Les Tice sont-ils innovants ?

7 "alertes" pour l'efficacité des tice en éducation

extrait du colloque d'Autrans, janvier 2011, THOT Cursus - téléchargement en pdf

ou sur  http://www.cursus.edu/?module=document&uid=71606&type=1

 

Les TICE... Pour quoi faire ?

 

Dans un colloque organisé par le CREPUQ (Conférence des Recteurs et des Principaux des Universités du Québec) en 2008, Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication en éducation (Université de Montréal) dressait la chronologie de son propre usage des outils numériques dans le cadre de son travail d'enseignement.

 

Il pointait ainsi l'apparition de quelques outils majeurs qui ont influencé durablement les pratiques

enseignantes :

1984-85 : naissance des ordinateurs personnels

1991 : naissance du vidéoprojecteur

1993-94 : apparition du courriel et du logiciel de présentation PowerPoint

1997-98 : dépôts de documents sur Internet; apparition des chats et des forums

1998-99 : premiers cours en ligne, très vite suivis des dispositifs hybrides (mixant présence et distance)

Années 2000 : apparition des plateformes de gestion des contenus d'apprentissage (LMS) : WebCT en 1998, Moodle et Claroline en 2002...

2002 : apparition des podcasts (baladodiffusion); premiers doctorats encadrés entièrement en ligne.

 

L'essentiel des innovations techniques utilisées en éducation (qu'on appelle désormais au Québec

"technopédagogiques") est donc apparu dans les années 90 et 2000. Certes, le rythme d'adoption de ces outils ne fut pas partout aussi rapide, et T. Karsenti peut être considéré comme un enseignant technophile qui a fait des TICE le coeur de son métier. Mais il est probable que chacun de nous se reconnaîtra pour l'essentiel dans cette chronologie, éventuellement avec quelques années de décalage en fonction des outils considérés.

 

Mais les outils, si sophistiqués soient-ils, ne sont rien sans une intention pédagogique qui va donner sens à leur utilisation. Les années 90 ont été marquées par un enthousiasme technologique démesuré, qui s'illustrait dans un discours affirmant que la formation à distance allait révolutionner nos manières d'apprendre, que les institutions d'enseignement étaient condamnées à très court terme et qu'il fallait s'y préparer. La formation à distance et, plus largement, les technologies pour l'apprentissage, étaient alors conçues et promues par les informaticiens. Les principaux acteurs de la formation professionnelles investirent des millions dans le développement de produits de formation en ligne qui ne trouvèrent pas vraiment leur marché. Les Etats eux-aussi équipaient massivement leurs écoles en ordinateurs et logiciels faire radicalement progresser les élèves et les étudiants.

 

Les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances. Dès le début des années 2000, l'enthousiasme retomba. Et les professionnels des sciences de l'éducation firent alors entendre leur voix, pour affirmer avec force que l'apprentissage obéissait à des mécanismes complexes et qu'il ne suffisait pas de mettre à la disposition des apprenants des montagnes de ressources, fussent-elles médiatisées, pour en faire de savants...

 

Dès 2003, l'UNESCO mettait en garde les décideurs éducatifs du monde entier contre la tentation d'acheter des milliers d'ordinateurs sans former les enseignants non seulement à les utiliser, mais aussi à enseigner autrement; la même année, la revue Education Permanente organisait un colloque intitulé "La formation revisitée par les TIC", où étaient abordés les points qui demeurent encore aujourd'hui des sujets de réflexion majeurs.

 

Progressivement, les dispositifs de formation à distance s'assouplirent et s'humanisèrent. Les dispositifs hybrides se généralisèrent; et les outils numériques trouvèrent leur place dans la majorité des salles de classe et amphithéâtres. Ces dix années d'expérimentations et de recherche intensives nous ont apporté quelques points de repères essentiels, tant sur la manière dont les TICE peuvent apporter un réel bénéfice à l'enseignement et à l'apprentissage, que sur les freins qui persistent encore dans leur utilisation.

 

Ce que nous ont appris la recherche et les pratiques pédagogiques liées

aux TICE

Tentons maintenant de dresser la liste des "leçons apprises" par le biais de dix années de recherche et de pratiques intensives, que tout enseignant ou formateur ne saurait désormais ignorer.

 

TIC et enseignement

L'outil n'est ni "bon" ni "mauvais" en lui-même; sa valeur est entièrement soumise à l'intention

pédagogique de son utilisateur.

 

Les TICE favorisent un certain changement dans les manières d'enseigner. Elles permettent à celui qui le souhaite de " passer d'une pédagogie expositive à une pédagogie vraiment améliorée" (Karsenti) car elles rendent possible l'apprentissage expérientiel en classe ou à distance, le travail collaboratif, l'individualisation des apprentissages, la démarche réflexive et stratégique de l'apprenant sur ses modes d'apprentissage.

Autant de caractéristiques qui sont reconnues par les théoriciens des sciences de l'éducation comme

facilitatrices d'un apprentissage durable. Mais là encore, l'intention pédagogique prime et l'on peut tout à fait utiliser les TICE de manière traditionnelle, dans un souci d'enrichissement du stock de connaissances (ajouts de ressources complémentaires) plutôt que d'amélioration pédagogique.

 

Néanmoins, les acteurs éducatifs insistent tous sur l'importance de la dimension sociale de l'apprentissage, et les outils numériques de communication synchrones et asynchrones sont largement sollicités tant dans la formation à dstance au sens strict que dans les dispositifs de formation hybrides.

