Malaise dans la formation (fiche de lecture)  Claudine Blanchard-Laville, Suzanne Nadot (Sous la direction de), L’Harmattan, (2000).

Les auteurs

L’ouvrage correspond à une série d’articles écrits par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs composée de :

· Claudine Blanchard-Laville, longtemps  enseignante de mathématiques est aujourd’hui professeur des Universités en Sciences de l’Education à Paris X Nanterre. Auteur de nombreux articles, elle a par ailleurs dirigé les ouvrages « Variations sur une leçon de mathématiques » (1997), « Analyser les pratiques professionnelles » (1998), « Malaise dans la formation des enseignants » (2000),  « Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques » et »Les enseignants entre plaisir et souffrance »  (2001), « Mélanie, tiens passe au tableau, Une séance de cours ordinaire dans le prisme de la co-disciplinarité » (2002).  

· Suzanne Nadot est maître de conférence en Sciences de l’Education à l’IUFM de l’Académie de Versailles.

· Jocelyne Chartier est conseillère pédagogique auprès d’une inspectrice de l’Education Nationale de l’Académie de Versailles.

· Louis-Marie Bossard est conseiller principal d’éducation et chargé de cours en Sciences de l’Education à l’Université de Paris X Nanterre.

· Jean-Luc Rinaudo est professeur des Ecoles et chargé de cours en Sciences de l’Education à l’Université de Paris X Nanterre.

· Betty Toux-Alavoine est enseignante dans le premier degré.

· Michèle Ayraud est professeur de français à l’IUFM de Bretagne.

· Pascal Guibert est maître de conférence en Sociologie à l’IUFM de Bretagne.

· Christiane Perdon est professeur agrégée de Mathématiques en lycée et chargée de formation à l’IUFM de l’Académie de Versailles.

Compte rendu à deux voix :

A - Estelle Bosson : Professeur des écoles et étudiante en Maîtrise de Sciences de l’éducation, Université René Descartes, Paris V.

B- Axelle Darricau : Etudiante en Maîtrise de Sciences de l’éducation, Université René Descartes, Paris V.

(à partir d’un travail effectué dans le cadre du cours de B. Pechberty, maitre de conférence à Paris V, accompagnateur d'équipes "innovations"

mai 2004

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Remonter ] [ Malaise dans la formation ] Différentes approches de l'AP ] bibliographie ]  

La problématique

Les jeunes enseignants en formation initiale expriment verbalement leur malaise à travers des reproches, des déceptions  et des angoisses. Cette plainte qui apparaît de manière répétitive dans les propos, ne correspond pas uniquement à un mécontentement vis à vis de la formation dispensée à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) mais elle apparaît être le symptôme d’une crise identitaire survenant dans l’histoire de la vie professionnelle de l’enseignant ce qui correspond à une phase « d’adolescence professionnelle ».Ceci permettrait d’interpréter les résistances et les engouements face aux différentes modalités de formations proposées et de discuter ce qui dans la formation initiale facilite la professionnalisation, c’est-à-dire ce qui aide à assurer au mieux la transformation identitaire de l’étudiant en enseignant.

Dans la présente recherche, il s’agit de comprendre comment s’initie le processus de construction de l’identité professionnelle en formation initiale afin qu’il puisse se poursuivre en formation continue.

 

La démarche

Claudine Blanchard-Laville et Suzanne Nadot ont dirigé ces travaux de recherche centrés sur la formation initiale des enseignants dispensée à l’IUFM qui portent sur les deux ans de scolarité en IUFM et se composent d’entretiens avec des professeurs des écoles et des professeurs de collèges et lycées. La composition de l’équipe de recherche est originale de par la diversité des références théoriques qu’elle engage pour l’analyse des entretiens cliniques : « les chercheurs ne pensent pas la même chose mais… la même chose les fait penser ». En effet, cette recherche a été menée avec le souhait de réunir des chercheurs dont les paradigmes théoriques différaient,  ce qui la caractérise par l’interdisciplinarité. Claudine Blanchard-Laville et Suzanne Nadot ont choisi la démarche clinique pour conduire cette recherche afin de recueillir les données qui seront alors interprétées par l’ensemble de l’équipe. La recherche exposée dans l’ouvrage fait suite à une autre étude correspondant à une demande de l’IUFM de Bretagne concernant l’évaluation de la formation continue en IUFM. Il a été constaté, à partir de questionnaires remplis par les formés, que paradoxalement la formation dispensée était intéressante mais qu’elle ne serait que d’une aide minime pour l’exercice du métier d’enseignant. La présente recherche s’est étendue à l’IUFM de l’Académie de Versailles, ceci permettant d’évaluer la formation initiale sur deux sites différents et donc d’analyser les résultats dans une perspective plus générale. L’étude vise alors à comprendre en profondeur le rapport des formés aux formations initiales dispensées et d’observer leur évolution sur les deux années consécutives de formation. Il est intéressant de lier les deux recherches car  il existe aujourd’hui une volonté de continuité  et de relation entre les deux formations, d’autant que les résultats concordent.

 La démarche clinique correspond à un choix méthodologique. Les entretiens cliniques ont une visée de recherche et sont menés de manière non directive ce qui se caractérise par une écoute compréhensive « pour favoriser le travail d’élaboration de la pensée subjective ». Cette approche fait référence à la psychanalyse.

