Les équipes    les thèmes    Les videos     Les reportages     
I

Mokthar KADDOURI

maitre de conférence au CNAM

Dans le cadre d'une formation des conseillers pédagogiques de Paris,  , M. KADDOURI  a été interviewé par Yamina Yessad-Blot, CP AIS. (mars 2003)

 

YYB : Vous avez été sollicité pour intervenir dans le cadre d’un stage de formation de conseillers pédagogiques. La présentation de vos objets de recherche a été assez rapide. Peut-être pour commencer pourriez-vous préciser les axes de votre travail de recherche pour situer les points d’articulation ou « d’accroche » avec la fonction de CP.

 MK : Cela fait des années maintenant que je travaille autour d’un thème : le rapport entre l’engagement dans des pratiques sociales et la construction de l’identité.

Quand je parle d’engagement dans des pratiques sociales, je parle de pratiques sociales au sens large du terme : cela peut être la formation, l’innovation, l’écriture sur sa pratique etc… C’était le point de départ.

Puis j’ai commencé à évoluer en ce qui concerne la notion d’identité, de cette notion d’identité à celle de dynamique identitaire car je me suis rendu compte à la suite d’autres chercheurs que la notion d’identité désigne à la fois un processus et un état. Ne retenir que son aspect « état » risque d’être dangereux. C’est comme s’il s’agissait de quelque chose de figé et de définitivement assuré, et donc, du coup, il y a le risque de stigmatiser, d’étiqueter, de classer les gens désignés. Alors que la notion de dynamique identitaire est plus dans le mouvement, dans le processus ; ce qui fait que l’on peut être dans une dynamique identitaire sans être forcément figé dans un statut identitaire définitif.

C’est la raison pour laquelle j’ai recours à la notion de dynamique identitaire.

Par rapport à l’engagement, il y a plusieurs façons d’expliquer l’engagement dans des pratiques sociales : il n’y a pas une seule détermination, il y a un faisceau de raisons, un ensemble de causes qui peuvent amener les individus à s’engager dans telle ou telle situation, dans telle ou telle pratique (Ex : la  formation) : il peut y avoir des raisons   inconscientes que l’analyse clinique peut nous aider à identifier, (réparation, identification….).

On peut expliquer l’engagement aussi par des raisons d’appartenance sociale et professionnelle, on est alors dans une analyse qui renvoie aux théories de la reproduction.

J’ai choisi de raisonner en termes de liens  forts entre l’engagement et les dynamiques identitaires.

Je peux donner rapidement trois exemples : 

1)      Premier exemple : j’ai rencontré certains inspecteurs du travail qui réagissaient de façon « très négative » vis-à-vis de la formation qui leur était donnée. Je me suis rendu compte que ce n’était pas contre la formation en général qu’ils réagissaient mais contre une partie de la formation.

Quand on va un peu plus loin pour voir quelle partie de la formation était rejetée, on s’aperçoit que c’est tout  ce  qui était centré sur la gestion des ressources humaines, sur la direction d’un service, sur l’animation d’une équipe, de la promotion des politiques de l’emploi parce qu’ils étaient dans une dynamique identitaire qui était autre que ce que la formation proposait. C’est à dire que les inspecteurs en question vivaient leur identité professionnelle comme étant celles d’engagés sociaux, de personnes qui devaient contrôler l’application du droit et être les garants de l’application du droit. Ce que l’on proposait dans leur formation en termes de  négociation, d’animation, d’être gestionnaire de ressources humaines était vécu de façon antinomique : ils accusaient la formation de véhiculer un modèle identitaire (comment devenir chef, responsable d’une équipe, gestionnaire…) incompatible avec leur projet identitaire : eux, ils étaient inscrits dans une autre dynamique,  du côté du respect du droit,  de la loi,  à la rigueur plus du côté du salarié que de l’animation d’une équipe.

On voit alors clairement un lien entre la dynamique  identitaire dans laquelle sont inscrites ces personnes  et leur attitude à l’égard de la formation.

