Chapitre 16
Guider le travail personnel
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Le travail personnel semble être un des plus gros problèmes rencontrés actuellement à l’Ecole, particulièrement dans le secondaire, tous types d’établissement confondus. Dans les bilans de conseil de classe, on en parle en terme de manque, d’absence, d’insuffisance ; les élèves semblent assurer le minimum, c’est à dire la présence (et encore). Les « nouveaux lycéens » viennent au bahut comme s’ils pointaient à l’usine, dit-on. Il y a donc là une frontière invisible à franchir pour les enseignants, des nouveaux rôles à investir. Qu’enseigne-t-on quand on assure des études dirigées ou encore l’aide individualisée ? Est-ce que je trouve mon compte dans ces nouvelles configurations du travail scolaire ? |
Des temps spécifiques
consacrés à l’ATP
Depuis quelques années se sont mis en place des temps spécifiques et reconnus consacrés à l’ATP (aide au travail personnel). Même si leur appellation est sujette à variations, l’objectif est récurrent : comment individualiser l’Ecole et permettre de meilleures performances pour les élèves ?
Parmi ces initiatives, je vous propose celle de Catherine Costadoat, professeur de lettres au lycée Edgar Quinet, à Paris (action innovante 1999-2001). On peut voir bien fonctionner plusieurs éléments qui rendent efficaces une aide individualisée : la petite taille du groupe induit des interactions fortes entre les différentes personnes impliquées ; le rapport prof/élève s’efface au profit d’échanges beaucoup plus individualisées. De la même façon, il devient impossible à un élève de s’effacer de la tâche requise ; les regards, les attentes exprimées, sollicitent l’élève, plus que dans toute autre situation. Sa participation active est requise ; l’enseignant adopte alors une posture d’accompagnateur qui contraste beaucoup avec celle adoptée en situation beaucoup classique de « cours » au lycée.
Le travail : les parents aussi ?
Selon une étude de l’INSEE, les parents consacrent en moyenne 15 heures par mois à aider leurs enfants dans leur travail scolaire, soit 30 mn de plus qu’en 1992. Un volume horaire qui décroît avec l’âge de l’enfant : 19 heures au primaire, 14 au collège et 6 au lycée. Une tâche qui incombe d’abord aux mères : elles consacrent trois fois plus de temps que les pères à l’école et au collège, « seulement » deux fois plus au lycée. Autre inégalité : les enfants d’agriculteurs sont les moins soutenus, ceux des employés et des professions intermédiaires sont les plus soutenus, les enfants de profs sont les plus suivis par leur père. Les trois quarts d’entre eux ont le sentiment de bien jouer leur rôle mais la moitié sont dépassés au lycée et déjà un sur cinq dès l’école.
L’aide individualisée en seconde de lycée
"Au lycée, c’est différent qu’au collège ; on doit travailler sur des contenus spécifiques". |
Identifier les besoins des élèves. Dans une classe de seconde, je constate que beaucoup d’élèves ont du mal à parler, entre eux, aux adultes, à parler d’eux, de leur travail. Timidité ? Non, l’écrit ne va pas mieux : écriture phonétique, impropriétés, absence de syntaxe, de ponctuation en rendent la lecture difficile voire impossible. Deuxième constat : les élèves les plus en difficulté de communication ont souvent un comportement qui ne peut pas les faire progresser : absences fréquentes, peu ou pas de travail, oubli de matériel. Leur attitude, qui peut aller jusqu’à l’agressivité, risque de démotiver les autres. |
L’idée m’est alors venue de tirer profit de l’heure d’Aide Individualisée qui réunit au maximum 8 élèves, pour tenter de sortir ces élèves de leur situation d’échec, d’essayer de les amener à communiquer, à améliorer leur écrit… tout cela en partant de l’oral.
A LIRE EN COMPLEMENT DE CE CHAPITRE
Voir « « analyser les pratiques »,
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Ma première étape : restaurer le dialogue. J’ai consacré deux séances à écouter ces six élèves en échec et au comportement difficile, en essayant de créer une atmosphère d’écoute réciproque, conviviale, chaleureuse : chacun devant apporter quelque chose et s’intéresser aux autres. J’ai eu la chance de pouvoir utiliser un local de dimensions réduites avec des tables placées de façon à ce que chacun voit les autres). Je me suis effacée au maximum tout en écoutant avec bienveillance et en prenant quelques notes pour mémoire. Durant ces deux séances, j’ai observé que chaque élève était conscient de ses difficultés à s’expliquer, à communiquer, à s’exprimer. Lors de la troisième séance, un des élèves s’est porté volontaire pour faire une synthèse de ce qui avait été dit de leurs faiblesses, de leurs attentes… J’ai présenté alors le travail des heures à venir comme un remède, chaque élève du groupe ayant, par la suite, comme mission de faire bénéficier de ses acquis le reste de la classe pendant les cours ordinaires. Les élèves paraissent confiants. L’espoir se glisse : "Vous croyez que mes notes seront meilleures ?". Le vrai travail peut commencer.
