Dans les cinq années qui
viennent, plus de 35 000 enseignants du premier et du second degré vont
partir en retraite. Dans ce corps qui n’en est pas un, à l’instar des
médecins ou encore des avocats, dans ce groupe social composite et
multiforme que sont les enseignants, qui sommes-nous ?
Qui seront ceux et celles qui
assureront la formation intellectuelle de nos enfants jusque dans les années
2040. Quel pari pour le métier, pour la formation, pour les élèves ! Depuis
vingt ans, le métier évolue insensiblement et pourtant si vite : tout s’est
fait, par-delà le «harcèlement textuel » évoqué parfois par les enseignants
ou par les chefs d’établissement, par une série d’aménagements et de petits
décalages. Pas de grande réforme, quoi qu’on en dise, seules deux lois
d’orientation en 1989 et 2005.
Nous sommes tous des « enseignants ».
Courbe inversement proportionnelle par
rapport au 2eme degré (forte croissance jusqu’en 2004, puis baisse) ; le
1er degré baisse et stagne, alors que le nombre d’élèves progresse (boom
2000) Le taux d’encadrement reste à 18 dans le 1er degré, par rapport au
2eme de gré (12) Le taux d’encadrement de la France dans le 1er degré
est de 19,9, en bas de peloton après le Japon et la Finlande (14),
avant la Corée (24). Mais dans le 2eme degré, la France est à 11,9,
quand le a Finlande reste à 13,5
1 enseignant sur 5 relève de
l’enseignement privé, mais 1 sur 10 dans le 1er degré. La part des
maitres auxiliaires est importante dans le 2eme degré (5%) et encore
plus dans le privé. (18 %) Le taux de féminisation dans le 1er degré est
très fort, à 82 %, mais 57 % dans le 2eme degré. Les pyramides des âges
sont très inégalitaires, entre hommes et femmes d’une part, entre privé
et public, Dans le 2ème degré, les profils sont très différents. Les
temps partiels sont à hauteur de 10 % dans le public, mais 20 % dans le
privé (et surtout non titulaires). 10, 6 % affectés en éducation
prioritaire, mais si on a moins de 30 ans, c est 21, 7 %
7 000 admis en 2010, sur 40 000
présents effectifs aux concours. Les taux de réussite sont entre 18 et
22 %. Pour le CAPES, la baisse des présents effectifs est assez sensible
depuis 2007. Alors que les admissions sont stables.
Les instituteurs sont majoritairement
de licence, à 72 %, dans le 2eme au niveau de la maitrise (45 %. La
masterisation est un vrai choc en matière de recrutement.
En 2011, 18 734 candidats se sont
présentés au concours des professeurs des écoles, pour 41 874 en 2009.
Ce mouvement de désaffection s'observe aussi pour les professeurs du
secondaire: à la rentrée 2011, 976 postes offerts aux concours externes
n'ont pas pu être pourvus. en neuf ans, le nombre de candidats présents
a chuté de 70%.
La vocation. ? La
moitié de ces jeunes profs font un métier dont ils ont rêvé enfant et
71% évoquent le mot "vocation" (+5% par rapport à 2001). Pour autant le
décalage est sérieux entre le métier rêvé et la réalité. 57% avaient
sous-estimés l'impact du métier dans la vie privée (+17% depuis 2001 !)
et 48% la charge de travail (+15%). 81% sont satisfaits du métier (-6%).
Mais domine un sentiment de dévalorisation.
Neuf jeunes enseignants sur dix estiment que le métier s'est plutôt
dévalorisé. Ils n'étaient que 59% en 2001.
Faut-il voir la raison
d’une progression de la pédagogie traditionnelle chez ces jeunes
enseignants. Deux sur trois
(61%) mettent la transmission des connaissances devant les relations
avec les enfants comme motif de satisfaction. La situation était inverse
en 2001. "Faire confiance aux méthodes qui ont fait leurs preuves" passe
au premier plan des manières d'enseigner (49%) devant "utiliser des
méthodes innovantes" (45%). La situation était là aussi inversée en
2001. L'importance accordée à l'épanouissement de l'enfant est passée
de 71 à 46% alors que la priorité accordée à "transmettre le goût de
l'effort" a augmenté de 19 à 30%. Le repli sur le "écrire – compter" est
prioritaire pour 37% des jeunes profs contre 16% en 2001. 69 % des
enseignants estiment que la réussite de tous les élèves ne peut pas être
atteint contre 54% en 2001. A l’heure du « Socle » c'est-à-dire d’une
formation de base pour tous, on mesure le décalage ; le cadre
institutionnel a bougé ; une majorité s’est crispée. Quelle conduite de
changement pour chacun de nous, acteur dans ce système ? |
La
survie ? Malaise
Les enseignants sont attachés à une
déontologie et à une règle, faites de mots et de valeurs, et à un certain
genre de vie. Le professeur du secondaire travaille 9h47 par semaine. Aux
18h46 d’heures d’enseignement, s’ajoutent 21 heures consacrées aux
préparations, aux corrections, au suivi des élèves, aux rencontres avec les
parents ou encore aux réunions avec les collègues.
Pendant ces heures effectives de présence
(et même en dehors), de nombreuses inquiétudes traversent le corps
enseignant : sentiment d’isolement, émiettement des temps de formation,
climat scolaire souvent lourd dans nombre d’établissements.