 

2)      Dans un autre secteur d’activité, dans une entreprise du secteur privé qui était confrontée à un changement technologique et organisationnel important, la direction a constitué une nouvelle entreprise généralisant l’informatique et l’automatisation DE certains actes de production, et elle a mis en place un programme de formation pour préparer les personnes au changement. On a observé des attitudes différenciées par rapport à l’offre de formation, et en creusant un petit peu, là encore on a constaté un lien entre les attitudes à l’égard de la formation et les dynamiques identitaires des personnes concernées.

Je prendrai l’exemple d’un ouvrier qui était bien vu par la direction, et pour lequel la direction avait un projet de promotion : le faire passer d’ouvrier à agent de maîtrise. Tout un programme était tracé pour lui pour qu’il effectue ce passage. Or, cette personne n’avait pas envie de se former, disait ne pas avoir besoin de cette formation : il voulait rester là où il était,  il n’avait pas envie de bouger. Quelqu’un de l’extérieur pouvait penser qu’il ratait une occasion. En fait, il avait un autre projet identitaire. Sa présence au niveau de l’entreprise était une présence instrumentale parce qu’il recevait un salaire qui lui permettait de financer un autre projet professionnel extérieur à l’entreprise, projet en cours de construction consistant à devenir travailleur indépendant. L’entreprise, avec son projet de promotion et de formation, venait contrecarrer et annuler ce projet différent.

 

3)      Le troisième exemple se situe dans le secteur de l’enseignement, et concerne l’implication des enseignants dans l’innovation (recherche ministérielle).

Je m’étais rendu compte que l’engagement dans l’innovation n’était pas neutre. Ici, la dynamique identitaire dans laquelle se trouvaient les enseignants que j’avais interviewés était complètement différente de l’innovation en elle-même, y compris au niveau du rapport à l’écrit (écrit demandé dans le cadre de l’innovation).

Il y a des différences à noter : écrire dans sa pratique, écrire pour sa pratique, écrire sur sa pratique.

- Par exemple, mais il ne faut pas généraliser, certaines personnes qui écrivaient sur leur pratique étaient dans une démarche de « visibilisation » de leur identité, dans une démarche de transformation identitaire : comment passer du statut d’enseignant à celui d’enseignant-chercheur dans une équipe de recherche (préparer un doctorat, quitter l’enseignement, intégrer l’université…).

- Ceux qui écrivaient  pour leur pratique visaient l’efficacité de leur travail. Du coup, l’engagement dans l’écrit qui est une pratique sociale, était complètement différent en fonction de la dynamique du projet identitaire.

YYB : Mais cela ne s’exclue pas nécessairement, les différents projets peuvent coexister avec des dominantes selon les moments, en fonction de facteurs extérieurs, d’opportunités….

 

MK : Tout à fait. C’est important, et la façon dont j’ai essayé de répondre à cette question a été de distinguer le projet identitaire global et les projets identitaires dimensionnels.

Je pars de l’hypothèse que chacun et chacune d’entre nous n’a qu’une seule identité. Je ne partage pas l’idée d’autres chercheurs qui disent que chacun de nous a des identités. Chacun d’entre nous a une identité unique, singulière. Par  contre, on a plusieurs facettes identitaires qui sont plusieurs composantes de notre identité. Si on prend chacune de ces composantes ou facettes identitaires, elles s’expriment, elles se manifestent dans les différents champs d’activités dans lesquels on s’implique : professionnel, social, familial, culturel, politique… Cela reste des composantes d’une identité unique.

C’est la raison pour laquelle je parle de projet identitaire unique et de projets dimensionnés.

 Tout cela ne s’exclut pas. On peut être dans une dynamique identitaire professionnelle différente  de celle qu’on a dans le champ familial, de celle qu’on a dans le champ social ou culturel.

Ce qui pose la question de la gestion de la cohérence, de  la cohésion de l’ensemble de ces dimensions identitaires. C’est la raison pour laquelle parfois on peut se retrouver dans des conflits identitaires ; certains projets peuvent être en conflit ou en tension avec d’autres (Exemple : projet professionnel et projet familial…).

