Dérives possibles de l'évaluation sommative |
un peu d'humour:
l'interrogation
écrite, l'interrogation orale... |
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Depuis quelques années, on insiste, de nouveau, sur le rôle de la note ou
de la sanction terminale dans la motivation de l'élève. Cette restauration de
"la carotte et du bâton" laisse complètement dans l'ombre deux
questions fondamentales:
- pourquoi l'usage massif de la forme normative de l'évaluation sommative
au détriment de l'évaluation critériée ?
- pourquoi aucune des critiques concernant la fiabilité des notes comme
preuve des acquis de l'élève n'a-t-elle été entendue ? Ce qui pose un
problème de fond quant à la rationalité de l'orientation scolaire et
professionnelle ultérieure: à quelles compétences précises renvoie une
note de 8,76 ?
Quelques
discordances repérées dans les pratiques d'évaluation |
Voir aussi: les
dérives de l'évaluation traditionnelle |
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Effet
de fatigue ou d'ennui
peut
engendrer laxisme ou sur-sévérité |
Effet
de halo
Le
professeur, influencé par des caractéristiques de présentation
(soin, écriture, orthographe) surestime ou sous-estime la note. |
Effet
de relativation
Plutôt
que de juger intrinsèquement d'un travail, les professeurs jugent
ce dernier en fonction des travaux dans lesquels il est inséré.
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Effet
de contamination
Les
notes attribuées successivement aux différents aspects d'un même
travail s'influencent mutuellement. |
Effet
de tendance centrale
Par
crainte de surévaluer ou de sous-évaluer un élève, le professeur
groupe ses appréciations vers le centre de l'échelle. |
Effet
de l'ordre de correction
Devant
un nouveau travail ou un nouveau candidat à évaluer, un juge se
laisser influencer par la qualité du candidat précédent. Un
travail moyen paraîtra bon s'il suit un travail médiocre.
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Effet
de stéréotypie
Le
professeur maintient un jugement immuable sur la performance d'un
élève, quelles que soient ses variations effectives. |
Effet
de flou
Les
objectifs poursuivis et les critères de notation ne sont pas
toujours définis avec précision. |
Effet
de trop grande indulgence et de trop grande sévérité
Certains
juges sont systématiquement trop indulgents ou trop sévères dans
toutes leurs évaluations. |
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voir le dossier de Jacques
Nimier sur
la
"passion évaluative" |
un
cours complet
avec
T.P. en direct de l'université de Liège |
un
Q-sort sur les pratiques d'évaluation |
noter • dérives • mais évaluer... • des pratiques
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une
référence scientifique pour une pratique irrationnelle: la loi de
Laplace-Gauss
Toute grandeur mesurable dépendant de plusieurs
paramètres indépendants suit une loi de distribution dite loi normale.
La distribution d'une grandeur X est caractérisée par
3 valeurs:
- la moyenne X
- l'étendue R (min - max)
- l'écart-type T
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Piège et duperie de la notation: d'une
part les notes sont établies en croyant inéluctable une distribution
gaussienne, c'est à dire une courbe "en cloche", mais celle-ci ne
saurait s'appliquer correctement qu'à de grands nombres et non pas dans le
cadre d'une classe. D'autre part, la "moyenne" de la
"distribution" des notes ne peut être que 10, et pourtant tout se
passe comme si elle ne pouvait être que 6 ou 7, tant il y a hésitation à
mettre des notes élevées mais sécurité à donner un nombre imposant de notes
basses ("mauvaises").
Et tant reste prégnant dans notre culture un
jansénisme rampant qui nous serine sans arrêt "Il ne peut y avoir qu'un
petit nombre d'élus" et donc un grand nombre de réprouvés ou d'exclus.