Conflit psychique interne certes, mais
aussi, dérégulation d’un vieux système institutionnel en mutation accéléré à
présent. Malaise est un mot commode pour exprimer des sentiments de «déprofessionalisation»
: la dimension affective et éducative du métier entre en tension avec une
logique d’enseignement plus instrumentale. La surcharge de travail peut
aussi être paradoxalement liée aux tentatives des enseignants de satisfaire
simultanément les demandes officielles et leurs propres conceptions du
métier.
Les experts européens notent une
complexification croissante du métier, liée aux réformes, ce qui génère un «
malaise enseignant », souligné par neuf enseignants sur dix. Au total, six
sur dix se sentent personnellement concernés par ce « malaise »,
particulièrement les plus expérimentés- le cap des 20 ans de métier se
révèle ainsi souvent déterminant.
Depuis les années 70, époque des premières études sur le
stress des enseignants dans le monde, on connaît bien les sources de stress
les plus fréquemment citées
:
-
La surcharge de travail: c’est le cumul
des contraintes, venues se rajouter progressivement dans le métier,
associé à une forte intensité du travail enseignant du fait de la
multiplicité des opérations à effectuer en classe sur une durée très
courte (répondre, écouter, se déplacer, écrire, maintenir l’ordre, gérer
la dynamique du groupe tout en étant attentif aux individus…).
-
une charge émotionnelle et physique
importante dans un métier de relations intenses, des pauses peu
fréquentes, du bruit, du matériel et des locaux parfois vétustes et peu
adaptés. Cette accumulation d’activités entraîne donc chez l’enseignant le
sentiment et la réalité d’une usure quotidienne et d’un travail dans
l’urgence.
-
Le conflit de rôle: être confronté à des
ordres contradictoires, des pressions émanant de sources différentes, et
qui plus est en opposition avec ses valeurs personnelles, comme par
exemple, être pris entre la demande du groupe classe et les besoins
spécifiques de certains élèves à besoin particulier.
-
L’ambiguïté de rôle : l’individu au
travail ne sait pas ce qu’on attend de lui, quels objectifs précis il doit
atteindre et enfin quelle est l’étendue de ses responsabilités. face à la
sortie de textes officiels au rythme des nominations de nouveaux
ministres. Peter Woods (1999) évoque d’ailleurs une "schizophrénie innée
du métier".
-
Les élèves en difficulté : la notion
d'élève signalée en difficulté peut être aussi subjective : selon Borrego
(1999) plus les enseignants sont sensibles au stress et plus ils signalent
abusivement des enfants en difficulté.
-
La difficulté à intéresser les élèves:
ceux-ci peuvent ne pas adhérer du tout au projet scolaire qui leur est
offert ; en le signifiant par l’agitation ou l’apathie, la perturbation,
la démobilisation face au travail. Avoir un cours bien préparé, et faire
preuve de compétences psychosociales ne garantissent pas un comportement
positif envers le travail scolaire.
-
Le manque de reconnaissance, non tant des
élèves mais plutôt de la part de la hiérarchie, des collègues, des parents
et de la société, en général. manque de soutien de la hiérarchie et les
relations conflictuelles entre collègues.
La sur-vie,
équilibre et développement professionnel
A l’inverse, l’équilibre entre travail dans
la classe et partage collectif, ouverture de l’école sur le quartier et les
partenaires, un management de type social, une reconnaissance à la fois
individuelle et collective, par notamment un déroulement de carrière
attractif, la création de nouveaux métiers donneraient plus d’opportunités
aux enseignants de résoudre les problèmes et de faire face aux difficultés.
Aujourd’hui, concrètement, dans sa classe et son établissement, voilà une
sorte de recette «anti-stress » pour les profs :
-
connaître ses limites et savoir repérer
les manifestations psychophysiologiques du stress pour protéger sa santé ;
-
connaître ses faiblesses qui pourraient
le gêner dans son métier
-
apprendre à développer des stratégies de
faire face efficaces et protectrices
-
rechercher du soutien (les ateliers
d’analyse des pratiques sont à ce titre protecteurs)
-
recevoir une formation à ce sujet pour
devenir autonome dans la gestion de son stress et prendre en charge sa
santé
-
s’intégrer à des groupes de travail sur
les transformations des pratiques
Ce sont des objectifs explicites pour ce
manuel de sur-vie, c'est-à-dire d’accroissement du potentiel d’activité et
de développement de stratégies, dirait-on de « ruse », à la manière
d’Ulysse.
Derrière la « crise », le changement en 10 tendances
La première édition du présent ouvrage
s’ancre au début des années 2000 ; dix ans plus tard, quelle lecture
pouvons-nous partager des évolutions du métier d’enseignant, et partant, du
système qu’il sert au mieux de ces compétences ? Dix tendances traversent
l’éducation et nous dessine un espace dans lequel nous évoluons pour les
prochaines années.
1- internationalisation et globalisation des questions d’éducation -
2001 marque un changement dans les références, quand
s’initie PISA (Programme international de suivi des acquis des élèves) à la
livraison triennale ; si ce n’est certes pas l’équivalent d’un « 11
septembre » en Éducation, plus rien n’est plus comme avant. Comme
le souligne Alain Bouvier, "la réforme des programmes, de la didactique et
des outils, la réforme de la formation des enseignants dans un cadre
européen et mondial, les systèmes d'évaluation…, la formation des chefs
d'établissement…, le pilotage des systèmes sont des questions qui se posent
de manière transversale en des termes différents certes, mais qui se posent
partout".
La mondialisation a des effets de résistances des modèles nationaux ; on
observe des tendances vers plus de différenciation. Les écoles s'interrogent
sur leurs contenus et leurs valeurs partout. Dans quelle mesure cette
interrogation collective aboutit-elle à définir un modèle d'école ?