L’échantillon de la recherche se compose d’un groupe d’enseignants stagiaires reflétant la variété de la population étudiée à savoir : des professeurs des écoles ou des professeurs des lycées et des collèges provenant de l’IUFM de Bretagne ou de l’IUFM de l’Académie de Versailles, en première année et /ou en deuxième année de formation puis lors des deux années suivant leur prise de fonction et leur titularisation. Cette cohorte  de 68 individus a permis de recueillir 68 entretiens qui se sont déroulés sur quatre ans, de 1996 à 2000.

La question posée aux étudiants et aux professeurs stagiaires est : « Vous avez choisi de devenir professeur des écoles (de lycées et collèges), vous êtes en formation à l’IUFM. Aujourd’hui, que diriez-vous de ce que vous vivez en formation ? J’aimerais que vous me parliez le plus spontanément et librement possible, comme ça vous vient ».

La question posée aux professeurs titulaires au cours des premières années de prise de fonction est : « Maintenant que vous exercez, que diriez-vous de la formation que vous avez reçue ? J’aimerais que vous me parliez le plus spontanément et librement possible, comme ça vous vient ».

 

Les axes de l’ouvrage 

L’article de Jocelyne Chartier intitulé « Angoisse, prévention et prise de risques » traite d’une part des conduites d’acceptation et de détours de l’étudiant face au concours et des comportements adoptés par le professeur stagiaire pour devenir un enseignant «  parfait » face à la situation d’enseignement d’autre part. Les difficultés rencontrées par les formés se traduisent par une plainte sans cesse renouvelée contre l’Institution qui n’aurait pas mis toutes les conditions en œuvre pour permettre au futur enseignant de devenir cet enseignant qu’ils idéalisent. L’étudiant, lors des stages, est un adulte qui redevient un élève et il envisage donc cette nouvelle situation sur la base de son vécu d’écolier. Il réagit aux enfants qui lui font face mais aussi à sa propre enfance. Il a des responsabilités à assumer seul et doit tout maîtriser pour répondre au désir non seulement de l’Institution mais aussi des parents et des élèves. L’enseignant en formation se retrouve face à cet enfant qu’il était ce qui engendre des relations contre-transférentielles plus ou moins inconscientes et surtout non maîtrisables. En découvrant une école différente de celle qu’il avait connue, le professeur stagiaire perd ses repères identificatoires, ce qui est source d’angoisse.

Selon Freud, cette angoisse correspond à l’angoisse infantile lorsque apparaît le manque de la personne aimée. Face à cette angoisse déstabilisante, deux attitudes sont possibles :

·  la prévention se traduisant par l’évitement de la situation nouvelle qui engendre l’angoisse ce qui ne fait que reporter ou déplacer celle-ci. Faire la classe seul avec toutes les responsabilités que cela implique peut être traumatisant et inhibiteur pour le professeur stagiaire, lorsqu’il se projette dans la future situation, car il est incapable de tout maîtriser. Face aux situations nouvelles vécues, il peut résister aux changements, se protéger en refusant toute modification ce qui favorise une inhibition intellectuelle.

· la prise de risque correspondant à la confrontation à la situation nouvelle, à l’action pour surmonter l’angoisse ce qui permet de réussir, de créer, d’évoluer. Le professeur stagiaire ferait une régression et aurait besoin d’une réassurance de son formateur pour affronter la réalité et l’isolement. Face à cette situation angoissante produite par l’inconnu du métier, il peut se dépasser et réagir en cherchant des repères identificatoires auprès des formateurs (reconnus comme figures parentales aimées, aimantes et protectrices, par le processus du transfert), ou des réponses dans ses souvenirs d’écolier ou bien encore dans les livres et ses fiches de préparation. Il peut sublimer son angoisse dans le travail de préparation à cette situation afin de réussir, d’être créatif, l’angoisse devient alors stimulante et permet l’évolution.

Jocelyne Chartier émet l’hypothèse que le professeur en formation, lors des stages en responsabilité, se retrouve face à des situations déstabilisantes plus ou moins traumatisantes vécues dans l’enfance. Il doit surmonter ses angoisses pour grandir et se construire. Elle souligne enfin que l’angoisse étant constitutive de la formation, il faudrait qu’elle soit reconnue par les formateurs eux-mêmes et par l’Institution afin d’être exprimée et sublimée.

Commentaire :

A- Ayant personnellement vécu cette formation de deux ans en IUFM pour devenir Professeur des Ecoles, il y a aujourd’hui huit ans, j’ai trouvé, des explications et des approches qui m’ont permis d’avoir un autre regard sur celle-ci. Au fil des pages, je me suis plus ou moins reconnue dans les propos des interviewés. J’ai ainsi pu me replonger dans l’ambiance de préparation du concours de la première année d’une part et dans la formation professionnelle de la deuxième année d’autre part. Il est intéressant d’avoir une approche clinique d’orientation psychanalytique de la formation des futurs enseignants car elle peut éclairer l’angoisse, le malaise et les comportements qui en résultent. 

B- Etudiante en Maîtrise Sciences de l’Education, je me destine à devenir professeur des écoles, aussi la lecture de cette recherche fut très enrichissante et elle m’a permis d’en savoir plus sur les dynamiques en action lors de la formation initiale à l’IUFM. Il est vrai que la première année de préparation au concours et l’accès à la deuxième année est un enjeu majeur à mes yeux que je me dois de réussir. Pendant cette année d’étude, mon seul objectif sera la réussite au concours pour ensuite suivre la formation à la professionnalisation au métier d’enseignement. Il est vrai que la peur de l’échec à ce concours est sous-jacente mais la motivation et mes études antérieures me rassurent et m’encourage dans cette direction.

