Chapitre 28

Faire une conférence

 

Vous arrivez dans la salle de classe, tous les élèves sont déjà installés ; vous faites donc de même ; dossiers sortis, vous reprenez le plan là où vous l’aviez laissé il y a deux jours, point 2.a, paragraphe 3. Votre chaise est solidement arrimée au sol, vous êtes assis dessus. Vos élèves grattent. Quoi ? Vous ne savez pas. Que fait le cinquième rang ? Non plus. Vous avez quand même un goût amer dans la bouche. Alors, insatisfaction grandissante ou peur d’aller voir plus loin, à l’épreuve du réel ?

 

Faire cours est-ce tenir conférence devant une assemblée captive ? La tradition scolaire demeure vivace, si ce n’est en pratiques, du moins dans sa représentation. Peut-on s’organiser différemment ? Mieux, avec les élèves ? Quelles sont les conditions pour faire un bon cours magistral ?

 

 

scénario de départ« Est maître des lieux celui qui l’organise »

 

"Je ne peux pas bouger de ma chaise. Mon espace est un couloir entre le bureau et le tableau." Parcourir les salles vitrées d’un grand lycée renseigne sur les pratiques majoritaires : on enseigne plutôt devant et assis. 119 élèves sondés par leurs jeunes professeurs avaient signalé cet aspect ; le professeur de français est plutôt assis à son bureau, c’est moins vrai pour l’anglais, et pas du tout pour le prof d’EPS (pour cause).

 

le cours: la reproduction d'un modèle magistral ou de sa représentation

 

Dérivée de la cathèdre épiscopale, marque du pouvoir et du savoir dans la Cité, le modèle de référence est sans doute trop fort ou iconoclaste dans notre école encore républicaine, laïque et post-industrielle. Il faut puiser sa légitimité philosophique dans le traité de John Locke, Essai sur l'entendement humain, 1693 : dans un monde alors complètement structuré par la transcendance et la raison innée, il défend que le cerveau est une tabula rasa, c'est à dire un "tableau vierge" ou une pièce sans meubles. Le rôle du maître est d'exposer clairement, de montrer avec conviction, éventuellement de répéter. Cette « innovation » de l’époque s’est muée en véritable dogme à l’université et dans tous les systèmes de formation.

 

Ainsi donc, faire un cours magistral, c’est être loyal et conforme à un modèle universitaire, et à un système qui a lui-même formé les enseignants avec succès pendant des générations. La transposition s’effectue rapidement et assez simplement ; j’ai appris comme cela, je fais apprendre de même. Les enseignants, sociologiquement parlant, sont d’anciens bons élèves.

 

 

Les limites du modèle classique

En résumé, nous pourrions analyser le processus du cours en trois étapes successives :

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· préparer un cours : sélectionner, hiérarchiser, avec une certaine satisfaction intellectuelle et un goût pour la synthèse

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· faire le cours : exposer,  jouer au jeu des questions-réponses

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· donner des devoirs : proposer conseils, consignes, modèles

 

Cette manière de faire classe suppose quelques postulats importants :  la conception du savoir comme un contenu, l'élève est un contenant ; d’autre part, l’enseignement se résume en une transmission expositive et par une magistralité certaine (de « magister », maître en latin) dans une configuration frontale.

 

De plus, elle emporte une conception de l’apprentissage qui à l’examen des sciences neuro-biologiques et des connaissances psycho-sociales reste quand même très réductrice : la motivation dépendrait du pouvoir attractif du contenu en soi ; la clarté de l’exposé entraînerait une compréhension quasi-immédiate ; la mémorisation s’effectuerait sans problème notable ; finalement, apprendre, ce serait imiter et répéter.

 

Vous avez bien une classe en face de vous : vous vous êtes déjà trouvés devant une telle combinaison : motivation extrinsèque, compréhension, mémorisation, imitation ? Cela existe… en classe préparatoire.

 

 

Le cours comme paradis perdu ?

 

De plus, l’activité centrée sur le maître  est valorisante, à un moment où s’effiloche l’identité donnée pour l’enseignant, Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater un phénomène de renforcement négatif : plus cela marche, moins cela marche. L’autorité du maître n’est plus assurée comme allant de soi, il faut donc retourner à ce qui faisait son autorité. Actuellement, en renforçant son ancrage disciplinaire et les règles de contraintes. C’est oublier que le rapport au pouvoir et à l’autorité n’est pas seulement un problème DE l’école, mais bien un problème de notre société.

