Chapitre 14
Le
grand évaluateur
Rapporter
des travaux >
contrôleur > évaluateur
Ce
soir, vous tirez de votre cartable un paquet de copies d'un devoir sur
table. C'est la quinzième fois du trimestre pour cette classe, , l'avant
dernière avant le conseil de classe. Votre carnet d’évaluation est
presque rempli. L’objectif est atteint : la courbe de saint-Gauss se
dessine. Vous êtes un bon prof. Vous avez préparé une bassine de café car
l'expérience vous a appris que le pensum représente trois heures de travail
lancinant avec toujours une question sans réponse: "mais à quoi je vois que
cet élève a réussi ?". L'élève de son côté n'a pas la réponse.
Interrogés
par leurs enseignants dans le cadre de leur mémoire professionnel, à
la question « les enseignants notent-ils de façon objective ? »,
les 119 élèves ont répondu :
  
Il
semblerait donc que pour une proportion élevée (plus de la moitié), les
notes soient davantage issues d’hasards heureux ou malheureux au mieux,
la résultante d’autres logiques obscures agissantes que d’une analyse
objective de la copie des élèves….
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A
la question « pensez-vous que vos progrès sont suffisamment pris en
compte dans l’évaluation ? », l’EPS semble se démarquer
des autres disciplines où encore une fois plus des deux tiers des élèves
estiment que non.
Manifestement,
si évaluer, c’est communiquer (d’après Weiss), y a du boulot !
L’acte
d’évaluation est consubstantiel de l’activité de l’enseignement.
On pourrait jouer du diptyque :
enseigner, c’est évaluer. Évaluer, c’est enseigner.
Pas sûr que les deux sens se valent. La question nous renvoie
immanquablement au complexe de l’origine, à savoir, l’objet même de
l’évaluation : savons-nous définir un objectif ?
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Le
mini-cas livre implicitement plusieurs objectifs de niveau différent et
varié selon les acteurs en présence :
Pour
l’enseignant :
-
Satisfaire
une obligation de moyenne dans sa discipline sur un livret scolaire,
en alignant suffisamment de notes chiffrées sur son carnet dans un
temps limité
-
Se
conformer intuitivement à un idéal intemporel à substrat
scientifique (la distribution aléatoire et pourtant récurrente de
données suivant une courbe en cloche) devant restituer le classement
des performances de ses élèves
-
Noter
la production écrite comme significative de l’atteinte de compétences
élaborées pendant les cours.(de préférence).

Est-ce évaluer ?
La
courbe de Gauss n’est pas le modèle idéal de répartition des notes sur
une classe de 30 élèves. Elle s’applique uniquement à la répartition
aléatoire
pour des
grands nombres de même consistance.
Tout sauf des copies d’élèves!…
Pour
l’élève :
-
Répondre
une fois de plus à l’exigence d’une évaluation sommative régulière
-
Décoder
avec les moyens qui sont les siens les attentes trop implicites de
l’exercice, de l’enseignant, de la discipline concernée.
-
Tenter
de pondérer un résultat qu’il ne maîtrise pas, vu l’addition,
multiplication, division des notes, tempérées par des coefficients
variés et secrets, véritable alchimie entre les mains de son
enseignant préféré.
Plusieurs
questions de fond restent en suspens, dans le désordre : faut-il
tout noter ? Evaluer, est-ce (toujours) noter ? Pourquoi évaluer ?
Qu’est-ce qu’évaluer ? Comment évaluer ?
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