des extrémismes”. Pis encore, on peut lire que les enfants en difficulté avec la langue (orale comme écrite) “seront moins humains que les autres” (A. Bentolila) ». Ici encore, passions, intérêts et l’imbroglio « national » se développent et s’enroulent en ferventes complicités. Hélas !

Au chapitre de l’écriture, enfin, à défaut d’aucune enquête scientifique, on peut se reporter à une étude comparative faite sur les jeunes hommes jugés analphabètes, en raison de leur incapacité d’écrire, à nouveau par les services psychologiques de l’armée.

Dans cette étude, Joffre Dumazedier et Hélène de Gisors observent : « De 1880 jusqu’en 1975, le nombre des analphabètes dans la population française a connu une régression massive de 13,8 % à moins de 1 % (0,62 %). De 1976 à 1982, on observe une légère recrudescence du nombre d’analphabètes. Celui-ci reste toujours inférieur à 1 % de la population mais nous en sommes revenus au taux de 1971 (0,90 %) » dont on devine qu’il est sujet à caution et contestation, même si on prend soin de ne pas confondre analphabétisation et illettrisme.

Ces chiffres laissent cependant à penser qu’à la sortie de l’école obligatoire les jeunes Français avaient appris à écrire dans leur quasi totalité.

Mais à quel niveau et à quelle vitesse, avec quelle compréhension et réticence (ce qui autorise évidemment à d’incessantes disputes de chiffres) ? Et qu’a produit, dans la persévérance à écrire et lire, le passage devenu obligatoire au collège ?

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) F. Cros, « Le développement intellectuel des élèves de Sixième », in : L’Orientation scolaire et professionnelle, 1985.

(2) Recherches sur les problèmes du passage des élèves de l’école élémentaire au collège, INRP, Paris, 1984.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) L. Legrand, « Le niveau d’entrée en Sixième et ses implications », dans la revue Les Amis de Sèvres, no 85, mars 1977, p. 17. Résultat d’une enquête sur un échantillon de dixsept CES expérimentaux et quinze CES de référence, portant sur 5491 élèves.

(2) J. Repusseau, Bons et Mauvais Élèves, Casterman,Tournai, 1978, voir pp. 101 et suivantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, « Quand l’école de Jules Ferry est-elle morte ? », in : Revue de l’histoire de l’éducation, no 14, avril 1982, INRP, Paris, p. 34.

(2) A. Prost, Éducation, société et politiques, op. cit., p. 156.Voir tableau p. 157.

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Mingat et J. Perrot, « Analyse des procédures d’orientation au palier de Troisième», in : L’Orientation scolaire et professionnelle, 1983, 12, no l, p. 25.

(2) In : Éducation et Formation, op. cit., 1992, p. 16.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) P. Esquieu, Éducation et Formation, op. cit., p. 17. Nous utiliserons plus loin les données relatives au second cycle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) In Daniel Robin et al., Qualité de l’éducation. Apport de deux comparaisons internationales. Notes de synthèse, INRP, Paris, 1984, p. 8.

(2) Ibid., p. 10.

(3) D. Robin et al., op. cit., p. 10.

(4) Ibid., p. 10.

(5) Un professeur de collège nous disait en 1988 qu’elle s’était aperçue, en reprenant ses dossiers, avoir donné à ses élèves de Quatrième des problèmes qu’elle donnait dix ans plus tôt à ses élèves de Seconde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Publié dans : Que sait-on des connaissances des élèves ?, ministère de l’Éducation nationale, Paris, 17 octobre 1992, p. 91.

(2) Que sait-on des connaissances des élèves ?, p. 46.

(3) Ibid., p. 49.

(4) Ibid., p. 50.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) On l’a vu, dès qu’une mesure nouvelle est prescrite, et notamment quand certains ont voulu tirer raison, véhémentement (!), à propos des résultats décevants observés dans les épreuves du brevet des collèges, quand il fut nouvellement institué en 1986, dans des formes reconnues alors par les enseignants et le ministère comme outrancières et inadaptées aux enseignements professés.

(2) Chiffres de Repères et Références statistiques sur les enseignements et les formations, édition 1999.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) B. Chevalier et M. Colin, La Lecture-Recherche en Sixième et Cinquième, INRP, Paris, 1990, p. 245.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) B. Chevalier et M. Colin, op. cit., p. 247.

(2) Ibid., p. 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) F. Dubet et M. Duru-Bellat, L’Hypocrisie scolaire, Le Seuil, Paris, sept. 2000, p. 137.

(2) Ibidem, F. Dubet et M. Duru-Bellat peuvent énoncer avec vigueur, p. 222 : « Le temps du collège est celui de la scolarité obligatoire, c’est le temps de l’école commune plus soucieuse de rassembler une génération que de la diviser. C’est pour cette raison que le collège doit renoncer à la sélection et se fixer des objectifs communs en s’assurant qu’ils seront atteints par tous. Cette affirmation fait peur car elle apparaît comme un nivellement vers le bas. Mais on ne voit pas en quoi, en garantissant à tous un niveau minimum, on empêche certains élèves d’aller plus loin. »

 

 

 

 

20

Malaise des collèges ?

À la sortie de l’école primaire, selon Françoise Cros, l’évolution intellectuelle des élèves (suivant les stades de la pensée définis par Piaget et ses émules) n’est accomplie que de façon inégale : 44 % des élèves en sont encore à la pensée concrète; 6 % ont déjà accédé à la pensée hypothético-déductive formelle, pendant que 50 % se situent dans un stade intermédiaire (1). Saurait-il en être autrement ? Ou alors, à quelles conditions pédagogiques ?

Les progrès des uns et des autres vont pouvoir se poursuivre à des rythmes variés, permettant de dépasser des retards provisoires : leur accélération sera plus ou moins favorisée par l’organisation concrète de l’enseignement et les méthodes adoptées par les professeurs, bien que ceux-ci n’aient pas toujours été préparés à tenir compte de ce que savent réellement leurs élèves (2), à leur arrivée au collège.

Il y a, en fait, chez ceux-ci, une très grande diversité des connaissances acquises allant de savoirs solides jusqu’à des performances faibles en lecture (que nous avons mentionnées). Il s’ajoute que le changement d’institution (de l’école de quartier au collège plus éloigné) n’est pas vécu de façon égale ou facile par tous les jeunes, et que plus de deux mois de vacances ont pu inégalement effacer ou éloigner les acquisitions faites à l’école primaire.

Il s’ensuit une très grande hétérogénéité dans les cohortes d’élèves qui sont admis au collège, tout examen de passage ayant été aboli et les redoublements en élémentaire se réduisant progressivement.

Entre 1959 et 1975, 20 à 25 % des élèves les plus faibles à l’issue de leur scolarité primaire (et relativement plus âgés) étaient séparés des autres et affectés au collège dans des filières particulières (dites voie III, de transition, ou de programme allégé).

Dans ces filières s’étaient souvent développées des formes pédagogiques intéressantes. Toutefois, la sélection drastique effectuée par l’orientation d’élèves vers ces filières sans critère correct se révéla, à l’expérience, manquer de fiabilité.

Plusieurs enquêtes, relatives à des milliers d’élèves, ont en effet porté le doute sur les tris prématurés qui étaient ainsi effectués : jusqu’à 50 % des effectifs d’une filière dans un établissement auraient pu être admis à une autre filière dans un autre établissement ; et, dans un même établissement, une proportion notable d’enfants localisés dans une filière aurait pu aussi bien être placée dans une autre (1).

C’est en toute rectitude que l’inspecteur général Jean Repusseau a pu écrire : « Tous les enfants du meilleur niveau n’étaient pas dans les Sixièmes normales, et tous les enfants des plus bas niveaux n’étaient pas dans les classes à programme allégé. » (2)

En 1975, la réforme Haby (appliquée en 1977) imposait alors de placer tous les élèves dans les mêmes classes, en supprimant toute filière explicite. L’hétérogénéité maximale était donc imposée à tous les professeurs, quelles que fussent leur formation et leurs habitudes et sans qu’aucune préparation pédagogique ne leur soit offerte.

Il en résulta une recrudescence des conflits, à propos de l’égalitarisme, entre les diverses catégories d’enseignants auxquels, malgré les différences de durée de service et de statut, étaient imposés les mêmes enseignements dans des classes identiques dont la taille était réduite à moins de vingt-quatre élèves, mais avec l’interdiction d’en dédoubler aucune (ce qui restreignait l’espace d’organisation pédagogique).

Les difficultés rencontrées, notamment pour une fraction de chaque classe, ont donc soutenu l’idée d’une baisse générale du niveau à l’entrée des collèges et ont accrédité un jugement négatif à l’encontre de l’enseignement élémentaire. On oubliait ce que nous avons déjà évoqué et que l’historien de l’éducation Antoine Prost a justement rappelé que : « à l’époque où l’enseignement primaire passe pour avoir le mieux fonctionné, dans les années 1930 », seulement « une moitié de chaque génération accédait au certificat d’études » (1) et bien peu accédaient en Sixième où les professeurs enseignaient suivant une méthodologie relativement uniforme et traditionnelle.

Le fonctionnement des collèges fut souvent atteint par les appréciations péjoratives, énoncées sans recul suffisant, ainsi que par les controverses, et les obstacles rencontrés par les professeurs pour apporter aux élèves en difficulté un soutien pédagogique efficace, tel que le ministre l’avait prescrit. Le manque de souplesse entre les classes et les niveaux accrut l’isolationnisme des enseignants, leurs oppositions internes et leur solitude.

Le malaise croissant s’accompagna alors d’une proportion de plus en plus élevée de redoublements pour les élèves, majorant les découragements et aggravant le volume des classes au premier et au second cycle.

C’est ce que note Antoine Prost, analysant le fait que la sélection, dans le second degré, s’est massivement renforcée, contrairement à ce qu’affirmaient les adversaires d’Alain Savary : « Entre 1975-1976 et 1985-1986, les taux de redoublement ont connu une augmentation sensible et notamment dans les classes qui constituent un palier d’orientation. Ils passent de 6,05 % à 16,4 % pour la classe de Cinquième, de 7,3 % à 14,3 % pour celle de Troisième, de 11,4 % à 17,8 % en Seconde et de 7 % à 12,7 % en Première. La Terminale,sanctionnée par le baccalauréat, est redoublée par un élève sur cinq dans les années 1980. » (2)

Comme le montre le tableau ci-après (p. 209), on verra plus loin que, la mauvaise humeur ou la défiance dépassées, mais aussi la pédagogie progressivement différenciée s’étant ajustée aux nouveaux  publics d’élèves (avec l’appui d’une formation continuée enfin à grande échelle), ces taux de redoublement vont à nouveau se détendre.

En attendant, sur la fin de la scolarité obligatoire, les procédures d’orientation, fondées sur le mécanisme rigide (et imprécis dans ses critères) des notations et des moyennes globales, se révélèrent de plus en plus aléatoires.

Dans une importante étude, Alain Mingat a pu noter en 1981 la dépression des voeux des familles dans les milieux non favorisés et par voie de conséquence : « Globalement pour la filière C, qui a longtemps été la filière élitique par excellence, mais nous savons que cette situation est encore plus fréquente pour les autres filières, la procédure d’orientation, qui est caractérisée par des structures fortes en moyenne, est relativement approximative et imprécise au niveau individuel. » (1)

Évaluations et renversement de tendances en collèges

Il ne faudrait cependant pas croire que ces réelles difficultés de fonctionnement et d’adaptation aient érodé le niveau de leurs résultats, malgré ce qui en a été dit sans preuve. Devenu enseignement de masse, l’enseignement des collèges et des lycées a néanmoins réalisé des progrès qu’il serait injuste de méconnaître, même s’il accuse encore des limites.

En témoigne déjà, comme nous l’avons annoncé, après leur hausse, la réduction continue des redoublements, qui est considérée comme devant se prolonger encore : « Depuis 1986 et 1987, et principalement dans les classes du premier cycle des collèges, les taux de redoublement ont fortement diminué, pour revenir pratiquement aux niveaux qui prévalaient au milieu des années 1970 », et même des années 1960, analyse Paul Esquieu.

Ce chercheur ajoute : « Tendent ainsi à disparaître les effets de la réforme Haby qui, instituant le collège unique, avait entraîné un recours accru au redoublement pour des populations d’élèves hétérogènes, désormais scolarisés ensemble. Le “renversement” actuel de tendance devrait se confirmer lors des prochaines années, mais différentes évolutions restent envisageables. » (2)

Ce point de vue est actualisé dans le tableau ci-après, publié par la Direction de l’évaluation et de la prospective, en illustration de la note de Paul Esquieu. Ses données concrètes font bien apparaître les fluctuations des procédures d’évaluation et d’orientation scolaires, mais aussi la durée d’une vingtaine d’années pour assimiler une réforme structurelle dans le système scolaire, si l’on réfère ses données aux précédentes citées par Antoine Prost (p. 207). On peut aussi prévoir des fluctuations, ou même des régressions, selon les temps.

La double répercussion de la baisse de la moyenne des âges dans le premier degré et de celle des redoublements dans les collèges

entraîne évidemment une baisse sensible de la moyenne des âges dans les collèges : nous en verrons les conséquences dans le cadre des lycées ; mais ce rajeunissement des cohortes de collégiens se serait-il effectué au détriment de la qualité de leurs études ?

Il importe, toutes les fois qu’il nous est possible de nous référer à des études solides, de caractère scientifique, même partielles (et non pas à des estimations au jugé, plus ou moins fantaisistes), de dégager les éventuelles régressions ou, plus directement, les progrès effectivement accomplis.

Progrès en mathématiques

Les progrès les plus évidents sont ceux qui ont été obtenus en mathématiques et qu’une enquête internationale de grande envergure, effectuée dans vingt-six pays des cinq continents, au cours des années 1960 puis des années 1980, nous permet d’apprécier.

La recherche de l’IEA (Association internationale pour l’évaluation des résultats scolaires) a notamment porté sur les résultats à 180 exercices en mathématiques, élaborés mondialement en vue de couvrir les programmes et les conditions de leur enseignement, pour des élèves de quatorze ans : ils ont été proposés, en France, à un échantillon représentatif de 8 500 élèves de Quatrième, dans 190 collèges de structure et d’environnement variés significativement. Les comparaisons parlent d’elles-mêmes. « Sur presque tous les sujets, la moyenne des résultats français... est supérieure à la moyenne internationale et se situe souvent dans le quartile supérieur » (1) de la répartition des résultats mondiaux.

