Chapitre 23
Faire de la didactique
 

Samuel Joshua le rappelle dans une juste proportion : "Apprendre le théorème de Pythagore, c’est buter sur des obstacles épistémologiques auxquels tous les élèves sont confrontés. La didactique ne concerne peut-être que 15 % de ce qui se passe en classe, mais il s’agit de 15 % déterminants[1]."

Enseigner l’anglais à Paul, c’est donc bien prendre en compte le système qui englobe Paul, mais aussi l’anglais comme discipline. Et en l’occurrence, la discipline ne s’impose pas en soi ; elle nécessite un traitement de la part de l’enseignant.

 
Qu’est-ce qu’on dit quand on aime pas… une discipline ?

« La discipline vous permet-elle de vous amuser ? (dans les limites données par l’enseignant bien sur !) ». C'est la question posée à 119 élèves par leurs enseignants dont les réponses sont récapitulées dans l'histogramme ci-dessous. L’amusement n’est pas, certainement, le meilleur critère pour qualifier la qualité d’un apprentissage, mais la côte d’amour ou ici de désamour peut dissimuler de réels obstacles cognitifs passés ou présents rencontrés par les élèves… et par leur enseignant. 

 
 
 
scénario de départ didactique versus pédagogie ?
 
« tout cela me semble loin de ma propre situation et de mes questionnements plus urgents."

Issu du grec didactikos, la didactique n'est pas à l’origine nettement différenciée de la science qui s'occupe des problèmes d'enseignement, la pédagogie. " C'est une démarche, ou plus précisément un certain mode d'analyse des phénomènes de l'enseignement ". (d’après l’Encyclopédie Universalis).

Pédagogie ou didactique ? 

On conjugue ces approches selon deux cas : dans un cas, la recherche didactique ignore quasiment la relation pédagogique. Elle renvoie exclusivement à une réflexion épistémologique seule capable de fonder les savoirs à enseigner. La didactique s'arrêterait à la porte de la classe. « Toute la recherche en didactique aujourd'hui se centre sur des objets très pointus, en grammaire, en orthographe, dans l'apprentissage de la lecture ou dans la production de l'écrit. Ces recherches suivent des voies distinctes. Elles se réfèrent à des modèles d'analyses scientifiques qui éclatent l'objet. Un des enjeux des années à venir sera de tenir compte de la recherche en didactique, sans vouloir en appliquer les conclusions de façon servile qui conduirait à une déréalisation et à une abstraction d'autant plus grande des objets de savoir. »  d’après Anne Marie Chartier.

Dans l'autre cas, on considère que didactique et pédagogie peuvent théoriquement se différencier, mais qu'en pratique, elles doivent s'intégrer dans une réflexion plus générale à propos des apprentissages. « Il faudrait enfin qu'on arrive à sortir de cette méthode qui consiste à penser toujours sur le mode de variation en sens inverse, c'est-à-dire que plus je m'intéresse à l'élève, moins je m'intéresse au savoir ou plus je m'intéresse au savoir, moins je m'intéresse à l'élève ... » . (Ph. Meirieu). Ce sera plutôt notre position.

 
L'approche didactique en classe

La démarche didactique s’apparente à celle d’un équilibriste sur une corde raide. Ici, les deux points fixes (les plates-formes où l’on doit sans cesse revenir) sont : d’une part, la matière enseignée, avec son contenu scientifique ; d’autre part, l’acte concret d’enseignement, avec son travail sur le «terrain». Pour passer de l’un à l’autre, il convient d’utiliser des instruments : appareils, techniques, théories. (d’après l’Encyclopédie Universalis)

L’approche didactique peut intervenir en deux temps distincts par rapport à la classe :

En amont de la réflexion pédagogique, en prenant en compte les contenus d'enseignement comme objet d'étude : repérage des principaux concepts, leurs évolutions dans l’histoire de la discipline, leur arrivée dans l’enseignement, analyse des pratiques sociales de référence, étude des transpositions didactiques… La didactique propose des grilles de lecture des difficultés possibles rencontrées par les élèves, des noyaux durs qui doivent attirer notre attention, et sur lesquels il faut envisager du temps en plus et des dispositifs pédagogiques plus adaptés.

En aval, en approfondissant l'analyse des situations de classe pour mieux comprendre de l'intérieur comment cela fonctionne et ce qui s'y joue. L'étude des représentations des élèves, de leurs modes de raisonnement, de la manière dont ils décryptent les attentes de l’enseignant. Mais aussi l'analyse du mode d'intervention de l'enseignant. Il s’agit d’arriver à lui suggérer une gamme de possibles et non son enfermement dans une modalité unique d'interventions[1]

 
scénario de départEnseigner… une discipline
 
"Faut-il bien connaître sa discipline pour enseigner ?"

La réponse à cette question devrait être d’évidence : oui. La réalité et l’évolution des programmes doivent nuancer le propos ; la moitié des enseignants actuellement n’est pas passé par un concours de recrutement ; de même, les concours de recrutement certifient une aptitude et pas une formation complète. Les itinéraires très diversifiés en formation initiale font apparaître souvent des « trous » relativement importants, tenant à l’aspect modulaire et optionnel des cursus. Enfin, l’évolution rapide des connaissances et des techniques rend improbable un cursus complet.

 

 

Un bagage scientifique incomplet met l’enseignant en situation de dépendance par rapport à son manuel, aux instructions officielles, voire de phénomènes de mode, des données qu’il n’aura pas les moyens de décrypter ou de mettre en perspective ; sa capacité d’innovation, c’est à dire de réactivité et d’adaptation aux besoins rencontrés, aux demandes formulées, s’en trouve pareillement amoindrie.