On le voit aussi dans la formation, les gens ont un projet identitaire professionnel et quand ils sont en formation, cela ne donne pas un projet identitaire en phase dans le champ de la formation.. Parfois ces deux projets identitaires se complètent parfois ils sont en tension. Ce qui fait que, en cas de compatibilité, la personne peut être amenée à aller jusqu’au bout de son projet identitaire dans la formation, et en cas d’incompatibilité, abandonner la formation.

C’est la raison pour laquelle il faut ajouter autre chose dans la dynamique identitaire, c’est ce qu’on appelle les stratégies identitaires. Les stratégies identitaires ont pour mission ou pour fonction de gérer ces tensions, d’aller vers plus de cohérence pour garantir une certaine stabilité, un certain équilibre, sinon c’est la crise…

 

YYB : Il y a une identité avec de multiples facettes mais chacune des facettes, ne peut-on pas les analyser, les décomposer en multiples éléments ? Ne serait-ce que l’identité professionnelle qui peut être soumise à des tensions selon le milieu dans lequel la personne est immergée dans sa mission (différents environnements possibles).  En référence au CP, je pense aussi aux personnes qui se situent professionnellement aux interfaces des systèmes, là où cela va tirer tantôt d’un côté, tantôt de l’autre selon les  moments, les circonstances, les situations. Il y a une cohésion dans les écrits qui décrivent ces fonctions, mais dans la confrontation au réel, il est parfois difficile de faire exister la cohérence écrite. Il y a un spectre d’interventions large, et selon l’endroit où on se trouve sur la graduation… Par exemple, il peut y avoir des écarts entre les demandes du niveau de responsabilité qui institue, celui qui propose cette mission et le terrain qui la réclame.

 

MK : Tout à fait. On peut dire qu’il y a deux types de tensions : il y a des tensions inter-dynamiques et DES tensions intra-dynamiques. Je partage tout à fait votre avis, on peut avoir des tensions ou des conflits dans la composante professionnelle ou sociale de l’identité. On peut également avoir des tensions à l’intérieur de chaque dimension identitaire, et comme vous l’avez dit, on peut tout à fait être conduit à vivre des conflits de rôle : on peut être en difficulté quand on a plusieurs rôles à jouer,  si ces différents rôles s’excluent mutuellement. Il y a alors un choix ou un positionnement de la personne sur un ou plusieurs rôles.

Cela peut poser problème mais l’individu n’est pas hors contexte : dans le champ professionnel, il y a le projet que la personne a sur elle-même mais il y a aussi le projet de l’institution, des collègues, le projet que les autres assignent à la personne. Il peut y avoir des conflits entre soi et soi et aussi entre soi et les autres. Le CP peut être dans ce cas de figure : accompagnateur, collaborateur de l’inspecteur, il peut avoir plusieurs casquettes qui peuvent être en conflit, en contradiction, en tension, ce qui pose la question de comment les gérer. Cela peut se répercuter dans la façon de pratiquer, d’accompagner les équipes. Alors là, qu’est-ce qu’il va mobiliser comme rôle ?

 

YYB : Est-ce forcément le rôle qui est attendu ?

Dans votre exposé vous avez rappelé le rôle de l’analyseur du point de vue ethnologique en parlant de révélateur de dysfonctionnement, de déviant, bouc-émissaire… Le public qui fait la demande peut être dans cette attente-là et tout en étant en demande de résolution de problème, être dans l’évitement de la clarification approfondie du problème : c’est complexe parfois.

 

MK : Tout à fait. C’est complexe et parfois la non-clarification du rôle peut jouer aussi une fonction. En tout cas cela montre effectivement que le métier de conseiller pédagogique est aussi au carrefour de toutes ces interrogations.