En partant de ce constat, Louis-Marie Bossard tente d’expliquer l’origine de cette plainte dans « la crise identitaire » vécue par les futurs professeurs. Cet état de crise identitaire professionnelle se caractérise par des propos où satisfaction et insatisfaction sont présentes simultanément. Tout débutant dans une profession ressent une menace face à cet inconnu et subit un processus d’intégration institutionnelle qui se traduit par un moment de crise. La prise de fonction de l’enseignant correspond à une rupture, un changement brusque supposant un temps d’entre-deux. Celle-ci implique de nombreux changements ayant trait)au statut (élève vers professeur), aux relations sociales et à la perception de soi (construction de l’identité). La crise est liée aux ruptures provoquées par le changement vécu comme un état de déséquilibre et d’incertitude et où les capacités d’adaptation sont débordées. Le changement est alors synonyme de perte de repères et génère des sentiments d’insécurité, d’anxiété et de peur. Mais si ce passage obligé est semé d’embûches, toute crise identitaire permet de progresser, de s’adapter à une situation nouvelle et est suivie d’un apaisement où le sujet est assuré de se réaliser pleinement. Simultanément alors, la crise est source d’une redéfinition des repères pour retrouver du sens et permettre la survie. Si toute activité professionnelle impose au débutant une adaptation à de nouveaux repères, celle-ci est d’autant plus difficile pour l’enseignant que sa formation et son vécu d’élève lui donnent l’illusion d’une continuité entre les deux situations, car pour lui, il reste à l’école. La désillusion est donc encore plus mal vécue car n’ayant pas reconnue cette discontinuité, il ne s’est pas préparé à cette crise identitaire. Si l’identité évolue par crises successives, il n’en demeure pas moins une certaine permanence, une stabilité de l’être, qui atteste de l’intégrité personnelle et sécurise l’individu dans une continuité. C’est donc par la crise que vit l’enseignant lors de sa formation qu’il devient un enseignant car il doit modifier sa perception de l’école et se détacher de ses repères passés pour assumer son nouveau statut ( phases de déconstruction  puis de reconstruction) .

Ainsi, Louis-Marie Bossard met en évidence les stratégies individuelles des étudiants pour construire leur identité professionnelle, c’est-à-dire pour passer du statut d’étudiant à celui d’enseignant. Il a pris le parti d’analyser les entretiens sous l’angle psychanalytique pour expliquer les difficultés d’expression de trois étudiantes, professeurs des lycées et des collèges en première année de formation.

Les stratégies identitaires mises en œuvre sont différentes selon les étudiantes.

· Anne attaque, rejette la formation et se défend pour se protéger d’un environnement menaçant car différent. Elle se démarque de ses pairs considérés comme des inactifs face à la formation pour se valoriser mais cela trahit également un grand sentiment de solitude et de recherche d’elle-même. Par le mécanisme de clivage et la projection sur autrui, elle se protège et se construit les repères qui lui manquaient. Parallèlement, elle se positionne en victime impuissante, persécutée par la formation pour se déculpabiliser et réparer ses attaques et donc retrouver un apaisement tout en se prémunissant d’une rétorsion. Ainsi, la situation de formation réactualise les clivages antérieurs qui s’expriment par les attaques, la différenciation de ses pairs et les sentiments de culpabilité. Elle projette aussi sur les formateurs les revendications qu’elle avait contre ses propres parents.

· Cathy, quant à elle, préfère la soumission à l’attaque car la formation lui donne un cadre rassurant ; elle se positionne donc en tant qu’élève et se prépare volontiers au concours car après elle sera confrontée au changement qu’implique celui-ci : assumer le statut d’enseignante. Elle repousse dans le temps le changement de statut qui lui fait peur et exprime sa déception de la formation qui ne prépare pas suffisamment à ce passage obligé. La formation est vécue comme paradoxale dans bien des domaines : Cathy oppose la préparation au concours et la préparation au métier, la théorie et la pratique ; elle exprime à la fois son impatience de passer le concours pour accéder à un autre statut et une certaine angoisse face à cet avenir  inconnu. A la fois, elle veut grandir, évoluer et à la fois cela lui fait peur de devoir abandonner ses repères familiers. Elle s’est soumise à la formation ce qui atteste qu’elle s’est engagée dans un processus de changement, mais qui est pour elle culpabilisant. Elle se positionne donc en victime de la formation et exprime sa déception. Si elle se remet en cause par le désir de changement, elle est impatiente de retrouver un équilibre pour restaurer l’image qu’elle a d’elle-même.

· Virginie est déçue par la formation en regard de l’idéal qu’elle se faisait de l’enseignant, du formateur en l’occurrence. Elle s’identifie alors en utilisant l’opposition : cette stratégie correspond à une identification réactionnelle. Pour préserver son idéal, elle refuse un certain modèle, elle s’affirme donc et construit son identité. Cela révèle qu’elle veut régler ses comptes avec son passé d’élève et surtout qu’elle souhaite faire changer l’école en tendant vers une image idéale de l’enseignant (sentiment de toute puissance) même si elle admet que cette une quête peut-être utopique. Ne sachant pas à quelle place se situer, elle choisit la fuite dans l’idéal pour se procurer des points de repères absents de cette nouvelle situation angoissante.

