Petite galerie de portraits de
formateurs en mal de modèle
Compte rendu d’un article d’Eugène
Enriquez paru dans Connexions n°33 en 1981 |
Le
formateur |
Il déforme, réforme,
transforme pour donner aux formés la forme idéale en s’inspirant d’un
modèle platonicien ou marxiste ou gestaltiste .Les personnes sont
dépossédées de leur propre expérience, de leur tâtonnement et se coulent
dans une forme figée, répétitive et mortifère au lieu de créer, ils
reproduisent des pensées déjà élaborées . Or, il n’y a pas de « faire »
sans invention, sans surprise pour celui qui est en train de faire .
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Le
thérapeute |
Il considère l’individu comme porteur originairement d’une
santé à retrouver . Or, biologistes comme psychanalystes savent que tout
organisme vit en équilibre instable et doit s’adapter aux perturbations
incessantes . Dans nos sociétés occidentales, beaucoup d’activités sont
transformées en fonctions para-médicales chargées de répondre à tous les
problèmes .
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L’accoucheur |
Pour lui, il faut aider à la croissance de chacun par une
écoute compréhensive et non évaluative .Cette position est idéalisante et
sur-protectrice et par conséquent dévoratrice selon une conception
chrétienne de l’homme . Derrière le masque de la bonne mère, celui de la
mère toute-puissante qui ne permet la naissance que d’un enfant sans désirs
et sans vie .
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L’interprétant |
Il se caractérise par
la volonté de tout interpréter, de trouver des causes et des raisons à
tout comportement .La communication directe à autrui des raisons de son
comportement est supposée lui permettre une prise de conscience et donc
une élucidation de sa conduite . Derrière ce modèle de formateur se
dessine la volonté de puissance qui cherche à enfermer les autres dans une
formule qui les identifie nécessairement.
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Le
militant |
Un tel formateur
indique la voie, veut conduire le changement social . Pour lui, le mal est
totalement localisé en dehors du groupe, seule la société est en cause
.Or, si le militant se comporte avec cette vision manichéiste, il
deviendra, sans le vouloir, un allié important des forces de conservation
de l’ordre social
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Le
réparateur |
Il se donne pour mission de réparer le mal qui a été fait. Il
prend en charge, se sacrifie pour les autres .Mais quels bénéfices
secondaires en escompte –t-il ? Son humilité est un formidable orgueil .Ce
ne sont pas les bons sentiments qui font les bons formateurs .
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Le
transgresseur |
Il se donne comme vocation de favoriser l’émergence de la
spontanéité, de la fête, de permettre la disparition de tous les tabous .Or
penser les interdits comme uniquement répressifs empêche d’examiner en quoi
ils sont simultanément structurants .Cette conception débouche sur un
nouveau système de contrainte :toujours plus et mieux , prélude à une
violence généralisée.
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Le
destructeur |
Le désir de former peut
être entaché du désir inverse de déformer, de briser, de morceler autrui
.A force d’ordonner au groupe d’être autonome, de s’exprimer spontanément
tout en l’enfermant dans uns système interprétatif, le formateur s’assure
de sa propre puissance en rendant les autres soumis et profondément
angoissés .
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Conclusion
Cette étude n’a pas
pour but d’indiquer au formateur qu’il doit éliminer tous les modèles
.Toute situation de formation est une situation dangereuse où la bonne
volonté se heurte constamment à un désir d’être le maître, maître à penser
. L’auteur- Enriquez- préconise une expérience analytique, indispensable à
tout formateur pour dénouer quelques nœuds .Il ajoute une citation de
S.Fitzgerald : »On devrait pouvoir comprendre que les choses sont sans
espoir et cependant être décidé à les changer. »
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