 

YYB : Revenons au début de l’entretien. Parler de dynamique identitaire plutôt que d’identité même au pluriel, c’est aussi dire qu’on peut jouer dessus. Cela met en relief des possibilités pour la personne elle-même et pour les situations de ne pas rester figées dans le temps, mais bien d’évoluer. Cela vaut alors aussi pour quelqu’un qui intervient dans le champ professionnel d’autrui, qui travaille à modifier les situations : s’il n’y a pas de dynamique, il n’y a pas de changement possible.

 

MK : Cela montre que tout n’est pas joué d’avance. C’est quelque chose qui est en perpétuel remaniement, et, dans ce remaniement, il y a la place du sujet. Cette place et ce rôle du sujet dans l’élaboration de sa dynamique identitaire sont différents selon chacun. 

J’ai dégagé quatre grands types de dynamiques identitaires (article à paraître Recherche et formation avril 2003 INRP) :

-          La dynamique de continuité identitaire : trajectoire, itinéraire de continuité. Les gens sont satisfaits de leur identité actuelle qu’ils ont envie de reproduire, de prolonger ou d’entretenir dans le futur.

-          La dynamique de transformation identitaire : il s’agit de la personne qui a quelque part une certaine insatisfaction de son identité actuelle et qui cherche, qui a une  démarche d’acquisition ou de construction d’une nouvelle identité.

-          La dynamique de gestation identitaire : l’individu de trouve à un moment ou à un carrefour de sa vie : il a des interrogations, il n’est pas encore clair sur ce qu’il va devenir. Cela peut être des gens qui vivent dans une souffrance ou une blessure identitaire ou qui ressentent une rétrogradation professionnelle… et qui se demandent ce qu’ils vont devenir.

-          La dynamique d’anéantissement identitaire : il s’agit là de personnes qui sont sans énergie ni ressort : ils ne sont plus dans une stratégie de sauvegarde de soi mais plutôt dans une démarche d’anéantissement de leur soi.

 

C’est ce que j’ai essayé de développer dans un article qui paraîtra dans la revue Recherche et Formation n°41 que je coordonne. En tout cas, on  peut tout à fait intervenir sur le cours de cette dynamique contrairement à l’idée d’état, mais cette intervention ne se fait pas au même niveau  et de la même façon pour chacun : c’est différencié.

 

YYB : Ne peut-il pas y avoir aussi des stratégies de rupture qui seraient des redéfinitions identitaires par la personne insatisfaite qui va décider toute seule que sa profession, c’est autre chose, qui plutôt que de changer de profession va s’écarter du modèle et poser sa propre définition ou redéfinir sa fonction ?

 

MK : Là, ce que vous dites, la redéfinition, c’est ce que je mets dans le processus de gestation identitaire où il y a une dynamique de confirmation de soi, de reconstruction de soi, de redéfinition de soi.

Par contre, ce que vous dites sur les ruptures, je l’ai intégré dans les dynamiques de transformations identitaires ; cela peut être une rupture complète avec le passé comme cela peut être un réaménagement, une modification. Dans la transformation,  il peut y avoir une rupture…  Cela va de la modification à la rupture.

 

YYB : Cela amène à la question du  « qu’est-ce qu’une personne a à y gagner ? »

Ceci nous ramène à ce que vous avez évoqué concernant les enjeux, « la maîtrise de la zone d’incertitude », la notion de pouvoir que la personne veut conserver aussi. Comment amener les gens à une autre représentation de la fonction alors que pour eux, il y a des enjeux de perte ? (une certaine tranquillité, un prestige supposé ou réel, le résultat d’un cheminement ou d’un investissement professionnel [exemple pris dans ma circonscription à propos de certains postes]... )

Est-ce que l’institution peut admettre la redéfinition que les gens peuvent opérer sur leur fonction [innovation par exemple]?

 

MK : Cela met en évidence que la question de la dynamique identitaire ne peut pas s’analyser et se concevoir en dehors de l’altérité. L’individu a des liens conflictuels ou de complémentarité avec les autres. Cela ramène à la question du projet de soi sur soi et du projet d’autrui sur le soi de quelqu’un d’autre. S’il y incompatibilité avec un rapport de force défavorable, cela peut générer de la souffrance ou conduire à la rupture. 