Partout en Europe le métier change. La diffusion d’un
nouveau modèle professionnel répond à la fois à des politiques éducatives et
à des changements sociaux et culturels. « Grâce à des établissements plus
autonomes, développant des projets éducatifs portés par des enseignants
engagés dans une dynamique collective, grâce à des enseignants pédagogues,
réflexifs et centrés sur l’apprentissage de l’élève, grâce aussi à un
cadrage institutionnel où l’État régule et évalue les unités d’enseignement
décentralisées, l’école devrait pouvoir affronter les défis auxquels elle
est confrontée. Elle devrait devenir simultanément plus juste et plus
efficace », peut-on lire dans une récente étude publiée par l’Université
catholique de Louvain.
Dans une plus grande proximité, celles de nos voisins
européens, le cadre référentiel et l’organisation des systèmes éducatifs ont
des incidences fortes sur notre propre cadre national : l’approche par
compétences, d’abord en langues (songeons au CERCL, cadre européen commun de
références des langues)
puis l’adoption d’un Socle commun « à la française » qui s’inspire
explicitement des « basics
skills » en vigueur ailleurs.
Notre différence reste dans
l’adoption de ces nouveautés, sans faire fondamentalement évoluer ni les
métiers ni l’organisation, définis au niveau national. Ainsi, l’innovation
dans sa version française peut passer comme la recherche d’ajustement
des pratiques et des organisations à des
éléments de programmes institutionnels, souvent combinées en réponses plus
adaptées à des contextes locaux plus difficiles. D’accord ou pas d’accord,
c’est le cadre qui change.
2- foisonnement des tice en éducation
Politique volontariste ou pas, pratiques
sociales diffuses (même chez les profs, à présent évidemment), , changement
des relations inter-individuelles, interactions plus intenses et plus
informelles à la fois, implosion des espaces confinés : les tice, avant
d’être des objets technologiques à maitrise incertaine, contiennent tous ces
ferments de changement introduits dans les murs de notre Ecole : on passe
d’ « entre les murs » (du titre du film récompensé aux Césars) qui décrivait
un huis clos entre un professeur sans grand savoir-faire et des élèves en
attente, à une école « Hors les murs » (du nom du dispositif ouvert et
interagissant entre classe du monde entier).
Le monde s’invite directement sur nos
pupitres ; on peut l’interdire, comme souvent les ENT (environnement
numérique de travail) tentent de l’imposer en bridant les accès aux réseaux
sociaux, ou on peut faire le choix d’en apprivoiser les usages. Ce sont des
choix qui relèvent du prof, mais plus largement, d’une équipe, et encore
d’une conception de l’école et de la valeur investie dans l’acte
d’apprendre.
3- Déconstruction des représentations et
reprogrammation des systèmes
Dans la continuité des conclusions de Marcel Gaucher
caractérisant « le désenchantement du monde », comme d’autres sociologues
signalent la fin des idéologies, en appui à l’analyse partagée par des
travaux communs avec des psychiatres, proches de la MGEN, et des cliniciens
du travail (CNAM), nous évoquons une désarticulation des systèmes
logiques. Expliquons-nous plus avant : nous tous sommes mûs par un
système de valeurs, de représentations, qui président à nos actes : ces
représentations sont elles-mêmes issues de la combinaison entre expériences
initiales et des modèles issus de votre propre formation initiale (s’il y en
a eu d’ailleurs), ou encore d’éléments appris sur le tas, en « salle des
profs », ou encore par affiliation à quelques prises de position portées
médiatiquement….
Ce système peut vous paraître logique et même coutumier,
et sans grande remise en cause. « J’ai toujours fait comme cela ». Nous
avons pu nous construire, nous former, nous faire guider par des systèmes
logiques, composés d’institution (« ce qui institue »), de sécurité,
d’assurance et de stabilité. Force est de constater que dans tous les
métiers, et les nôtres aussi (ce qui peut d’une certaine façon rassurer, ce
sont bien des métiers, comme les autres), les attributs cités présentent une
vivacité altérée: institution ? sécurité ? assurance ? stabilité ?
Cependant, il suffira de quelques gestes, ou paroles,
d’un élève, ou d’un collègue, ou d’un parent, pour que votre système soit
ébranlé. Enseignants, tous niveaux confondus, mais aussi directeurs, chefs
d’établissement, inspecteurs, formateurs, sommes confrontés à des tensions
ou des renforcements paradoxaux qui, selon les cas, nous tirent à hue et à
dia, élargissent nos compétences, mais parfois désarticulent nos actions, en
perte de repères traditionnels (« c’était mieux avant » ?).