Aussi par crainte d'être accusés de laxisme ou d'incompétence, les
enseignants optent-ils plus ou moins aveuglément pour une sévérité à
l'affût des fautes en faisant une part trop étroite à la réussite, aux
efforts comme aux progrès de leurs élèves. Et ils omettent de savoir qu'une
action d'enseignement engendre nécessairement pour les notations attribuées
une courbe en I et non pas en "cloche" de hasard.
d'après André de Peretti, extrait d'un article
dans "le groupe familial", n°121, octobre 1988
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La conception de l'évaluation reste très largement
prisonnière de l'évaluation
scolaire traditionnelle:
on accorde la priorité aux évaluations-bilans,
alors que bien d'autres observations seraient pertinentes pour
comprendre ce qui empêche ou ralentit l'apprentissage: interprétation
des normes et du métier d'élève, méthodes de travail et
d'apprentissage, rapport au savoir, identité et projet personnel,
relations aux autres élèves et aux professeurs, conditions de vie,
environnement familial, itinéraire de formation
On s'obstine à standardiser les évaluations
formatives sur le modèle de l'équité formelle, qui ne convient qu'aux
examens et aux procédures certificatives; on surcharge de tests critériés
des élèves dont on voit, à l'œil nu, qu'ils progressent normalement,
alors qu'on ne trouve pas le temps d'établir les diagnostics pointus et
individualisés qui seraient indispensables pour intervenir
judicieusement auprès des élèves en grandes difficultés.
On s'enferre dans un perfectionnisme
et un formalisme tellement lourds que les enseignants ploient sous la
charge et finissent par abandonner l'idée même qu'une quelconque évaluation
formative soit possible.
On continue à faire coexister une évaluation
formative qui exige la confiance et la coopération des apprenants et
une évaluation sommative ou certificative qui les replace dans le jeu
traditionnel du chat et de la souris, sans avoir le courage de différer
fortement les décisions de certifications ou de sélection.
On s'arrête au diagnostic, on analyse
les erreurs, mais sans lier immédiatement l'évaluation à des
tentatives de régulation, dans un processus dynamique et interactif
On développe des pratiques d'auto-évaluation
qui entraînent souvent à intérioriser le jugement du maître plutôt
qu'à développer chez l'apprenant des capacités de métacognition et
de régulation de ses processus d'apprentissage et de production, dans
le sens d'une évaluation formatrice (Nunziati, 1990)
Avec d'autres, j'ai défendu le principe d'approche pragmatique de l'évaluation
formative, entièrement ordonnée au souci de la régulation, ou plus
exactement de l'autorégulation des apprentissages. Il importe également
de ne pas séparer l'évaluation de la didactique et de parier sur des
situations d'apprentissage stimulant l'autorégulation.
Ph. PERRENOUD, La pédagogie
différenciée, ESF, p. 48
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Quelques éléments en plus.... par André de
Peretti
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Avec le contrôle tel qu'il est pratiqué (l'interrogation
écrite, le devoir sur table), à chaque instant, on met les jeunes en
situation d'examen et donc de stress. Les notes ne sont pas mises en fonction
des progrès du travail mais par rapport à un barème réputé absolu et par
rapport auquel tout le monde se réfère: alors que ce barème national
n'existe pas. Du coup, n'importe qui peut faire n'importe quoi. On peut mettre
un 2, un 12. En plus, on est merveilleusement précis: on peut s'arranger pour
distinguer un 5,75 d'un 6,5. C'est formidable. Quelle précision !
Le barrage pour une école de la réussite, c'est notre
système d'évaluation. Une note par trimestre suffirait largement, si à
côté de cela se développait un autre système d'évaluation basé sur
l'appréciation personnalisée, sur la progression individuelle et sans
comparaison.
Mais je crois qu'il faut faciliter le travail des
enseignants en leur ôtant le souci permanent de donner devoirs sur
devoirs, exercices sur exercices, en limitant le nombre des contrôles par
l'introduction de questionnaires à choix multiples standardisés. Ceux-ci
ont, de plus, l'intérêt d'être formateurs parce que les erreurs se voient:
on peut recommencer, corriger. Quand les gens disent que ces QCM sont
superficiels, qu'ils aillent voir ceux des Anglo-saxons ou ceux utilisés à
HEC, sans parler de la médecine.
Tout dépend ce que l'on veut mesurer: l'acquisition des
connaissances peut se mesurer par ce type d'évaluation, la créativité par
autre chose etc... On veut tout évaluer en même temps, c'est une erreur
monumentale. Il faut prendre son temps, sinon on ne fait que cela. Si l'on y
ajoute les stratégies pernicieuses de type interrogation surprise ou encore
devoirs sur table prévus mais sans indication des thèmes, on comprend bien
qu'il ne s'agit pas d'évaluation mais de compétition. C'est à se demander
si les jeunes ne sont pas considérés comme des suspects par principe. De
plus, on ne juge pas les élèves sur le travail réalisé, sur la
mémorisation de ce qui a été enseigné, mais sur d'autres choses comme la
créativité nécessaire à une dissertation ou un problème.