Guider, c’est prospecter
"L'aide au travail personnel de l'élève est un véritable travail de prospection dans les savoirs à enseigner, un travail inlassable pour chercher comment, à partir de leur logique propre, de leur cohérence interne, de leur épistémologie de référence et des contraintes que la situation scolaire leur fait subir, on peut inventer des moyens pour les rendre accessibles à d'autres sujets, qu'à ceux qu'ils sont déjà capables de maîtriser."
Philippe Meirieu, in "Aider à travailler, aider à apprendre", Cahiers pédagogiques, n°336 |
Ma deuxième étape : remédier aux faiblesses d’expression par la prise de parole. Je distribue aux élèves un support : texte, groupement de textes courts, document visuel, article de presse, courte nouvelle… Je donne une consigne : compte rendu, résumé, réflexion, critique, description… et un temps de lecture et de préparation, en classe d’abord puis à la maison pour la séance suivante.
Je répartis les élèves en deux groupes, chaque groupe s’adressant à l’autre qui n’a pas les mêmes supports. Les futurs intervenants se désignent. Je marque leur nom au tableau. Ils interviendront dans l’ordre où ils se sont inscrits. Chacun prend la parole à son tour sans être appelé et introduit son intervention en disant, par exemple, « Je propose à présent le résumé de … » Chaque intervention doit être claire et audible du premier coup : on ne répète pas. Aucun intervenant ne doit répéter ce qui a été dit. Il faut dire, par exemple, « Je n’ai rien à ajouter au résumé que l’on vient d’entendre. » La fin de l’intervention doit être clairement marquée par l’intervenant qui ne doit pas être interrompu. Il est interdit de lire, on consulte seulement ses notes. Évidemment, toutes ces consignes n’ont pas été retenues dès la première séance mais les élèves se sont vite pris au jeu.
Durant les interventions, chacun prend des notes, moi aussi. A la fin, les élèves jugent les interventions : celles qu’il faut écarter, modifier… Chacun s’exprime en usant de formules : « Je voudrais ajouter, nuancer, expliciter, réfuter… je te prends la parole pour… la critique de X me paraît tout à fait fondée, un autre exemple le prouve… X a omis un point important… ». Au fur et à mesure, les formules s’enrichissent, les élèves notent celles qu’ils préfèrent.
Une prise de parole sans les formes est rejetée. J’écoute, observe ce qui se passe. A la fin, je reviendrai sur ce qui a été entendu. Un outil précieux : le magnétophone. Les interventions sont enregistrées. Certaines sont réécoutées par le groupe. Le plus souvent, un élève quitte la classe un moment pour s’écouter puis revient en s’autocritiquant. Sa critique est souvent différente de celle du groupe : on cherche pourquoi. Au début, l’élève est sensible à l’élocution, aux blancs et remplissage : ben, euh, donc…Petit à petit sa critique s’affine et sa parole aussi. Les formules d’intervention varient, s’enrichissent. Je vais aborder l’écrit.
Des exemples pour faire travailler les élèves Le dossier « Réussir au lycée » (académie de Lille et DESCO) comporte un important développement sur l’aide individualisée. le volet « Lettres » est bien fourni et donne des pistes pour mieux travailler cette approche dans la discipline. Au chapitre Lecture,: « Repérage des ensembles lexicaux; Incitation à la lecture; Lire un texte c’est construire du sens; Améliorer la vitesse de lecture; Lecture d’énoncés; Activité de lecture; Aide à la lecture des textes narratifs; De la prise de notes à l’analyse des informations télévisées…» Au chapitre Écriture, les exemples concernent : « Atelier d’écriture; Écrire un article de journal ; Écriture créative-pastiche ; Débloquer l’écriture; Écriture créative : la description; Argumentation; Critique de cinéma et argumentation; Organiser ses idées; Oral ; Créer des compétences orales. » |
Troisième étape : de l’oral à l’écrit. Je crée trois équipes de deux élèves. Chaque équipe formule par écrit, sur un texte littéraire, une question qui doit contribuer à éclairer le sens du texte, et prépare une réponse. Une équipe pose sa question, un élève d’une autre équipe propose sa réponse : si sa réponse est juste et bien formulée, il fait gagner un point à son équipe. La qualité de la question et celle de la réponse sont appréciées selon des critères clairement définis. Les élèves écrivent les réponses qui leur paraissent intéressantes du point de vue du fond et de la forme.