 

YYB : Les gens ne peuvent-ils pas avoir l’impression parfois que le projet pour eux est une déconstruction, une annulation, une « annihilation » de ce qu’ils ont parfois mis du temps à construire ?

 

MK : Tout à fait…

 

YYB : C’est typiquement le genre de situations dans lesquelles le CP peut se trouver en situation d’agir quand il propose ou promeut une nouvelle forme de travail, un nouveau contenu… placé par l’institution auprès de celui ou de celle qui est le garant de la mise en œuvre de dispositions éducatives.

 

MK : Cela pose question pour le conseiller, le formateur, le responsable de formation, la personne qui doit  agir à l’interface entre l’individu et l’institution. Dans certains cas :

-          Etre au service de l’individu, est-ce se mettre en situation difficile avec l’institution dont on fait partie ?

-          Etre au service de l’institution, est-ce se couper de l’individu ?

-          Chercher le compromis, vouloir satisfaire les deux, arriver à des compromissions, des négociations, jouer le rôle d’agent double. Au bout d’un moment, se pose la question de savoir « quel est ton positionnement à toi ? »

 

YYB : A propos du rôle ou des rôles du CP, A. De Peretti au cours de son interview, affirme « toute personne chargée d’un rôle a toujours une fonction régulatrice qui s’effectue parce qu’elle des informations dont elle est destinataire et elle est en même temps réceptrice de questions, de problèmes et de besoins réciproques... C’est un rôle de régulateur, de coordonnateur, de médiateur. »

Et cela se développe à l’heure actuelle, cela se développe partout. C’est le rôle de régulateur, coordonnateur, médiateur que l’on retrouve dans différentes organisations ou institutions. Qu’est-ce qu’on en attend en fait quand on crée ces fonctions ?

 

KM : Ce qui est important et ça c’est une réflexion, ce n’est pas la fonction de coordination, d’animation, de régulation, de facilitation.  La question qui est posée est en fait : c’est au service de quel projet. C’est cela qui, pour moi, reste un enjeu fondamental. Coordonner oui mais pourquoi ? Quel est le projet qui est derrière cela.

Il y a différents cas de figure.

Soit on est dans le cas de figure où il y a compatibilité entre le projet institutionnel et le projet individuel : dans ce cas, le régulateur, le coordinateur peut avoir un rôle de régulateur de cette compatibilité. Il y a alors possibilité de faire coexister les deux projets.

Par contre quand on a des projets qui s’excluent et qui génèrent de la violence, comment réguler ? Tout dépend de ce que l’on appelle régulation. La question est celle du projet qui va être sous-jacent à cette fonction de régulation. Quelle est sa place dans le conflit généré par l’incompatibilité de deux projets. Il ne faut pas que la régulation se fasse au détriment de l’un ou de l’autre, parce que réguler en faisant rentrer les gens dans les rangs, pour moi ce n’est pas de la régulation.

 

YYB : Alors finalement on peut dire qu’accepter et instituer ce type de missions, c’est autoriser, ouvrir quelque part un espace de négociation. Sinon elles n’ont pas de raison d’être …

 

MK : Je suis d’accord mais il n’y a pas que l’espace de négociation : c’est aussi la marge, ce qu’on appelle la plage de négociation dans les théories de la négociation. On peut négocier parce qu’il y a des plages de négociation. Quand il n’y a pas de plage de négociation, on ne peut pas négocier : on est soit dans le compromis, soit dans l’exclusion, soit dans le rapport de force. Moi je suis d’accord avec l’idée que le médiateur peut jouer un rôle dans la régulation mais à condition que les acteurs de la négociation disposent d’une plage de négociation permettant au négociateur de jouer son rôle. Sinon il ne peut pas jouer ce rôle là parce que, par définition, il ne peut pas intervenir à la place des autres.