 

Toutes les fois qu’une de ces conditions envisagées plus haut n’est pas assurée, cela engendre un dysfonctionnement dans le micro-système de la classe. C’est un processus cumulatif qui à terme produit des tensions fortes chez tous les acteurs. Dès lors, deux solutions possibles : un repli identitaire pour résister à la tension et un processus d’enfermement dans ce qui va devenir une impasse ; à ce jeu, l’enseignant se retrouve isolé dans une représentation de son « monde » vacillant. OU, introduire quelques ouvertures dans le système, et traiter la situation en une analyse collective.

 

 

scénario de départ Changez d’optique… et de place

 

André de Peretti, prenant appui sur une expérience douloureuse de première monte à cheval, rappelait souvent un loi de dynamique physique : quand un système est en mouvement, surtout ne pas s’accrocher à un point fixe…. En la matière, trois suggestions :

 

· Marquez physiquement que l’espace de la classe ne jouit pas du statut d’extra-territorialité ; déplacez-vous et tout en continuant de professer, jetez un coup d’œil sur l’activité effective des élèves.

 

· Pourquoi ne pas vous asseoir à côté des élèves, quitte à en mettre un à votre place, au besoin en l’assignant d’un rôle de détecteur de questions, par exemple ? Un autre peut être chargé de la trace écrite au tableau, vous tiendrez son cahier pour l’heure. Changer d’optique, c’est un des principes actifs en matière de résolution de problème. [Sur différents rôles à distribuer dans la classe, voir « mettre en groupe »]

 

 

Faites de vos élèves un évaluateur bienveillant de votre activité

 

En fin de trimestre, proposez à vos élèves à un questionnaire libre de type « j’aime, j’aime pas » sur les méthodes de cours. Ou un document de type échelle de Cosgrove[1] : 10 groupes de 4 propositions positives chacune, selon 4 dimensions :  maîtrise des contenus, relations avec les élèves, organisation et conduite de la classe,  enthousiasme personnel.

 

Chaque élève doit retenir une proposition sur les quatre ; vous avez  en peu de temps une évaluation de votre activité. Dans tous les cas, vous aurez droit à un satisfecit, mais aussi vous pourrez lire en creux des améliorations possibles et attendues.

 

Faites-vous évaluer. Donnez la consigne suivante à vos élèves : "Dans chaque groupe, choisissez au moins une phrase, parmi les quatre propositions qui vous semblent le mieux se rapporter à votre professeur".

 

GROUPE A

  1. enthousiasme contagieux pour la matière qu'il enseigne

  2. ne perd pas son temps à des choses sans importance

  3. s'attache également aux progrès de chacun

  4. fait clairement savoir ce qu'il attend de ses élèves

GROUPE F

  1. généralement à l'aise et détendu pendant ses cours

  2. répartir régulièrement les travaux

  3. on n'hésite pas à lui poser des questions quand on n'a pas compris

  4. cours clairs et bien structurés

GROUPE B

  1. toujours à l'heure pour le cours

  2. agréable au cours

  3. franc et direct quand il s'adresse aux élèves

  4. semble bien connaître le sujet

GROUPE G

  1. accepte le point de vue des élèves

  2. enrichit le vocabulaire des élèves

  3. les élèves savent toujours ce qu'ils ont à faire pour la prochaine fois

  4. on travaille volontiers pour lui

GROUPE C

1. cours méthodique

2. aime enseigner

3. amabilité naturelle

4. logique dans son raisonnement

GROUPE H

  1. semble savoir où il veut en venir

  2. n'hésite pas à féliciter les élèves pour leurs réussites

  3. ne tourne pas les mauvaises réponses en ridicule

  4. a des connaissances dans des domaines voisins de son sujet

GROUPE D

  1. encourage la créativité et les initiatives

  2. est au courant de l'actualité dans sa matière

  3. accepte de revenir sur ses décisions

  4. adapte sa méthode au contenu

GROUPE I

  1. son cours est toujours prêt

  2. traite bien le sujet

  3. encourage les élèves à trouver des réponses par eux-mêmes

  4. est juste dans ses décisions

GROUPE E

  1. domine son sujet

  2. donne envie d'en savoir davantage sur la question

  3. note de façon juste

  4. ne critique pas de façon négative

GROUPE J

  1. s'arrange toujours pour faire les choses dans le temps prévu

  2. le cours présente une réelle continuité

  3. donne de l'importance au sujet qu'il traite

  4. comprend les problèmes des élèves

 