Bien des témoignages recueillis en de multiples endroits
nous renvoient une image en mosaïque de perceptions des évolutions troublant
les métiers de l’éducation et de la formation comme autant de forces
telluriques travaillant les structures rigides de l’écorce terrestre,
Ainsi, nous pourrions, à l’envie, identifier des couples ambivalents, sans
opposition mais en tension, tels que:
Juger
<- ->
comprendre
fatalisme sociologique
<- ->
acte pédagogique
Évaluer
<- ->
accompagner
Indicateur
<- ->
indication
Contrôler
<- ->
vérifier, réguler
Confidentialité
<- ->
élargissement du cadre
Militantisme
<- ->
professionnalisme
Transversal
<- ->
didactique
Formation
<- ->
changement
Changement
<- ->
identités professionnelles
Application de réforme
<- ->
résolution de problème
Statuts
<- ->
fonctions, compétences
Hiérarchie à la « française »
<- ->
pilotage pédagogique
Tâche
<- ->
Activité
Performance immédiate
<- ->
temps du projet
Je sais
<- ->
je ne sais pas (faire) (tout seul)
Expertise
<- ->
co-élaboration , négociation convenable
Approche scientifique
<- ->
prégnance des « idées sur les choses »
Absolutisme
<- ->
modestie et pragmatisme
La métaphore tellurique est signifiante: si la perception
humaine se fie à la stabilité rassurante de la surface, tous savent que
pourtant, la réalité dynamique et magmatique de la Terre fera en sorte que
la Californie peut disparaitre en un jour dans la faille de San Andréas:
d’une certaine façon, moins cela bouge à présent, plus cela va bouger (id
est: plus le rattrapage des retards structurels sera important et violent).
Faut-il déplorer ces incohérences qui risquent de mettre
à mal dispositifs de terrain et parfois certains acteurs ? Elles marquent un
changement, lent, toujours lent, mais durable, de toute institution, la
nôtre comme d’autres. Ce qui peut sembler incohérent ou rétrograde n’est
souvent que l’expression d’organisations ou de forces en pleine mutation, où
il est tentant de retrouver les formes du passé pour accepter celles du
présent et de l’avenir prochain.
Praticiens, experts, cliniciens sont pourtant d’accord
pour signaler aux responsables qu’il est important de reconnaitre ce
malaise, pour ce qu’il est d’une part; d’autre part, de tenter ensemble d’en
proposer une explicitation partagée, problématisée, sans rechigner à la
complexité des choses; de distinguer des analyses « macro » du ressenti
« micro », l’une et l’autre étant réelles pour autant. Qu’il est important
de mettre des mots sur les choses, c’est très « aidant » pour les personnes
et pour les structures; travailler dans le non-sens ou la désorganisation
non assumée a un vrai coût mental, de la même manière que de travailler « en
résistance », aux dépens des missions premières.
A l’heure où l’on peut évoquer publiquement le « travail
émietté », parcellisé dans les organisations, il devient donc salutaire, en
prévention, et en intelligence, de traiter notre organisation comme
« apprenante ». C’est un des enjeux de nos années actuelles et à venir.
4- conduire le changement par les
pratiques plus qu’administrer la pédagogie
D’après la recherche internationale actuellement,
le progrès des systèmes éducatifs repose sur l’amélioration du
fonctionnement de chaque établissement. Les travaux anglo-saxons mettent en
évidence trois leviers : une évaluation qui associe les acteurs ; un
accompagnement du développement professionnel des enseignants qui leur
apprenne à utiliser les résultats de cette évaluation ; une nouvelle
répartition des rôles et des responsabilités au sein des établissements.
La notion de leadership s’est peu à peu imposée
pour caractériser la création de nouvelles fonctions intermédiaires entre
l’équipe de direction et les enseignants.
Pour Bernard Toulemonde, il
faut "confier « des responsabilités aux personnels enseignants et non
enseignants, de façon à les associer à la marche de l'établissement, à les
impliquer dans le fonctionnement non seulement pédagogique mais aussi
administratif et financier". Chaque métier connaît donc et au niveau
local des évolutions dynamiques et enrôlantes, en interface avec les autres,
en coopération et en régulation. Ce travail patient s’invente et se
mutualise.
5- entériner les acquis de la
recherche scientifique des sciences cognitives
Bruno della Chiesa
(CERI-OCDE) invite tous les enseignants à se rapprocher de la recherche en
sciences cognitives ; certains points sont à présent très documentés pour
des enseignants qui n’ont pas à analyser le fonctionnement mais qui
interviennent bien sur l’attention, la mémoire et les apprentissages. Par
exemple, comment la gestion des émotions favorise ou interdit la capacité
attentionnelle, comment le sentiment de peur est résolument contreproductif
à tout apprentissage.
La capacité d’apprentissages
est intacte, sans qu’il y ait forcément de période critique où tout serait
joué. On peut noter aussi l’importance d’activités systématiques pour
développer des automatismes fondamentales pour la réussite scolaire
ultérieure.
Tous ces apports
reconditionnent l’organisation des activités et des temps scolaires, pour
peu qu’un collectif enseignant et direction y prêtent une attention
soutenue.
6- Apprendre, une vague de fond qui
bouleverse l’éducation
Lors du « Word Innovation Summit for
Education » (WISE), organisé au Qatar en 2011, Charles Leadbeater,
ancien conseiller de Tony Blair, a communiqué six
idées, qui structurent son ouvrage « Innovation
on education, lessons from pioneers around the world» 2012;
à partir de l’enquête sur le terrain d’actions repérées comme innovantes, et
en photographies hautes en couleur, il nous adresse quelques messages
forts :
5
Talent is everywhere
: le talent est partout; - l’envie
d’apprendre et les initiatives pour apprendre fusent actuellement de
partout; comment l’École y répond-elle ?
5
Quality matters much
as quantity: la qualité plutôt que la
quantité – la valeur des initiatives, pour peu qu’elle puisse se
communiquer, renseigne plus que les résultats purement quantitatifs. Comment
les équipes peuvent-elles communiquer sur la valeur (en termes qualitatifs)
ou les valeurs (en termes d’objectifs) de leur action ?