La crise identitaire dans les trois entretiens est gérée par des stratégies différentes : l’attaque, la soumission et la fuite mais le malaise face au manque de repères, les reproches, la déception, la position de victime justifiant les reproches pour s’affranchir de toute culpabilité sont des stratégies communes.

Commentaires :

 

A- Le métier d’enseignant est un métier dangereux voire impossible selon Freud, car l’adaptation à cette activité professionnelle se déroule de manière différente des autres. En effet, la formation et le vécu d’élève du futur enseignant sont autant de pièges et de modèles idéaux à dépasser car ils lui donnent l’impression d’une continuité qui n’en est pas une. Ainsi le futur enseignant n’est pas préparé à cette crise de repères ce qui provoque chez lui une crise identitaire professionnelle.

Pour ma part, lors de ma préparation à mon concours, je me suis positionnée comme Cathy, en élève et en me soumettant à ma formation car cette position d’étudiante me rassurait et se révélait être dans la continuité de mes études universitaires. Le but de cette première année de formation étant la réussite au concours, je ne me suis pas opposée à celle-ci, mais tout au contraire fondue aux attentes des formateurs. J’ai été plus que satisfaite de cette formation car elle m’a permise d’être sensibilisée, initiée au métier d’enseignant grâce aux stages et de découvrir la pédagogie, la didactique, c’est-à-dire l’envers du décor des cours magistraux. Lors de ma deuxième année de formation, j’ai ressenti un grand malaise dans le sens où tous mes repères s’avéraient faux. J’éprouvais du ressentiment et une grande déception envers les formateurs qui jusqu’alors m’avaient bercée d’illusions quant à la représentation de l’enseignant idéal.

 

B- Je perçois l’entrée à l’IUFM comme le départ de la vie professionnelle, où l’espoir, l’envie et la motivation habitent les étudiants. C’est un lieu nouveau, avec de nouveaux savoirs, enseignés par des professionnels, aussi je suis consciente qu’il va y avoir un changement avec l’université mais en saisir toutes les dimensions est impossible pour moi. Je reste alors très avide de ce changement, de cette professionnalisation et je ne peux m’empêcher d’en espérer beaucoup, solution miracle ou révélation pour devenir le professeur idéal de mon CE1. Je suis maintenant consciente que c’est sur le terrain que l’on apprend et que l’on se forme.

 

Jean-Luc Rinaudo, quant à lui, tente de définir « l’espace psychique de formation » intervenant dans la construction de l’identité de l’apprenti-enseignant. Ainsi, il relie les propos des formés à propos de leur transformation vécue et l’espace de formation « au sens d’espace vécu éprouvé, et non pas d’espace organisé ».En fait, cet espace de formation est un espace en mouvement où co-existent et interagissent « le psychisme interne du sujet… et la réalité externe de la formation » L’auteur s’appuie sur la théorie de Mélanie Klein, concernant la construction de la pensée chez le bébé à partir des expériences émotionnelles de frustration, pour expliquer les difficultés des formés à exprimer leurs attentes alors même qu’ils ont un regard critique sur la formation. N’ayant pas eu l’expérience première du « terrain » par l’observation concrète d’un enseignant formateur, se trouvant dans l’incapacité d’exprimer véritablement leurs attentes face à un espace de formation insaisissable et mouvant, les formés font face à une double frustration. La construction de l’espace psychique des futurs enseignants ne s’accomplit qu’avec un sentiment d’ « inquiétante étrangeté » puisque l’espace familier sur lequel ils s’appuyaient se révèle  être une illusion lorsqu’ils prennent leur fonction.

· Lorsque la frustration face à la formation n’est pas tolérée et fuie, cela engendre une représentation morcelée, éclatée, infinie et inorganisée de l’espace de formation qui est alors rejeté comme un mauvais objet. Le formé ne ressent que la complexité et l’infini de cet espace indéfini. En revanche, lorsque cette frustration est gérée, elle permet la construction d’un espace psychique de formation organisé, ponctué d’épreuves à réussir afin de découvrir une nouvelle identité. Ceci renvoie au mythe du labyrinthe où l’espace est présenté par différents chemins dont on ne sait par avance où ils conduisent, mais qui sont reliés. La construction identitaire est à ce propos soumise au changement, au mouvement, à l’inconnu et à des épreuves de passage correspondant à un parcours initiatique où le formateur ne peut-être qu’accompagnateur mais absolument pas acteur. Cet espace psychique de formation est vécu comme un espace d’entre-deux.

Si se former c’est se transformer, alors la frustration est nécessaire à la construction d’un espace psychique autorisant la pensée. Cela se traduit forcément par la plainte et l’insatisfaction des formés. La satisfaction totale du formé face à la formation ne permettrait pas à celui-ci de se former, de se transformer et donc elle deviendrait inutile, enfermante, interdisant tout processus de transformation identitaire.

Commentaire :

 

A -Même si l’angoisse du concours en première année de formation était présente, la formation s’est révélée très intéressante car elle me permettait de rencontrer d’autres étudiants dans un lieu porteur pour réviser, s’entraîner, partager des points de vue différents et se motiver mutuellement.

