Aujourd’hui, c’est la troisième séance du parcours «apprenti
chercheur». Lors des deux premières séances, j’ai présenté
aux élèves le thème de cette sortie: «la forêt
tempérée et ses habitants».
Cela recouvre des notions déjà vues rapidement dans le
programme de sixième en Géographie et de façon plus
approfondie en SVT.
J’ai sensibilisé les élèves à un aspect
particulier de la forêt tempérée: la vie du cerf, et
ce grâce à la projection d’un film, puis ils ont effectué
des recherches personnelles. Ainsi chaque élève a pris connaissance,
bien sûr de façon encore incomplète, des autres animaux
de la forêt.
Cette séance revêt un caractère particulier. Elle
se déroule en effet à l’extérieur de la traditionnelle
salle de classe, puisque, avec ma collègue, nous avons décidé
d’emmener nos élèves des deux groupes «apprenti chercheur»dans
l’espace naturel de la forêt de Rambouillet.
Là, ils vont pouvoir expérimenter et vérifier de
visu les données recueillies lors des recherches dans les livres
ou sur CDRom. Inutile de préciser que cette sortie annoncée
lors de la présentation des parcours aux élèves, et
qui précédait leur choix, est attendue avec impatience !
Bien qu’à nous deux nous connaissions tous les élèves
de nos groupes, puisque nous les avons l’une ou l’autre en classes, nous
étions au début du parcours un peu inquiètes à
la perspective de les emmener en sortie et de les lâcher dans la
forêt. Certains d’entre eux sont un peu turbulents et on ne sait
jamais ce qui peut leur passer par la tête !
Certes, le risque d’un dérapage est limité, mais comme
nous allons évoluer dans une forêt, à l’air libre,
tout peut aller très vite. Cependant, aucune sortie de cet espace
n’est possible sans passer devant le personnel de l’ONF.
Un fait nous rassure. Nous avons pu tester leur sérieux lors
de la séance précédente. Cela, il est vrai, nous étonne
toujours un peu. Alors qu’en classe, très souvent, on ne peut relâcher
un instant notre attention, et que, malgré tout, il se trouve toujours
un élève qui tente une bêtise, en parcours, le petit
nombre leur donne un certain sens de la responsabilité. Ainsi, lors
de cette séance précédente, ils avaient pu aller d’une
salle de sciences à l’autre, et même dans la bibliothèque
du laboratoire seuls, sans surveillance, puisque nous étions occupées
avec les autres camarades.
Ils avaient accès, ce jour là, aux livres, aux magasines
scientifiques et aux illustrations, et ils l’ont fait sans qu’il soit nécessaire
d’intervenir. Dans le même temps, d’autres avaient dû se rendre
au CDI qui est situé à l’étage inférieur. Le
risque était grand. Certains ne connaissent pas le CDI et risquaient
donc de perdre du temps en recherches, alors que les spécialistes
de l’amusement risquaient, eux, de se perdre dans les couloirs. Nous avions
prévu cette éventualité puisque nous avions limité
le temps au CDI à un quart d’heure, et cela avait marché
!
Finalement, la sortie s’annonçait bien !
Nous avons fait le choix de ne leur demander aucun travail sur place.
Il n’y a pas de questionnaires. Cependant ils peuvent prendre des notes
librement sur un carnet s’ils le désirent. L’important est qu’ils
sont là pour voir, écouter, sentir. Il faut qu’ils ressentent
avant tout et qu’ils découvrent un monde que certains ne connaissent
qu’à travers la télévision.
Les groupes sont formés. Nous ne les imposons pas, mais nous
avons fixé leur nombre : cinq.
Les élèves peuvent constituer leur groupe, quitte à
en changer certains s’ils perturbent. De toute manière, un groupe
de six élèves perturbateurs est plus facile à gérer
dans la nature qu’un groupe de six élèves du même genre
dans une classe de trente. Les changements seront inutiles.
Malgré un temps médiocre, - il bruine -, les élèves
sont impatients de parcourir les sous-bois d’automne. Il fait frais, plus
qu’à Paris et, en plus, il faut leur donner les consignes, ce qui
se fait de façon un peu pénible car les inattentifs de service
sont impatients. Nous mettons cette impatience sur le compte de leur volonté
de découverte ! Ils doivent attendre car rien ne peut se faire de
sérieux sans avoir écouté les consignes. Voilà
une occasion de rappeler qu’en classe comme à l’extérieur,
une des clés du succès est l’écoute.
Les consignes sont simples : marcher le plus silencieusement possible
et essayer d’apercevoir les animaux.
Au départ, nous avions décidé avec ma collègue
que tous les adultes présents marcheraient à la tête
de chaque groupe. Il faut en effet guider les élèves. Mais
très rapidement, nous sommes «avalés» par les
jeunes et nous ne formons qu’un bloc à la recherche des cerfs, biches,
daims ou autres sangliers !