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- André de Peretti, extrait d'un article dans "le
groupe familial", n°121, octobre 1988
Le prétendu "contrôle continu" aidant, nous
amassons sur la tête de nos élèves, selon une complicité de tous les
acteurs de l'école, des amoncellements de notes décernées au jugé par
chaque enseignant, en l'absence radicale d'objectifs, de barèmes, de
références et de péréquations. Comme nous ne savons plus que faire, nous
tirons par des opérations contraires au bon sens comme aux méthodologies
scientifiques, des "moyennes" (sans écart-types indiquant
l'étendue de leur dispersion), qui aplatissent les profils d'aptitudes ou
de réussite et opèrent des amalgames contre nature. Car, que signifie la
moyenne de 10 attribuée en fin d'année à un élève, qui aurait eu des 5
en début d'année, des 10 au second trimestre, et des 15 au dernier
trimestre ? Et que veut dire, en bonne clarté (à des coefficients près)
la valeur d'équivalence attribuée par "moyenne" aussi bien à
des scores de 5 en sciences conjugués à des scores de 15 en lettres qu'à
un couplage de 15 en mathématiques avec 5 en lettres ? Ces profils de
performance réels sont aplatis, comme un chapeau claque. Et les
possibilités d'orientation sont dissimulées.
Ces notations sans références sont absolutisées à
tort. Dans toutes les études de docimologie, on le vit quand l'Inspection
générale dans les années 70 réunit à Sèvres une cinquantaine de
professeurs de bonne réputation, auxquels furent confiées des copies du
BEPC (brevet des collèges): la dispersion des notes pour les copies de
lettres se disposa entre 4 et 17: celles de mathématiques de 3 à 18 !
Ainsi peut-il en advenir si des objectifs à atteindre par les copies ne
sont pas précisés. (...)
Nos habitudes actuelles d'annonce
des résultats par notations devant toute la classe font ressortir nos
contradictions. D'un côté, nous soutenons les tendances
individualistes (séparatistes); d'un autre côté, nous entendons pratiquer
des évaluations collectivisées, ce qui surprend nos collègues
anglo-saxons. Car ils voient dans nos établissements les copies ou les
interventions notées présentées publiquement devant toute la classe,
coram populo, de manière à bien humilier certains ou beaucoup, même si
ceux qui ont des "bonnes" notes ne s'en tirent pas toujours avec
quelque tranquillité. On oublie que dans nombre de pays, l'évaluation,
quelle que soit la forme, est une relation personnalisée, du
professeur à l'élève (et à sa famille), relevant du secret
professionnel. Mais elle garde chez nous une saveur de pénitence
publique Pilori !
Il faut ajouter que la notation
interminable appauvrit l'étendue et la fonction de l'évaluation. La
note ou la moyenne des notes interrompent la communication, anesthésient ou
"droguent" les élèves; elles paralysent l'examen des
possibilités d'approfondissement ou de progrès. On sait assez la pauvreté
du jeu des "appréciations" portées à la connaissance des
enfants ou des familles: "pourrait mieux faire".
De plus les messages, au lieu d'être légitimement
différenciés (parce qu'il y a pour un enseignant des choses distinctes à
dire à l'enfant, à la famille, à la classe) sont réduites et
banalisées, par souci de ramener toute trace (ou production) laissée par
l'élève à des normes d'autant plus indifférenciées qu'elle ne sont pas
généralement formulées.
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Réajustement
Décider en équipe de manière aussi rigoureuse que possible de la part , de
la forme et de l'objet des bilans de l'apprentissage, ainsi que de leur
exploitation:
- interne (au niveau de l'établissement)
- externe (parents, autorités administratives etc...)
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bibliographie:
NOIZET (G.), CAVERNI (J.P.), Psychologie de l'évaluation
scolaire, Paris, PUF, 1978
HAMELINE (D.), Les objectifs pédagogiques, éd.
Entreprise moderne d'édition, 1979
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