Communiquer avec l'entreprise, un (en)jeu réel
C’est un cas fréquent et accentué dans des classes où les élèves sont le plus en difficulté comme par exemple les 4ème aide et soutien ou les 3ème d’insertion. Dans une logique purement libérale, on laisse faire, à charge pour les familles de trouver, mais est-ce dans une démarche de projet, les parents doivent avoir l’initiative ? Comment cela peut-il être pris par un employeur ? Ou alors, l’enseignant se mobilise pour trouver des terrains de « secours », pas forcément en adéquation avec les souhaits de l’élève, et encore une fois, c’est à la fois réaliste mais contradictoire avec les objectifs de l’opération.
Préparer un stage, c’est donc faire en sorte que la prospection des terrains possibles, la communication, l’élaboration des supports soient des occasions d’apprendre ; c’est dépasser la simple injonction faite aux élèves pour travailler avec les élèves sur leur propre communication.
Arnaud Savin n’est pas un prof. Il a été longtemps responsable du recrutement dans un entreprise d’interim puis pour des grands groupes ; depuis plusieurs mois, à l’invitation de plusieurs établissements, il a développé un approche de la communication et des outils très accessibles pour des élèves, notamment en proposant une méthodologie pour la rédaction de C.V. ou de lettre de motivation. La technique peut paraître simple, elle n’en est pas moins efficace, en trois mots : communiquer, écrire, pousser des portes.
Le module le plus innovant qu’il propose met en scène un groupe d’élèves et la mise à disposition d’un téléphone portable amplifié : tous les élèves ont préparé par avance une liste de vingt à trente contacts selon leurs souhaits. Un élève est volontaire ; l’intervenant se place en posture de « coach » : à côté de l’élève, il simule un premier contact téléphonique : le rythme des échanges est serré et saccadé ; la prise d’information décontenance l’élève ; on répète. Puis l’élève passe en situation réelle, l’intervenant est à son oreille, tout le groupe est extrêmement attentif.
Tout joue en direct : intonation, dynamique de la voix, prise par écrit des renseignements donnés. Adapter sa communication à la taille de l’entreprise (PME-PMI ou grand groupe, se repérer dans les organigrammes possibles (bonjour, pourrais parler au responsable de l’entreprise ou un collaborateur ?; bonjour, je m’appelle X, pourrais je avoir le responsable des relations humaines, du recrutement, ou le service du recrutement ou des stages ?). On s’entraîne en situation réelle : « ne quittez pas » - musique de Vivaldi « bonjour, êtes vous bien le responsable du recrutement ? », Ne rien expliquer tant que le bon interlocuteur n’est pas joint. « Pourriez vous répéter ? Pourriez vous m’épeler votre nom ? ». Toute une série de codes sociaux en communication professionnelle comme passeport à la réussite des stages. Ou dire comment vous avez eu les renseignements, pour éviter les filtrages par les secrétaires ou collaborateurs. Comment tourner les répondeurs ou sélectionner les heures.
On évite la demande trop directe « c’est pour un stage » qui n’aura aucune chance d’aboutir pour une requête plus surprenante : « Je voudrai rencontrer un professionnel de tel secteur pour mieux connaître l’activité. » Les élèves sont frappés de la relative bonne réception de ce type de message.
Enchaîner les contacts sans avoir peur de toucher, dix, vingt entreprises à la file. Question d’entraînement et de dynamique individuelle mais aussi collective : le groupe soutient. Les notes prises par les élèves s’appuient sur l’expérience directe de celui qui passe en « live ». En deux heures, c’est la moitié du groupe qui a décroché une ou plusieurs entrevues. Il faudra rebondir sur les démarches immédiates : suivi, recontacter, écrire, aller rencontrer.
On peut rencontrer des difficultés : peur des photos obligatoires (alors que peu demandé pour un stage), angoisse de l’agressivité prétendue des interlocuteurs, fantasme de l’analyse graphologique. Ambition extrême pour des grosses entreprises ou « boites » très fermées à la recherche d’emploi (par exemple, le tropisme TF1) sans regarder la proximité plus accessible et plus ouverte en terme de potentiel d’emplois.
Mais la pompe est amorcée ; d’ailleurs, les enseignants ne reconnaissent plus leurs élèves après une telle séance. Ils découvrent que le message délivré à l’école est ce qui se fait dans la « vraie vie ».
Loin d’être une Xème technique de recherche d’emploi, c’est un processus qui permet d’enclencher réflexion et actions des élèves, relais chez les enseignants, articulation entre démarche individuelle et support collectif.
Ce que Arnaud Savin met en œuvre, des enseignants peuvent le faire, c’est même inscrit dans le référentiel d’une discipline comme la « communication » dans les formations tertiaires. Tout est alors une question de mise en pratique et en situation avec les élèves. Ce sont bien eux qui trouveront les contacts et les terrains car vous leur aurez donné les « clefs ».