 

Quand la routine devient une stratégie de survie

 

De nombreux enseignants reconnaissent que, globalement, ils font toujours cours de la même manière. Il existe une autre dimension derrière ce constat majoritaire : la routine professionnelle existe bien, comme dans toute profession, elle est utile et agit comme un pilotage automatique en situation stable et horizon dégagé, ce qui n’est plus forcément le cas partout ou tout le temps.  Dans certains cas, elle peut se révéler être une facette d’une stratégie de survie, aménageant un désengagement professionnel. Les psychiatres n’hésitent pas à avancer parfois le terme de « burn out »

 

Six symptômes typiques de "burn out" d’après le Centre américain de maîtrise du stress

 

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Irritabilité et méfiance envers autrui.

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Absence d’idées nouvelles pendant plus de six mois. 

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Manque d’énergie physique et/ou émotionnelle. 

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Sentiment d’isolement et de manque de soutien. 

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·Forte aspiration à s’échapper de sa situation professionnelle actuelle.

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Tendance à se justifier par un excès d’activité, en privilégiant l’aspect quantitatif plutôt que qualitatif.

Trois recommandations en cas de burn out

 

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· Appuyez-vous sur une ou un collègue proche : parlez-lui de votre sentiment, demandez lui si elle connaît ce type de réaction et alors comment s’en défaire.

 

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· Songez à la solution de type formatif : rencontrer des collègues à l’extérieur qui partagent des problématiques similaires permet de prendre du champ. Dans ce domaine, les groupes d’analyses de pratiques existent. Consultez le PAF (plan académique de formation).

 

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· Veillez à recharger vos batteries en exerçant une activité physique régulière qui vous permette de vous défouler ; tout est bon dans ce domaine, si c’est bien pratiqué : course à pied, roller, badminton, squash, natation. L’activité a ici une fonction quasi cathartique. Elle renforce votre capacité d’initiative et d’engagement personnel.

 

 

 

scénario de départ Prendre du champ avec les pratiques des collègues

 

""Je voudrais bien changer de type de cours, mais que vont dire mes collègues ? " La routine s’installe d’autant plus vite qu’elle s’exerce dans un cadre collectif doté d’un contrôle social puissant, à la manière du Panopticon de Bentham : il suffit de parcourir à grande vitesse les couloirs d’un grand établissement de centre ville, un dont les salles de classes sont vitrées, pour constater de facto l’homogénéisation des pratiques. Voir et être vu. Le poids d’une tradition bien ancrée dans les établissements, impose l’estrade et la chaise.

 

Le poids des traditions existe en éducation

 

Si un professeur nouveau ou stagiaire prend sur lui de jouer à  «Vatican II » (supprimer les barrières, aller vers son public, parler pour être compris, associer les élèves au cours), il ira s’expliquer avec l’intendante, garante des installations. Vous tentez une organisation de classe différente, il faut impérativement tout remettre à la normale pour le cours suivant ; d’ailleurs, les agents de service vous le disent bien : préparer une salle, c’est un bureau et des rangées de chaises.

 

La loi du silence est aussi une loi qui reporte les souffrances sur les individus sans questionner la pertinence de la pratique, dans ce cas, du système d’enseignement. La pratique individuelle est inextricablement liée à la pratique pédagogique d’un établissement, et donc à son projet. Un enseignant n’est donc pas tout seul devant ses élèves ; il est « habité » et traversé par des projets, des pratiques, des routines qui le dépassent, mais qui sont aussi des appuis devant un collectif… quand il est organisé sur du sens et non sur des rangées de chaises. C’est déjà un grand progrès que d’en prendre conscience, pour éventuellement faire évoluer certains points. [Voir la planche « maîtrisez votre espace », à la fin du chapitre, ]

 

 

Prendre le temps de communiquer avec ses collègues sur le cours

 

Cependant, on n’a pas raison tout seul. Il faut donc investir un peu de temps et d’énergie dans la communication avec ses collègues :

 

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· Entrez en contact avec les enseignants de votre discipline pour ensemble élaborer le projet disciplinaire de l’établissement, comme c’est déjà le cas en EPS, mais pas seulement. Les échanges sur les objectifs et les contenus toucheront inévitablement les méthodes et les pratiques. [voir « coordonner une équipe » ]

 

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· Allez voir le chef d’établissement pour envisager avec lui l’aménagement à peu de coût, cela va sans dire, de telle ou telle salle, et les conditions rapides de réalisation.