J’augmente alors la difficulté avec des exercices tels que le résumé à partir de notes (résumé à l’écoute), retrouver le plan d’un court article de presse et reformuler l’article en quelques lignes, conclure en proposant un jugement sur tout ou partie…J’introduis aussi l’écriture d’invention avec des consignes très strictes.
Résultats. "J’ai constaté une réinsertion automatique des acquis à l’oral puis à l’écrit. Les élèves, dans leurs réponses écrites, ont retrouvé les formules de réponses, en ont trouvé d’autres, se sont mieux corrigés, ont pris de l’assurance. En classe normale, les retombées ont été encore plus positives : ils ont pris facilement la parole pour résumer une nouvelle, faire une observation… Spontanément, les voilà qui canalisent les interventions de leurs camarades… qui obtempèrent ! Triple succès, car je n’ai plus autant besoin de canaliser les réponses et, surprise, j’ai entendu les élèves du groupe d’Aide Individualisée qui en remontraient aux autres…médusés : "Tu n’as pas demandé la parole… Ton intervention est incomplète…Ton intervention est rejetée parce que tu n’y as pas mis les formes…". Et je suis prise à témoin. Bien sûr, je ne peux qu’approuver et encourager l’élève en difficulté qui s’impose, par le bien-fondé de ses remarques cette fois, et, conforté par le jugement des autres (élèves et professeur), reprend confiance. L’amélioration de l’écrit a été plus lente mais réelle. En huit séances, soit deux mois, ce groupe d’élèves a été remotivé, a trouvé une place normale au sein de la classe."
Journal de mon aide individualisée, par Jacques Gysin, un récit de pratique dans la quotidienneté de l'acte. Professeur de lettres au lycée Léon-Gontran Damas en Guyane, formateur au département de la formation continue: personal.nplus.gf/~jgysin/journal.htm |
On peut retrouver dans cette étude de cas quelques facteurs d’efficacité de l’accompagnement scolaire que Bruno Suchaut (IREDU) vient synthétiser en cinq points :
1- "Les dispositifs les plus efficaces sont ceux qui sont directement en prise avec le travail scolaire" , ce qui revient à soutenir l'idée d'études dirigée effectuées par le professeur.
2- L'accompagnement scolaire st plus efficace en groupe. " Il s'agit d'éviter une trop forte individualisation de l'aide (entre 8 et 15 élèves par groupe semble être un choix pertinent) et de composer des groupes, autant que cela est possible, de profils hétérogènes tant sur le plan scolaire que social".
3- le niveau scolaire des élèves au moment où la prise en charge débute. Il apparaît, au CP et au CM1, que les élèves qui abordent l’année scolaire avec le plus de difficultés (environ un quart des élèves) tirent le plus de profit un avantage de l’accompagnement à la scolarité alors que ce n’est pas le cas pour les autres. Un constat similaire est relevé au niveau d’autres caractéristiques :
4- les élèves d’un milieu social très modeste et les redoublants bénéficient davantage des actions".
5- l'accompagnement scolaire est plus efficace quand il associe les parents. »
Au moment où l’accompagnement scolaire se développe en 2008 dans tous les collèges, ce sont autant d’alertes qui guideront utilement vos projets et votre action.
Conduire les études dirigées au collège
"Dans mon établissement, comment organiser les études dirigées dans un travail d’équipe ?" |
Les études dirigées au collège sont des moments obligatoires, inscrits dans l’emploi du temps des élèves et des enseignants (volontaires, la plupart du temps). Elles peuvent être l’objet d’une négociation sur les objectifs de chaque séance ou groupe de séance, soit entre les membres de l’équipe pédagogique, soit entre les personnels assurant les heures d’études. |
Plusieurs objectifs possibles. L’organisation en objectifs précis et évaluables est un facteur important qui peut nourrir positivement un entretien ou un bulletin de fin de trimestre[1].
