PARCOURS DE VIE D'ANDRE DE PERETTI
extrait de Itinéraires de lecture, Perspectives
documentaires en sciences de l'Education, n°17, 1989
Retour de captivité et Enseignements
Dès le retour, je fis la connaissance d'Albert Camus, qui m'accueillit avec
amitié et que je revis souvent. J'approfondis la lecture de ses oeuvres ainsi
que celles de Kafka. Et je retrouvais Teilhard de Chardin et ses oeuvres. Je
connais également la brève amitié de Boris Vian. Je me liais à Mounier.
Après un essai de formulation à un projet pour la réforme de
l'enseignement à Polytechnique entrepris avec Pierre Boulloche et mon directeur
général, celui-ci me confia, à titre expérimental, la charge d'un
enseignement de Psychologie et d'esthétique aux jeunes ingénieurs et cadres
des manufactures de l'Etat (parmi eux Albert Jacquard). Ces cours attirèrent
l'attention du Civil Service britannique.
A l'occasion des cours à préparer, je complétais mes lectures (outre des
stages réguliers en hôpitaux, comme assistant auprès de "grands
patrons" dont j'observais les démarches dans leurs relations aux clients
ou malades). Ce fut pour la psychologie, le retour à Freud, Jung, Adler,
Laforgue. Je me suis lié avec Charles Baudoin, qui sortait des querelles de
psychanalystes et montrait que chaque référent est important (La sexualité
chez Freud, la volonté chez Adler et les archétypes chez Jung). Il avait
écrit une Psychanalyse de l'Art et des études sur Victor Hugo qui
m'intéressaient au plus haut point, pour l'Anthropologie.
A l'occasion de séminaires organisés à Royaumont autour de la revue Psyché,
j'ai eu la chance de travailler avec Dumézil, André Berge ainsi que Charles
Baudoin. J'éprouvais une véritable passion pour les conceptions de Dumézil
sur la tripartition du monde indo-aryen et pour celles de Frobenius dans l'histoire
de l'art africain et surtout dans le destin des civilisations qu'un
ami me procura alors. Je fus également fortement influencé par l'œuvre de
Mircéa Eliade. La distinction entre des civilisations nomades et des
civilisations sédentaires, entre des civilisations de type indo-aryen, à
chiffre 3, "lunaires" (basées sur le temps découpé en passé,
présent, devenir) et des civilisations "solaires" à chiffre 4 (est,
ouest, nord, sud) me procurait des repères pour situer l'évolution des
civilisations suivant leur dominante de temps ou d'espace. J'étais très sensible au fait symbolique que nous allions basculer d'un système du monde
"lunaire" très pessimiste et cloisonné (les guerres mondiales et
coloniales) à système "solaire" plus convivial mais aussi plus
contrasté et soumis à des turbulences avec des phénomènes aussi étonnants
que la bombe atomique (pour les aspects négatifs) mais en même temps les
opérations "à cœur ouvert" (comme chez les Aztèques).
C'est l'époque également de grandes lectures sur l'Islam, grâce à la
rencontre de Louis Massignon avec qui nous avons créé en 1947 le Comité
Chrétien d'entente France-Islam.
Mon retour de captivité a correspondu aussi à un engagement politique. Mes
amis marocains me demandèrent de les aider à obtenir leur décolonisation. Je
fis paraître dans Esprit l'article déjà mentionné et j'organisais des
contacts entre les leaders marocains et les cabinets ministériels français. Je
fus nommé à l'Assemblée de l'Union française et j'y nouais une solide
amitié avec l'historien Charles-André Julien et l'ethnologue Marcel Griaule
ainsi qu'avec Alain Savary. Dans mes activités, je reçus l'accueil de Robert
Schuman et le soutien de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. Je publiais
chez Seghers mon Cantique d'amour au Maroc. Je ferai partie de
l'Assemblée de l'Union française jusqu'en juillet 1952 et fonderai en février
1953 avec François Mauriac et Louis Massignon le Comité France-Maghreb.
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