Mais, lors de la deuxième année de formation,  le changement entre le statut d’élève qu’on me demandait encore d’avoir pendant les cours à l’IUFM et celui d’enseignante, lors des stages en responsabilité, était trop brutal. La formation en elle-même était contradictoire : d’un côté on m’infantilisait et d’un autre côté, on me demandait de grandir et d’évoluer pour assumer ma profession. D’un sentiment de toute puissance du professeur que je me représentais lors de ma scolarité, je suis passée à un sentiment d’impuissance face à la réalité du métier. La frustration était à son paroxysme.

 

Si Jean-Luc Rinaudo s’intéresse à l’espace psychique de formation, Betty Toux-Alavoine propose d’analyser « le temps de formation » et surtout celui du passage entre la position d’élève à celle d’enseignant. Le temps de formation est également vécu comme un temps d’entre-deux, de crise, où il est nécessaire de faire le deuil du temps passé pour se consacrer au temps présent de formation et construire le temps futur. Ainsi, le formé doit renoncer progressivement à ses repères identificatoires issus de son passé scolaire car ils ne peuvent être qu’handicapants et enfermants. La gestion du temps par l’Institution est critiquée par les formés qui pensent manquer de temps ou perdre leur temps ; leur malaise s’exprime par le désir de voir passer le temps plus vite, ceci témoignant de leur difficulté à construire leur nouvelle identité professionnelle lors de ce temps de formation. D’une part, les formés souhaiteraient faire l’économie de ce temps de passage, après coup, pour que la formation soit davantage efficace et d’autre part, ils demanderaient plus d’éléments de savoir en lien avec le passé pour entrer dans le métier, pour être dans l’illusion d’une garantie sur cet avenir inquiétant. A travers cette critique, les formés ne demandent qu’à être accompagnés, lors de cet entre-deux, par les formateurs pour dépasser ce temps de crise identitaire comparable à un temps d’adolescence, mais dans le cadre professionnel, avec la nécessité d’intégrer cs dimensions nouvelles et étrangères en eux. Pour cela, les formateurs se doivent de renoncer à leur toute puissance et au poids de leur « propre idéal quasi parental » qu’ils font peser sur les formés pour leur donner la chance de se construire une véritable identité professionnelle souple et dynamique.

 

Tous ces chercheurs s’attachent à expliquer la complexité de la construction de l’identité de l’apprenti-enseignant. En effet, lors de la formation, cet aspect de construction de l’identité professionnelle n’est pas considéré et ce temps d’entre-deux, correspondant au passage du statut d’étudiant à celui d’enseignant, est le temps de la formation comme le souligne Claudine Blanchard-Laville. Cet espace et ce temps d’entre-deux remettent en question « le compromis identificatoire » établi dans l’enfance du formé et réveillent la peur du changement et de l’inconnu.

Commentaire :    

 

A- Dans les années qui ont suivi ma prise de fonction, j’ai participé à la formation continue, ce qui était, pour le temps d’un stage, l’opportunité de redevenir une étudiante et d’échanger avec d’autres enseignants nos expériences. J’étais très avide de cette formation continue car si dans ma pratique professionnelle quotidienne, j’étais amenée à résoudre une kyrielle de problèmes et à m’adapter sans cesse à de nouvelles situations, j’avais besoin d’être rassurée sur mon action pédagogique et de partager avec d’autres mes difficultés. En fait, lors de ma formation initiale, je n’ai pas eu la chance de participer à des groupes d’analyse de pratiques car cela n’était pas encore au programme de celle-ci mais la formation  sur deux années m’a permise de rencontrer dans un même lieu qu’est l’IUFM, des étudiants de première année, des professeurs stagiaires de deuxième année ainsi que des professeurs  en fonction en formation continue, ce qui a été plus qu’enrichissant sans que cela soit officiel. Il est certain que la formation initiale des enseignants se déroule dans un laps de temps très court, trop court à mon goût, car il est nécessaire de dépasser cette crise identitaire professionnelle et d’être entouré à ce moment précis de la formation, or il n’en est rien.

 

Enfin, Suzanne Nadot analyse le passage « des savoirs à la pratique » et montre la rupture qui existe entre la première année de formation, principalement consacrée à la préparation au concours, et la deuxième année de formation beaucoup plus professionnalisante. Elle s’attache à comprendre la genèse de l’acquisition d’une pratique professionnelle et son rapport avec les savoirs théoriques. La situation de concours implique que l’étudiant atteste de son acquisition de connaissances tandis que la situation de pratique professionnelle entraîne que l’enseignant transmette ses connaissances à des élèves. Ces deux situations vécues sur deux années consécutives sont en rupture car la réussite au concours ne garantit pas la capacité à enseigner. Les besoins exprimés par les formés restent contradictoires durant la deuxième année de formation ; en effet, certains préfèrent les grandes idées, la théorie alors que d’autres ne veulent que des recettes, de la pratique.

Ainsi, il existe plusieurs manières d’acquérir la pratique professionnelle :

· apprendre en écoutant dire : le formé écoute le discours d’un praticien expert sur l’action qui se caractérise par le témoignage d’un savoir-faire.

· apprendre en voyant faire : le formé observe le praticien expert agir dans sa classe et le mécanisme d’identification s’opère en le prenant comme modèle.

· apprendre en disant : cela correspond à un temps d’échange et de réflexion entre les formés sur leur vécu pendant les séances d’analyse des pratiques, c’est-à-dire à une activité de méta-cognition.