 

C'est la qualité des cours qui retient les étudiants engagés dans un parcours de formation tout à distance ou essentiellement à distance. Qualité des contenus bien sûr, mais aussi qualité pédagogique et qualité de la médiatisation. La médiatisation ici ne signifie pas l'emploi de dispositifs techniques complexes et coûteux, mais l'adaptation des modes de présentation des contenus et activités à la situation de distance, par

ordinateur interposé. La qualité des cours se mesure aussi au niveau d'intégration des interactions dans le processus d'apprentissage : interactions entre apprenants et enseignants, apprenants et tuteurs (le tuteur étant un acteur clé de la formation à distance), et entre apprenants eux-mêmes, au sein des communautés d'apprentissage.

 

On assiste d'ailleurs depuis quelques années à une simplification des outils de création de contenus en ligne. Ceci, sous l'impulsion des institutions éducatives plus que des prestataires spécialisés externes : une grande partie des produits de formation en ligne disponibles actuellement a été créée au sein-même des institutions éducatives, par des enseignants accompagnés des services techniques. Le mode de production "industriel" de création de contenus en ligne est certes retenu pour des productions techniquement complexes, mais n'a absolument pas fait disparaître les modes de production artisanaux plus conformes à la culture de travail enseignante.

 

Malgré tout, l'utilisation des TICE reste chronophage pour l'enseignant. Non seulement parce qu'il lui faut maîtriser des outils, scénariser ses séquences d'enseignement, interagir avec ses étudiants, mais aussi parce que modifier ses façons de faire et d'enseigner réclame du temps. C'est probablement ce temps-ci qui a jusqu'à maintenant été sous-estimé, mais nombre de responsables technopédagogiques dans les institutions d'enseignement soulignent le fait qu'il faut procéder par étape, qu'il ne faut pas exiger des enseignants qu'ils changent du tout au tout leurs méthodes et supports de cours, et surtout qu'ils doivent franchir le pas volontairement, avec un certain degré de liberté.

 

TICE et apprenants

L'utilisation des TICE nous a également appris un certain nombre de choses sur les apprenants :

Les élèves et étudiants baignent dans les médias et les outils numériques. Ils sont désormais moins sensibles au texte qu'à l'image.

 

Ils maîtrisent bien les outils, mais moins bien les savoirs. Les enseignants pour leur part maîtrisent bien les savoirs, mais moins bien (pour le moment...) les outils. Les apprenants ne mettent pas en cause l'autorité de l'enseignant sur les savoirs; en revanche, ils admettent difficilement qu'un enseignant estime nécessaire de leur apprendre à utiliser un outil aussi commun qu'un moteur de recherche ou une application de montage vidéo.

 

Les apprenants ont besoin d'améliorer leurs compétences informationnelles. la plupart des universités et écoles supérieures proposent désormais des modules spécialisés. Dans l'enseignement secondaire, ces compétences sont évaluées au travers du B2I Collège et du B2I Lycée, avec plus ou moins de succès.

 

D'autres caractéristiques de ceux que l'on regroupe sous le terme générique de "génération Y" , telles que l'intolérance au délai, le goût exclusif pour une information simplifiée et synthétisée, l'adoption systématique de la stratégie de l'essai-erreur pour apprendre... semblent en revanche relever du mythe (Salaün, 2008).

 

Les difficultés et freins

Les TICE s'intègrent difficilement aux modèles institutionnels d'enseignement. Celles-ci disposent de caractéristiques institutionnelles qui freinent un usage optimal des TICE : emplois du temps, modes d'évaluation des apprentissages, taille des groupes, temps de présence des enseignants dans les établissements, caractéristiques des programmes... ne peuvent demeurer figés si l'on souhaite faire une place plus grande aux TICE et au changement pédagogique.

 

Les TICE et plus encore la FAD mettent au premier plan le délicat rapport qu'entretient le monde éducatif avec l'argent. Coûts de production des cours en ligne, temps de travail des concepteurs, modes de rémunération des différents acteurs, durée d'amortissement des investissements, définition du prix de la formation à payer par l'apprenant, coût des éventuelles licences... sont autant de dimensions que les acteurs de l'enseignement public n'ont pas l'habitude de considérer.

 

Comme on le voit déjà dans le point précédent, l'utilisation des TIC en éducation fait se rencontrer

plusieurs univers sociaux : univers marchand (production et distribution des ressources et cours en ligne), univers des loisirs (usages ultra-majoritaires des TIC par les apprenants), interagissent avec l'univers de l'éducation. Ces différents univers n'ont pas les mêmes valeurs ni les mêmes normes de qualité.

 

Les enseignants doivent être formés à l'utilisation pédagogique des TICE. Le manque de formation des enseignants non à l'utilisation des outils mais à leur intégration dans une démarche pédagogique reste le principal frein à un usage plus intensif et efficace des TICE dans les écoles et les universités. A l'heure actuelle, seuls les enseignants volontaires et prenant sur leur temps libre se forment réellement à l'utilisation pédagogique des TICE. Cette formation passe non seulement pas des temps formels, mais aussi par des temps informels réservés à l'expérimentation, à l'échange avec les collègues, à la mise en place de projets qui peuvent être accompagnés par les référents TICE des établissements, des rectorats et des académies.

 

   

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