En langage mathématique, en calcul arithmétique ou algébrique, « la France dépasse la moyenne internationale de 12 à 15 % » (2).

En ce qui concerne l’efficacité de l’enseignement des professeurs de mathématiques en France, une présentation de tests en début et fin d’année permet de conclure à un accroissement important des résultats des élèves, supérieur à l’accroissement moyen pour l’ensemble des pays.

D’autre part, l’étude comparative de résultats à une quarantaine d’exercices qui avaient fait l’objet d’une enquête internationale analogue en 1964 montre, presque vingt ans plus tard, des pourcentages de progrès très importants en algèbre : trois fois plus que la moyenne des autres pays. De même en statistique. En ce qui concerne la géométrie, la comparaison est difficile en raison d’un changement notable imposé aux programmes.

Mais, pour l’arithmétique, « il faut remarquer que, contrairement aux idées reçues, les résultats partiels montrent que les élèves calculent aussi bien qu’il y a vingt ans » (3). Le niveau général en mathématiques des élèves de collège n’a donc pas baissé, loin de là. Et ce fait est d’autant plus notable que le niveau d’exigence est important : « L’exigence est plus importante en France que dans la plupart des pays. » (4) Elle s’est même accrue(5).

Enfin, constatation plus inattendue, la dispersion des résultats obtenus par les élèves de l’échantillon français est très faible. L’écart type est de 1 %, dix fois plus petit que l’écart type des résultats mondiaux.

Il y a donc une satisfaisante homogénéité de l’enseignement des mathématiques dans les collèges français, qu’on peut attribuer au développement qu’a pris la formation continue de tous les professeurs dispensée grâce à un compagnonnage entre professeurs et universitaires dans le cadre des Instituts pour la recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM).

Dans ses limites comparatives, une enquête de 1991, réalisée par l’International Assessment of Educational Progress (IAEP), pour des élèves de treize ans, confirme que « la réussite moyenne des élèves en France est toujours supérieure à la moyenne IAEP » (1) et l’écart entre élèves faibles et forts reste moyen.

Une étude de septembre 1992, sur l’évolution des compétences en mathématiques observées chez les élèves en fin de Troisième générale, d’une évaluation à une autre sur vingt ans, a été faite par l’IREM de Besançon et l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public.

Exprimées avec beaucoup de prudence (scientifique), les remarques finales soulignent les constatations suivantes : « Dans près de neuf cas sur dix, les taux de réussite sont en augmentation d’une évaluation à l’autre », même si « les modifications de programme font qu’un nombre important de questions ne peuvent pas être reprises d’une évaluation sur l’autre » et alors que « les compétences des élèves se sont déplacées. [...] Des améliorations importantes se sont produites à tous les niveaux, dans un certain nombre de domaines. Ces améliorations sont sensibles dès le début du collège et, pour certains au moins, doivent être versées au crédit de l’école élémentaire. » (2)

Notant que « les enseignants considèrent que les programmes actuels sont plus satisfaisants que ceux qu’ils ont remplacés », les auteurs de l’étude observent également, en fin de Troisième générale, que les résultats obtenus « vont évidemment dans le sens d’une amélioration globale des compétences » (3). Et sans conclure d’emblée, en raison des limites méthodologiques des évaluations complexes réalisées, ils assurent toutefois : « Pour l’instant, l’hypothèse d’une amélioration générale reste plus que raisonnable. »(4)

De telles évaluations, à l’issue d’une enquête minutieuse, devraient conduire à la modération les prophètes de malheur qui spéculent à tout propos sur la prétendue baisse de qualité du système éducatif français de décennies en décennies ! (1)

Autres indicateurs positifs pour les collèges

Il faut regretter que l’enquête de l’IEA n’ait pu porter, par manque de crédits, sur les autres matières, notamment littéraires. À défaut de résultats comparatifs (au niveau national et international), on peut cependant relever quelques paramètres indicatifs.

Tout d’abord, et nous l’avons déjà relevé, l’enseignement du latin n’a pas dépéri, purement et simplement, comme le voudraient certains.

Ainsi que nous l’a fait observer l’inspecteur général Jacquenod, latiniste de formation et auteur d’une thèse sur Quintilien, il y a actuellement dans les collèges quatre fois plus d’enfants qui font du latin qu’il n’y en eut avant la guerre de 1939-1945. Leur pourcentage est régulièrement croissant.

De la sorte, rappelons-le, une fois encore, presque le quart des jeunes Français d’une classe d’âge a fait présentement du latin et, pour certains, du grec : soit en 1990-1991, 357500 élèves de Quatrième et de Troisième (26,6 % des élèves des collèges) en latin et plus de 31344 en grec (2). Les chiffres sont encore de 360 000 en 1998-1999, auxquels il faut ajouter près de 200 000 élèves de Cinquième.

La démocratisation a donc eu des conséquences heureuses en permettant la diffusion élargie des fondements de la langue française appuyés sur la référence du latin. Ce fait devrait modérer les humeurs des élitistes ! S’il est possible de rêver...

En ce qui concerne les langues vivantes, la plupart des observateurs s’accordent pour reconnaître les progrès importants qui ont été accomplis dans les collèges. Il reste encore à faire !

À la formation livresque d’antan a succédé l’enseignement d’une pratique orale, plus aisée, des langues étrangères. La fréquence des voyages ou séjours linguistiques à l’étranger a beaucoup augmenté.

Si l’anglais reste choisi en première langue par 89,2 % des élèves, le pourcentage d’élèves apprenant l’allemand atteint 10 %. Plus des trois quarts des élèves étudient une seconde langue à partir de la classe de Quatrième dont pour près de 60 % l’espagnol.

Il faut également ajouter à ces progressions qualitatives celles des enseignements scientifiques. Depuis 1977, la physique et la chimie ont été enseignées, pour un service d’une heure trente par semaine, dans les collèges dès la classe de Sixième (ou et seulement à partir de la Quatrième, depuis 1990, mais pour un service de deux heures) alors que leur enseignement commençait jusqu’alors en Seconde.

Des améliorations didactiques ont été obtenues pour les enseignements de sciences naturelles. Un apprentissage informatique a été systématiquement introduit. Dépassant les premières approches d’un enseignement manuel et technique, des cours de technologie approfondie ont été introduits, répondant aux exigences de la modernité industrielle et scientifique. Des cours d’économie et d’instruction civique se sont également ajoutés aux programmes.

Avec la musique qui n’était pas enseignée, il y a une trentaine d’années, cela fait six à sept disciplines qui ont été ajoutées dans les programmes d’une éducation de masse aux huit disciplines imposées autrefois à l’éducation d’un petit nombre (d’une élite ?). On voudra bien convenir que ce n’est pas rien : ô surcharge...

Dans l’enseignement du français, l’introduction des notions modernes inspirées par la recherche linguistique a fait l’objet de vives controverses. En l’absence de toute étude scientifique, il est difficile d’établir un constat de la situation réelle.

L’enseignement littéraire d’autrefois était-il, même pour un petit nombre d’élèves, performant d’une façon satisfaisante sur tout le territoire ?

En ce qui concerne la lecture, une recherche-action, effectuée vers la fin des années 1980, a permis aux chercheurs Brigitte Chevalier et M. Colin d’observer à son terme : « La situation a beaucoup évolué ces dix dernières années : les documentalistes et les professeurs se sont efforcés de dépasser les constats de carence, ils ont mis en place des actions couronnées de succès. » (1)

Il est remarquable, en effet, de constater dans la plupart des collèges l’ingéniosité déployée par les professeurs pour mettre au point des dispositifs intelligents pour la formation des élèves à la recherche documentaire et à la lecture.

Les auteurs précités peuvent assurer : « L’enseignement de la lecture recherche ou lecture de travail conquiert peu à peu droit de cité au collège » (1), ce qui appelle un statut nouveau, plus opératoire et méthodologique, de la lecture dans les pratiques scolaires.

Ces auteurs étaient partis, dans leur problématique de constat : « La remarque cent fois entendue :“les élèves ne savent pas lire en Sixième”, nous incita à faire un sondage auprès des formateurs du module et d’équipes de terrain. Les opinions recueillies convergeaient : hormis le cas où véritablement l’élève ne se trouvait qu’au stade du déchiffrage, il s’agissait plus, en règle générale, d’un problème de méthode dans l’approche des textes, de rapidité et d’efficacité que de problèmes d’apprentissage de lecture au sens courant du terme. » (2)

L’enseignement de l’histoire et de la géographie a fait l’objet de critiques assez vives. Une mission dirigée par le professeur Girault a établi en 1983 un rapport qui a entraîné quelques mesures correctives.

Comme ailleurs, c’est surtout l’histoire événementielle qui avait été moins bien traitée, mais au profit de l’histoire sociale et de la géographie humaine. En 1993, un nouveau rapport sur l’histoire, la géographie et les sciences sociales a été réalisé sous la direction de Philippe Joutard.

Notons au passage l’alourdissement typique du programme d’histoire dans les classes de Sixième : on a surajouté aux savoirs sur l’Égypte, la Grèce et Rome, classiques pour de nombreuses générations, rien moins que l’histoire de la Chine, celle de l’Inde, l’histoire des Hébreux et enfin celle de la naissance du christianisme ! Quousque tandem... ! Pour une classe d’âge entière !

Rappelons aussi que les classes de Troisième se sont vu attribuer le programme autrefois traité en Terminale. Laxisme?

Sans doute, le poids fortement accru des matières scientifiques a-t-il porté quelque ombrage aux disciplines littéraires. Mais, en l’absence de mesures et de tests adéquats, il est difficile d’énoncer un jugement quelconque. On sait que des mesures en faveur des voies littéraires sont à l’étude en l’an 2000, sous l’impulsion de Jack Lang.

Il faut encore ajouter, au crédit des efforts consentis par les enseignants, les progrès réalisés dans les pourcentages de sortie d’élèves hors de l’enseignement des collèges du secteur public : stabilisation à 10 % pour l’ensemble des trois premières années ; réduction de moitié, en dix ans, pour les départs en cours de classe de Troisième (24,62 % en 1973-1974 ; 12,64 % en 1984-1985, pourcentages inférieurs à 10 % en fin de siècle). Là encore, il s’agit de résultats positifs au plan de ces indicateurs.

Le collège n’est donc pas le « maillon faible » du système scolaire, assurent François Dubet et Marie Duru-Bellat dans un ouvrage remarquable « comme le montrent les résultats des élèves, mais là où le métier d’enseignant est le plus difficile face à l’hétérogénéité des effectifs ». Et de préciser : « Le système scolaire, notamment le collège, a changé bien plus que ne le laisserait entendre la caricature de rigidité jacobine et corporative souvent brossée. Il a su se diversifier sans éclater, il a su innover sans perdre son unité. (1) »

Mais de toute façon, on ne peut oublier que les améliorations, obtenues lentement, restent insuffisantes. Trop de jeunes abandonnent encore les collèges ou en sortent sans bagage suffisant pour affronter la vie moderne et pour s’insérer dans la trame professionnelle, de plus en plus tendue. Aussi bien « on ne peut plus se satisfaire de ce qu’il [le bilan] serait “globalement positif” car il s’est créé de véritables poches de ségrégation, proches parfois de l’apartheid scolaire et social, et des difficultés extrêmes tant pour les professeurs que pour les élèves. (2) »

C’est ce diagnostic qui a rendu nécessaire une rénovation décidée à l’issue du rapport de la commission présidée en 1982 par Louis Legrand. Celui-ci avait préconisé diverses mesures qui visaient à organiser les enseignements de façon différenciée afin de tenir compte de l’hétérogénéité des élèves (et aussi de la diversité de formation des professeurs). Nous reverrons ces mesures dans les chapitres suivants, préparant à la consultation sur le collège menée en 1998-1999 sous la direction de François Dubet, comme nous l’avons déjà évoqué.

 

 

 

 

 

(1) Voir les données du tableau 10, p. 158, de l’ouvrage d’Antoine Prost, Éducation, société et politiques, Seuil, Paris, 1992, mais aussi Repères, références statistiques 1999. Également, voir Mohamed Cherkaoui, Les Changements du système éducatif français. 1950-1980, PUF, Paris, 1982, pp. 109 et suivantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, Les Lycées et leurs études au seuil du XXe siècle, ministère de l’Éducation nationale, décembre 1983, p. 27.

(2) Voir Repères et références statistiques 1999.

(3) Correspondance adressée au journal Le Monde et parue dans le numéro du 2 mai 1989, en page 2.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Correspondance au journal Le Monde, op. cit.

(2) A. Prost, op. cit., p. 28.

(3) Ibid., p. 29.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Pour plus de détails, on pourra consulter Éric Bouchez et André de Peretti, Écoles et cultures en Europe, coll. « Savoir-Livre », Belin, Paris, 1990, pp. 109 et suivantes.

(2) Institut de l’entreprise, assemblée générale, allocution de D. Pineau-Valencienne, Paris, janvier 1993, pp. 2 et 4.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Éducation et Formation, « Scénarios du développement du système éducatif », op. cit., p. 26.

(2) Ph. Joutard et Claude Thélot, Réussir l’école, Paris, Le Seuil, 1999 (c’est moi qui ai souligné), p. 59.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ph. Joutard et Claude Thélot, op. cit., p. 60.

(2) Ibid., p. 61.

(3) Ibid., p. 62.

(4) Ibid., p. 63.

(5) Ibid., p. 72.

(6) Ibid., p. 73.

 

 

21

Indicateurs pour les lycées

Quels indicateurs pouvons-nous prendre en considération pour jauger les étiages de progrès éventuels dans les lycées ? Regardons au plus simple, du côté des taux de redoublement (inspirant souvent les jugements d’échec) et de l’âge moyen des élèves (la précocité étant souvent signe de succès dans notre culture).

Le tableau de la page 209 nous a permis de voir la réduction progressive ou la stabilisation des taux de redoublement : en fin de Seconde, de 18,1 % en 1986, à 15,9 % en 1992, et à 16 % en 1998- 1999; en Première, de 12,7 % en 1986 à 12 % en 1992, avec une stabilité ou une baisse à 7,9 % en 1998-1999; enfin, en Terminale, le taux baisse de 19,5 % à 18 % et se maintiendrait vers 13,8 % en 1999, ce qui semble normal pour stimuler les efforts des lycéens en fin de scolarité (c’était les chiffres d’il y a trente ans).

Comme dans le premier cycle, on peut compléter les données relatives aux taux de redoublement par celles que donne l’indicateur de l’âge des élèves et qui vont dans le même sens d’un net rajeunissement de l’âge moyen des élèves.