Dans chacun des objectifs, on cochera ou non un critère de capacité atteinte, à intervalles de temps réguliers :
hors de la classe |
pendant les séquences scolaires |
Objectif 1 : organiser son travail > Gérer son temps - l'élève sera capable de planifier son temps libre sur une semaine - l'élève sera capable de s'avancer dans son travail - l'élève sera capable d'organiser un planning de révisions > Gérer son espace > Gérer ses outils - l'élève sera capable d'utiliser son cahier de texte - l'élève sera capable de préparer son sac
· Objectif 2 : faire son travail à la maison > Lire une leçon - l'élève sera capable de trouver le thème d'une leçon - l'élève sera capable de trouver les mots clefs - l'élève sera capable de trouver le plan > Apprendre une méthode - l'élève sera capable de relier l'exercice à une notion de la leçon - l'élève sera capable de dire ce qu'on attend de lui - l'élève sera capable de définir une méthodologie pour apprendre des leçons, matière par matière, en tenant compte de ses variantes personnelles > Faire un brouillon > Faire un exercice > Faire un devoir |
Objectif 3 : organiser sa pensée > Faire un résumé > Faire une synthèse > Faire une analyse
Objectif 4 : choisir ses procédures d’apprentissage > Choisir selon la tâche > Choisir selon son propre travail
Objectif 5 : utiliser au mieux sa mémoire > Apprendre à faire attention - l'élève sera capable de se mettre en condition de réception - l'élève sera capable de se concentrer - l'élève sera capable d'évaluer ses facultés d'attention en fonction de la situation > Apprendre à percevoir les "bons" indices > Apprendre à faire des associations > Apprendre à mettre en oeuvre les conditions de rappel > Apprendre à rappeler les informations stockées en mémoire > Apprendre à utiliser des moyens mnémotechniques adaptés au contenu à mémoriser |
Des ressources pour conduire l'étude dirigée
Référentiel pour les études dirigées, Collège Louis Armand, 88194 Golbey La contribution de l’équipe présente clairement les objectifs poursuivis en études dirigées, particulièrement au niveau de l'apprentissage des méthodes de travail (utilisation du cahier de textes, interprétation de l'emploi du temps, apprendre une leçon, travail sur la mémoire,...), les problèmes rencontrés. les fiches élèves utilisées (fiches méthodologiques, fiches d'autoévaluation, travail réalisé au CDI...) les enquêtes, réalisées auprès des élèves et des professeurs, sur l'utilisation qui est faite du référentiel à Golbey. http://www.ac-nancy-metz.fr/MIVR/ancien_site/GOLBEY/Etudedir.htm |
"Dans les études dirigées en 6ème, à part les devoirs pour la semaine, je ne vois pas quoi d’autres « diriger »." |
Que faire en études dirigées. La négociation avec les élèves participe de la dévolution du projet d’études, sinon souvent pris comme un pensum (ils ne l’identifient pas à une discipline). Elle peut se faire en fonction de leurs besoins du moment ou des urgences dues au calendrier scolaire. Les objets d’étude sont multiples ; voici par exemple une fiche produite par le collège d’Oisement (Somme). |
On cochera les items qui seront choisis préférentiellement pour définir l'ordre du jour d'une séance (ou d'une série de séances).
Examen des résultats scolaires d'une période déterminée (mois, trimestre)
Bilan des progrès et des difficultés de la semaine
Point sur le travail (organisation) de la semaine
Reprise de notions disciplinaires
Réalisation de devoirs et leçons avec consultation possible de l'adulte et contrôle
Élaboration de contrats individuels (utilisation du carnet de liaison)
Expression des difficultés liées à la vie scolaire
Expression des difficultés liées à la relation de l'élève à une (ou des) discipline
Guider le travail personnel en
classe
La démultiplication des temps spécifiques d’aide au travail personnel de l’élève, tant au collège qu’au lycée, si elle atteste des besoins considérables à couvrir, ne doit surtout pas dédouaner les enseignants de cette tâche dans le temps du cours lui-même. En reprenant un conseil issu des documents d’accompagnement des programmes de collège, "faire que le temps de la classe soit le travail de l’élève". Les dispositifs spécifiques ne peuvent compter sur une efficacité maximale que s’ils sont articulés aux pratiques ordinaires de la classe.
Organiser le travail personnel dans des temps variés
"Je ne vois pas comment concilier des cours de type classique et des séances ATP avec les mêmes élèves." |
Le temps de la classe devient le travail de l’élève. Le guidage du travail personnel au sens propre du terme prend toutes sortes de formes, en jouant particulièrement sur les temps variés et l’organisation de groupements diversifiés. [2] Par exemple, |
Des temps réguliers de conseils méthodologiques sur la façon de travailler et la manière d’améliorer
des horaires consacrés à la préparation et à l’exécution d’un projet de classe
des séances individuelles ou collectives consacrées aux problèmes d’orientation
passer en “self-disciplines”: des professeurs se tiennent, à heure et à jour fixes, à la disposition de tous les élèves qui ont besoin de faire appel à eux dans le cadre de leur discipline. Ce dispositif est particulièrement efficace et à conseiller dans toutes les fins de trimestre, et en fin d’année, après les conseils de classe, quand l’organisation part « en quenouille ». C’est bien alors l’occasion de « travailler autrement ».
des séances organisées d’entraide pédagogique entre élèves (de même classe ou de classes différentes, de même niveau ou de niveaux différents, par exemples élèves de 3ème et élèves de 6ème).