5
Better learning,
différent learning, not more schooling:
mieux apprendre, apprendre autrement, moins de forme scolaire – l’innovation
est assurément focalisée sur les processus et les dispositifs
d’apprentissage; comment dépasser la forme et l’organisation scolaire
traditionnelle pour la reconditionner sur de tels objectifs ?
5
New ideas from
mavericks mixtures in the margins : les
nouvelles idées apparaissent du fait de mélanges étranges dans les marges du
système – comment un système institutionnel et structuré intègre-t-il ce
qui peut sembler « marginal » ou « dissonant » ?
5
Organisations breed
networks and movements: les
organisations se nourrissent des réseaux et des mouvements –
l’enrichissement des réseaux sociaux en éducation, le développement de
mouvements dynamiques sont-ils pris en compte dans l’évolution de l’École ?
5
More, Better,
different: plus, mieux, different –
l’innovation est un processus d’amélioration et de changement; comment
l’institution s’en accommode-t-elle ?
5
Et une conclusion:
When movements meet system : the clash : quand les mouvements
rencontrent le système – dans quelle mesure les organisations structurées de
l’École s’inscrivent-elles dans un mouvement apprenant ?
Apprendre est un acte à prendre au sérieux
pour l’Ecole ; en tant que processus complexe, il interroge l’Ecole dans sa
structure, son organisation et son fondement institutionnel hérité
(enseigner, transmettre). Ce n’est pas la négation ou l’inversion de son
histoire ; c’est au contraire sa contemporanéité et son futur.
7- Focalisation sur les pratiques efficaces
Sujet tabou ou évidence implicite,
légitimée par l’obtention d’un diplôme, en France, un agrégé est un bon
enseignant. Les facteurs d’efficacité des pratiques enseignantes ont peu
fait l’objet d’études approfondies. L'IFE
consacre une revue de littérature aux " effets des pratiques pédagogiques
sur les apprentissages"
Il est impossible de donner une répondre
tranchée à notre problématique de départ, à savoir : « certaines pratiques
pédagogiques sont-elles plus efficaces que d’autres dans la maîtrise par les
élèves des compétences de base ? » et surtout il n’est pas simple de
réaliser un manuel des bonnes pratiques, applicables en tous lieux et en
toutes circonstances".
Le développement des réseaux de recherche universitaires
(programmes de recherche européens, internationaux), mais aussi ceux plus
informels de l’internet pédagogique rend
infiniment plus fluides et plus accessibles les résultats des acquis. Elles
préfèrent des problématiques exprimées en termes empruntés à
la sociologie de l’éducation ou encore aux politiques d’éducation :
par exemple, learning, assessment for learning,
accountability, professional development, shared leadership et effective
pedagogy (sic).
L’abus de termes anglo-saxons pourrait en effrayer certains ;
mais leur usage semble parfois nécessaire pour
identifier que nous partageons les mêmes évolutions scolaires que
bien d’autres, proches ou lointains ; les questions sont identiques, les
organisations peuvent différer, les choix restent à construire avec tous les
acteurs, localement et nationalement. Le message est d’ailleurs d’un fol
espoir : les pratiques enseignantes ont des effets sur les réussites des
élèves. C’est notre sujet.
Aletta GRISAY
dans une étude en 1995 à partir de 2000 monographies, souvent anglo-saxonnes
parvient à distinguer plusieurs stratégies scolaires dans l’apprentissage,
de façon récurrente. En situation scolaire classique, des dispositifs
peuvent atteindre des scores approchant, tels que l’évaluation formative, l’entrainement
à la lecture, le temps réel d’implication de l’élève dans la classe, ou
encore un programme coopératif.
Un deuxième groupe peut se révéler
efficace : le tutorat entre pairs, la constitution de groupes homogènes en
classe hétérogène, mais aussi le questionnement de haut niveau taxonomique,
des indices donnés à l’avance, des attentes positives de l’enseignant.
L’étude montre que la taille de la classe
est une variable de peu d’effet, ainsi que la constitution de classes de
niveau ; le redoublement est donné comme contre-performant. L’étude donne en
conclusion une clef que nous retiendrons pour l’analyse de nos dispositifs
d’expérimentation : un seul dispositif ne suffit pas ; c’est bien une
combinatoire de plusieurs stratégies qui agit de manière significative sur
les performances scolaires.
Nous reprendrons aussi les conclusions de John Hattie
qui à l’issue d’une méta-analyse de 800 monographie a pu identifier les
pratiques et dispositifs pédagogiques ayant le plus d’effets sur les
apprentissages des élèves ; en une courte synthèse :

« L’effet enseignant » ne dépend pas
seulement des caractéristiques personnelles des professeurs : l’âge, le
sexe, l’origine sociale, le statut ou l’avancement dans la carrière ne
permettent pas d’expliquer les différences d’efficacité. Une enquête, menée
par Georges Felouzis, porte sur 6 professeurs de mathématiques et 25
professeurs de français en classe de seconde. Elle montre que l’efficacité
des enseignants doit être pensée en relation avec les évolutions du système
éducatif et du public scolarisé. Il se dégage en effet deux grandes
attitudes des professeurs vis-à-vis de ces évolutions, qui sont aussi deux
manières de concevoir le rôle et le métier d’enseignant : la première est
une forme de « ritualisme académique » qui reste attachée à un état
antérieur du système éducatif ; la seconde renvoie à un « pragmatisme
pédagogique », plus proche des élèves tels qu’ils sont aujourd’hui.