En Seconde, de 1958-1959 à 1998-1999, le pourcentage de jeunes d’âge inférieur à seize ans est passé, dans l’enseignement public (technique inclus), de 36 % à 63,9 %, et celui des plus de seize ans, de 26 % à 7,7 % (avec, même, une décrue forte en 1980-1981 à 5,5 %), et ceci alors que les effectifs d’élèves triplaient (allant de 112000 à 335000).

Dans les classes Terminales, le pourcentage des élèves de moins de dix-huit ans a grimpé de 33,9 % en 1958-1959 à 47 % en 1998-1999, et celui des élèves de plus de dix-huit ans a chuté à 21,3 % dans les mêmes temps et pour des effectifs déjà triples (1) en sorte que l’âge moyen a baissé de deux ans.

Ces résultats doivent être considérés comme positifs, outre l’importance accordée à la précocité dans notre pays, en raison des chances accrues de poursuite d’études supérieures qu’ils donnent aux jeunes Français.

Au-delà des considérations statistiques, il importe de regarder les indicateurs de qualité, autant que cela est objectivement possible.

Progrès et programmes?

Dans l’ensemble, en dépit de leur extension quantitative, les établissements secondaires de second cycle, les lycées, ont fait face aux évolutions culturelles, professionnelles et scientifiques de notre pays.

On doit d’abord prendre acte du niveau élevé des programmes qui ont été enseignés dans les Terminales C et D (accueillant alors un tiers des élèves de Terminales d’enseignement général).

En mathématiques, ce niveau a placé l’enseignement français plus d’un an en avance sur les autres pays, comme le fait apparaître l’enquête IEA dont nous avons déjà parlé pour les collèges. Le professeur Lichnerowicz me disait être préoccupé par le fait qu’à Harvard, université prestigieuse, où il enseigna, les jeunes bacheliers de la filière C, même sans aucune mention, étaient reçus d’emblée en seconde année.

Ce niveau est sans doute excessif : il peut se révéler dissuasif pour les jeunes qui auraient pu faire des études scientifiques tout à fait correctes avec des programmes moins tendus et il a pu détourner, en raison du prestige qui le marquait, des filières proprement littéraires, nombre de jeunes lycéens.

La réorganisation des voies offertes, qui a été rendue effective en 1992, à partir des propositions du Conseil national des programmes, devrait rééquilibrer les filières, en permettant des choix plus simples, quoique plus personnalisés.

Même quand ils ont fait l’objet de fortes critiques, les lycées ont, en tout cas, réussi à fournir, on l’a déjà dit, des candidats aptes à suivre des classes préparatoires aux grandes écoles pour des effectifs qui ont plus que doublé de 1958 à 1982, avec un nombre croissant de filles : plus de 70 000 élèves en fin des années 1990, et sans qu’il y ait diminution des exigences.

Car, « il est de notoriété publique que le niveau des taupes a considérablement augmenté : on ne peut plus donner aujourd’hui aux taupins des problèmes de mathématiques qui ont été donnés au concours de Polytechnique il y a vingt ans, parce qu’ils sont devenus trop faciles et qu’ils les feraient trop vite et trop bien », observe Antoine Prost.

Ce grand expert ajoute : « On n’entend guère évoquer non plus la baisse du niveau des concours d’agrégation ou de l’ENA. La France ne semble pas,pour le moment,menacée par l’éventualité d’une baisse de niveau de ses élites intellectuelles. » (1)

Côté ingénieur, les effectifs des grandes écoles ont presque triplé entre 1960 et 1991 (de 20 770 à 57 653) alors que du côté des grandes écoles de commerce les effectifs ont décuplé (5 286 en 1960-1961, 46 006 en 1990-1991).Tous ces chiffres ne cessent d’être, année par année, dépassés ! À la rentrée 1998, 240 écoles d’ingénieurs accueillent 82 954 étudiants, et les écoles de commerce reçoivent 51 090 élèves.

Si on regarde les études littéraires dans les lycées, on peut de nouveau constater les progrès avérés dans l’enseignement des langues vivantes (quoique aux dépens de l’enseignement des littératures étrangères).

Il faut également remarquer la nette progression de l’étude d’une troisième langue vivante proposée aux élèves de Seconde. On doit aussi reconnaître la moindre persévérance de nombreux jeunes à étudier le latin ou, en plus faible proportion, le grec : encore 15 % des élèves du second cycle long, soit plus de 150 000 en latin et 20 000 en grec (2) en 1992, mais seulement 6,3 %, soit 75 000 en latin et 14 000 en grec en 1998.

Plus généralement, il n’est guère sérieux de soutenir que les études en lettres auraient été dégradées : selon quelles mesures, par rapport à quel temps ? Un professeur de l’université de la Sorbonne nouvelle, René Martin, a entendu, au contraire, faire en 1984 le témoignage suivant : « Très franchement, les exigences des professeurs d’aujourd’hui me paraissent pour le moins égales à celles de mes vieux maîtres des années 1940 ; elles sont même, à bien des égards, très supérieures, au point que j’aurais parfois tendance à les trouver excessives. Sans parler du niveau exigé dans les disciplines scientifiques et, pour m’en tenir à la seule classe de français, je crois constater que jamais on n’aurait eu l’idée de nous faire expliquer des textes aussi difficiles que ceux qui sont soumis aux élèves des années 1980. » (3)

Il faut néanmoins regretter l’érosion des effectifs d’élèves se présentant aux bacs littéraires, sous la pression de l’opinion.

Dans le cadre des lycées professionnels, les sorties « prématurées » des élèves ont beaucoup diminué en dix ans : leur pourcentage est passé de 21 % en 1974 à seulement 7 % en 1984.

Toutefois, ce fait couplé à une croissance (discutable) des redoublements a eu tendance à élever légèrement l’âge moyen des élèves des enseignements professionnels. Ceux-ci se sont, d’autre part, améliorés notablement, grâce au développement des pratiques de contrôle continu par unités capitalisables qui permettent un ajustement aux rythmes différents d’acquisition des élèves.

Des méthodes plus performantes ont également été diffusées à la  suite de persévérantes recherches en didactique. Un indicateur positif est aussi à observer dans le fait que les passerelles sont plus nombreuses entre les seconds cycles courts et longs : des élèves qui arrivent en position d’échec dans les lycées professionnels peuvent résoudre leurs difficultés en un trimestre, et les redoublements en Première BEP (brevet d’enseignement professionnel) sont en diminution. Et, du côté des élites techniciennes, on constate le décuplement des effectifs entre 1960 et 1983 (de 8 000 à 93 000), et une croissance marquée depuis lors : il y a près de 240 000 élèves dans les sections de techniciens supérieurs en 1993, et autant en 1998.

Complexité et limites

La diversification des besoins culturels et professionnels de la société a accru, dans les lycées, la multiplicité des filières nécessaires.

Le système éducatif est de plus en plus complexe et il n’est pas toujours possible de l’ajuster à temps aux exigences nouvelles sinon en cumulant les mesures, nécessitées par celles-ci avec toutes les précédentes, de façon inflationniste.

De la sorte, les lycées professionnels ont pâti souvent d’un manque d’installations et d’outillages modernes ainsi que d’une trop faible conversion des compétences de leurs professeurs techniques, en vue d’assurer les enseignements de pointe exigés par le développement de la société postindustrielle.

Mais c’est un problème considérable de moyens, de crédits et de conception qui se résorbe progressivement.

Dans l’enseignement général, le niveau excessif des exigences est, il est vrai, reconnu par beaucoup : outre les phénomènes de dissuasion qu’il entraîne parfois, il pousse les élèves à accumuler des connaissances étendues mais superficielles et, par suite, à s’orienter vers ce que René Martin appelle une culture lacunaire ou optionnelle (1), dont la généralisation lui paraît inévitable à notre époque.

Mais qui a tiré, pour notre pays, les conséquences du fantastique foisonnement des savoirs et des techniques, ainsi que de leur rapide obsolescence ?

Si l’enseignement de l’histoire est apparu en crise, au moins pour l’histoire événementielle et politique, c’est que, « en revanche, l’histoire sociale et l’histoire économique ont connu une avancée massive » (2). Antoine Prost note également que le maintien du niveau dans les disciplines sociales correspond à « l’importance accordée par notre société à la compréhension des mécanismes qui la régissent », cependant que « le recul de la littérature reflète la crise de l’humanisme » (3).

Il faudrait cependant accorder un juste crédit aux innovations heureuses que constituent les voyages d’études et les projets d’action éducative (PAE), dont le développement a été spectaculaire, pendant un certain temps.

Déjà, après leur lancement au début des années 1980, en 1985- 1986, les trois quarts des lycées et des collèges ainsi que la moitié des lycées professionnels avaient réalisé au moins un projet d’action éducative.

Au cours de l’année 1987-1988, 5144 établissements scolaires (sur 7 607) ont présenté 13 220 PAE, soit une moyenne de 2,6 PAE par établissement, pour lesquels ils ont reçu des crédits d’aide ministérielle d’une moyenne de 2 700 F (outre d’autres crédits venant d’autres ministères, des grands organismes culturels et scientifiques et des collectivités locales).

Ces PAE pouvaient couvrir une variété de secteurs d’activités éducatives : de la lecture à l’écriture poétique, de l’économie au théâtre et à l’expression dramatique, des arts plastiques aux technologies nouvelles, du patrimoine et de l’architecture à la danse et au cinéma, ainsi qu’à la croissance des cultures (1). En 1989, 3000 PAE ont été consacrés au bicentenaire de la Révolution.

Outre la qualité (évaluée) de leurs contenus, l’intérêt des PAE tint au fait qu’ils résultaient de l’initiative autonome des enseignants et des élèves élaborant un projet responsable et strictement budgétisé, soumis aux contrôles des missions d’action culturelle des rectorats et des ministères. Ces projets se poursuivent sous diverses formes.

On ne devrait pas non plus minimiser le développement important, repris en 1981, des bibliothèques et des centres de documentation et d’information (CDI).

Leurs dotations, leurs locaux et leur fréquentation n’ont cessé de se développer, et les documentalistes qui les animent et qui peuvent assurer la formation des élèves à la recherche documentaire se sont vus dotés, en 1990, d’un concours de recrutement secondaire (CAPES), les plaçant au même rang que tous les professeurs.

Les CDI disposent, outre leurs ressources en livres et documents, de photothèques, de vidéothèques et de matériels d’informatique (ne serait-ce que de Minitels) permettant aux élèves de se renseigner sur des inscriptions en préparatoire ou en université, sinon de « naviguer » sur le Web.

Il faudrait enfin tenir compte du nombre croissant de voyages, individuels ou collectifs, de découverte ou d’études, qui démocratisent l’ouverture à l’Europe et au monde comme à la connaissance affinée de la France et de son patrimoine stimulant.

Au terme de cet inventaire, même encore limité au registre scolaire, on peut entendre les remarques pertinentes d’un grand chef d’entreprise, prononcées devant plusieurs centaines de personnes, dans le cadre de l’Institut de l’entreprise : d’une part, « dans un pays où le scepticisme fait partie des beaux-arts, Cassandre est évidemment plus écoutée que Candide » ; d’autre part, « notre système éducatif est également lourd, mais il est tout à fait comparable à ce qui existe chez les meilleurs de nos concurrents » (2).

Lourdeur pour un pays qu’on dit frivole : il convient en effet de rappeler les surcharges inertes de nos programmes qui engendrent des déficiences ou des niveaux moindres dans les domaines inconsidérément relégués par la dérive de nos institutions et la pression des médias.

Les lycéens français ne sont pas toujours soutenus, méthodologiquement, à utiliser, dans un contexte différent, ce qu’ils ont appris : ils ne brillent pas suffisamment dans l’argumentation, la création, l’imagination ou l’audace. Et il reste trop de jeunes sans diplôme ni formation professionnelle, même s’ils sont moins nombreux.

Ces déficiences sont regrettables au moment même où les enjeux de modernisation appellent de grandes capacités d’adaptation, de mobilité et d’invention, largement répandues.

On doit toutefois rappeler que les lycées arrivent à rendre bacheliers près des deux tiers d’une classe d’âge et que ceux-ci, à 99,7 % pour le bac général et 75,6 % pour le bac technologique, poursuivent leur formation dans l’enseignement supérieur (1). Également, n’oublions pas qu’en une vingtaine d’années, l’effort des enseignants français a permis que soit doublé le nombre de jeunes atteignant le niveau IV et surtout le dépassant.

En attendant

Claude Thélot, éminent statisticien, qui a été le directeur de la DEP (Direction de l’évaluation et de la prospective) jusqu’en 1998, a pu écrire avec mesure (et nuance), en collaboration avec le recteur Philippe Joutard, en 1999 : « Le niveau global des connaissances des jeunes s’est élevé. Il est peut-être excessif d’attribuer sans discussion cette hausse à l’École (dans certains cas, c’est même sûrement faux), et donc de conclure que la transmission des connaissances par l’École se fait globalement mieux qu’autrefois, mais les jeunes d’aujourd’hui ont un niveau moyen plus élevé que leurs aînés. » (2)

Si l’École ne fait pas nécessairement mieux, elle fait encore au moins autant qu’autrefois, pour la transmission de connaissances, alors que celle-ci est beaucoup plus difficile : en raison de l’hétérogénéité croissante des cohortes d’élèves ; et en fonction du chômage, des difficultés socio-économiques, de la précarisation des situations ou de l’avenir, et des impatiences ou violences (ce qui est méritoire !).

« Les progrès des élèves par rapport à leurs aînés ne sont pas homogènes, notent les mêmes auteurs. D’abord par discipline : les élèves, en fin de collège, maîtrisent plutôt mieux qu’avant les mathématiques et l’histoire-géographie et plutôt moins bien le français. » (1) Toutefois, si « l’orthographe et les mécanismes de la langue sont,vers 12-14 ans, moins bien maîtrisés qu’au cours des années 1920, surtout pour les garçons », les rédactions « sont meilleures aujourd’hui qu’alors » (2).

Ces experts remarquent encore l’évolution des disparités entre les élèves : « les “meilleurs” depuis vingt-cinq ans ont peu progressé (mais leur niveau n’a pas diminué, non plus que celui des bacheliers : le doublement de l’accès au bac ne s’est pas payé par une baisse de niveau), tandis que les “plus mauvais” ont davantage progressé, devenant moins mauvais. » (3)

De tels résultats qualitatifs, obtenus sur la « massification » des effectifs scolarisés, ne sauraient être minimisés ou occultés : sinon par une médiocre passion (et elle s’affiche pourtant !).