Instaurer des relations d’échanges et d’aide dans la classe
"En classe entière, je n’ai ni le temps, ni les moyens de guider le travail personnel." |
La tendance très naturelle est d’opposer travail en cours et travail personnalisé, comme si le nombre, grand ou petit, déterminait fatalement le mode d’organisation de la transmission et des échanges ; le suivi et l’analyse des formes adoptées par de nombreuses équipes montrent que non : en classe entière, il est bien possible de « travailler autrement », en particulier en s’appuyant sur les ressources issues du travail personnel. |
Quelques exemples[3] :
Le petit cours
Sur une suggestion du prof, à tour de rôle, l'un des quatre ou cinq bons élèves de la classe dans une discipline donnée se met à disposition de ses camarades sur l’heure du déjeuner une fois par semaine, pour répondre à leurs questions. Il s'agit de réexpliquer, non de donner les solutions des devoirs.
L’alouette
Un élève plus âgé prend sous sa responsabilité un élève plus jeune (au moins deux années scolaires d'écart) environ une heure par semaine pour l'aider à organiser son travail, répondre à ses questions, lui remettre en mots d’élève ce qu'il n'a pas compris, lui faire réciter ses leçons ou chercher des exercices.
le parapluie
L'enseignant fait son cours magistral pour dix à quinze bons élèves qui le comprennent habituellement, pendant vingt à trente minutes puis s'arrête. Chacun de ces bons élèves reprennent alors la leçon à ses deux voisins, en fonction de leurs demandes. Le prof circule et écoute les explications. Intervient en cas d'erreur manifeste. Refait le cours au besoin, en toutes connaissances des difficultés de compréhension rencontrées.
La cordée
Le travail de production est systématiquement fait à deux. L'enseignant ne note qu'un devoir par couple de deux élèves. Le devoir est fait en classe, et, en circulant dans la classe, le prof peut s'assurer que les deux élèves travaillent et dépanner un groupe bloqué. Constitution des équipes : par affinités ou par similitude de niveau, ou par mixage systématique, à discuter. Valable en version (langue ancienne), résumé de texte français, analyse de documents en histoire, analyse de protocole expérimental... Les élèves aiment ce type de travail qui lève le stress du devoir en classe noté ; l'enseignant peut voir où achoppent les élèves, comment ils travaillent ; l'esprit critique des élèves, l'auto-évaluation, sont meilleurs.
Développer
le travail personnel en cours et à la maison
"Je ne parviens pas à faire travailler mes élèves à la maison ; plus de la moitié ne rend rien." |
Je me permets une étude de cas issue de mon expérience personnelle : dans mon dernier collège de ZEP, les résultats au brevet étaient les plus mauvais de l’académie (32 %), bien en deçà des résultats moyens des ZEP. Les élèves ne fournissaient quasiment aucun travail personnel. J’ai été confronté à cette réalité qui s’imposait à tous ; elle m’était transmise comme allant de soi, il fallait s’en accommoder, au mieux la réprimer en sanctionnant : vous aviez fait votre devoir, mais pas les élèves… |
Le problème du travail personnel est aussi un problème de résultats.
Alors jeune agrégé, je me suis vu attribué les trois classes de 3ème « pour remonter la pente », dit alors le principal. J’en ai donc fait une priorité dans le dispositif mis en place dans les cours. Car il me semblait qu’un travail à la maison doit être anticipé, préparé puis réinvesti dans le cours présentiel.
Organiser le cadre du travail et contractualiser les élèves
Chaque élève a reçu une fiche « planification des savoir-faire » en histoire-géographie, éducation civique par trimestre. Elle mentionnait d’une part (en colonne) les compétences étudiées plus spécifiquement pendant le trimestre, accompagnées chacune d’une « attente » qui décrivait quelques critères de réussite. Chacune de ces compétences fait l’objet pendant le trimestre d’une séquence particulière où nous élaborions ensemble les stratégies possibles en vue de la réalisation de la tâche, le cours étant l’occasion de se frotter le plus souvent possible à la dite tâche.
Dans la ligne du haut, figuraient les différents thèmes étudiés pendant le trimestre, selon la progression que j’avais présentée en tout début d’année.
Chaque ligne a au moins trois cases remplies : une en grisé qui correspond grossièrement à ce que l’on va faire effectivement ensemble en cours, les deux autres ou plus prennent appui sur des exercices et documents pris dans le manuel de l’élève. Ce sont des modules indicatifs qui vont permettre aux élèves de s’exercer individuellement, plus ou moins selon leur degré de maîtrise de la dite compétence visée.
Donc, en début d’année, je présente le mode de travail aux élèves pendant une heure pleine, il faut bien cela pour comprendre la règle du jeu, prendre acte du changement pour eux, pour moi, des conséquences attendues et... inattendues sur leur propre mode de fonctionnement à l’école et à la maison.