· apprendre en faisant : le formé agit, expérimente et découvre par lui-même tout en tirant profit de ses erreurs ce qui implique que l’action est suivie d’une réflexion en différée.

L’action est reconnue comme « extraordinairement formatrice » par tous les formés ce qui implique pour ceux-ci de se résigner à pratiquer dans l’imperfection. Dans les reproches faits à la formation, l’utilité des savoirs est souvent abordée par les formés. En effet, les formés constatent les contradictions, les écarts entre ce qui est dit à l’IUFM et ce qui est dit ou fait dans la pratique ce qui entraîne un discrédit des savoirs dispensés par les formateurs et hypothèque du même coup toute tentative d’action en ce sens. Si la vérité ne sort pas de la bouche des formateurs, sur qui le formé peut s’appuyer, à quoi le formé peut-il se référer ? L’exigence de vérité est prégnante chez les formés car elle est sécurisante dans un univers où les repères sont absents. En fait, le rapport entre savoir et apprentissage ne résulte pas d’une logique positiviste car les savoirs évoluent, l’action est complexe et variable et de plus, la dimension subjective de l’intégration des savoirs et la perception des situations sont non négligeables. Par ailleurs, la demande des formés sur les savoirs dispensés se teinte d’une exigence de contextualisation (cas concret explicité par le praticien) ou au contraire de décontextualisation (savoir universitaire général). Ces deux conceptions de l’apprentissage du métier s’excluent mutuellement, l’une s’appuyant sur l’acquisition d’une bonne maîtrise de gestes, d’actions, l’autre consistant en l’acquisition d’outils méthodologiques et conceptuels pour s’adapter en permanence à la situation. De plus, la compétence indispensable aux yeux des formés et préalable à toute compétence didactique qui n'est pas, selon eux, suffisamment au programme de la formation, est la maîtrise de la relation pédagogique, notamment à travers la gestion de la classe. Enfin, le système de validation de la deuxième année de formation est particulièrement mal vécu par les formés, car jugé infantilisant, incohérent, injustifié, voire déstabilisant. L’évaluation de la pratique professionnelle entraîne ou non la titularisation du professeur stagiaire, mais la pratique professionnelle demeure en construction, elle est donc par définition imparfaite. En outre, elle n’a pas fait l’objet d’une véritable formation, donc l’évaluation n’a pas lieu d’être, les formés attendent plus une aide, un conseil constructif qu’un jugement plus ou moins destructeur à ce moment précis de la formation. L’évaluation porte alors non pas sur la communication des savoirs mais sur les effets de l’action dans la classe.

L’acquisition d’un savoir professionnel apparaît difficile aux professeurs stagiaires car elle implique la transformation de savoirs prédicatifs en savoirs opératoires. En effet, si les savoirs transmis par les formateurs ont un caractère plus déclaratif que procédural, ceci pourrait être un obstacle à leur transformation en savoirs engendrant l’action. D’où l’intérêt des professeurs stagiaires pour le discours des formateurs praticiens experts, beaucoup plus proche de la pratique, de la réalité du métier. Les formateurs praticiens experts eux-mêmes reconnaissant volontiers qu’il leur est difficile d’élaborer un discours sur leur pratique, il est possible d’imaginer la difficulté des formés à transformer ces propos en action. Un autre obstacle serait l’ordre dans lequel les savoirs sont transmis sachant que certains seraient préalables à d’autres, ce qui renvoie également à une certaine subjectivité. Enfin, la réussite de l’action ne réside pas dans l’exhaustivité d’une préparation mais plutôt à l’aptitude d’adaptation permanente du professeur face à une situation particulière.

 

Commentaire :

A- C’est en me confrontant à la réalité de la classe, en pratiquant et en regardant pratiquer l’enseignant expert et expérimenté que j’ai pu construire mes nouveaux repères et apprendre réellement mon métier. C’est par l’identification à l’enseignant expert et expérimenté qui m’accueillait dans sa classe et par mon implication à travers l’action que j’ai le plus appris. La formation était déroutante car la théorie divulguée pendant les cours ne correspondait pas ou plus à la réalité du terrain. Les formateurs se présentaient toujours comme sachant « la vérité » comme lors de ma préparation au concours ce qui à l’époque me contentait, mais au cours de ma deuxième année de formation, confrontée à la réalité du métier, j’étais obligé d’admettre que leur vérité n’était plus la mienne. Si j’appréciais plus les IMF (Instituteurs-Maîtres-Formateurs), c’est qu’ils me donnaient eux « la vérité du terrain » et qu’ils admettaient encore apprendre leur métier chaque jour avec beaucoup d’humilité.

 

B- Cette analyse « des savoirs à la pratique » fut très révélatrice pour moi car j’ai choisi de faire une note de recherche sur ce sujet dans le cadre de ma Maîtrise. Il est vrai qu’à mes yeux il existait des solutions miracles et des réponses claires et précises pour transmettre des savoirs mais à la lecture de cette recherche je me suis bien rendu compte qu’en pratique c’était beaucoup moins simple. Se professionnaliser passe inévitablement par la pratique même si la théorie est aussi très importante. Ce chapitre m’a donc donné envie d’approfondir la question du rapport entre la théorie et la pratique et plus particulièrement en situation de professionnalisation au métier d’enseignant. Comprendre quel est le rapport au savoir et comment s’initie la professionnalisation via les savoirs théoriques et les savoirs pratiques des stagiaires en formation initiale et continue est un sujet passionnant à mes yeux qui pourra peut-être apporter des réponses à mes questions.