Les auteurs regrettent néanmoins, et à juste titre, la diminution du niveau des compétences « parmi les jeunes hommes du niveau d’un CAP ou d’un BEP ou quittant le lycée avant le bac » (4). Cette dernière constatation repose tout le problème de l’enseignement et de la pédagogie, encore insuffisamment différenciés ; elle soulève l’inadéquation de l’orientation (fonctionnant trop inertement par l’échec) ; elle appelle des modalités d’une évaluation qui soit formative, et non pas (souvent précocement) dissuasive, ségrégative. De tout cela nous reparlerons, à tête posée.

Cependant, en positif, Joutard et Thélot notent qu’« à l’occasion de la massification de l’École, les inégalités se sont globalement réduites, dans des proportions diverses, parfois sensiblement, parfois modestement.Ainsi les carrières des collégiens sont aujourd’hui moins inégalitaires que dans les années 1980 » (5). « De même, l’accès au baccalauréat est socialement moins inégalitaire qu’il y a vingt, trente ou quarante ans. » (6)

En ce qui concerne l’accès aux études supérieures, « une illustration fera sentir l’ampleur de la réduction : aujourd’hui un enfant d’ouvrier a 7 fois moins de chances qu’un enfant de cadre supérieur, de professeur ou de chercheur à l’université, ce qui est une inégalité importante ; mais au cours des années 1960, il y a environ trente ans, il n’y avait pas 7 fois moins de chances, mais 28 fois moins. Au total, la réduction des inégalités devant l’École depuis une vingtaine d’années est notable. Des quatre objectifs de l’École, c’est celui sur lequel les progrès ont été les plus marqués. » (1)

Malgré un « bilan contrasté » (2) (et la complexité du travail nécessaire pour le dégager), on est donc, assurément, dans la bonne voie, quoi qu’en disent les détracteurs, attachés au « tout ou rien ». Mais il faut continuer, car il reste encore beaucoup de chemin à faire et à refaire, pour réduire les risques de dysfonctionnement et les « effets pervers » des mesures les plus judicieuses, comme Boudon nous en avait fait prendre conscience.

Et les temps sont durs, pour les jeunes et pour tous. Leur préoccupation et celle de notre potentiel culturel nous engagent à regarder de plus près les problèmes interactifs, de quantité et de qualité : qu’ils portent sur la taille des classes et l’agencement cohérent des enseignements, ou bien, ultérieurement, sur l’organisation différenciée des structures éducatives et les supports de formation et d’évaluation requis pour leur efficience.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A. Prost, Histoire de l’enseignement en France, tome IV, op. cit., p. 279.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Jan Amos Comenius, La Grande Didactique, traité de l’art universel d’enseigner tout à tous (de 1627 à 1657), PUF, Paris, 1952.

(2) H. Pestalozzi, « Lettre à un ami sur son séjour à Stans », R. de Guimpe, in : Histoire de Pestalozzi, de sa pensée et de son oeuvre, Bridel, Lausanne, 1874, p. 218.

(3) D. Hameline, Courants et Contre-courants dans la pédagogie contemporaine, Odis, Sion, 1986, p. 34. L’auteur ajoute : « Paradoxalement, c’est sous son influence et d’après son modèle que la sollicitude et ce que nous appellerions aujourd’hui le professionnalisme vont être présentés comme les deux piliers de la pratique éducative », p. 35.

(4) Voir M. Soëtard, Pestalozzi ou la Naissance de l’éducateur, Peter Lang, Berne, 1981.

(5) A. Prost, op. cit.

 

(1) F. Buisson, Dictionnaire de la pédagogie, Hachette, Paris, 1882, p. 404. Les chiffres dans les autres pays d’Europe sont du même ordre.

(2) Ibid.

(3) À titre de comparaison, dans le Royaume-Uni, en 1923, la moitié des classes avait plus de quarante élèves et 20 % plus de cinquante élèves. Il n’en est plus de même actuellement.Voir G.W. Glass et al., School Class Size, Sage Publications, Beverly Hills, 1982. Cet ouvrage présente d’autre part un tableau du taux d’encadrement moyen pour différents pays, à partir de l’annuaire statistique de l’ONU pour l’année 1978 : 17,7 pour la France, contre 20,5 en Grande-Bretagne, 20 aux USA, 19,3 pour la Belgique, 18,5 pour la Suède mais 13,7 pour l’URSS, 9,5 pour le Danemark et la Norvège, et 9,3 pour le Canada. Ces chiffres sont indicatifs, mais non significatifs.Tout dépend de la qualité des personnels pris en considération, de l’étendue des territoires (ou de la densité des populations), et des exigences de programme et de cursus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Voir L’État de l’École, 30 indicateurs sur le système éducatif français, NPENRST, no 9, octobre 1999, p. 19.

(2) A. Prost, Éducation, société et politiques, op. cit., p. 198.

 

 

 

 

 

 

 

(1) En juin 1992, un sondage, effectué par un institut auprès d’un échantillon national représentatif de 795 lycéens, donne les indications suivantes : parmi les points susceptibles de marquer la satisfaction ou non des élèves, 58 % de ceux-ci s’affirment satisfaits (dont 13 % très satisfaits), contre 27 % peu satisfaits et 13 % pas satisfaits du tout en ce qui concerne le nombre d’élèves dans leur classe.Toutefois, un an et demi auparavant, dans un sondage analogue paru dans Phosphore, à la question : « Si vous deviez réformer le lycée, quelles sont les principales mesures que vous prendriez ? », 63 % mettent en tête : « Réduire les effectifs des classes », contre 42 % pour « créer des cours de soutien pour les élèves en difficulté » et 38 % pour revoir les programmes. In : Phosphore a dix ans, Bayard Presse, Paris.

(2) Note d’information du ministère de l’Éducation nationale, avril 2000, p. 1.

(3) Repères et références statistiques, op. cit., 1999.

 

 

 

 

 

 

(1) Ibidem.

(2) In : Les Chiffres de l’Éducation nationale, MEN, 1989.

(3) Aux États-Unis, dans le district de Columbia, pour des raisons budgétaires, les organismes responsables ont décidé, en mai 1980, d’accroître le nombre d’élèves par classe, passant d’une moyenne de vingt-six à une moyenne de vingt-huit élèves (School Class Size).

(4) I. Illich, Une société sans école, Seuil, Paris, 1971, p. 26.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) G.W. Glass, L.S. Cahen, M. L. Smith, N.N. Filby, School Class Size, Sage Publications, Beverly Hills, 1982, p. 35.

(2) « Il y a une conviction fortement ancrée, partagée par parents, enfants, enseignants et même administrateurs, que la qualité de l’éducation et l’intensité de l’encadrement (staffing intensity) sont positivement reliées », A. Passow et al., The National Case Study : An Empirical Comparative Study of Twenty-one Educational Systems, Almquest and Wiksell International, Stockholm, 1976, p. 213.

 

22

Interrogations sur les dimensions de nos structures scolaires

Le problème quantitatif et qualitatif des dimensions de l’École est habituellement posé, notamment par les enseignants mais aussi par les parents, au niveau de la taille des classes plus encore qu’au niveau du taux d’encadrement (c’est-à-dire du nombre moyen d’élèves par enseignant au sein d’un établissement) qui est la plus forte variable qualitative.

De même, il est moins question de la taille des établissements sinon que, d’une part, celle-ci a plus que doublé en trente ans et que, d’autre part, ceux de petite taille peuvent généralement pâtir d’une certaine décote tacite qu’entérinent leurs chefs dans leur choix de carrière.

Les classes nombreuses

En revanche, le problème des surcharges de travail imposées aux professeurs par les classes nombreuses est présent et justifié aux esprits de tous : en particulier par la quantité de copies à corriger, ce qui revient à occulter habituellement le sens organisateur des enseignants,

il est vrai aux prises avec des classes moins dociles. Pour mémoire, rappelons les mesures adoptées au début des années 1960, par un professeur de français et de latin, en classe de Première, au lycée Lamartine, à Paris, dont la classe rassemblait cinquante élèves de sexe féminin (en 1968, la directrice du lycée affirmait encore avec force : « Le lycée Lamartine est et restera un lycée de jeunes filles ! »).

En latin, la classe était divisée en quatre groupes ; un quart des élèves rendait, chaque semaine, une version latine individuelle. Les trois autres quarts de la classe se répartissaient en groupes de quatre ou cinq et rendaient un devoir rédigé en commun et recevaient la même note, en attendant de rédiger, à leur tour, une version individuelle, une autre semaine.

En français, une dissertation était obligatoire tous les quinze jours : le premier quart de la classe rédigeait complètement la dissertation, les autres rendaient un plan détaillé préparé individuellement. Et ainsi de suite, chaque quart à son tour.

L’enseignante n’était ainsi pas plus surchargée qu’avec une classe de vingt-cinq élèves. C’est en latin que l’expérience est apparue comme la plus bénéfique dans le souvenir des élèves.

Nous reviendrons sur les problèmes d’organisation, inhérents au métier d’enseignant. Mais surcharges maîtrisées ou non, quoi qu’il en soit, une évidence s’est peu à peu constituée pour s’exprimer hautement  la qualité de l’enseignement serait toujours affaiblie (sinon compromise) dès lors qu’on augmente le nombre d’élèves dans une classe ; et, naturellement, la diminution du nombre d’élèves améliorerait systématiquement les résultats scolaires.

Une telle évidence est-elle réellement fondée, ou plutôt à quelles conditions le serait-elle ? Cette question préalable mérite d’être examinée pour plusieurs raisons.

Tout d’abord cette évidence se heurte à une objection de principe : faut-il s’en remettre, pour obtenir des résultats qualitatifs, à une seule variable quantitative? N’est-il pas plus avisé, dès lors qu’on a affaire à un enseignant expert, de lui confier un nombre notable d’élèves (ou d’étudiants) qui gagneraient à profiter de sa qualité et sa haute compétence ?

Et ne vaut-il pas mieux disposer d’un corps enseignant de grande valeur, bien équipé et convenablement rémunéré, éventuellement accompagné d’assistants ou répétiteurs, même s’il doit être, pour un budget défini, moins étoffé qu’un encadrement numériquement plus abondant mais de moindre capacité et de rémunération inférieure ?

Ce principe, controversé et qui heurte nos moeurs égalitaires ou plutôt identitaires, a pourtant été mis en valeur dans les enseignements supérieurs (grandes écoles ou universités) : un professeur de chaire méritait un vaste auditoire.

Et Antoine Prost a pu remarquer avec malice l’amplification du volume défini pour les locaux d’enseignement universitaire en France où « un amphi de cent cinquante places pouvait être remplacé par un autre de cinq cents » (1). Il est vrai que les travaux en petits groupes ont été de plus en plus pris au sérieux en université.

L’opportunité ancienne des grands effectifs ?

Ce même principe d’ampleur a été également prôné par de grands pédagogues. Ainsi Comenius, mort en 1670, protagoniste de la création de l’École démocratique au milieu du XVIIe siècle, a pu affirmer

: « Je soutiens, non seulement qu’un seul maître pourrait diriger une centaine d’élèves à la fois, mais aussi que cela lui convient mieux et est plus avantageux pour lui et pour les élèves.Plus grand est le nombre d’élèves qu’il voit devant lui et plus grand est l’intérêt que l’enseignant prend à son travail. Pour les élèves, de la même manière, la présence d’un bon nombre de compagnons sera productrice non seulement d’utilité mais aussi de plaisir... ; car ils pourront mutuellement se stimuler et s’assister réciproquement.» (1)

À la fin du XVIIIe siècle, en Suisse, Pestalozzi, éducateur du peuple, dévoué aux orphelins ou aux enfants qu’on appellerait aujourd’hui inadaptés ou marginaux, confirmait : « Il est possible et même facile d’instruire simultanément et bien des enfants nombreux d’âges très différents » (2) ; sans doute, à condition de maîtriser et de perfectionner continûment ce que Pestalozzi appelle pompeusement la méthode, assure Daniel Hameline(3).

Il est juste de préciser que le grand pédagogue zurichois établissait son institution éducative sur l’étude des besoins de chaque jeune mais aussi sur l’association de celui-ci à des activités pratiques de travail productif (4).

L’évidence du petit nombre ne s’est pas non plus imposée au XIXe siècle ou même dans la première moitié du XXe siècle. Dans les enseignements primaire et secondaire, en effet, « on s’accommodait au XIXe siècle de classes d’une centaine d’élèves » (5). Le célèbre Dictionnaire de pédagogie, édité chez Hachette, par Ferdinand Buisson, indiquait en 1882, pour la France : « En règle générale, aujourd’hui, toutes les fois que le nombre des élèves fréquentant assidûment une école est supérieur à quatre-vingts, un emploi d’adjoint est créé et l’école est divisée en deux classes » (1) (Instructions du 9 août 1870).

Le tableau des statistiques de la France entière pour 1877 donne des informations éloquentes : sur 78 276 écoles, publiques et privées, 51786 étaient à une seule classe, 11932 à deux classes, 4187 à trois classes, 1898 à quatre classes, et des chiffres très faibles au-dessus de quatre classes.

Toutefois, le dictionnaire rassure : « La moyenne générale de France était : dans les écoles publiques de garçons, de quarante-neuf élèves par classe laïque, de cinquante-deux par classe congréganiste ; dans les écoles publiques de filles, de quarante-trois chez les laïques, et de quarante chez les religieuses.» En fait, « les classes urbaines sont toujours plus chargées que les classes rurales correspondantes » (2).

Les lycées nationaux du début du siècle, considérés comme les plus performants, étaient aussi caractérisés par des classes nombreuses. Et des effectifs d’une cinquantaine d’élèves dans une classe étaient fréquents, sinon jugés normaux, jusque dans les années 1960(3). Ils le demeurent dans les classes préparatoires aux grandes écoles.

L’explosion scolaire, après avoir obligé à supporter des surcharges, permit en revanche de pousser à des recrutements massifs et par suite d’adopter une politique systématique de réduction du nombre moyen d’enfants par classe.

Le nombre moyen par classe

Ce nombre moyen pour la France est en effet en diminution dans toutes les classes. Il est passé, en vingt-cinq ans, de plus de quarante en classe maternelle (où on faisait l’hypothèse d’un tiers de jeunes enfants absents, en moyenne) à 25,5, soit une réduction de 40 %; de près de trente élèves à vingt-deux dans les écoles primaires, soit une réduction d’un quart. Certains demandent encore davantage.