Le rythme est indicatif, mais l’objectif est clair : chaque compétence doit être validée à l’issue du trimestre : au moins un essai, et une validation. A l’époque, je m’étais résolu à « tout noter », ce que je ne ferais plus aujourd’hui. Mais à étudier de près la composition de l’évaluation finale, on peut remarquer qu’en proportion, la notation des exercices est finalement moins importante que la régularité du travail et le respect du contrat de travail.
Permettre l’individualisation du travail : temps, rythme, nature du travail
Ainsi, je n’avais plus de gros paquets de copies à corriger pour hanter mes nuits, mais tous les jeudis, des productions très variées et très personnelles de presque tous les élèves. Certains avaient choisi de ne pas travailler pour un moment, quitte à se rattraper ensuite. C’était reconnaître la place aussi aux autres disciplines et à leurs charges conséquentes de travail. La planification devenait leur affaire, affaire aussi de stratégie dont on parlait régulièrement. Certains préféraient des contenus déjà bien maîtrisés pour « se faire la main » ; d’autres allaient systématiquement à la nouveauté et anticipaient des parties entières de programme, selon leur intérêt propre ou des questions entrevues en cours, voire l’actualité. Ils se donnaient les moyens d’appréhender seuls dans un premier temps des contenus complexes, quitte ensuite à y revenir. Cela a été précieux ensuite pour conduire le cours en sachant que j’avais déjà des relais fiables et vérifiés dans le groupe-classe, tant en compétences qu’en connaissances.
Prévenir les dérives. Dans ce dispositif complètement personnalisé où la fiche devenait « fiche-navette » reportant les acquis, j’ai rencontré bien sûr la dérive de la captation de devoir : un exercice réussi par une élève était repris sous un autre nom. Une rapide confrontation avec les deux élèves à part, puis l’évocation de ce problème en classe a permis d’y mettre un terme. Cela atteste cependant d’un fait important car il était nouveau dans le contexte : l’émulation réciproque au travail personnel, hors toute comparaison sociale organisée en visibilité, car chaque fiche-navette est strictement personnelle ; le travail par compétences générait un dynamique originale dans les classes et hors la classe, puisque aux heures perdues, on les voyait au CDI à s’attacher à tel exercice, toujours court et finalement facilement réalisable.
Penser le rapport travail et évaluation finale
Cette évaluation du travail trimestriel était complétée par une seule composition « officielle » de type brevet (en 3ème), les deuxième et troisième trimestres, par un brevet blanc qui n’était même pas corrigé par moi. Après tout, c’est le propre d’une compétence d’être validé en actes ; en l’occurrence, l’entraîneur n’est pas l’évaluateur. On a le même type de configuration quand vous passez le permis de conduire.
Résultats à la hausse. Les résultats ont été à la mesure de l’investissement des élèves, et de mes efforts quotidiens à relancer, soutenir, avertir, il ne faut pas le cacher, c’est difficile de ramer à contre-courant d’habitudes scolaires acquises sur plusieurs années dans un environnement qui ne prête pas forcément à la sollicitation personnelle. Le taux de réussite a atteint 74 %, au delà de la moyenne académique, hors ZEP ; les notes obtenues dans les autres disciplines étaient attendues et sans grand changement, l’augmentation du résultat général venant des scores atteints en histoire-géographie.
Le tutorat : une
relation d’aide individualisée
"A la pré-rentrée, on me propose de rejoindre le groupe "tutorat" au collège ; je vais me retrouver avec deux élèves à suivre, mais pourquoi faire ?" |
A la différence de la relation d'aide en petits groupe, le tutorat est une relation d'aide individuelle : c’est la possibilité offerte selon les établissements, projets et équipes, besoins des élèves et environnement étant des éléments discriminants, pour certains élèves de bénéficier d’un rapport inter-individuel régulier avec un adulte, hors temps de classe. Le tutorat est une des réponses pédagogiques pour ces 10 % grosso modo d’élèves qui en collège arrivent parfois à "plomber" un établissement si rien n’est tenté. D’autres dispositifs peuvent fonctionner en parallèle, c’est à dire où certains élèves sont prélevés de leurs classes temporairement pour revenir à travailler sur les « fondamentaux » dirait-on au rugby. |
Dans les deux cas, on voit bien que ce qui fait bouger les équipes puis un établissement, ce ne sont pas tant les très faibles performances scolaires en soi de leurs élèves, mais la prévention dans le meilleur des cas, la prise en charge dans les autres du « potentiel de catastrophe » de ces élèves dans la vie scolaire des groupes-classes et partant de l’établissement tout entier.