Heureusement, le plus souvent les plages de négociation existent, il faut les repérer, mais toute négociation veut dire qu’il y a une part de renonciation à son projet global. Cela veut dire que des deux côtés, il y a à trouver cette plage qui permette à chacun d’avoir sa propre autonomie. En même temps cela veut dire que l’individu est considéré comme un acteur au sein de l’institution, et non un objet, un agent qui est là pour exécuter. Cela suppose du côté du régulateur, du conseiller une écoute active. Sinon il va faire fonctionner son propre projet à la place du projet des autres. C’est un danger qui le guette, il doit avoir un projet sur les processus d’accompagnement mais il ne doit pas avoir, bien entendu, un projet à la place des individus qu’il accompagne. Ceci afin de ne pas instrumentaliser les personnes qu’il accompagne. L’écoute active joue un rôle important.

 

YYB : C’est en lien, je vais revenir sur ce que vous aviez dit à propos du conflit -conflit mortifère/conflit constructeur- on cherche souvent à diminuer l’intensité du conflit : ce que l’on cherche je crois, c’est le plus petit dénominateur commun entre les gens, et là cela rejoint ce que vous avez dit : le conflit non exprimé ressortira ailleurs. Vivre et travailler le conflit de façon à ce qu’il soit constructeur, c’est plutôt inhabituel, pas simple...

 

MK : Parce qu’on est dans une culture du consensus et dans des cultures de la peur du conflit. C’est ce qu’on disait la dernière fois, le conflit est vécu de manière mortifère et pas de manière constructive. Attention, il faut faire la différence entre conflit et violence.

Dans les théories de la construction de l’identité, A. Touraine et son équipe ou d’autres chercheurs sociologues ont réalisé pas mal de travaux sur comment se construit l’identité à travers le conflit.

Il y a même des recherches qui ont relaté dans le secteur de la santé mentale comment des malades ont été soignés à travers des démarches faisant appel au conflit. Il est montré comment le fait de les mettre en situation de revendication pour être dans une confrontation avec l’autre, avec le réel, les aide pour une prise de conscience de leur soi.

Il y a des gens aussi (cas de certains jeunes par exemple) qui sont complètement en dehors des marges si on peut dire, par rapport aux « normes » et qui peuvent être ramenés à une conscience d’eux-mêmes à travers, l’élaboration et la négociation des revendications qu’ils formulent et défendent, dans une confrontation avec les représentants du pouvoir institutionnel.

Le conflit en soi n’est pas destructeur, il peut être constructif.

 

YYB : Maintenant, l’enseignant doit travailler davantage dans des espaces de décisions communs, collégiaux ou collectifs. Si on accepte qu’il y a des analyses, qu’on ne recherche pas un consensus et qu’il faut vivre le conflit… comment arriver à des décisions communes, en tout cas à un travail en commun ?

 

MK : La première chose, c’est de raisonner non pas en terme  de décision commune mais de décisions partagées. Quand on est dans des décisions communes, cela peut aller jusqu’à des exclusions de la différence. Quand on est dans des décisions partagées, cela peut laisser des marges à la différence.

Il faut faire la différence entre les décisions qu’on prend parce que l’on croit être dans l’urgence. Là, j’essaye de faire intervenir la notion de temps. Il y a des moments où, en réalité, ce qui nous pousse à décider est ailleurs, sans rapport avec le processus dans lequel on se trouve. Peut-être que prendre le temps de la réflexion et le temps de l’intégration des personnes dans le processus de réflexion  permet de gagner du temps à long terme. Car là, on sera dans un processus partagé collectivement. Peut-être que la décision dans l’urgence est davantage de l’ordre de la manipulation plus que de la décision. Peut-être qu’engager une réflexion collective et viser la co-construction et la mobilisation d’un sens partagé est plus long sur le moment mais peut faire gagner du temps par la suite [exemple d’un professeur confronté à un problème avec ses élèves, en classe]. Il faut avoir un rapport avec le temps qui ne nous met pas dans l’urgence parce que sinon, on perd le sens : il y a un rapport à trouver entre l’urgence et le sens par rapport aux décisions.  Je ne dis pas que c’est une règle de conduite dans l’absolu, mais il vaut mieux faire avec le temps plutôt que contre le temps.