 

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· Participez à la conception, écriture ou réécriture du projet d’école ou d’établissement. L’étape suivante sera de se faire élire au conseil d’administration.

 

 

scénario de départ S’autoriser à la liberté pédagogique

 

"Je voudrais bien innover, mais c’est impossible : les programmes sont trop lourds ; que va dire mon inspecteur ? " C’est un des grands leitmotive des enseignants pas débutants. Le cahier de texte de la classe est le seul document administratif qui permet de rendre compte de son activité aux instances hiérarchiques que sont le chef d’établissement et l’inspection ; et d’aucuns d’évoquer la lourdeur évidente du programme de sa discipline, avec un horaire qui s’est réduit d’une heure en dix ans, l’autre de susurrer le dada de l’inspecteur : « le cœur, ce doit être en 24ème semaine ! Tu en es où, toi ? ». Ce sont des faits avérés certes. Le cours magistral serait donc la seule modalité de traiter le programme le plus rapidement possible, c’est à dire, dans son entièreté absolue, et le plus efficacement bien sûr. Dans ces deux dimensions, le constat est toujours féroce. Néanmoins, comment fait-on ? [Voir « être le gardien des programmes »,].

 

Entre soumission au programme et liberté d'exercice

 

Cet argumentaire touche indéniablement le rapport à l’institution et au prescrit du métier. Il illustre un autre paradoxe du métier entre l’allégeance au Programme et la liberté quasi-absolue de son exercice.

Il y a une marge certaine de manœuvre : la lecture raisonnée du programme et d’abord de ses objectifs montre la place des contenus de savoirs ; de nombreuses séances de formation continue ont montré que les enseignants fonctionnaient plutôt dans une représentation maximalisée des contenus et une sous-estimation, voire une méconnaissance des objectifs.

 

D’autre part, la fréquentation de l’Inspection et son « pouvoir » de contrôle est très relatif quand le Haut comité de l’évaluation de l’Ecole (Hcéé) signale qu’un enseignant voit son inspecteur tous les sept ans en moyenne, avec des écarts très importants selon les disciplines et les académies., allant jusqu’à 12 ans parfois. L’inspecteur n’est plus le contrôleur de la RATP ; il exerce une fonction de conseil et de repérage tout aussi importante pour l’enseignant que pour l’institution.

 

 

S’autoriser, c’est par exemple…

 

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· Comprendre que la pression des programmes et de l’Institution est bien celle que l’on se donne ; l’enseignant est en auto-contrôle la plupart du temps ; l’accès internet permet de très rapidement reparcourir son programme, en particulier d’avoir une lecture rapide des objectifs. [tous les programmes sur le site du CNDP www.cndp.fr en trois clics, histoire de se rafraîchir la mémoire].

 

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· Ajuster sa pratique à son environnement professionnel proche : demandez à voir les supports de cours de vos collègues, jetez un coup d’œil sur les cahiers de textes des autres classes. Allez aussi voir ailleurs : l’internet pédagogique est une vaste salle des profs, vous pouvez par exemple vous abonner à une liste de discussion de sa discipline ou d’un thème. [Sur les listes de discussion, voir « webographie », ]

 

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· Solliciter la visite de l’inspecteur pour obtenir soutien et reconnaissance de sa pratique. Rien à perdre, tout à gagner.

 

Jusqu’ici, on a donc vu la prégnance de facteurs endogènes qui vont jusqu’à justifier la dominante forte du cours magistral dans la pratique professionnelle.