Toutes ces pratiques sont plus efficaces
quand elles sont corrélées entre elles au niveau d’une classe, voire (et
surtout), au niveau de l’organisation d’une école ou d’un établissement. «
Le tout est plus important que la somme des parties », disait Aristote.
Loi d’Ashby
Plus on augmente la variété,
l’hétérogénéité d’un système, plus ce système sera en principe capable de
performances plus grandes du point de vue de ses possibilités de régulation,
donc d’autonomie par rapport à des perturbations aléatoires de
l’environnement.
8- Développement professionnel plus que
formation
A l’heure où la formation « académique »
des enseignants s’est universitarisée au niveau master 2, et où les
dispositifs de formation continue se réduisent ou ne satisfont plus, il
convient sans doute de changer de paradigme pour envisager ce que d’autres
systèmes ont identifié comme « développement professionnel ». Ce sont des
dispositifs qui ont cherché à répondre à une question aussi lourde que
« comment les enseignants apprennent ? » et « à quelles conditions les
enseignants modifient-ils leurs pratiques ? ».
Tous
partent d’une enquête sur les pratiques, en s’attachant à reconnaître la
part d’expertise de chacun, mais partagée au niveau d’un établissement ; ils
insistent sur la déprivatisation des pratiques (on va chez l’un, chez
l’autre) ; on s’attache solidairement à analyser ce qui marche et ce qui
résiste ; l’équipe est accompagnée par un « ami critique », loin de toute
évaluation ou de toute inspection individuelle. Cette régulation patiente et
organisée autorise le groupe à expérimenter telle ou telle pratique ou outil
ou dispositif ; la consultation des élèves sur les effets est sollicitée.
Des ressources peuvent être sollicitées à l’extérieur. Cette combinaison
réalisée à l’échelon local produit par coalescence une amélioration des
résultats.
9- Croisements des disciplines et
partenariats
L’école française a été largement
structurée par l’aval et la définition des champs de connaissances
universitaires ; et dans un curieux paradoxe, plus l’école s’est
démocratisée dans les années 60 à 80, plus la « disciplinarisation » s’est
accentuée. Par exemple, l’ancien EMT (éducation manuelle et technique) s’est
muée en technologie plus abstraite au moment même où le collège accueillit
tous les élèves.
Depuis vingt ans, la recherche d’une plus
grande efficacité par les équipes a conduit à des dispositifs variés de
rapprochement des contenus et des objectifs ; l’interdisciplinarité, de
marginale, s’est imposée progressivement, non sans résistance, pour tenter
de donner du sens et de la saveur aux savoirs. Ce n’est pas nouveau en soi,
mais la masse critique des expériences est significative ; il s’agit pour
des équipes de construire du sens et de l’intérêt pour des élèves parfois
largués par des arguties didactiques ; chaque discipline retrouve sa place
dans une explication plus cohérente mais plus complexe de notre monde
contemporain. L’éclairage des écrits d’Edgar Morin est essentiel dans ce
domaine.
Plus combinatoires, les contenus
sollicitent aussi des compétences élargies auxquelles différents
partenariats peuvent contribuer. L’analyse de 300 dispositifs « innovants »
atteste de cette tendance en éducation.
10- Emergence des organisations apprenantes
La sociologie des organisations a depuis
longtemps noté les évolutions des modes de management des organisations,
d’une logique tayloriste, puis programmatique, à une logique plus dynamique
et régulée orientée vers la recherche d’une plus efficience. En mettant en
place des dispositifs de régulation et d’analyse de son propre
fonctionnement, en se souciant des apprentissages formels et informels de
tous ses personnels, une organisation pouvait faire la différence. Ce
mouvement touche l’Ecole, souvent marquée encore par la démarche de projet,
dans une formalisation empreinte parfois de rigidité.
Un programme américain par
exemple s’est posé la question des facteurs qui faisaient que certains
établissements obtenaient des résultats bien meilleurs que les scores
attendus. Cinq points méritent d’être retenus :
-
les équipes font le pari de
l'éducabilité pour tous, quelque soit l'origine sociale, ethnique ou
culturelle.
-
Concrètement les
établissements font attention aux résultats de tous et s'équipent de
tests d'évaluation.
-
Les établissements savent
différencier les approches. "la différenciation pas la
remédiation".
-
certaines écoles n'hésitent
pas à bouleverser l'organisation.
-
Souvent les districts
scolaires mettent en place des tuteurs pour accompagner les enseignants
débutants. Ce qui déterminant, c'est l'importance de la communication
entre enseignants. "On va dans la classe d'un collègue tous les
jours » , les directions impulsent des groupes de communications où on
partage les expériences.
Le changement se réalise donc
de manière plus systémique et plus durable ; les enseignants débutants
réalisent une prise de métier de manière plus intégrée et solidairement au
sein d’équipes plus renforcée.
Ces dix tendances tracent le
cadre nouveau du métier, dans un paysage scolaire encore largement hérité et
fortement dépendant des contextes locaux et des logiques professionnelles
encore très individuelles. Vous aurez sans doute le sentiment de ne pas
(tout) reconnaître la situation à laquelle vous êtes confronté(e) ? En
géographie, c’est précisément ce qui peut faire la différence entre un
paysage et un espace. La question du point de vue est essentielle. Il sera
donc important pour vous de parcourir cet espace pour mesurer si oui ou non
votre situation est spécifique et si différente de celle qui est (souvent)
juste à côté.