Le troisième point renvoie au problème de la pédagogie traditionnelle et nouvelle : est-ce qu’on est dans les processus ou est-ce qu’on est dans les résultats ? Est-ce qu’on veut à tout prix aboutir à un résultat qui va être le résultat de l’un et qui ne va pas être un résultat partagé avec les autres. Est-ce qu’on veut plutôt engager un processus, entreprendre un travail sur les processus ?

 

YYB : C’est l’idée donc de co-construction même si des gens sont parfois dans une position un petit peu passive et  dans l’attente de la décision qui ne mettra peut-être pas tout le monde d’accord mais qui aura suffisamment de poids (institutionnel) pour être acceptée ?

 

MK : Tout à fait, il faut résister à cela. Il faut résister à la tentation de répondre à la place de l’autre. La passivité pour moi ne désigne pas quelque chose de négatif. La passivité est une attitude. Cela a un sens. Cela peut être l’expression d’une forme de résistance. Elle signifie quelque chose. Le sens est chez les personnes, ce n’est pas l’accompagnateur qui va le créer à leur place. Il faut se donner la peine de chercher ce que cela signifie, de déplacer le regard en partant de là où sont les gens, et comprendre avec eux, au lieu d’être dans la recherche de résultat : parce qu’on est dans l’accompagnement, on peut effectuer ce déplacement pour aller vers l’autre et non pas déplacer l’autre vers soi. La position du politique par exemple, c’est autre chose. Mais quand on est accompagnateur, il faut déplacer son regard et non pas se centrer sur son regard si on veut que l’autre chemine.

 

YYB : Pour terminer, je voulais revenir sur l’analyse et les analyses. Vous nous avez présenté une manière d’analyser deux cas qui ont été proposés, deux situations de celles qui peuvent durablement perturber les relations entre un nombre non négligeable de personnes : il s’agissait de l’occupation d’un bassin de piscine et d’un samedi matin d’animation pédagogique…  Exemples de situations qui peuvent en quelque sorte causer un préjudice [de confiance etc…] à celui ou celle qui se trouve en situation de mener ou de guider s’il ne sait pas ou ne peut pas parvenir à une résolution des questions posées. Vous avez mis en place un dispositif d’analyse et je me suis demandé pour ces mêmes situations quelles pouvaient être les autres analyses possibles. Cela rejoint la notion des composantes : indicateurs, objectifs, stratégies… Qu’est-ce qu’il y a dans ce champ d’étude ?

 

MK : Cela dépend dans quelle posture on se trouve. Si l’on est dans une posture de résolution de problème, il y a toute une littérature là dessus (…).

Pour analyse de pratiques professionnelles, il y a tous les travaux des collègues de Paris X, notamment Blanchard-Laville et Dominique Fablet (…). Sinon, si vous voulez avoir une idée sur les différents types d’analyse, les différents principes qui les animent, les méthodes, il y a le dossier central de l’avant-dernier numéro de la Revue Française de Pédagogie (INRP). Il contient une synthèse très bien faite des variantes, des fonctions, des méthodologies et des limites de l’analyse de pratiques.  Et il y a aussi un numéro de la revue, « Education permanente ».

 

  Innover

   Expérimenter

  Accompagner

  Évaluer

  Former

  Ce que former peut dire...

 introduction à la formation des enseignants

  Un abécédaire de la formation, pour les formateurs, responsables de formation et d'autres....

  apports théoriques

Des ressources identifiées et des experts sollicités pour comprendre, donner du sens, aller plus loin...

  démarches

Choisir la démarche en cohérence avec le(s) objectif(s) et en fonction du public visé.

  outils

Varier les situations et enrichir les techniques de formation.

 

  des produits de formation

Livrets de formation, productions, bilans, ressources