Pour le second degré, le nombre moyen d’élèves par classe a diminué mais moins que dans l’élémentaire : il a surtout fluctué en raison d’une croissance momentanée des redoublements au collège et au lycée notamment, et dans la mesure où, après une baisse sensible en 1982-1984, ce sont encore des générations nombreuses qui ont été présentes dans ces établissements. Mais on assiste depuis à une décrue, puis à une reprise des naissances, compte tenu de l’allongement du temps de présence scolaire pour les élèves français. La durée de scolarisation est en outre passée de 16,7 années en 1982-1983 à 19 années, en moyenne, depuis 1995-1996 et encore en fin de siècle (1).

Dans le premier cycle du secondaire, le nombre moyen d’élèves est descendu progressivement de plus de vingt-huit à moins de vingt quatre, avec une légère remontée récemment, puis une redescente à 23,5 en 1998-1999.

Dans le second cycle long, après une descente du chiffre moyen de trente et un à vingt-huit, on a enregistré en 1991-1992 une remontée à trente dans les établissements publics. Il y a même eu un bond sensible au moment de la seconde explosion scolaire.

La proportion de classes surchargées (à trente-cinq ou plus), qui était de 9,4 % en 1982-1983, doublait dès 1984-1985 (18,6 %), triplait en 1985-1986 (26,4 %), quadruplait en 1987-1988 (38,8 %), pour culminer à 39,4 % en 1988-1989.

Antoine Prost, qui était à l’époque conseiller du Premier ministre Michel Rocard, a pu écrire : « La rentrée 1988 fut très mauvaise. Le lycée Grandmont à Tours se mit en grève le jour même. D’autres menaçaient de l’imiter. » (2) Le Premier ministre dut s’engager, le 8 décembre 1988, à supprimer, en cinq ans, les classes de plus de trente-cinq élèves. Depuis lors, les proportions se sont abaissées à 26,1 % en 1991-1992(1), puis ont oscillé pour se stabiliser à 28,3 % en 1999. De même, dans le second cycle court, on observe actuellement une tendance à osciller autour de vingt-six, les lycées professionnels autour de 21,1 et les collèges vers 24,2 (2).

On constate au passage, en France, une tendance à encadrer pédagogiquement les élèves jeunes davantage que ceux qui ont plus de maturité. Ce choix n’est pas celui d’autres pays ; c’est, en effet, l’inverse aux États-Unis.

Les chiffres moyens précédents donnent des indications globales sur tout le territoire français. Dans la distribution réelle, en 1990-1991, on a pu observer, pour le premier degré, qu’un tiers des classes avait moins de vingt élèves, la moitié moins de vingt-cinq et 14,1 % plus de trente. Il y a de grandes disparités sur les chiffres moyens entre les académies.

En ce qui concerne les collèges, un tiers avait moins de vingt-trois élèves par classe et seulement 5,5 % avaient entre trente et trente quatre élèves. Dans les lycées, en 1990-1991, 15 % des classes avaient moins de vingt-quatre élèves mais 50 % plus de trente-trois élèves et 12,5 % plus de trente-six (dans l’enseignement privé, la proportion de classes peu chargées ou assez nombreuses est plus forte) – « la proportion la plus importante de classes nombreuses se trouve parmi les classes de terminales publiques, où 30 % des classes ont trente-cinq élèves ou plus » (3).

Indépendamment de ces écarts, les taux d’encadrement (nombre moyen d’élèves par professeur), on a pu l’oublier, se sont progressivement améliorés, en vingt ans, de quelque 23 % dans le premier degré et de 30 % dans le second degré. Des dotations supplémentaires en personnels ont été faites, notamment dans les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Et le nombre moyen d’élèves dont un enseignant a la charge par discipline, dans le public, est, en 2000, de 22,8 en collège, 23,4 en lycée et 16,2 en lycée professionnel (1).

Globalement, le nombre moyen d’élèves par enseignant était, en 1996, de 13,3 % en France, contre 16,1 aux États-Unis, 15,9 au Japon, 15,6 au Royaume-Uni, 15,0 en Allemagne. Seuls, le Danemark et l’Italie font mieux avec respectivement 11,0 % et 10,2 %(2). L’amélioration ainsi réalisée en France, comme elle l’a été dans la plupart des pays, est-elle satisfaisante ? Est-elle suffisante ?

Les coûts entraînés pour une nouvelle amélioration seraient-ils supportables (3) ? Ne constate-t-on pas une tendance à un retour en arrière dans le monde ? On sait qu’Ivan Illich s’alarma des risques de la croissance illimitée des coûts de fonctionnement (pour la plus large part, 80 % au moins, ce sont des coûts d’encadrement). « Partout, écrit-il, les crédits alloués se révèlent insuffisants et ne répondent jamais à l’attente des parents, des enseignants et des élèves, si bien que l’on oublie le problème de l’éducation des non-scolarisés et qu’il est impossible de trouver les capitaux et les volontés nécessaires pour entreprendre quoi que ce soit et trouver quelque solution de rechange. »(4)

Doit-on, dans ces conditions, voir le problème plus général de l’organisation de l’enseignement et de son aménagement qualitatif, sous la seule question de la taille des classes indépendamment du taux d’encadrement et de la taille des établissements ?

Faut-il encore réduire la taille des classes ?

Plus précisément, doit-on encore continuer à réduire la taille des classes ? Et sa diminution assure-t-elle des gains en pourcentage de réussite des élèves ou en facilité de travail pour les enseignants ainsi qu’un meilleur climat scolaire ?

Ou encore pourrait-on proposer un nombre optimum d’élèves par classe ? Et ce nombre pourrait-il supporter quelque fourchette d’écarts admissibles ? Quelles peuvent être enfin les conséquences d’une plus ou moins grande hétérogénéité sur la dimension des classes ?

Ces interrogations, pressantes actuellement, sont anciennes. On a pu recenser des études importantes à leur sujet dès le début du XXe siècle, notamment outre-Atlantique.

Un travail des années 1980 a distingué quatre époques en ce qui concerne le cadre où ces recherches se sont successivement développées : « l’ère pré-expérimentale (1895-1920) ; l’ère expérimentale primitive (1920-1940) ; l’ère de la technologie des grands groupes (1950-1970) ; et l’ère de l’individualisation de l’enseignement (de 1970 à nos jours) » (1).

Nous nous limiterons aux deux dernières périodes. On peut alors distinguer parmi les études qui les ont marquées : soit des enquêtes de grande envergure, nationales ou internationales ; soit des recensions critiques portant sur de nombreuses expérimentations et recherches ; soit enfin des investigations ou des recherches limitées, mais menées avec de notables précautions scientifiques.

Chacune de ces contributions apporte, outre des indications plus ou moins divergentes sur la taille des classes ou leur composition, une série de notations spécifiques qui permettent d’enrichir l’analyse des questions portant sur les effectifs des classes ainsi que sur le nombre des enseignants.

Considérations consensuelles ?

Avant de présenter les indications et les notations qui ressortent de ces diverses études, on peut attirer l’attention sur les considérations globales auxquelles elles conduisent, de façon convergente.

En premier lieu, il n’y a pas de certitude tranquille et moins encore de consensus à propos de la taille optimale qui conviendrait absolument à une classe.

Les enseignants et les parents (ou l’opinion commune) font habituellement pression pour réduire continûment l’effectif des classes (2), pendant que les chercheurs, les expérimentalistes et les sociologues se divisent sur l’utilité d’une telle réduction, que, naturellement, contestent les responsables administratifs.

En deuxième lieu, le fait de diminuer l’effectif des classes n’assure pas de gain automatique au plan des résultats scolaires. Entre vingt (ou dix-huit) et trente-quatre (ou même trente-six) élèves, la taille de la classe a relativement peu d’impact sur l’amélioration des performances, pour la plupart des matières, dans le premier et le second degré.

Dans les classes à effectifs allégés, le climat de travail peut être amélioré ou au contraire se révéler moins dynamique ; et les résultats peuvent être moins bons notamment pour les enfants des milieux populaires ; en revanche, les petites classes peuvent favoriser, dans des conditions déterminées, certains apprentissages.

Très généralement, la relation entre les résultats des élèves et la taille de la classe est notablement complexe ; elle est influencée par de nombreux facteurs qui rendent difficile son étude et aléatoires les solutions pratiques adoptées.

On doit prendre en considération, parmi ces facteurs : la taille de l’établissement scolaire (eh oui !) ; sa situation dans son environnement; l’origine socioculturelle des élèves et la composition de la classe ; les dispositions matérielles ; la nature de l’environnement ; le choix des didactiques et des contenus disciplinaires ; les techniques d’enseignement; les objectifs pédagogiques ; le projet éducatif de l’établissement ; les attitudes de l’équipe de direction ; le tempérament de l’enseignant et son expérience ; les contraintes budgétaires ; enfin, la trame institutionnelle.

La complexité du problème posé, en dépit de son apparence simple, ne laisse la place à aucune évidence fruste (sinon passionnelle).

Mais son étude, au travers de l’importante littérature mondiale qui lui est consacrée, peut toutefois conduire à des formes d’organisation et à des modalités d’enseignement plus efficaces. Il nous revient, dès lors, de détailler certaines des indications et des contre-indications dégagées par les différents travaux d’étude et de recherche : du moins, si l’on admet avec quelque bon sens que l’organisation de l’enseignement est un problème de fond.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) A.Yates, Grouping in Education, 1965.Traduction française : Le Groupement des élèves en éducation, Nathan-Labor, Paris-Bruxelles, 1979, p. 152.

(2) Ibid., p. 157.

(3) Les chiffres d’effectifs fluctuent à l’époque autour d’une moyenne nationale de trente élèves par classe dans l’élémentaire et de vingt-trois pour le second degré, avec des différences plus marquées aux dépens de certaines minorités (Noirs et Portoricains).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J. Coleman, Equality of Educational Opportunity, US Government Printing Office, Washington, 1966, p. 21.

(2) Ibid., p. 23.

(3) Plowden Report, Children and their Primary Schools, tome 1, p. 281.

(4) Ibid., tome II, annexe IV, p. 181.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) M. Rutter et al., Fifteen Thousand Hours : Secondary Schools and their Effects on Children, Open Books, London, 1979, p. 103.

(2) T. Husén, International Study of achievement in mathematics, Almquist and Wicksell, Stockholm. 1967, pp. 227 à 283.

(3) M. Cherkaoui et J. Lindsey, « Le poids du nombre dans la réussite scolaire », Revue française de sociologie, XV, 1974, p. 210.

(4) Ibid., p. 207.

 

 

 

 

 

 

(1) T. Husén, Origine sociale et éducation. Perspectives des recherches sur l’égalité devant l’éducation, OCDE, Paris, 1972, p. 77.

(2) In : M. Shipman, The Limitations of social research, 2e ed., Harlow, Longman, London, 1981. Le texte de la communication de R. Davie : « L’enfant, l’école et la maison » a été mis, par son auteur, à la disposition de M. Shipman.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J. Heim et R Lewis, The Educational Production, Fonction, Implication for Educational Manpower Policy, 1974.

(2) H. Passow, The National Case Study : an Empirical Co-parution Study of Twenty OneEducational Systems, J. Wiley and sons, New York : Almquist and Wiksell international, Stockholm, 1978, p. 218.

(3) T. Husén, L’École en question, paru en anglais, en 1979, édité en français par P. Mardaga, à Liège, 1983, p. 182.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) W. Mollenkopf et S.D. Melville, A Study of Secondary School Characteristics as Related to Test Scores, 1956.

(2) C. Fleming, « Class size as a variable in the teaching situation », in : Educational Research Review, février 1959, pp. 35 à 48.

(3) J. J. Goodlad, « Classroom organization », in : Encyclopedia of Educational Research, Mac Millan, New York, 1960, p. 224.

(4) Gene W. Glass et al., School Class Size, op. cit., p. 38.

 

 

 

 

 

(1) J.-J. de Cecco, « Class size and co-ordinated instruction », in : British Journal of Educational Psychology, 1964, no 34, pp. 65-74.

(2) S. Bolander, « Class size and levels of student motivation », in : The Journal of Experimental Education, 1973, no 42, pp. 12-17.

(3) De même, J.J. Powel, « Class size : a summary of research », in : Educational Research Review, 1978.

(4) S.M. Shapson et al., « An experimental study of the effects of class size », in : American Educational Research Journal, 1950, no 17, pp. 141-162.

(5) Hankaas, Master Thesis, University of Bergen (Norvège), 1978.

(6) Cité par D.W. Ryan, « Class Size and Administration », in : International Journal of Education, 1985, tome II, p. 735.

 

 

 

 

(1) P. Rossi, « Evaluating Social Action programs », in N. Denzing, The Values of Social Science,Transaction books, 1970, pp. 89-90.

(2) A. Little et J. Russel, 1971, voir TES, 30 sept. 1971, p. 5 (supplément du Time).

(3) W. Platt, « Policy making and international studies in Educational Evaluation », in Purves et al., Educational Policy and International Assessment : Implications of the IEA.

(4) C. Hodges Persell, Education and Inequality,The Free Press, Mac Millan, New York,

1977, p. 143.

(5) Ibid.

 

 

 

 

 

 

 

(1) A.Yates, op. cit., p. 152.

(2) M. Shipman, op. cit., p. 150.

(3) S. Allen, Skole Psychologi, monograph, no 17, 1978 (en danois).

(4) G.V. Glass et M.L. Smith, « Meta-analysis of research on the relationship of class size and achievement », Educational Evaluation and Policy Analysis, 1979, 1-2-16.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) G.V. Glass, L.S. Cahen, M. Lee Smith, N.M. Filby, School Class Size, op. cit., 1982, p. 41.

(2) G. Jackson, in : Harvard Educational Review, vol. 53, février 1983, p. 75.

(3) Voir Gene V. Glass et al., op. cit., p. 47.

(4) Ibid., p. 46.

(5) Ibid., p. 48.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., G. Jackson, op. cit., p. 76.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Gene V. Glass et al., op. cit., p. 64.

(2) Ibid., p. 73.

(3) Ibid., p. 73.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Hedges et Stock, « The Effects of Class Size : an Examination of Rival Hypothesis », in : American Educational Research Journal, spring 1983, vol. 20. no 1, p. 64.

(2) Ibid., p. 66, Hedges et Stock opposent des generalized least squares à des ordinary least squares.Voir p. 69.

(3) Gene V. Glass et al., op. cit., p. 73.

 

23

Recensions à l’échelle mondiale

Les enquêtes de grande envergure

On notera en premier lieu la conclusion, en 1965, d’une enquête internationale provoquée par l’UNESCO et l’Institut d’éducation de Hambourg, et au cours de laquelle une cinquantaine de travaux antérieurs ont été dépouillés.