Revenir aux finalités de l’éducation pour comprendre le métier de
l’enseignant
Encore aujourd’hui, la formation initiale
porte plutôt sur les compétences techniques ou des approfondissements dans
la discipline, il n’existe pas de module permettant de débattre et
d’envisager ce type de questions et de changement d’échelle. Ainsi, on
laisse aux seuls individus le choix de se construire une identité
professionnelle, et finalement de se représenter les termes d’un contrat
passé avec l’État, ce qui leur permettra d’affirmer en toute bonne foi : «
Je n’ai pas été recruté pour ça ! » Ne nous étonnons pas d’une certaine «
anomie des corps enseignants » et de liens distendus dans ce qui faisait
l’identité forte du métier il y a encore quelques dizaines d’années.
Ces quelques remarques ne participent pas
d’une déploration d’un paradis perdu, ni d’une charge contre les anciens
IUFM, qui ont été une étape importante dans le progrès de la formation des
enseignants. Elles signalent juste que le message est loin d’être clair –
qu’il soit émis par les politiques ou la société civile – quant aux
finalités, fonctions et rôles de l’École aujourd’hui. On observe même un
brouillage certain, à défaut d’actes forts (ou fondateurs) de l’institution,
entre cliques partisanes et antagonistes de telle ou telle « vision » de
l’École. Cela produit du non-sens pour les familles et des rivalités
inextinguibles dans les établissements à la simple invitation à travailler
ensemble. L’obligation d’un master didactique pour tout enseignant fait
reporter sur chacun une nécessaire formation continuée et
professionnalisante. Ce manuel peut constituer un premier accompagnement à
une démarche auto-formative.
Enfin, il manque une dimension qui ferait
sens pour tous : c’est quoi, l’École, dans notre société française,
européenne, mondiale ? À quel monde formons-nous les élèves ?
Les
dix fonctions de l’École
André de Peretti, dans son ouvrage Pour
l’honneur de l’École (édition Hachette, 2000), s’est risqué à définir
les finalités et les fonctions de l’École dans un pentagramme (voir
ci-dessous) : à partir du premier cercle des finalités de l’École se
raccorde un second cercle qui organise les compétences génériques de
l’enseignant.

Assignés à ces fonctions essentielles par
la société, « comme tous les autres acteurs sociaux, les enseignants sont
pris dans la tenaille de la complexité croissante ». André de Peretti
propose alors une visualisation graphique du métier d’enseignant en rôles
qui nous servira ici de trame. Ce sont les trente compétences de
l’enseignant moderne.
Les 30 compétences de
l’enseignant
Je reprendrai cette idée sous la forme
d’une roue des compétences avec des aménagements correspondant aux
évolutions récentes de notre métier. Chaque chapitre de ce manuel est une
déclinaison de ce que peut être l’enseignant « dans tous ses états » (voir
sommaire). Y sont distingués dix grands domaines que vous retrouvez en
onglets sur ce livre. Chaque domaine est décliné en deux thèmes, puis en
trois compétences, soit en tout 30 compétences

S’appuyer sur une équipe
Un seul avertissement d’André de Peretti :
que toutes ces compétences s’exercent en s’appuyant sur une équipe : « on
enseigne par, avec et pour les autres. »
« Oublier le travail en équipe, c’est faire
face à trois dangers : d’abord, vous ne vous donnez pas le maximum de
chances face aux problèmes de violence. La réponse est collective. Ensuite,
vous êtes isolé, confronté à la masse de la classe. Enfin, vous trahissez
l’expression et la représentation de la laïcité : compatibilité, travailler
avec les autres. Ce serait démentir les valeurs de citoyenneté. C’est le
mythe des Horaces et des Curiaces. De quel côté se trouve l’enseignant ? En
fait, montrer des adultes qui se maîtrisent vaut la peine face à des
adolescents en pleine déconstruction-reconstruction, plongés dans un monde
fait de violences externes. Ils se sentent impliqués dans la confiance
manifestée par l’échange de l’équipe des enseignants. Il n’existe pas de
pédagogie sans confiance, sans humour, sans indulgence. »
C’est pourquoi, à l’occasion de l’étude de
chaque compétence requise, est toujours présente l’articulation entre classe
et école/établissement.
Prescription intelligente et intelligence de la prescription
Ce n’est que récemment que le métier
d’enseignant a pu être défini dans une forme assez souple, loin du cahier
des charges. À chacun des professionnels de se l’approprier et de l’ajuster
à sa propre pratique. C’est cela qu’on appelle « intelligence de la
prescription ».
La prescription faite à l’enseignant en
2007 !
Finalement, la définition du métier
d’enseignant est assez récente : 1995 pour l’école primaire, 1997 pour le
secondaire, 2007 pour une définition unifiée du métier d’enseignant. Comme
tout premier texte, il est fondateur par bien des aspects, et œuvre de
compromis. Il a le mérite de signaler, par sa longueur relative (voir
l’annexe ), que l’acte d’enseigner n’est pas simple et nécessite au moins
dix domaines de compétences. Nous y reviendrons tout au long de cet ouvrage.
Au-delà du domaine du prescrit,
institutionnel ou formatif, il nous faut nous intéresser à un niveau
d’analyse plus difficile, celui des pratiques effectives, au cœur du «
réacteur scolaire ». C’est l’intelligence de la prescription ou comment
chacun ici aménage, voire « habite » les règles qui lui sont données.
Comment aborder et lire votre manuel de
survie
Nous avons conçu ce manuel de pilotage en
favorisant plusieurs modes de lectures possibles :
Une lecture linéaire : c’est une première
approche, la plus simple, mais pas forcément la plus pertinente pour votre
pratique.