Comment mener une séance de tutorat
Un collège ZEP de Paris avait travaillé plus spécifiquement l’approche tutorat, en éditant entre autres une fiche à destination de tous les tuteurs :
Fiche-Outil pour les tuteurs, Collège Flaubert[4]
Difficultés
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Conseils pour le tuteur |
Organisation du cartable
Matériel manquant |
Dès les premières séances, demander à l’élève de vérifier son cartable avec son emploi du temps. Mettre en évidence ce qui est inutile, ce qui est oublié.
Consulter la liste du matériel |
Travail demandé non fait
Travail non fait ou partiellement fait |
Relire les consignes, définir les verbes d’action.
Se mettre d’accord avec les autres tuteurs pour faire la même chose pendant un certain temps en ayant la même méthode de présentation |
Utilisation du cahier de textes
Travail mal noté oublis : date, matière... |
Conseiller le cahier de textes plutôt que l’agenda pour s’y retrouver d’une semaine à l’autre
Essayer de remarquer ce qui revient souvent dans la demande de chaque professeur.
Faire recopier proprement le travail demandé. |
Apprendre la leçon Mémorisation Leçon non sue Simple récitation |
Faire lire à haute voix, et/ou faire recopier plusieurs fois les phrases importantes
Faire apprendre les définitions par cœur Faire dire ce qu’on a retenu |
Présentation du travail Non respect des consignes de présentation Graphie désastreuse |
Faire récrire ce qui est mal écrit
Repérer les exigences du professeur à partir du cahier ou de votre connaissance des professeurs
Proposer un modèle de présentation, si aucun n’a été proposé |
Tenue du cahier, tenue du classeur Absence de documents Absence de mise en ordre |
Aider l’élève à s’y retrouver dans son classeur.
Faire noter les indications manquantes : date, matière
Numéroter les pages au crayon,... |
Expression écrite
Texte très court
Défaut de ponctuation |
Passer un contrat avec lui : ne pas quitter la séance sans avoir fait une partie du travail par écrit.
Lui rappeler quelques règles élémentaires (majuscules, souligner, aller à la ligne...) |
Écoute attention
Retard dans la mise au travail
Pose des questions non pertinentes |
Essayer de le ramener au sujet de la leçon ou de l’exercice.
Écarter calmement les questions sans intérêt avec le sujet
Négocier, avant de commencer la séance, le moment précis d’une pause de 2 ou 3 minutes. |
Lenteur dans le travail
Lenteur excessive |
Lui fixer un challenge : refaire le même exercice en mettant moins de temps.
Mettre en valeur les progrès réalisés |
Comment terminer la séance
Pensez à faire un petit bilan du travail de votre élève tutoré en lui présentant un point positif (obligatoire) et en proposant un point susceptible d’une amélioration rapide, traité lors de la présente séance.
Cette pratique, toujours susceptible d’évoluer au fur et à mesure des cas rencontrés comme des renouvellements des membres de l’équipe, est tout à fait représentative d’une forme de tutorat, ici fortement axé sur une dominante « pédagogique » : les composantes essentielles sont méthodologie, gestion de ses propres ressources par l’élève, organisation du travail personnel. Ces dimensions sont essentielles dans la réussite de tout élève ; la seule différence entre un élève « normal » et un élève susceptible d’être accompagné en tutorat, c’est que le premier dispose visiblement de d’éléments suffisants de connaissances sur soi, d’expériences scolaires réussies et de ressources de proximité (dont l’environnement familial) pour traiter ces questions, l’autre pas forcément sur l’un de ces trois aspects.
Et si le tutorat dépasse
le cadre pédagogique
"Je sens la dérive de l’institution ; je suis prof d’anglais, pas psy ou assistante sociale." |
Confronté à l’éventuelle difficulté de l’exercice, un collègue peut avoir ce type de défense statutaire à connotation corporatiste. Il s’agit pourtant du même métier que d’aider l’élève à apprendre à se repérer dans les règles implicites de la réussite scolaire. |
Il est vrai que selon les types de publics scolaires, le tutorat peut prendre des formes plus décentrées de la pédagogie à proprement parler :
L'entretien à dominante psycho-pédagogique, abordant des dimensions telles que :
·les problèmes de motivation (ou plutôt de non-motivation, voire d'anti-motivation: absence d'intérêt pour les activités scolaires, voire refus, rejet...)
·les problèmes relationnels avec tel professeur, avec le groupe-classe. L'entretien peut aider l'élève à dissocier ce qu'il éprouve à l'égard d'un prof et à l'égard de la discipline qu'il enseigne. C'est une fonction de médiation entre l'élève, les autres professeurs, les membres de l'administration, voire les parents.
·les problèmes affectifs à l'égard des actes scolaires (peur de l'examen, trac pour parler en public, angoisse excessive de son orientation ou des résultats scolaires).