« Il existe peu ou pas d’informations sur la taille la plus adéquate pour une école, pour les classes et les sous-groupes intraclasses. Des expériences doivent être conduites pour déterminer les types d’activités éducatives les plus favorables aux groupes larges, aux groupes plus petits, à la classe de taille classique ou aux activités individuelles. » (1)

L’expert Alfred Yates rejetait, d’autre part, les filières ségrégatives, séparant préalablement des élèves. Il proposait que « la constitution de groupes à l’intérieur des écoles soit limitée, dans le primaire et dans le premier cycle du secondaire, aux sous-groupes intraclasses » (2).

Aux États-Unis, en 1966, le rapport Coleman a réuni les résultats d’une étude considérable sur les résultats scolaires de dizaines de milliers d’élèves, et sur l’égalité de leurs chances, au sein d’un échantillon représentatif national composé par trois mille écoles primaires et mille écoles secondaires.

L’une des conclusions de cette étude sociologique et statistique est que, parmi les dix-sept variables utilisées pour caractériser l’École, celles du nombre d’élèves par classe ou par maître n’apparaissent pas comme importantes pour influencer les résultats scolaires (3).

Les variables fortes concernent les caractéristiques socio-économiques du milieu familial des élèves (ce qui rejoint l’analyse de nombreux sociologues français), mais aussi leur image d’eux-mêmes. « Finalement, observe James Coleman, il apparaît que la réussite d’un élève est fortement liée aux environnements éducatifs et aux aspirations des autres élèves de l’école. » (1)

Mais il précise : « La mesure selon laquelle un individu sent qu’il a quelque contrôle sur sa propre destinée semble avoir un rapport plus grand à la réussite que tous les autres facteurs d’école réunis. » (2)

Ces notations sur l’image que l’individu a de lui-même devraient donc être prises en considération pour l’organisation des classes dans les établissements et pour l’animation de la vie scolaire. Toute formation pédagogique devrait soutenir les aspirations des élèves, les mettant en évidence, et aider l’environnement parental à donner à l’enfant confiance en lui. Ce serait conforme à l’esprit et à la lettre de la loi d’orientation de 1989, en France. Pourtant, certains s’en offusquent encore.

En Grande-Bretagne, une imposante enquête nationale (National Survey) sur le système anglais d’enseignement du premier degré donna lieu à la publication d’un rapport célèbre, le rapport Plowden, en 1967.

Les rédacteurs se montrèrent déçus de n’avoir pu confirmer le « jugement du sens commun que les petites classes rendent plus facile l’apprentissage de la lecture » (3).

L’un d’eux, Peakes, au terme d’une étude serrée des données recueillies par la vaste enquête, notait même, « comme d’autres études l’ont fait, une association entre un meilleur travail et des classes plus grandes ».  Il fait l’hypothèse qu’il y aurait « invariablement d’autres circonstances favorables, associées aux plus grandes classes, pour rendre compte de cette apparente supériorité » (4).

Embarrassés par les constatations réitérées de chercheurs, les rédacteurs du rapport s’en tinrent néanmoins à une politique de diminution des effectifs plus conforme à l’avis des professionnels, à l’opinion publique et à l’exemple des autres pays.

En 1979, une nouvelle étude, par M. Rutter, sur les données et résultats du rapport Powden devait reconnaître, pour le second degré : « Le classement des écoles par rapport à la taille des classes n’a montré aucune corrélation significative avec les résultats des élèves. Quelque tendance minime indiquerait qu’on peut escompter une assiduité meilleure dans les écoles où il y a plus d’enfants par enseignant. » (1)

De 1962 à 1965, se déroula la première grande recherche mondiale sur les résultats de l’enseignement des mathématiques. Elle fut réalisée par l’IEA, une association internationale pour l’évaluation des résultats scolaires, dont nous avons déjà parlé, dans douze pays et en testant 132 775 élèves.

À l’issue des travaux de dépouillement des données, en 1967, Torsten Husén constata globalement qu’il n’apparaissait aucune relation entre la taille de la classe et le niveau atteint en mathématiques (2). Mais, reprenant les données de cette recherche relative à l’échantillon français des 3 449 élèves répartis entre 125 écoles en 1963-1964 (âge moyen de treize ans et six mois, écart type de huit mois, classes allant de dix à quarante élèves), Mohamed Cherkaoui et James Lindsey ont tenté ultérieurement une analyse plus fine (dont la méthodologie a été discutée). Celle-ci leur permet d’assurer : « La liaison entre l’effectif de la classe et la réussite n’est pas identique pour toutes les classes sociales. » (3)

Et ils précisent : « En effet, la réussite augmente avec le nombre d’élèves pour les enfants issus de classes défavorisées et diminue pour ceux qui sont issus de classes favorisées. » (4)

Cette notation incite à revoir les principes en vertu desquels on met habituellement les élèves en difficulté, très souvent de milieux populaires, dans des classes de petite taille.

Les projets Talent (1969), Davie (1970), Heim et Lewis (1974) et IEA (1979)

Préoccupés par le nombre élevé d’échecs scolaires, des travaux importants furent entrepris pour découvrir des talents, dans divers pays. Le projet Talent aux États-Unis a utilisé à cet effet un échantillon de 400 000 élèves.

Dans son cadre, une étude de Samuel Bowles, portant sur des élèves noirs de quatorze ans, a donné, en 1969, des résultats mitigés : la taille de la classe ne semblait pas avoir d’effet sur les scores en mathématiques, mais paraissait influencer, en revanche, les résultats en lecture et en capacité générale (notamment pour les sciences appliquées).

Il est vrai que le projet Talent lui-même avait pour but d’identifier les aptitudes, les domaines d’intérêt, le milieu socio-économique et les motivations des élèves de l’école secondaire, et d’étudier tout particulièrement l’effet du manque d’intérêt et de motivation sur la poursuite des études (1) plutôt que le fonctionnement interne des établissements et leur organisation en classes.

En ressortait principalement la grande importance du métier et du niveau d’instruction des parents pour la poursuite des études dans le supérieur, même pour les plus doués.

Au Royaume-Uni, R. Davie, en 1965, s’est attaché à l’analyse de tests proposés à 92 % d’une cohorte de 17 000 jeunes enfants nés en une même semaine de 1958. Il a présenté quelques résultats dans une communication à l’assemblée annuelle de l’Association britannique pour l’avancement de la science (section de l’Éducation) en 1970. Il y est affirmé notamment que « l’information recueillie sur la scolarisation des jeunes enfants a montré que ceux qui étaient dans des classes de quarante et un élèves et au-delà tendaient à faire mieux que ceux des classes de moins de trente à des tests de lecture, d’arithmétique et d’adaptation sociale » (2). Les grandes classes paraissent ici recommandables (ou tolérables ?).

Une grande enquête menée par John Heim et Pearl Lewis comportait des tests d’habileté verbale et quantitative proposés aux élèves des mille écoles d’un échantillon représentatif pour les États-Unis.

Sur le plan des effectifs, les auteurs, en 1974, ont tiré de l’analyse des données la conclusion que « réduire la taille de la classe a peu, sinon pas du tout d’effet sur les performances ». Dans la mesure où cette variable a quelque effet, elle tendrait à agir plutôt sur les résultats en habileté verbale (1). Le doute sur l’intérêt de réduire la taille des classes subsiste encore, et son efficacité resterait limitée à certaines activités scolaires.

En ce qui concerne enfin le programme international d’étude sur les résultats scolaires de l’IEA, de nouvelles analyses font apparaître des différences modérément significatives dans certains pays en voie de développement pour les disciplines scientifiques et la lecture, aux âges de onze et de quatorze ans, en rapport avec le nombre élevé d’élèves par maître et par classe.

Mais, pour le groupe des pays industriels, où se développait un intérêt pour le travail individuel, les associations sont faibles (2). Torsten Husén était conduit à conclure en 1979 : « L’argument d’après lequel une réduction conséquente de la taille de la classe favoriserait des modes de travail plus individualisés ne semble pas tenir, car il existe de nombreuses preuves qui montrent que les modes de travail et les résultats obtenus (exprimés en termes de compétences des élèves) sont sensiblement indépendants de la taille de la classe, si on reste dans la gamme de vingt à trente-cinq élèves. » (3) Nous relevons ici une des observations dont nous avons déjà noté l’aspect convergent pour de nombreuses études.

Analyses et recensions

Au panorama des travaux de grande envergure, il convient de joindre des considérations issues des analyses du contenu des différentes expérimentations ou enquêtes effectuées pendant plus de trente ans.

En 1956, William Mollenkopf et Donald Melville avaient fait passer des tests d’aptitude à 9 000 élèves de quatorze ans, aux États- Unis, répartis en cent établissements du second degré.

L’étude des scores obtenus avait montré que quatre variables ont significativement une influence sur les résultats des élèves : le nombre moyen d’élèves par professeur, les dépenses moyennes par élève, le nombre de spécialistes autres que les enseignants (c’est-à-dire les psychologues, conseillers, etc.) et, notamment, la taille de la classe (1).

Mais C. Fleming, en 1959, compilant les études les plus sérieuses, notait qu’elles convenaient toutes que leurs résultats n’étaient pas concluants ou que, s’il y avait quelque relation entre la taille et l’acquisition des aptitudes de base (basic skills), elles donneraient plutôt l’avantage aux grandes classes. (2)

De même, Goodlad constatait en 1960 : « Les études sur la relation entre la taille de la classe et l’attention de l’élève, la discipline, la confiance en soi, les attitudes et les habitudes de travail échouent à fonder une base sérieuse pour les décisions à prendre au sujet de la taille de la classe. » (3)

Ces considérations étaient aussi reprises en 1965 par John Stephens  « Les élèves dans des classes nombreuses apprennent autant que les enfants qui leur sont comparables dans des classes petites. » Outre les travaux de Fleming, Stephens citait ceux de Herrick en 1960 et ceux de Spitzer en 1954 dans le même sens.

En ce qui concerne les étudiants, « plusieurs expérimentations publiées à cette époque (Nelson, 1959; de Cecco, 1964; Felhuson, 1963; Macomber and Siegel, 1957; Rohrer, 1957; Simmons, 1959) tendaient à prouver que les étudiants apprenaient aussi bien dans de grandes salles que dans de petites classes » (4). Les recherches sur des groupes d’étudiants effectuées par J.-J. de Cecco en Grande-Bretagne faisaient en effet apparaître des résultats légèrement meilleurs pour des sections à forts effectifs (une de quatre-vingt-dix-sept et une autre de cent-vingt-sept étudiants) par rapport à ceux obtenus dans des sections à effectifs faibles (vingt-huit étudiants) : toutefois le degré de satisfaction serait plus grand dans celles-ci, mais de très peu (tiny) (1).

Ces résultats ont été faiblement contredits, dix ans plus tard, mais aux États-Unis avec des sections de tailles différentes, par Steven Bolander (2).

Les doutes sur l’absence de rapport entre la taille de la classe et la réussite des élèves sont confirmés en 1978 par une recension soigneuse de travaux antérieurs effectuée par Powel (3) ainsi que par une étude de deux ans sur soixante-deux classes conduite en 1980 à Toronto par Shapson(4).

Celui-ci ne trouva aucune différence dans les résultats pour des tailles de classes allant de seize à trente-sept élèves. On voit que l’élasticité de la dimension d’une classe est encore accrue ici.

De même encore, en Scandinavie, Hankaas, dans une thèse de maîtrise, ne trouvait lui aussi, en 1978, aucune corrélation entre la taille et les résultats scolaires mesurés avec des tests de lecture standardisés (5).

En 1969,Thouless, publiant un panorama de la recherche en éducation, avait sagement conclu que « le petit nombre de cas où des corrélations significatives ont été rapportées au cours des recherches sur les réussites d’enseignement en rapport avec la taille de la classe donne du poids à l’hypothèse que la taille optimale de la classe dépend en partie de ce qui y est enseigné » (6).

Intérêt des classes nombreuses ?

De son côté, Rossi, en 1970, confirmait les observations de Fleming. Il n’y aurait pas de certitude dans les faits étudiés ou bien même il y aurait un certain intérêt à avoir des classes nombreuses en ce que les enfants y auraient, pour les aptitudes basiques, des taux de réussite plus élevés que n’en auraient leurs pairs, apparemment plus heureux qu’eux dans les classes plus petites (1).

À Londres, Little et Russel exposaient, en 1971, dans une communication à la conférence de l’Association du Royaume-Uni pour la lecture, que les enfants apprennent plus vite à lire dans les grandes classes (2). L’opinion en faveur de grandes classes se confirme à l’époque.

À son tour, Platt, en 1975, reprenait les données et les résultats de la première enquête de l’IEA. Il en déduisait qu’on pourrait s’autoriser à faire croître, peut-être de plusieurs multiples, la taille des classes – ce qui permettrait d’améliorer le rapport coût-rendement du système scolaire.

Toutefois, il convenait que l’absence de confirmation constatée dans une étude à si grande échelle n’autorisait guère de certitude (3).

Caroline Hodges Persell, tout en déplorant, en 1977, « l’impossibilité d’évaluer de façon isolée l’effet de la taille de la classe », se demandait si « plusieurs mois d’assistance (attendance) à des classes petites pourraient ne pas affecter la capacité à penser et la perspective d’avenir, alors que douze ans le pourraient » (4).

Elle explicitait également l’importance des structures sociétales et des idéologies sur l’éducation, ainsi que l’influence exercée sur les résultats des élèves par les attentes de leurs enseignants.

Elle introduisait néanmoins l’interrogation suivante : « Il est évident que des classes peuvent être organisées différemment si elles réunissent douze plutôt que trente élèves. Bien que ces différences de taille ne puissent être mises en rapport avec la réussite cognitive dans des tests standardisés, elles pourraient très bien avoir des effets sur la pensée créative, l’habileté à s’exprimer oralement ou par écrit, l’estime de soi et le sens du contrôle de son propre environnement. » (5)

Alfred Yates avait déjà fait observer en 1965 que, « si les études effectuées jusqu’à maintenant ont démontré les désavantages des petites classes, c’est parce que les enseignants concernés n’ont pas adapté leurs méthodes et leurs objectifs à ces conditions matérielles et n’ont pas exploité les avantages qui leur étaient offerts » (1).

