scénario de départ Prescription intelligente et intelligence de la prescription

Ce n’est que récemment que le métier d’enseignant a pu être défini dans une forme assez souple, loin du cahier des charges.  A chacun des professionnels de se l’approprier et de se situer par rapport à sa propre pratique. C’est cela qu’on appelle « intelligence de la prescription ».

La prescription faite à l’enseignant

Finalement, la définition du métier d’enseignant est assez récente : 1993 pour l’école primaire, 1997 pour le secondaire. « Missions et compétences de l’enseignant », le texte du bulletin officiel, du 29 mai 1997, encore très insuffisamment connu et exploité, comme tout premier texte, fondateur par bien des aspects, est un texte de compromis. Il a le mérite de signaler par sa longueur relative que l’acte d’enseigner n’est pas simple, et se comprend au moins dans trois dimensions : dans l’institution, dans sa classe, dans l’établissement. Nous y reviendrons tout au long de cet ouvrage.

Il est intéressant de faire un détour par la Suisse où Philippe Perrenoud (Université de Genève) a mis en place un programme de formation d’enseignant qui permet de se faire une représentation actuelle du métier[1]. S'intéressant aux nouvelles compétences qui émergent et qui constituent un "horizon plutôt qu'un acquis consolidé", l'ouvrage de Philippe Perrenoud cherche à saisir le mouvement de la profession enseignante en identifiant dix familles de compétences jugées comme prioritaires dans la formation continue des enseignantes et des enseignants primaires. Ces dix familles sont : organiser et animer des situations d'apprentissage, gérer la progression des élèves, concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation, impliquer les élèves dans leur apprentissage et leur travail, travailler en équipe, participer à la gestion de l'école, informer et impliquer les parents, se servir de technologies nouvelles, affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession, gérer sa propre formation continue.

[Voir le détail des familles de compétences, dans  « penser sa propre formation »)

 

Test

En ne prenant que les titres des chapitres de ce livre, vous pouvez faire le test suivant : d’après votre propre exercice du métier, quelles sont les « familles » que vous devriez développer ?

Temps de réponse….

L’expérience de ce petit test montre que toutes les familles sont potentiellement concernées ; les zones de l’innovation pédagogique touchent tous les aspects du métier. Innover, c’est donc amplifier ses compétences, plutôt que  faire du nouveau « nouveau » à tout crin.

Sortons à présent du domaine du prescrit, institutionnel ou formatif, pour nous intéresser à un niveau d’analyse plus difficile, celui des pratiques effectives, ce qui fait fonctionner le cœur du « réacteur scolaire ». C’est l’intelligence de la prescription ou comment chacun ici aménage, voire « habite » les règles qui lui sont données.

L'aménagement de la prescription sur le terrain

Pratiques des enseignants et école démocratique, l’enquête d’Hamon
Dans son dernier ouvrage, Tant qu’il y aura des élèves, 2005, Hervé Hamon a rencontré ces deux attitudes dix ans plus tard :   " Il y a ceux qui acceptent l’ambition démocratique: ceux-là adaptent leurs méthodes d’enseignement et de travail; ils vérifient que l’élève a vraiment pris possession du savoir transmis. Et il y a ceux qui veulent qu’on leur change les élèves, parce qu’ils ne veulent pas changer leur manière de faire. L’exigence de qualité des premiers me semble supérieure".  Une des résolutions de ce conflit passe selon l’auteur dans une réorganisation des services enseignants, donnant plus de marge aux possibilités de suivi différencié et concerté.

Sujet tabou ou évidence implicite, légitimée par l’obtention d’un diplôme, - en France, un agrégé est un bon enseignant, les facteurs d’efficacité des pratiques enseignantes ont peu fait l’objet d’études approfondies.