 

C’est d’un point de vue sociologique que Michèle Ayraud et Pascal Guibert proposent d’analyser les « constructions identitaires » des apprentis-enseignants en s’appuyant sur les travaux de Max Weber concernant les idéaux-types (à dominante spatiale ou à dominante temporelle) et ceux de Pierre Bourdieu sur la construction de l’habitus (où le temps est déterminant pour son inculcation et son intériorisation) .

Dans la perspective de Max Weber, l’identité du formé se construit en référence à l’espace à travers la relation à autrui et grâce à la reconnaissance de soi par autrui : en effet, l’échange, la confrontation, l’interaction grâce aux groupes de discussions sont indispensables. L’identité professionnelle est non seulement une construction individuelle mais aussi collective.

En référence aux idéaux-types de Max Weber, nous pouvons dégager des attitudes caractéristiques face à la formation :

· si le formé est centré sur lui-même (« le temporel »), il construira son identité professionnelle en référence à son identité personnelle, à sa propre histoire et se projettera dans l’avenir dans la continuité de ce qu’il est et connaît. Mais il rejettera l’échange et l’interaction et se valorisera dans le sens d’une véritable réflexion sur son expérience. La formation est alors dédramatisée puisque la construction de l’identité professionnelle dépend de la construction personnelle établie dans le temps.

· si le formé est centré sur les relations à autrui (« le spatial »), il construira son identité professionnelle en référence à l’espace, à son environnement sur lequel il s’appuie et recherche une reconnaissance. Mais il rejettera l’expérience personnelle, la théorie pour valoriser les valeurs collectives, le travail en équipe, l’apprentissage « sur le tas ». La formation est alors investie de fantasmes, d’attentes impossibles à satisfaire puisque le rapport au temps est dénié et que la prise de fonction est dramatisée dans le sens où le formé va se retrouver seul, sans appui ce qui sera source d’angoisse.

En ne privilégiant qu’un axe temporel ou spatial, chaque idéal type révèle un manque pour construire une identité professionnelle. En effet, le « temporel » devra prendre en compte la nécessité de s’insérer dans l’espace social, tandis que le « spatial » devra comprendre l’importance d’une histoire personnelle cohérente.

Ainsi comme l’affirme Claude Dubar, la construction identitaire est « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui conjointement construisent les individus et définissent les institutions ». Ainsi, les formés souhaiteraient par-dessus tout la reconnaissance de leur appartenance au corps enseignant par l’ensemble des professeurs d’une part et la certification de leurs compétences par l’Institution d’autre part. Le concours de recrutement ne serait pas suffisamment efficace symboliquement en terme de rite de passage vers la vie professionnelle car la crise identitaire est encore très présente en deuxième année de formation d’autant que les repères demeurent aujourd’hui plus que jamais flous.

 

Commentaire :

A -Si le formateur en IUFM détient la vérité, il n’autorise pas l’erreur du professeur stagiaire, son savoir étant scientifique et universitaire, alors que l’IMF la lui permet. De plus, l’évaluation des stages était réalisée par les formateurs de l’IUFM qui nous demandaient des compétences et des savoir-faire non enseignés, non explicités ou irréalisables sur l’instant, ce qui ne justifiaient pas leur jugement parfois dévastateur sur le professeur stagiaire.

Lors de ma prise de fonction, la pratique du métier a été plus qu’enrichissante car  j’étais enthousiasmée par les nouvelles possibilités que j’avais de transmettre mes connaissances. Même si j’avais des projets plein la tête, j’ai dû les adapter aux desiderata de mes collègues pour entretenir une certaine cohésion dans l’école. Il est vrai que de nombreux collègues étaient réticents, voir agressifs à l’idée de changer un iota de leur programme même si les nouveaux textes officiels le stipulaient (pour exemple : l’enseignement des langues étrangères dès le CE1). Si à l’époque, j’éprouvais une certaine déception face à ces enseignants qui avaient de l’ancienneté et si je leur attribuais de la mauvaise volonté ou une certaine rigidité intellectuelle, aujourd’hui je commence à comprendre leurs motivations beaucoup plus profondes. Les idées nouvelles que la jeune professeur des écoles voulait mettre en œuvre les dérangeaient dans leur routine. Il m’a alors été difficile de répondre à la fois aux exigences de l’Institution et de l’Inspecteur de l’Education Nationale et à la fois au désir de ne rien changer de mes collègues. Si durant ma formation initiale, le formateur expert et expérimenté m’est apparu comme le plus apte à participer à ma formation professionnelle, car il était en fonction dans sa classe, je n’ai pas pu compter sur le soutien de tous mes collègues ayant de l’ancienneté lors de ma prise de fonction effective. En effet, si le maître expert et expérimenté se présentait comme un modèle à suivre lors de ma formation initiale, il n’en était pas de même pour tous les instituteurs avec de l’ancienneté qui souhaitaient seulement exercer leur métier, et rien que leur métier, en gardant pour eux leur expérience qu’ils avaient difficilement acquise. Une fois encore, mes repères identificatoires et mes représentations antérieurs, tout juste construits, ont été mis à rude épreuve. Heureusement, j’ai été entourée par des conseillers pédagogiques, tout au long de ma première année de prise de fonction, qui ne se plaçaient pas en tant que juges mais en tant qu’aides, conseillers et tuteurs. Cela m’a été très bénéfique. J’ai ainsi découvert la fonction de conseiller pédagogique qui m’a permis de restaurer certaines de mes représentations concernant les formateurs.