Martin Shipman complétait en 1981 l’essai d’explicitation sur le relatif insuccès des petites classes : « Les élèves faibles peuvent être placés dans de petits groupes pour des objectifs de remédiation. Les meilleurs professeurs peuvent être donnés à des groupes plus importants. Les classes plus grandes peuvent nécessiter des méthodes formalisées d’enseignement qui conduisent à des scores supérieurs dans les tests, quoique de larges aspects du savoir puissent ainsi être négligés. Les enseignants dans les petites classes ont peut-être à utiliser des méthodes informelles qui requièrent un niveau d’aptitudes qui est au-dessus de beaucoup d’entre eux. » (2)

Retour en faveur pour les petites classes

La plupart des enquêtes et des recensions aboutissent à un constat dubitatif, comme on vient de le voir.

Toutefois, de manière contradictoire, certains auteurs se sont récemment efforcés d’obtenir une conviction en faveur des petites classes. C’est le cas, au Danemark, en 1978, d’Allen et de quelques collègues qui montrent que la réussite dans le système éducatif de leur pays est la plus élevée dans le cas de très petites classes, pour des effectifs inférieurs à seize (3).

De façon plus approfondie, Gene V. Glass et Mary Lee Smith avaient trouvé un effet positif de la petite taille de la classe sur la réussite et le climat, dans les années 1978 et 1979(4).

Ils se sont attachés, dès lors, à faire une recension systématique (mais cependant limitée à l’univers anglo-saxon) des nombreuses études et rapports d’expérimentation.

Toutefois, ils ont choisi de ne retenir, parmi cette littérature (et sur trois cents documents triés), que les études empiriques exposant, dans une douzaine de pays et sur soixante-dix ans, la comparaison de la réussite des élèves dans des classes de deux tailles différentes appariées les unes aux autres (1).

Leur option expérimentaliste leur permettait d’éliminer les enquêtes statistiques de grande envergure, les études sociologiques ou toutes les expérimentations non conformes à leur modèle strict. Ils ne retenaient finalement que soixante-dix-sept études de recherche empirique, desquelles ils extrayaient, tous sujets combinés, sept cent vingt cinq comparaisons par paires de plus petites et plus grandes classes (avec une définition discutable de cette notion de taille, car « la classe nombreuse d’une étude peut être une petite classe d’une autre étude », comme le remarquait G. Jackson (2)).

Ils n’hésitèrent pas à comparer des classes de deux à trois élèves à des classes de vingt-huit élèves (ou davantage encore) (3). Ils faisaient au surplus l’hypothèse que la distribution des résultats des différents élèves à des tests était homogène d’une classe appariée à une autre classe (ce qui n’est pas assuré, car cela revient à supposer comparables les compositions sociales de ces classes).

Leur méta-analyse, obtenue par un classement statistique des différentes moyennes réduites (après division par l’écart type de chaque groupe), les conduisait aux assertions suivantes : « Parmi les sept cent vingt-cinq comparaisons entre classes plus petites ou plus nombreuses,quatre cent trente-cinq, soit 60 %, sont en faveur des plus petites classes. » (4)

Ces résultats paraissaient indépendants des âges respectifs des élèves des classes comparées.

La supériorité des petites classes semblait accrue si la durée d’étude en petites classes dépassait cent heures, si l’on comparait des classes de dix-huit élèves à des classes de vingt-huit. Peu de résultats probants à l’autre bout de l’échelle, pour la comparaison entre des classes de trente élèves et des classes de soixante.

Le pourcentage des comparaisons favorables aux petites classes était amélioré également toutes les fois que les élèves avaient été répartis au hasard entre les deux classes de tailles différentes appariées (5).

En se basant sur ce type de comparaison observée dans quatorze seulement des études retenues, les auteurs obtenaient une courbe empirique (voir graphe no 7 ci-après), lissée par un modèle mathématique.

Cette courbe a comme abscisses les tailles de la classe et en ordonnées les rangs en centiles de l’élève moyen de chaque classe.

Si cette courbe se cambre fortement en deçà d’une taille de quinze élèves, elle reste relativement horizontale au-delà d’une taille de vingt élèves.

Jackson en déduisait, dès 1983, sous condition que les auteurs n’aient pas biaisé leur sélection de documents retenus, que « faire plus grandes des classes petites diminuerait considérablement les résultats ; faire plus grandes des classes déjà grandes les diminuerait beaucoup moins. La non-linéarité de la relation est une explication partielle de l’ambiguïté qui caractérise les croyances populaires et professionnelles au sujet de la taille de la classe » (1).

Glass et ses collaborateurs avaient également étudié l’incidence de la taille de la classe sur les attitudes, les sentiments et l’enseignement professoral. Ils concluaient : « La taille de la classe agit sur la qualité du climat de la classe. Dans une classe plus petite, il y a plus de chances d’adapter les programmes d’étude aux besoins des individus. Beaucoup de professeurs utilisent de telles chances : d’autres auraient besoin de formation pour s’en souvenir... Les élèves sont plus directement et personnellement impliqués dans leur apprentissage. » (1)

Cependant, les auteurs reconnaissent que « les enseignants peuvent avoir besoin d’aide pour créer de meilleurs environnements éducatifs. Un enseignant médiocre avec trente élèves peut rester un enseignant médiocre avec quinze » (2). La réduction de la taille de la classe n’a pas d’effet automatique.

Un certain nombre d’objections ont été également faites à leur méthodologie. Tout d’abord, pour quels âges leurs conclusions s’avèrent elles pertinentes ? En second lieu, on ne saurait oublier les particularités qualitatives : pour quels objectifs (cognitifs ou affectifs), à condition de procéder selon quelles méthodes pédagogiques, dans le cadre de quelles structures institutionnelles, dans quel climat éducatif, leurs résultats restent-ils valables ? On sait trop les différences qui séparent les modalités d’un enseignement dans les pays anglo-saxons et dans les pays européens, et surtout en France.

Les auteurs concèdent eux-mêmes : « Bien des très petites classes dans nos méta-analyses représentaient des petits groupes créés pour l’instruction dans un sujet particulier au cours d’une période d’instruction, par exemple, un groupe de mathématiques. » (3) Et que vaut, si on exclut ces cas singuliers, une conviction à 60 % seulement, face au problème des poids financiers ?

Objections et précautions

Le désir de Glass et de ses collègues d’entraîner une certitude en faveur des petites classes a évidemment engendré des résistances.

Une organisation nommée ERS (Educational Research Service), soutenue par des administrateurs scolaires, a publié un important document critiquant les travaux de ces auteurs. Ceux-ci ont longuement (mais émotionnellement) répondu à ces critiques.

Toutefois, ils ont obtenu le soutien d’autres chercheurs. La procédure statistique de méta-analyse a, en effet, donné lieu, en 1983, à une critique technique par Larry V. Hedges et William Stock.

Ces derniers, après avoir noté diverses objections de fond (notamment sur la réduction excessive du volume des cas étudiés, le poids indu accordé à un nombre relativement petit d’études, l’aspect atypique (1) des enseignements comparés), mettent en question les modes d’estimation probables adoptés par Grass et Smith, qu’ils estiment biaisés (2), et leur substituent des modalités plus satisfaisantes.

Leurs réanalyses les amènent alors à constater, dans les courbes d’estimation qu’ils tracent, une moindre réussite pour les classes de petites tailles que celle qui est observable sur les courbes dessinées par Glass et Smith, sans que cela supprime cependant les résultats globaux de ceux-ci.

Au-delà des objections et des questions que soulève cette étude originale, cette méta-analyse, nous pouvons observer, par-delà quelques insistances idéologiques, des propositions plus sereines faites par Glass et ses collaborateurs.

« Finalement, écrivent-ils, nous devrions être attentifs à notre propre vision limitée en traitant des conséquences de la taille de la classe. La taille de la classe est typiquement conçue comme le nombre d’élèves astreints à travailler dans une seule classe avec un seul enseignant au long d’une journée d’école. Dans cette forme, il y a des restrictions sévères à la possibilité de réduire la taille des classes. Les coûts qu’entraîne le recrutement d’enseignants sont importants et l’esprit des temps est à des restrictions financières. Il y a d’autres moyens, cependant, de considérer la réduction des tailles. Il peut être pratique (helpful) de penser à l’effet qu’assure l’organisation des groupements multiples d’élèves plutôt qu’à la taille de la classe. » (3)

Glass évoquera également, dans l’Encyclopedia of Educational Research, parue en 1992, le faible intérêt pour des recherches sur le sujet de la taille des classes en même temps que l’aspect confus de la littérature empirique à leur sujet. Il ne recense que de rares études de

1986 à 1990 qui ne sont guère plus concluantes. Il en est encore de

même, dix ans plus tard.

Mais comme avec ses collègues en 1983, il peut faire référence, au travers de celles-ci, à des mesures plus économiques que celles conduisant aux réductions d’effectifs : l’aménagement de l’emploi du temps permettant le dédoublement de classes, le travail autonome, le travail des élèves en petits groupes ainsi que le recours, à l’aide de parents volontaires, au monitorat par des pairs et des possibilités résultant du travail en équipe de professeurs.

C’est dans cette direction qu’il nous faudra poursuivre notre étude de l’organisation scolaire, dans les prochains chapitres. Toutefois, avant même de donner une conclusion sur le problème de la taille, il est important que nous consultions aussi les résultats d’études expérimentales très approfondies, effectuées notamment dans le cadre français.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J. Auvinet, L’École et la réussite scolaire,Vrin, Paris, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) J. Auvinet. op. cit., p. 223.

(2) Ibid., p. 218.

(3) Ibid., p. 220.

(4) Ibid., p. 299.

 

 

 

(1) L. Legrand, « Réforme des programmes et retards scolaires », in : L’Éducation nationale, no 28, 1963, pp. 5 et 6.

(2) L. Legrand, op. cit., pp. 5 et 6.

(3) Service d’informations générales et des études statistiques (SIGES), devenu depuis le Service de la prévision et des études statistiques (SPRES), puis Direction des études et prévisions (DEP), enfin, Direction de la programmation et du développement (DPD).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) C. Seibel et J. Levasseur, « Les apprentissages instrumentaux et le passage du CP au CE1 », in : Éducation et Formations, 1983, 2, p. 5. Claude Seibel est inspecteur général de la statistique, ancien chef du SIGES.

(2) Ibid., p. 18.

(3) Ibid., p. 18.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., pp. 18 et 19.

(2) C. Seibel et J. Levasseur, p. 20. Les auteurs renvoient à l’étude sur le « panel », rédigée par M. Blanché et S. Le Laidier, dans Éducation et Formations, no l, sur le devenir en 1979-1980 des élèves scolarisés en cours préparatoire en 1978-1979.

(3) C. Seibel et J. Levasseur, op. cit., p. 20.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Sixten Marklund, « Scholastic Attainment as related to size and homogeneity of classes », 1962, in Alfred Yates, Le Groupement des élèves en éducation, op. cit., p. 249.

(2) Ibid., p. 249.

(3) Ibid., p. 249.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Ibid., p. 249.

(2) Ibid., p. 250.

(3) Sixten Marklund, op. cit., p. 250.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Les données recueillies ont été analysées par de multiples techniques de régression linéaire. L’évaluation des acquisitions était rapportée à cinq variables indépendantes, dont la taille de la classe antérieure, le sexe, le niveau, la taille de la classe nouvelle, la différence numérique des nombres d’élèves entre l’ancienne et la nouvelle classe. Le climat social était rapporté à la taille de la classe, à son niveau et au rapport garçons-filles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

24

Expérimentations et investigations approfondies

Depuis un demi-siècle, les comportements des élèves se sont assurément modifiés : en raison des péripéties socio-économiques et technologiques. Cependant, il n’est pas inopportun de porter attention à des études expérimentales menées avec soin.

Enquêtes à Angers (1958-1959)

Des expérimentations approfondies ont été conduites en France et en Scandinavie, dans les années 1950, 1960 et 1980. Il s’agit en premier lieu d’une étude française sur l’École et la réussite scolaire, réalisée avec beaucoup de soin par un inspecteur départemental de l’enseignement élémentaire, publiée en 1968 avec le concours du CNRS.

Les données de l’étude ont été recueillies pendant l’année scolaire 1958-1959 en deux enquêtes effectuées dans la deuxième circonscription primaire de la ville d’Angers : elles ont touché quatre-vingt-quatorze écoles primaires publiques (sur cent vingt et une) comprenant 7890 élèves en 275 classes.

Parmi ces écoles, soixante-sept étaient de petites écoles rurales (avec une, deux ou trois classes) pour 3 445 élèves.

Ces écoles, à l’époque, s’étendaient sur huit cours, l’enseignement étant alors obligatoire de six à quatorze ans. Parmi les élèves, en moyenne, 10 % sont en avance, 55 % sont à l’heure, 35 % accusent des retards – chiffres qui coïncident avec les moyennes nationales de l’époque (1).

L’ouvrage (318 pages) comporte trois parties présentant l’échantillon, l’enquête et les résultats. Un chapitre de ceux-ci étudie minutieusement avec des tests de significativité les conséquences de l’effectif des élèves sur leurs pourcentages de retard et leur réussite au certificat d’études primaires de l’époque. Jean Auvinet est conduit à formuler la constatation suivante : « Que l’on considère la situation scolaire ou que l’on considère la réussite à l’examen, l’augmentation de l’effectif de l’école – effectif total ou effectif moyen par classe – s’accompagne souvent d’une amélioration des résultats. » (1)

Cette constatation globale s’appuie sur une suite de mesures convergentes : « Le plus fort pourcentage de retardés se rencontre dans les écoles où l’effectif est le plus faible. La différence est significative à .05 dans les écoles à une classe, à .01 dans les écoles à quatre classes, à .01 dans les écoles à cinq ou six classes. » (2)

De façon plus complexe pour les cas d’avance, un effectif faible semble favorable à la poursuite d’une scolarité accélérée dans les écoles à deux et trois classes, défavorable dans celles à une, quatre, cinq et six classes.

Enfin, relativement aux résultats à l’examen du certificat d’études primaires, « dans huit cas sur onze, les meilleurs résultats sont obtenus par les écoles où l’effectif est le plus élevé. Mais les différences ne sont vraiment significatives que dans les écoles à classe unique et dans les écoles de plus de six classes » (3).

Ces constatations sont présentées par l’auteur comme des hypothèses de travail qu’il dégage avec précaution et qu’il reformule dans ses pages finales : « Un effectif faible ne constitue pas une condition favorable à la réussite d’un enseignement. Un effectif moyen compris entre trente et quarante semble correspondre à de meilleurs résultats qu’un effectif inférieur à trente. Pour qu’une classe trouve son équilibre naturel, pour que les phénomènes complexes de psychologie sociale dont elle est le siège exercent des effets bénéfiques, il faut qu’elle atteigne un certain volume. Cela est particulièrement vrai pour les écoles à classe unique... » (4)

Nous approfondirons ultérieurement cette remarque essentielle.