Il existe aussi des pressions externes qui poussent dans le même sens

 

 

scénario de départPrimaire : rendre possible l’autonomisation des élèves

 

"Je suis leur "Maître"" Tous les parents ont entendu leur enfant rentrer de l’école (primaire) ne jurant que par « ma maîtresse  a dit que » ; toute information complémentaire, toute suggestion alternative seront très mal prises.  « Ma maîtresse a dit que ». Si ce n’était l’Ecole avec un grand E, vous auriez parié sur un endoctrinement ou une dérive crypto-sectaire, mais vous êtes rassuré, c’est bien la  maîtresse. La relation entre enseignant et élèves en primaire peut prendre des colorations fusionnelles, parfois hypnotiques, quelles que soient la méthode ou la pratique à l’œuvre. La motivation existe non par le contenu intrinsèque, mais par l’attache à la situation de communication et à la fonction. La tentation est grande pour l’instituteur de la jouer « à l’ancienne ».

 

Estomper l'"effet maître"

 

La dérive possible est de ne pas organiser la sortie de ce dispositif pour les élèves : autre année, autre maître, ou nouveau collège. La trop inappliquée « liaison école-collège » passe par une bonne préparation à des méthodes variées d’enseignement qui doivent peu à peu estomper l’effet-maître. [Sur la liaison école-collège, voir « analyser des besoins »,].

 

Voici quelques suggestions pour mieux préparer les élèves à cette évolution :

 

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· Dans la journée, varier le dispositif pédagogique en fonction des séquences de sorte à proposer une alternance cours, activités de recherche, travaux d’écriture, production collective, etc.

 

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· Organisez avec un ou deux collègues des échanges de service, en fonction des compétences plus développées chez l’un ou chez l’autre : je prends tes élèves en histoire, tu prends les miens en EPS.

 

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· Sur un même niveau, vous pouvez avec un collègue mixer les élèves par groupes de besoins ou de compétences pour une ou deux matières. [Sur la variété des groupements possibles, voir « mettre en groupe »].

 

 

scénario de départ Copier, ce n’est pas forcément apprendre.

 

"on n'a le calme qu'en les faisant gratter ! (plutôt collège)" C’est un « truc » qu’on refile en salle des profs à un jeune stagiaire qui se fait « bordélisé » (c’est le mot de la profession). : « Fais-les écrire ». Non seulement l’activité de la prise de notes sous la dictée professorale ou du recopiage de tableau permet de constituer la trace écrite, formalisée du magister. L’objectif serait donc atteint, le cahier de textes enregistrera « fait ». Mais en plus, ce type d’activité aurait le double effet curatif d’apaisement des tensions et de retour au travail pour les élèves. Si le constat est vrai, l’analyse fait défaut, car dans la plupart des cas, c’est une manœuvre dilatoire pour différer la difficulté pour un ailleurs, qui peut être le cours d’après. Finalement, c’est un modus vivendi, plus exactement, un modus docendi, ; ici, on pourrait dire « un pacte de non agression ».

 

Copier n'est pas la solution

 

Il faut aller fouiller dans le vécu des élèves en difficulté, dans leur parcours scolaire heurté tout spécialement depuis leur entrée au collège. Certes, les grandes difficultés se sont construites dès le primaire en lecture, en écriture, en compréhension de consignes, etc. mais ils se référaient à une situation scolaire rassurante pour eux, le maître dit de faire. Dans le secondaire, l’insécurité est grandissante face à la diversité des pratiques, des contenus, à la complexité des tâches devant être gérées en autonomie. Ainsi, leur proposer une écriture simple, c’est leur offrir un retour à un Eden reconstruit mentalement, plus rassurant : travailler à l’école, c’est copier. C’est ce que racontent de leur journée les élèves de seconde. Rien ne garantit pour autant que leurs difficultés seront traitées en tant que telles. La preuve en est des forts taux de doublement en fin de seconde, parfois jusqu’à 40 % des classes. [Voir « analyser les besoins » ]

 

 

Faire de l'écriture un acte d'apprentissage

 

Pour faire que le travail d’écriture soit un acte d’apprentissage et non une manœuvre dilatoire au bordel ambiant :

 

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· Faites passer un élève sur le rétroprojecteur avec un transparent ; ce sera sa prise de notes qui va guider le travail de ses pairs et vous permettre tout au long du cours d’accompagner sa technique. C’est un rôle tournant qui permettra à chacun d’exposer ses trucs, ses abréviations, ses repérages. En même temps que vous traitez le contenu du cours, vous travaillez en supervision de son activité, autant de prises d’indices qui vous permettront une évaluation plus fine. [Sur l’organisation de la trace écrite, voir « mettre en œuvre des outils »].