 

Pour conclure, Christiane Perdon dans sa « lettre ouverte aux enseignants et formateurs » nous offre le témoignage de son propre vécu professionnel, très varié au regard de ses différentes fonctions occupées au sein de l’Education Nationale. Elle reste optimiste même si chaque poste occupé a posé problème et qu’elle a dû se remettre en question au niveau identitaire à chaque fois pour le résoudre. Cela lui a permis de prendre conscience que « ces changements s’accompagnaient d’états d’inquiétude et d’enthousiasme mêlés ». Sa grande découverte a été l’importante ingratitude de la fonction de formateur. Il lui est apparu nécessaire de comprendre l’insatisfaction des stagiaires et de renoncer à sa toute puissance car il était alors impossible d’adapter la formation aux demandes contradictoires de ceux-ci. La véritable mission du formateur n’étant donc plus de réduire l’insatisfaction des formés mais de les aider à construire leur identité professionnelle, elle ne se remettait plus en question de manière systématique.

 

Commentaire :

A- Après quatre ans de fonction, je me suis investie dans la formation initiale des jeunes professeurs stagiaires en tant que Maître de Réseau afin de les accueillir dans ma classe. Ces stagiaires se plaignaient de leur formation initiale et me prenaient à témoin en se confiant à moi. Si je n’ai jamais exprimé mon point de vue à ces stagiaires faisant partie de la formation moi-même, je recevais leurs reproches et leurs angoisses en montrant une certaine empathie, car cela réveillait en moi des sentiments du passé que j’avais jusqu’alors plus ou moins oubliés. Aussi, je tentais de les rassurer par rapport au concours et leur prise de fonction. Les stagiaires souhaitaient sans doute que j’en réfère à l’IUFM mais je ne l’ai pas fait car je pensais que ce n’était pas mon rôle et que chaque formateur devait respecter le travail des autres formateurs. Mais aujourd’hui, je comprends mieux leurs doléances et surtout le malaise que j’avais ressenti alors face à ces reproches, car ils résonnaient étrangement en moi en me rappelant des souvenirs désagréables et des sentiments plus ou moins refoulés. Les relations avec les stagiaires étaient très bonnes car je restais le plus possible à leur écoute, ce qui était gérable ayant seulement deux stagiaires à la fois. Cela était aussi facilité par le fait que je ne les évaluais pas réellement et que je me positionnais comme une aide ou comme un modèle à un moment donné de leur formation initiale. Ceci était très valorisant pour moi, car ainsi je trouvais enfin la reconnaissance, à travers les stagiaires que j’accueillais, que je n’avais pas encore réellement obtenue par les élèves, les parents d’élèves, les collègues ou bien encore par l’Institution.

A travers mon parcours au sein de l’Education Nationale, je prends également conscience que l’identité professionnelle est, pour moi, une quête constante vers un idéal afin de réparer, de restaurer mes repères identificatoires et que la construction de celle-ci me demande d’évoluer, me pousse à changer ces repères pour les remplacer par d’autres. Cette lutte est tout à la fois inquiétante et enthousiasmante mais elle me permet de progresser.

En définitive, j’ose espérer que la formation initiale des futurs enseignants et que la formation continue vont évoluer dans le sens d’une reconnaissance de l’existence de l’inconscient dans la classe, de la prise en compte du groupe classe comme entité particulière, de la réalité relationnelle de la pédagogie, de la nécessité de l’analyse de pratiques, d’un soutien pour le travail en équipe, d’une gestion du dialogue avec les familles afin de ne pas laisser les professeurs stagiaires démunis face à la réalité du métier d’enseignant. Il faut également souhaiter que la formation leur permette de se positionner en tant qu’adultes face aux élèves, malgré le manque de repères, afin qu’ils dépassent la phase d’adolescence professionnelle et qu’elle ne se prolonge pas infiniment d’une part, et qu’ils se construisent une identité professionnelle et personnelle en grandissant psychiquement au niveau professionnel.

 

B- Etant encore étudiante et désirant devenir professeur des écoles, cette recherche fut très intéressante pour appréhender les différentes dynamiques en jeu lors de la formation à l’IUFM. Cependant il me reste à vivre cette formation et à me professionnaliser pour devenir professeur des écoles. Je suis consciente que des remises en question jalonneront cette formation mais aussi tout mon vécu professionnel. J’attends, car il est normal d’avoir des attentes, de la formation à l’IUFM certaines réponses et solutions au métier de l’enseignement, même si je sais que c’est sur le terrain que l’on se forme le mieux et au plus juste à la réalité qu’est la transmission de savoirs à des enfants. J’essaie tout de même de prendre du recul face à cette recherche car chaque personne est différente et a son expérience et son vécu. Elle me permet de comprendre certains enjeux, certaines dynamiques inconscientes mais surtout que c’est une expérience à vivre pleinement et qu’il ne faut pas avoir peur d’être perdu à certains moments car c’est le risque à prendre pour se trouver son identité professionnelle.