"L'effet-enseignant" ne dépend pas uniquement des caractéristiques personnelles des professeurs : l'âge, le sexe, l'origine sociale, le statut ou l'avancement dans la carrière ne permettent pas d'expliquer les différences d'efficacité. Une enquête menée par Georges Felouzis[2], porte sur 36 professeurs de mathématiques et 25 professeurs de français en classe de seconde. Elle montre que l'efficacité des enseignants doit être pensée en relation avec les évolutions du système éducatif et du public scolarisé. Il se dégage en effet deux grandes attitudes des professeurs vis-à-vis de ces évolutions, qui sont aussi deux manières de concevoir le rôle et le métier d'enseignant : la première est une forme de " ritualisme académique " qui reste attachée à un état antérieur du système éducatif ; la seconde renvoie à un " pragmatisme pédagogique ", plus proche des élèves tels qu'ils sont aujourd'hui.

Attitudes des professeurs

Ces deux attitudes conditionnent des attentes envers les élèves et des pratiques pédagogiques qui sont au cœur du principe de l'efficacité des enseignants.

Liberté et variété des pratiques

(Les visites d’inspection fort ressortir ) "une grande variabilité des pratiques réelles, tout au moins de certaines d’entre elles, difficile à percevoir et à apprécier lors de trop rares visites d’inspection. Cette grande variabilité résulte du fait que les enseignants ont une réelle marge de manœuvre et  doivent faire face à une grande variété de situations". Avis n°7 du Hcéé (haut comité de l’évaluation de l’Ecole)

Pour comprendre le pragmatisme pédagogique, Aletta Grisay (université de Liège) en 1995 a fait le point sur la question en s’appuyant sur près de 2000 monographies de classe dont les deux tiers sont d’origine anglo-saxonne. Les différents facteurs ne sont pas à prendre en eux-mêmes comme de simples recettes (pour dire après qu’on a essayé et « ça ne marche pas »), mais s’organise en système ; chacun est corrélé à d’autres pour assurer un impact sur les élèves . Ils peuvent ensemble représenter un véritable tableau de bord que le professeur peut faire jouer au gré des situations en adéquation avec son propre style d’enseignement. (voir une version graphique)

· Un premier groupe de facteurs très efficaces contient les items suivants : pratiques d’évaluation formative, entraînement à la lecture, donner des indices structurants et des retours fréquents, mesurer le temps réel d’implication de l’élève en classe, développer un programme coopératif.

· Un deuxième groupe de facteurs efficaces, mais à impact plus modéré: faire des groupes homogènes en classe hétérogène, instaurer un tutorat entre élèves, donner le temps d’apprendre en classe.

Il s’agit bien d’approfondir certaines pratiques professionnelles, déjà développées dans certains établissements et de diversifier les prises en charge des élèves, en articulation avec le temps de classe.

Toutes pratiques non nouvelles en elles-mêmes, mais plus efficaces quand elles sont corrélées entre elles au niveau d’une classe, et véritable enjeu à présent, au niveau de l’organisation d’une école ou d’un établissement. « Le tout est plus important que la somme des parties », disait Aristote.

Des facteurs d’efficacité identifiés par les enseignants eux-mêmes

A l’issue d’une formation,  des enseignants-formateurs ont pu exprimer ce qui leur paraissait plus efficace. Ils ont donc retenu des modalités qui touchent à l’organisation du travail et des relations dans le groupe : attribution de rôles, productions toutes natures confondues individuelles dans un projet collectif, mais aussi des méthodes d’évaluation rapide qui leur permettent individuellement et collectivement de faire le point régulièrement.

Ce sont quelques critères totalement transposables en situation de classe avec des élèves. Pourquoi l’identifier quand l’enseignant est un formé, et ne pas l’appliquer quand le même enseignant est formateur d’élèves ? Faire classe, c’est donc bien une question d’organisation des relations et d’information dans un groupe.


[1] Dix nouvelles compétences pour enseigner, Philippe Perrenoud. ESF , 2000:

[2] L'efficacité des enseignants. Sociologie de la relation pédagogique, Paris, PUF, 1997