Comme les premiers animaux tardent à se montrer, une discussion
se met en place. Il faut les occuper ! Nous parlons de tout : travail en
classe, problèmes particuliers et personnels, centres d’intérêt.
Nous ne sommes plus qu’un membre du groupe, adulte certes, à qui
l’on confie ses angoisses ou à qui l’on dit ce que l’on pense, sans
crainte de se faire juger, sans peur d’une note. Certains se laissent un
peu aller, au niveau vocabulaire, mais nous les reprenons et ils se corrigent.
L’estrade est loin !
Ils nous proposent même des bonbons ou des chewing-gum, interdits
en classe et c’est l’occasion pour nous de faire un cours d’écologie
en expliquant l’interdiction de jeter les papiers et les chewing-gum dans
la nature.
Ils sont très étonnés de voir que des «vieux»
puissent connaître ou apprécier la musique ou les émissions
télévisées qu’ils aiment. Nous nous sentons plus jeunes
!
Ce moment de discussion, nous l’avons rarement en classe et pourtant
il est précieux. En effet, comment consacrer un moment d’écoute
un peu important quand, en fin de cours, il faut remplir le cahier de textes,
préparer la salle pour le cours suivant et que des élèves
attendent dans le couloir en faisant du bruit ! Là, on a le temps.
Le parcours, c’est un peu ça: le temps de prendre son temps !
Mais il faut travailler ! Une des activités prévues est
la prise d’empreintes de pas d’animaux. Il faudra plus tard les reconnaître,
mais en attendant, il faut faire des moulages. On se salit, mais personne
ne rechigne. Tous veulent repartir avec la plus belle empreinte. Il faut
apprendre les gestes car ils manquent de dextérité et bien
sûr, c’est pour nous l’occasion de nous moquer gentiment de ceux
qui sont persuadés que les professeurs ne servent à rien
! Même cela se passe bien ! Ils réagissent en riant et sans
agressivité, alors qu’en classe, quand ils se trompent, ils acceptent
difficilement de se remettre en question. Encore une occasion de leur montrer
que, en corrigeant leurs fautes, un professeur ne les embête pas
mais au contraire les aide.
On travaille pour eux et non contre eux. Et puis, il y a ceux qui ne
travaillent pas proprement ou ont des difficultés et qui, ici, s’efforcent
de réaliser une belle empreinte; cela les valorise et nous insistons
nous aussi en espérant que cela les remotive à la longue.
Enfin, les premières biches arrivent et, au milieu d’elles, le
cerf dominant.
Les élèves ont pris connaissance, par le film, de l’organisation
du groupe d’animaux mais le nombre de femelles pour un seul mâle
les laisse sans voix ! Celle-ci revient vite quand le cerf se met à
bramer. L’hilarité est générale et aussitôt
se déclenche un mouvement vers les animaux : on veut voir de près
sans se rendre compte que ces animaux sont des bêtes sauvages et
peuvent être dérangés. Il faut retenir les enfants
et les questions fusent de tous côtés. Cela nous fait plaisir
et nous récompense de notre travail de préparation, mais
il faut les rappeler à l’ordre pour qu’ils se calment et restent
à l’écoute des autres animaux.
Ravis de leur première découverte, les enfants comprennent
la nécessité de se taire et se remettent rapidement en marche.
Puis c’est au tour des laies et des marcassins de se faire admirer.
Nous, nous avons plutôt la sensation de nous promener avec un troupeau
d’Obélix à la recherche de sangliers. Aussi, devons-nous
vite leur expliquer que les femelles risquent de charger et qu’ils doivent
absolument se calmer s’ils veulent terminer la visite dans de bonnes conditions.
Ils écoutent et la sortie se termine par un déjeuner dans
la forêt.
La semaine suivante, la séance débute par un bref bilan
de la sortie. Les élèves semblent tous avoir retenu quelques
données. Il reste à les mettre sur le papier sous forme de
panneaux. Ce passage à l’écriture et à la réalisation
concrète pose des problèmes à certains, car ils éprouvent
des difficultés en orthographe. Il faut alors se servir de leur
attitude positive pour les inciter à plus de sérieux dans
le passage à l’écrit. On leur montre que l’on a confiance
en leurs capacités et que l’on sait qu’ils sont capables de faire
ce qu’on leur demande et du mieux possible.
Il est également sympathique de constater qu’ils ne profitent
pas, de retour en classe, des moments privilégiés que l’on
a eus avec eux lors de la sortie pour se montrer trop familier.
Même si une relation différente émerge, dans le
sens où même les plus timides osent venir demander conseil,
et que certains réalisent que le professeur n’est pas là
que pour sanctionner, ils ont conscience des limites à ne pas dépasser.
Sylvie JALABERT (collège Gabriel FAURE, février 1999)
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