 

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· Scandez le cours en alternant temps d’information et temps de mise par écrit : les élèves sont associés en binômes de travail pour s’épauler mutuellement. Vous donnez d’abord une information avec traces au tableau, les élèves prévenus écoutent sans écrire ; puis vous donnez trois minutes pour le travail d’écriture ; ainsi de suite. Vous contrôlez pendant ce temps, au besoin, vous établissez une confrontation entre deux traces écrites. [Sur la constitution de binômes, voir « gérer les relations », .

 

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· Vous confiez à quatre groupes de quatre élèves un travail d’étude ou de résumé à partir d’un document extrait du manuel, avec confrontation à la fin de l’heure ; de votre côté, vous prenez en direct les élèves qui en ont le plus besoin pour faire passer un contenu plus délicat. Cette modalité fonctionne si vous avez dès le début de l’année exposer la pluralité des fonctionnements possibles dans la classe. Ce qui ne marche pas, c’est l’exception ou la rareté. [Sur la variété des espaces de travail, voir la planche en fin de chapitre « mettre en œuvre des outils », ].

 

 

scénario de départExpliquer votre démarche aux parents

 

"Je suis victime de l’attente des parents qui veulent du cours, rien que du cours." Enfin, il faut être attentif à ce qui est dit de l’Ecole à l’extérieur, dit explicitement lors d’entretiens avec des parents d’élèves, soit dans le secret des cabinets des psychiatres en systémie familiale où pour traiter la baisse de résultats scolaires du grand Benjamin, c’est bien toute la famille qui est analysée. Finalement, les résultats sont ce qu’ils sont, mais c’est le regard porté sur eux qui est interrogé, et bien souvent le désarroi des parents face à une Ecole aux règles sibyllines, spécialement en matière d’évaluation (et donc d’orientation) ; ils font jouer immédiatement en projection leur propre vécu scolaire et préconisent eux-mêmes les formes qui ont pu les faire réussir: écoute, soumission, respect de la règle. C’est aussi le discours symptomatique des parents qui ont arrêté le parcours scolaire arrêté trop tôt.

 

 

Résister à l'angoisse des parents

 

Tous ont en commun une représentation de l’Ecole et du cours frontal certifié 1875, modifié 1988 (avant 1989). Ainsi, une majorité de parents d’élèves n’attendent pas autre chose de l’école que les formes qu’ils ont eux-mêmes subies, c’est très explicite dans les lycées dits prestigieux ou de quartiers aisés. Finalement, la pédagogie active, c’est plutôt pour les élèves en difficulté, non ?

 

Pour éviter les reproches feutrés ou la convocation dans le bureau du chef d’établissement, quelques conseils :

 

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· Dès le début de l’année, communiquez aux élèves (et donc aux parents, au besoin avec signature), une feuille indiquant la progression et en gros le séquencement de l’année dans la discipline, incluant le rythme des évaluations. 

 

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· Dans le même temps, établissez avec vos élèves une « charte » des apprentissages dans votre discipline. « Apprendre et travailler en français en 6ème , c’est…. » ; vous pouvez aborder dès le début les pratiques de votre évaluation, les codes que vous songez utiliser, l’articulation entre évaluation formative et sommative. Une fois formalisée par vos soins, en respectant cependant les mots et apports des élèves, vous faites communiquer la charte aux parents.

 

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· Montrez-vous disponible aux sollicitations éventuelles, et n’hésitez pas vous-mêmes à requérir par un mot sur le carnet de correspondance un entretien. C’est toujours efficace.

 

"Loin d’être un abandon de transmettre, la pédagogie est tout au contraire une manière de transmettre plus efficace, car elle rend le sujet actif."

Philippe Meirieu.