L’étude de Louis Legrand dans le Territoire de Belfort

Dans son ouvrage, Jean Auvinet fait, d’autre part, référence à une étude présentée par Louis Legrand, en 1963, sur le nombre d’élèves retardés dans le Territoire de Belfort.

« En 1949, observe Legrand, dans le Territoire de Belfort, il y avait 9 657 élèves inscrits dans 376 classes primaires, soit une moyenne de 25,4 élèves par classe. En 1962, il y avait dans le même département 12827 élèves dans 449 classes, soit 28,5 par classe. En treize ans, le nombre moyen d’élèves par classe a donc augmenté substantiellement ; l’adverbe n’est pas trop fort, si l’on veut bien considérer qu’il s’agit d’une moyenne arithmétique.» (1) Or, le pourcentage moyen d’élèves retardés qui était en 1949 de 16,2 % est descendu en 1962 à 15,4 %. « Cette comparaison permet d’affirmer le fait, à première vue étonnant, que, dans le Territoire de Belfort, l’augmentation du nombre d’élèves dans les classes s’est accompagnée d’une légère diminution des retards scolaires. » Et l’auteur conclut, après d’autres considérations : « Dans tous les cas, si l’augmentation du nombre d’élèves dans les classes... a une influence sur les retards scolaires, elle est beaucoup moins importante qu’on veut le faire admettre, et surtout elle est liée à l’intervention de facteurs généraux, sociologiques et psychologiques. » (2)

Les travaux de Claude Seibel

Les constatations auxquelles étaient conduits, pour le premier degré, dans les années 1960, Jean Auvinet et Louis Legrand, sont corroborées vingt ans plus tard par les études approfondies d’évaluation pédagogique conduites depuis 1979 au ministère de l’Éducation nationale, par le SIGES(3), sous la direction de Claude Seibel.

Une population de près de 2 000 élèves a été extraite d’un panel national d’élèves inscrits au cours préparatoire à la rentrée scolaire 1978; cette population était répartie sur douze départements en deux cent sept classes et cent soixante et une écoles de l’enseignement public. Les élèves de cette population ont été interrogés dans le cadre d’une opération dite Apprentissages instrumentaux.

Les épreuves qu’ils ont subies ont été mises au point par l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP) avec le concours de l’Inspection générale, de l’Inspection départementale et d’enseignants ; elles étaient en rapport étroit avec les objectifs contenus dans les Instructions officielles et ont été proposées deux fois aux élèves, en juin 1979 puis en décembre 1979.

À l’issue des opérations « cinq sous-populations ont été déterminées ; trois ont été distinguées parmi les élèves passant en première année du cours élémentaire (CE1) sans avoir redoublé le CP auparavant, les non redoublants forts, les non-redoublants moyens et les non-redoublants faibles ; une quatrième sous-population est formée par les élèves qui vont redoubler le CP, ce sont les nouveaux redoublants ; enfin, une cinquième se compose des élèves qui ont redoublé le CP et qui passent en CE1, les anciens redoublants » (1).

L’étude des résultats montre, au passage, « qu’il n’y a pas une adéquation parfaite entre les résultats d’épreuves standardisées de savoir ou de savoir-faire en français de l’enquête et les décisions de redoublement ou de passage en CE1 prises par les enseignants. Ces décisions sont naturellement prises en dehors des résultats de l’enquête » (2).

Si l’importance de l’origine socioculturelle apparaît une fois de plus dans cette enquête, en revanche, « la taille de la classe n’apparaît pas comme une variable comportant une relation particulière avec la répartition en sous-populations de l’échantillon. Il est frappant de constater que, dans les limites actuelles du taux d’encadrement, la tendance est plutôt d’une baisse du taux de redoublement avec l’augmentation de la taille de la classe... Ce résultat paradoxal, qui semble heurter les idées reçues, s’explique si on se souvient que les classes les plus chargées appartiennent aux zones suburbaines : malgré un milieu socioculturel plus défavorisé entraînant des performances aux épreuves plutôt faibles, la décision du redoublement au CP est mise en balance, soit avec le passage vers le cours élémentaire afin de maintenir un taux d’encadrement plus faible au CP, soit avec l’envoi dans les structures de l’éducation spécialisée » (3).

D’autre part, « la taille de la classe n’interfère pas non plus sur le niveau atteint en juin aussi bien en français qu’en mathématiques, au sein de chaque sous-population. On note seulement pour les anciens redoublants une relation positive entre leurs résultats en juin et la taille de la classe ; en effet, quand la classe passe de 15-19 élèves à 25-29 élèves,le nombre d’items réussis augmente régulièrement de 58 à 66 en français et de 68 à 78 en mathématiques » (1).

Les auteurs concluent : « La très faible sensibilité des résultats à la taille de la classe confirme les résultats obtenus dans le panel des élèves du premier degré. » (2)

Ils ajoutent : « Le redoublement du cours préparatoire, notamment, n’est pas corrélé avec la taille de la classe, ce qui peut s’expliquer par le fait que les instituteurs utilisent, grosso modo, des méthodes équivalentes qui font dépendre l’atteinte des objectifs du cours préparatoire davantage des caractéristiques sociodémographiques des élèves, que des conditions de l’offre du système éducatif. » (3)

Ils observaient aussi, entre juin et décembre, chez les non-redoublants, des progrès d’autant plus importants qu’ils se situaient dans la sous-population la plus faible.

Outre les constatations des auteurs, on peut remarquer sur les pourcentages (et les graphiques) de leur étude que les pourcentages d’élèves dans la sous-population des non-redoublants forts sont plus importants, soit pour des classes de moins de 14 élèves (16,3 %), soit pour des classes de 25 à 29 élèves (13,9 %), et sont au minimum pour des classes de 20 à 24 élèves (10,6 %). Également les pourcentages de non-redoublants moyens sont les plus élevés pour des classes de 20 à 24 élèves (62,9 %).

Quoique non significatifs, ces résultats attirent l’attention. On verra qu’ils sont confirmés par d’autres travaux, notamment ceux de Sixten Marklund en Suède et de Niels Egelund au Danemark.

En Scandinavie

En 1962, en Suède, Sixten Marklund a réalisé une recherche qui est restée célèbre. Constatant que les travaux antérieurs en différents pays avaient dégagé quelques corrélations entre la taille de la classe et les résultats scolaires mais qui restaient médiocres et sans ordre, il a tenté de découvrir si la taille et l’homogénéité d’une classe avaient une incidence significative sur les résultats pour des élèves de treize ans, testés sur deux échantillons, dans le cadre de l’enseignement obligatoire à l’école moyenne (collège).

La population des élèves était composée d’un échantillon national de cent cinquante classes contenant 3 691 élèves ; d’un deuxième échantillon pris dans la région sud de Stockholm provenant de trente neuf classes et contenant 1 233 élèves. Les résultats scolaires étaient mesurés par des tests standardisés en lecture, écriture, mathématiques, anglais, histoire, géographie et connaissance de la nature. Les variables indépendantes étaient la taille de la classe et son homogénéité (mesurée dans chaque classe par la dispersion à des tests standardisés de connaissance ou d’intelligence).

De nombreuses variables furent mises en corrélation par cette recherche qui utilisa des méthodes statistiques éprouvées.

L’étude sur l’échantillon national donna les résultats suivants : «Tout d’abord, quand les comparaisons étaient faites entre les classes sur la base d’une moyenne des scores obtenus aux différents tests de connaissances, les moyennes les plus élevées étaient obtenues par les classes de 26 à 30 élèves, et les moyennes les plus basses par celles de 21 à 25 élèves. Les classes de 31 à 35 élèves et celles de 16 à 20 occupaient une position intermédiaire, mais, quand les tailles des groupes étaient combinées, les classes de 26 à 35 élèves avaient des scores de résultats significativement plus élevés que celles de 16 à 25 élèves. » (1)

En second lieu, « quand les diverses tailles des classes étaient réparties en catégories de classes homogènes, hétérogènes ou intermédiaires, très peu de différences étaient trouvées entre les tailles des classes, que ce soit dans les groupes homogènes ou dans les groupes hétérogènes » (2).

Une analyse spéciale fut effectuée sur l’échantillon de la ville de Stockholm en vue de contrôler les facteurs géographiques et socioéconomiques. Dans cet échantillon urbain, les plus petites classes avaient de 26 à 31 élèves, les moyennes de 31 à 33, et les plus grandes de 34 à 36. « En général, il n’y eut pas de différence significative aux résultats atteints par ces groupes, et, dans les rares cas où des différences étaient observées, elles se manifestaient dans toutes les directions. » (3)

Marklund remarquait que les différences en taille restaient petites, ce qui entraînait un effet marginal. Sur ce terrain de la taille des classes, « au total, on procéda à 281 comparaisons entre les niveaux de réussite des élèves de classes plus grandes ou plus petites : 37 étaient en faveur des plus grandes classes, 22 en faveur des plus petites, et pour les 222 restantes les différences n’étaient pas significatives» (1).

Enfin, Marklund constatait, en étudiant des classes à taille constante mais à homogénéité variable, qu’il n’apparaissait « aucune évidence que l’homogénéité ait une importance distincte sur les classes à scores élevés ou sur celles à scores faibles... sur l’ensemble des 122 comparaisons effectuées, 23 étaient favorables aux groupes homogènes, 13 aux groupes hétérogènes tandis que 86 montraient des résultats notablement identiques » (2).

L’expert suédois, de notoriété mondiale, concluait pour finir : « Quoique les résultats de cette étude indiquent que la réduction de la taille de la classe ne conduira probablement pas à une amélioration des résultats scolaires, il est possible, si des mesures sont prises pour encourager les initiatives pédagogiques en vue d’améliorer davantage les méthodes d’étude et d’enseignement, que le problème de l’homogénéité deviendra moins important.

Dans le futur, au lieu d’étudier comment la taille et l’homogénéité opèrent en tant que facteurs isolés, il semblerait plus utile de voir comment ces deux facteurs réagissent sur les procédures de la classe et les méthodes d’instruction.» (3) C’est donc le problème de l’organisation scolaire qui demeure posé, et dont on sait qu’il a fait l’objet des recherches-actions conduites et évaluées dans les collèges expérimentaux sous l’impulsion de Louis Legrand, comme nous l’avons déjà indiqué, et dans les écoles sous celle de Philippe Meirieu, plus récemment.

Au Danemark

Les travaux de Marklund se voient, eux aussi, confirmés par une étude plus récente, effectuée au Danemark, pays occidental où la moyenne du nombre d’élèves par classe est particulièrement basse (18,6 en 1981 avec une tendance à remonter vers 22 en raison de la crise).

Dans l’école obligatoire (de sept à seize ans), les enseignants sont formés à baccalauréat plus trois ans et demi pour enseigner à tous les niveaux, et normalement, ils suivent les mêmes élèves dans les mêmes disciplines à travers tous les niveaux.

L’étude réalisée par Niels Egelund, chercheur à l’École royale danoise d’études éducationnelles, a utilisé des données recueillies en 1979 au cours d’une étude antérieure (qui avait mesuré les conséquences de la mobilité géographique sur les élèves).

Les évolutions des niveaux scolaires atteints par les élèves ayant changé d’école avaient été faites par leurs nouveaux professeurs, sur une échelle standardisée un ou deux mois après la rentrée, et ces niveaux étaient mis en relation avec la taille de la classe de provenance.

L’échantillon choisi avec soin comprenait 269 élèves de toutes les classes pour l’analyse des acquisitions en langue maternelle (le danois) ; 251 élèves de toutes les classes pour l’analyse des acquisitions en mathématiques ; 127 élèves des cinq classes supérieures pour l’analyse des acquisitions en langue étrangère (l’anglais). Les tailles de toutes ces classes allaient de 11 à 29 (moyenne de 20).

Niels Egelund étudia également le rapport entre le climat social de la classe et sa taille, grâce à une évaluation réalisée par les professeurs dans leurs classes sur une échelle à trois degrés et par une description ouverte de leur perception du climat et des aspects du fonctionnement du groupe-classe. À cette étude, 566 classes de tous les niveaux ont participé (1).

Dans une note rédigée en anglais sur les résultats de sa recherche, Egelund constate en mai 1983 : « Dans le cadre danois de cette étude, il n’a pas été possible de trouver des corrélations significatives entre la taille des classes (de 11 à 29) et les niveaux des acquisitions en langue maternelle, en mathématiques et en langue étrangère... En ce qui concerne le climat social de la classe, le résultat est, contrairement aux attentes usuelles des professeurs, que les classes les plus grandes touchées dans l’étude ont le meilleur fonctionnement. Une analyse du contenu des commentaires faits par les professeurs indique que les plus petites classes sont plus susceptibles de subir des effets de “clique” dominante que les plus grandes classes, et qu’il est plus difficile pour les élèves de trouver des amis quand les classes sont très petites. » (1)

Il y a là une alerte qui demeure, en termes de complexité. On y reviendra.

Pour conclure, Egelund note que son étude n’a pas montré les effets positifs des très petites classes (sans doute en nombre faible dans son échantillon), annoncés par Glass et Smith ainsi qu’Allen, mais que les petites tailles de classes peuvent par contre avoir un effet négatif sur le climat social de la classe, ce qui est contraire aux résultats affirmés par Glass et Smith.

Au terme de ces études approfondies, le débat reste donc entier, mais il invite à étudier les conditions psychosociologiques du fonctionnement des classes.

 

 

   

En complément, la banque des graphes et des schémas en éducation et en formation

Quelques pages lui sont plus particulièrement dédiées:

 

PARTIE 4 : Complexité et chances de l’organisation scolaire

CHAPITRE 25: Classes et phénomènes de groupe

CHAPITRE 26: Modèles, fonctions et finalités de l’École .

CHAPITRE 27: Des élèves et des rôles .

CHAPITRE 28: Organisation et variété de groupements d’élèves

CHAPITRE 29: Architecture de l’enseignement et antinomies à contenir

CHAPITRE 30: Pour ou contre la pédagogie et les sciences de l’éducation

CHAPITRE 31: Évaluation et formation .

CHAPITRE 32: Pour l’honneur de l’École .

 

Bibliographie une interview exclusive sur le sens des nouvelles réformes et l'évolution du métier

concept :François Muller @ 1998-2009

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