L'entretien à dominante psychologique
Il peut arriver que l'élève demande à parler de ses problèmes personnels (relation avec sa famille, problèmes sentimentaux...). Pour éviter les risques de dérapage vers la "direction de conscience" ou la psychothérapie, on peut souhaiter que ce type d'entretien soit organisé à l'échelle de l'établissement et assuré par une équipe intercatégorielle (parents, conseillers d'éducation, assistance sociale, profs) et ayant reçu une formation à l'écoute.
Dans ces deux cas, on peut comprendre les craintes a priori de notre collègue ; mais :
d’une part le tutorat est un acte volontaire et engageant, tant de la part de l’adulte que de l’élève.
D’autre part, l’action doit absolument être étayée par un apport de type formation sur site, pour perfectionner ses propres techniques d’écoute et d’entretien, individuellement, en appui sur le groupe des tuteurs. On n’apprend pas tout seul.
La technique de l’entretien est très formatrice ensuite pour améliorer sa conduite de classe
Par exemple : évitez plutôt
· le jugement de valeur ("c'est bien/mal de dire ça")
· l'interprétation hâtive ("Tu dis çà parce qu'au fond...")
· l'encouragement gratuit ou la consolation ("Ne t'en fais pas !")
· la prescription de solution immédiate ("T'as qu'à...")
Mais, préférez alors un accueil et compréhension d'autrui [5]. (d’après l’approche centrée sur la Personne, développée par Carl Rogers)
· considération positive inconditionnelle d'autrui
· empathie (accueil des sentiments d'autrui)
· congruence (authenticité avec son propre "ressenti")
En actes, cela peut signifier par exemple :
· accueillir l’élève (notamment au début de l'entretien)
· marquer le silence (laisser parler l'autre)
· adopter une attitude non verbale d'écoute (regard, geste, accord postural, en accompagnement de celle de l’élève)
· travailler en écho (monosyllabe prouvant qu'on écoute)
· proposer une reformulation: résumé fidèle, re-structuration
J’ai franchement peur d’aller trop loin dans le « guidage » ; certaines questions me dépassent réellement. |
La vulgarisation d’une certaine culture psychologisante, une approche trop centrée sur les conditions socio-familiales peuvent conduire l’entretien vers des terrains que vous ne maîtriserez pas ; et cela n’aidera pas forcément l’élève, avec qui vous travaillez la dimension « élève ». Afin de se replacer en guidage pédagogique, mieux vaut alors fonder son action et la conduite d’entretien sur des objectifs scolaires qui expliquent que lui, l’élève, et vous, le prof, êtes en face à face. |
Restez dans votre champ de compétence, vous en serez renforcé et l’élève saura à qui parler. Si des besoins d’un autre type apparaissent, proposez de passer la main vers d’autres compétences existantes dans l’établissement.
En entretien individuel, Mounir déballe tout sur ses conflits avec le professeur de maths et celle de musique ; et après, qu’est-ce qu’on fait ? |
L’action du tutorat est centrée sur la Personne, non sur le fonctionnement organisationnel, relationnel ou institutionnel de l’Ecole. Vous ne disposez pas du pouvoir de changer l’Ecole, d’autres lieux et instances existent pour cela. Les esquisses de réponses élaborées avec l’élève relèvent de l’analyse enrichie des situations, de l’étude des variables possibles en matière d’amélioration à sa portée. Tout au plus, vous pouvez proposer une médiation avec le ou la collègue. |
« Le tutorat est un outil inestimable pour faire évoluer le système éducatif, à condition que l'on considère que c'est autour de l'acquisition des méthodes personnelles de travail qu'il doit être centré. La tâche paraît modeste, elle n'en est pas moins tout à fait urgente. »
Philippe MEIRIEU, extrait des Cahiers pédagogiques, ATP, 1989, p. 75
AUTO-TEST :
se donner des objectifs en ATP
En études dirigées, si vous aviez deux objectifs à retenir pour les prochaines semaines avec votre groupe d’élèves, ce serait :
1-
2
[1] Gestion des objectifs d'aide au travail personnel (ATP), extrait d'un document MAFPEN de Limoges (Collège A. France)
[2] Extraits de la fiche 4: André de PERETTI, Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, Guide pratique, Paris, ESF 1999, p.296
[3] d’après Apprendre en s'entraidant, Cécile Delannoy, Cahiers pédagogiques, n°304-305, mai-juin 1992, p.74
[4] extraite de la riche production « innovation 1999-2001 » du collège Gustave Flaubert, Paris XIIème, S Graham, I Veysseyre, MD Kaddour, MD Halet, C Dormigny, F Marcel, A Coupeau., à lire sur INNOVATION : http://innovalo.scola.ac-paris.fr
[5] Voir sur la question, le dossier ATP des Cahiers pédagogiques, contribution de Philippe MEIRIEU, extrait des Cahiers pédagogiques, ATP, 1989, p. 75