 

scénario de départLe cours peut être innovant

 

Il ne s’agit pas non plus de bannir tout court à la forme magistrale, mais de le réintroduire de manière plus efficace dans un dispositif plus en adéquation avec notre société actuelle, pour des élèves dont tout le monde convient qu’ils ont changé.  André de Peretti propose une mise en perspective qui va dans ce sens:[2]

"Nous passons d'une époque dominée par les modèles des empires des mers, ce que Fernand Braudel a appelé «l'ère thalassocratique», à une époque «aérocratique». Les États qui possédaient une marine, dominaient le monde ; les empires coloniaux étaient d'abord des puissances maritimes. L'expansion du 19ème siècle a vu les usages maritimes s'inclure, consciemment ou inconsciemment, dans le fonctionnement de l'organisation sociale. C'est-à-dire, un seul maître à bord, ses décisions sont immédiatement exécutées par une foule d'interprètes, il n'y a pas de communication réciproque. Le maniement de la lunette, du porte-voix, du sextant est réservé au capitaine, par conséquent c'est une direction sans retour possible, sans feed-back. Ce modèle s'est déplacé dans le système taylorien, la division entre ceux qui savent et décident, et entre ceux qui exécutent, nombreux, séparés et surveillés. Ce modèle a construit la fin du 19ème siècle et très largement le 20ème siècle, et c'est ce modèle qui demeure dominant, avec les résultats qu'on lui connaît. (...)

Warren Benis, compagnon de Kurt Lewin dans la création de la dynamique de groupe, disait que nous sommes entrés dans l'époque de la succession accélérée des systèmes sociaux temporaires. Il faut le vivre, ce qui suppose des enseignants qui ne soient pas ritualisés, rigides, compassés ; ce qui suppose des structures de travail autres que celles des cours en amphithéâtre, ou des travaux dirigés. Les chefs d'entreprise nous demandent, et ils ont raison, de préparer des individus qui s'adaptent aux changements incessants.

 

Mais, cette souplesse évolutive, cette rapidité n'est pas constituée chez les jeunes, ils sont très «popotes», conditionnés par les manières de travailler, et les routines qui s'établissent. Pour vivre cette époque de changements accélérés, il faut de l'activité, du dynamisme, de la joie d'être, d'apprendre, d'enseigner..."

 

 

Combiner différentes formes de cours

 

La conférence n'est pas un mode d'enseignement négatif en soi, il peut très bien fonctionner s'il est intégré dans un projet d'enseignement. En témoigne une expérience menée au Lycée Europe Robert Schuman de Cholet racontée par Fabienne Chevalier, Alain Joyeux, professeurs d’histoire et de géographie avec quatre terminales (2 TL et 2 T ES) , 1998-2000.

 

Le constat des difficultés. Après plusieurs années d’enseignement en terminales littéraires et économiques, les professeurs étaient de plus en plus insatisfaits par l’organisation horaire classique (4 heures hebdomadaires en classe entière) : ils rencontraient des difficultés croissantes à faire face à l’hétérogénéité des classes ; à réaliser des exercices sur documents en faisant participer 35 élèves ; à guider chaque élève en classe entière pour l’apprentissage des nouvelles épreuves du bac (en particulier le croquis de géographie).

 

Les enseignants ont aussi mené une réflexion sur la mission du lycée : pas simplement de préparer les élèves au bac, mais aussi de les conduire progressivement vers l’enseignement supérieur. Le lycée dispose d’un amphithéâtre de 120 places doté d’équipements stéréo et vidéo performants. De plus, l’acoustique y est très bonne.

 

Adapter l’organisation aux objectifs. Chaque professeur a deux classes et doit donc assurer 8 heures hebdomadaires. Ils divisent l’enseignement en trois types de séances :

 

· 3 heures de cours (2 h + 1 h sur deux matinées) avec 2 classes réunies dans l’amphithéâtre (68 élèves au maximum) ; ces heures sont consacrées à l’apport des connaissances du programme par le professeur que les élèves prennent en notes. Des documents sonores ou vidéos courts ponctuent les séances ce qui permet aux élèves d’intervenir pour les commenter. Le plan du cours est projeté en permanence à l’aide de transparents sur grand écran.

 

· 4 heures de travaux dirigés ( 4 fois une demi - classe) : 17 élèves au maximum ; ces heures permettent de réutiliser les connaissances du cours pour s’exercer aux épreuves du bac. Ce sont des séances dominées par la participation orale active des élèves.