Une lecture par chapitres : ils sont
indépendants les uns des autres. Il n’y a pas de progression ni de crescendo
de l’action dramatique. Toutes les compétences sont importantes et méritent
un égal traitement. La priorité est celle que vous lui donnez selon les
besoins ou l’intérêt que vous lui accordez. Chaque chapitre renvoie dans la
plupart des cas à plusieurs autres ; cette lecture permet de saisir la
nécessaire approche systémique du métier, comme le pilote devant son tableau
de bord. C’est une aide à l’analyse de sa propre pratique.
Une entrée par cas ou par
situations-problèmes, à partir de l’index que vous trouverez en fin
d’ouvrage. Le cas est le point de départ pour saisir la complexité de la
situation et trouver quelques éléments de résolution, parfois des techniques
ou des gestes voire des éclairages théoriques. Tout au long de l’ouvrage, ce
sont plus de 200 situations-problèmes qui sont énoncées, décryptées,
analysées. Elles sont extraites de cas vécus par des collègues, rencontrés
dans les écoles primaires et dans les établissements secondaires,. Chaque
situation peut sembler spécifique et complexe à démêler car elle joue sur
plusieurs niveaux. Dans la mesure du possible, nous tentons de démêler
quelques fils et de proposer des éléments de réponse.
Une entrée par autotests : ils sont
récapitulés en fin de chapitre ; ce sont des moments de vérification et de
réflexion sur votre pratique. Ils offrent la possibilité de se fixer des
micro-objectifs pour faire évoluer sa pratique.
La lecture se veut ouverte. Des reports
d’un chapitre à l’autre sont proposés pour montrer que le métier
d’enseignant joue sur plusieurs niveaux à la fois. Par ailleurs, les renvois
sur Internet vous permettent d’accéder plus facilement aux richesses en
ligne. La pratique s’enrichit aussi par les ressources nouvelles sur
Internet. Le métier est ouvert et évolutif. Nous sommes pris dans un
maillage de fait qui touche toutes nos sociétés occidentales, le Québec, la
Suisse et la Belgique, et même la Nouvelle Zélande. Car il faut bien noter à
présent l’émergence d’une véritable communauté d’information et de formation
en éducation.
Alertes oranges sur le tableau de bord
Sur notre tableau de bord, nous veillerons
cependant à observer quelques voyants lumineux.
Le mirage de l’exhaustivité. Il ne faudra
surtout pas attendre du « manuel de survie » tout sur tout. 480 pages n’y
suffiraient pas. Même à l’heure de nos sociétés postindustrielles et de
l’ère « aérocratique » des réseaux d’information, l’exhaustivité est bien un
mirage trompeur pour un métier aussi riche et diversifié que celui
d’enseignant. C’est donc une tentative de repérage de quelques ressources et
routines sélectionnées pour leur pertinence, leur relatif caractère innovant
dans le système éducatif et leur efficacité pour les élèves ; les liens sont
nombreux pour aller quérir l’information complémentaire. Mémento, manuel de
pratique raisonnée, guide innovant.
L’attraction fallacieuse du truc
fonctionnaliste à effet immédiat. Recettes et trucs sont des demandes
fréquentes de la part de jeunes collègues ou de leurs aînés en formation
continue. Et les formateurs de répondre : « Y en n’a pas. » Pour au moins
trois raisons:
– une pratique en soi n’a pas d’intérêt
intrinsèque. Elle n’a de sens qu’en concordance avec son propre style
d’enseignement ; Carl Rogers parlait de « congruence ». Une pédagogie
participative mise en place par un prof très autoritaire et directif dans sa
démarche provoque une discordance évidente ;
– un truc qui marche est une pratique qui
entre en résonance avec d’autres éléments de pratiques, postures et méthodes
employées par l’enseignant. Il fait système. C’est la raison pour laquelle
chaque chapitre renvoie à deux autres aspects au moins du métier;
– le bon truc est celui qui viendra en
réponse à un contexte tout aussi spécifique. Établissement, groupes
d’élèves, périodes de l’année, type d’apprentissage, niveau d’enseignement
sont des variables qui s’imposent. C’est pourquoi l’enseignant doit disposer
d’un arsenal suffisamment diversifié pour y piocher, en réactivité et en
souplesse, le bon outil.
La confrontation à la réelle difficulté
irréductible. 10 % à 12 % des élèves dans les collèges sont réputés « en
difficulté » et 6 % des élèves sortent de l’École sans qualification. Même
si nombre de pratiques signalées dans cet ouvrage peuvent contribuer à
raccrocher ces élèves à l’École, il ne faut pas se leurrer. Il faut se
dégager des explications simplistes de type manque, sous-entraînement et
aide méthodologique ou encore du discours plus dangereux du retour au savoir
et à la fermeté pour la fermeté. Il y a de quoi passer à côté du vrai
problème et armer le conflit. Il s’agit dans ces cas réels de poser le
diagnostic quasiment en termes de fonctionnement psychologique de rapport à
la frustration, de déstabilisation par rapport à la logique d’apprendre
comme prise de risque nécessaire et non assumée.
Bon voyage au pays des compétences de
l’enseignant moderne.
______________________
Pierrette BRIANT, DEPP, MEN, Qui sont les enseignants du 1er degré De
1989 à 2009, sur 20 ans, (d’après Etat de l’Ecole, nov. 2010)
Laurence Janot – Bergugnat,
Nicole Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin, 2008,
Un seul monde, une seule école, Revue internationale d'éducation de
Sèvres, n°52, décembre 2009
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