 
 
Comment approfondir la connaissance de sa propre discipline ?
 
 
 
scénario de départLa discipline est chose vivante et évolutive
"La didactique, j’ai pas été formé et c’est encore difficile de m’y mettre ; ni l’occasion, ni même la nécessité."

Rapports annuels de l’inspection générale, états des disciplines établis par les inspections pédagogiques régionales, analyses des écrits des équipes en innovation, carnets des adhérents des associations de spécialistes, toute une série d’indicateurs donne une vision convergente de la situation actuelle de l’enseignement : la didactique occupe peu de place dans la réalité et dans la formation de l’enseignant moyen. C’est une situation largement héritée, où l’enseignant, ne fait que s’adapter à un environnement finalement assez problématique, caractérisé par Gérard Hugonie, professeur des universités[1] :

La connaissance didactique des enseignants est la résultante de deux facteurs conjugués, d’une part les spécificités de la démarche de la recherche (théorisation, longue durée, analyse critique et innovante par exemple) d’autre part la faible incitation de l’Institution.

Il n’y a pas lieu à culpabilisation excessive ; mais même si les programmes sont sujets à évolution (ils sont revus périodiquement par cycle de quatre ans environ), ils sont conservateurs par principe ; l’actualité scientifique ne passera donc pas par eux ; vous devez aller quérir l’information ailleurs, sans attendre une demande explicite de l’Institution. Nourrir son enseignement d’une part de recherche est un facteur d’engagement marqué pour vous et un gage de plus grande réussite pour vos élèves. Rendre la discipline et les savoirs vivants, évolutifs, problématiques est plus proche de la réalité que des savoirs qu’on a pu caractérisés comme « académiques ».

 
Pour aller plus loin :
 

· Sur le site de l’INRP, une entrée par les thèmes de recherche

www.inrp.fr/recherche/accueil.html

· Le portail de la RFP, revue française de pédagogie, avec tous les sommaires en ligne : www.inrp.fr/publications/rfp/accueil.html

· Le portail de l’innovation en France et en Europe, INNOVA, avec des monographies détaillées : www.inrp.fr/Acces/Innova/Accueil.htm

· Vous pouvez faire une requête sur la banque de données inter-base : NOVA : bdd.inrp.fr:8080/Nova/NovaWelcome.html

· Sur le site Eduscol, l’espace innovation met en ligne des dossiers thématiques et bientôt une banque de données nationales compilant l’ensemble des actions déroulées et analysées depuis dix ans :

eduscol.education.fr/D0093/default.htm

 
scénario de départLa didactique est un point d’appui, pas un carcan
 
Zone de Texte:  
 
"Je rencontre des grosses difficultés avec mes classes, alors que j’ai super préparé toutes mes séquences et ma progression." Avoir investi son programme, en ayant développé une progression sans faille peut donner le sentiment d’une maîtrise intellectuelle gratifiante et une espérance de succès devant élèves ; mais on perd en spontanéité et en ajustement nécessaire à une situation de classe toujours imprévisible par définition. Les situations purement didactiques acquièrent une relative autonomie qui peuvent parfois être en décalage ou inadaptées au contexte que vous rencontrez. Elles privilégient l’activité et le temps de l’enseignant en classe au détriment du temps d’apprentissage par l’élève.
 
 

 

 

Comment concilier activité de l'enseignant et apprentissage par l'élève

Pour remédier à cette difficulté, vous pouvez

Sur la conduite de classe, voir notamment Définir une progression, , Guider, ; Créer des situations d’apprentissage,).

 

Entre savoir archivé et sens de la vie, quelle est votre conception ?

"C’est le sens même de la culture qui se trouve posé si l’on veut lutter contre la démobilisation scolaire. On ne peut réduire au savoir « archivé » qui, par son côté sclérosé, détourne du savoir. Ma tendance serait de définir la culture par un souci majeur : le sort de la condition humaine. Ce qui m’intéresse dans Shakespeare et Beethoven, c’est bien sûr un exemple des sommets que le genre humain peut atteindre, mais c’est surtout l’apport de vérité que ces œuvres représentent pour la réflexion sur ce qu’est le conflit, en chacun de nous et à tous les niveaux de la société, entre les forces de barbarie et les forces de civilisation. (…) Mais probablement, n’utilisons-nous pas encore suffisamment cette conception de l’enseignement qui correspond à une co-recherche, dans la solidarité, sur le sens de la vie, avec un objectif commun, l’amélioration de notre société."*

Tout un programme pour repenser la formation des jeunes enseignants, et des moins jeunes.

* Extrait de Jacques Lévine, Les adolescents et la démobilisation scolaire, intervention à Versailles, mai 1998.

 
scénario de départ AUTO-TEST
Choisissez un thème commun à deux niveaux d’enseignement (dont un au moins dans lequel vous enseignez ou avez enseigné).
 
  • Quels en sont les points communs ?
 
  • Quelles sont les différences entre les deux traitements ?
 

[1] Samuel Johsua, interview dans le Monde de l’Education, janvier 2003, p.77
[2] Extrait du site interactif la main à la pâte, www.inrp.fr/lamap/pedagogie/glossaire/p.htm#pedago 
Réponse de Béatrice Salviat 
[3] Extrait de son intervention à l’IUFM de Paris en septembre 2002 ; le texte est en ligne sur aphgcaen.free.fr/chronique/hugonie.htm