 

· 1 heure de soutien ou d’approfondissement avec un petit nombre d’élèves choisis chaque semaine par le professeur. Cette heure est inscrite dans l’emploi du temps de tous les élèves. Il s’agit de travailler sur des aspects méthodologiques précis qui posent des problèmes à certains élèves (recherche de problématiques, rédiger une introduction, commenter un type particulier de document…). Le programme de ces heures résulte d’ailleurs souvent d’une demande des élèves. C’est aussi l’occasion pour les deux professeurs d’échanger parfois leurs élèves.

 

> Chaque semaine, les élèves ont donc : 3 heures de cours en amphithéâtre ; 1 heure de travaux dirigés ; 1 heure de soutien ou d’approfondissement lorsqu’ils y sont invités par le professeur.

 

Adapter les contenus aux objectifs. En début d’année, les objectifs sont essentiellement méthodologiques : comment bien lire un sujet ? Comment aborder les différents types de sujet ? Comment transcrire sur un croquis des informations du cours ? Par la suite, les séances se diversifient : approfondissement d’un point du cours ; travail de recherche au CDI ; approche de l’art contemporain dont les élèves sont très demandeurs ; réflexion collective sur une question d’actualité à leur demande en relation avec une partie du programme…

 

Le bilan pour les professeurs. La mise en œuvre de ce projet a demandé un gros travail toute l’année, une concertation étroite entre les deux professeurs : progression identique, devoirs communs (6 devoirs de 4 heures) et partage du travail pour les corrections. A l'époque, chacun avaient une TL et une TES. Sur certains chapitres (croissance, crise…), l’écart de connaissances entre les L et les ES posait quelques problèmes lors des cours en amphithéâtre. L’amalgame entre les deux classes ne se faisait pas toujours très bien. Ils ont alors choisi de mélanger les élèves plus fréquemment en soutien et parfois en TD. Beaucoup d’élèves n’osaient pas participer oralement dans l’amphi. Un effort particulier dans ce domaine a été conduit même si la participation orale est par ailleurs très importante en TD et en soutien/approfondissement.

Mais les résultats semblent très positifs. Les professeurs reconnaissent avoir pu diversifier leur enseignement, cibler les difficultés des élèves et avoir de très bons contacts avec eux car les TD et le soutien/approfondissement permettent d’aller vers une certaine individualisation des relations professeur/élève. Certains élèves, non convoqués pour le soutien, demandaient parfois s’ils pouvaient venir quand même. Le programme tant au niveau des connaissances que des apprentissages méthodologiques a pu être bouclé.

 

Le bilan pour les élèves. Les élèves (ainsi que les deux professeurs) ont ressenti un net regain d’intérêt du fait de la rupture du rythme et du type de travail entre les cours, les TD et le soutien. Ils ont découvert une organisation d’enseignement similaire à celle qu’ils auront dans l’enseignement supérieur. 90% des élèves interrogés par écrit de manière anonyme en mars dernier ont exprimé le sentiment que cette organisation leur " apportait quelque chose en plus ". Un délégué de parents d’élèves FCPE s’est fait aussi l’écho de l’avis positif des parents lors d’un conseil de classe. "

 

L’expérience montre qu’un dispositif d’enseignement se configure à l’échelle d’une équipe disciplinaire ici, elle fait jouer la nécessaire collaboration professionnelle en matière de progression, de supports d’études, d’évaluation. Le cours magistral reprend tout son sens : un apport de connaissances rapide et efficace dans la mesure où les enseignants prévoient des moments d’appropriation et de transposition. C’est une modalité possible de « l’enseigner autrement ».

 

Zone de Texte:

 

scénario de départAuto-test

Sur la semaine dernière, vous avez assuré 18 heures de cours. Quelle est la proportion :

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· de « cours magistral » ?

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· De cours dialogué

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· D’autres modalités de cours ?

 

A quoi voyez-vous que vos élèves auront appris ?

 

[1] Echelle de Cosgrove, présentée dans la thèse de M. Linard (1973), repris par A. de PERETTI, Recueil d'instruments et de processus d'évaluation formative, INRP, t.1, p.106

[2] Entretien avec André de Peretti, Les périphériques vous parlent, janvier/février 1994 pp. 33-35 http://www.lesperipheriques.org/article.php3?id_article=192&var_recherche=peretti