Chapitre 17

Prospecter les besoins

 

 

Projets d’école, projets d’établissement ont enregistré depuis quelques années des évolutions notables ; nous sommes passés d’une logique d’offre et d’actions discontinues, parfois périphériques à une logique de réponses adaptés à des besoins scolaires. Les dispositifs d’évaluations nationales y sont peut-être pour quelque chose. N’empêche, on évoque souvent « groupes de besoins », dispositif de socialisation, disciplines renforcées, remédiation. Tout se passe comme si le concept même de besoin était clair pour tous. A l’épreuve des faits, c’est beaucoup moins évident. Cette mutation prendra du temps, parce qu’enseigner, pour beaucoup, n’intègre pas forcément l’analyse des besoins des élèves. Prospecter les besoins, c’est d'abord se poser cinq questions : qui sont nos élèves ? quels sont leurs besoins, notamment lors des changements de cycles ? Que ne savent-ils pas faire ? Comment le savons-nous ?

Quelles sont les réponses adaptées et plus efficaces devant des besoins aussi divers qu’importants dans toute classe ?

 

 

scénario de départQui sont nos élèves ?

 

"Je suis confronté à de tels besoins, toutes dimensions confondues, que je ne sais que faire." Se confronter à cette question, c’est d’abord accepter que l’élève est une Personne, et pouvoir entendre que bien des niveaux nous dépassent dans l’École. Il est cependant utile de savoir qu’ils existent et qu'ils ont une influence sur la vie de l’élève en classe. La littérature dans le domaine de la psycho-pédagogie abonde dans le sens d’une certaine vulgarisation psychologisante, en prenant appui sur des approches théoriques universalistes, parfois déviées de leur domaine d’étude et mal comprise, comme les stades de développement d’après Piaget.

 On trouve régulièrement la théorie de la hiérarchisation des besoins élaborée par A. Maslow en 1954.

 

La hiérarchie des besoins

 

Selon Maslow, tous les individus souhaitent satisfaire cinq catégories de besoins, classables par ordre d'importance,  hiérarchie qu'il matérialise par une pyramide. Pour qu'un besoin soit ressenti, il faut que celui qui le précède soit satisfait.

  • Les besoins physiologiques seraient, globalement, satisfaits dans la société actuelle (dans les pays développés).

  • Les besoins psychologiques de sécurité tels que la stabilité de l'emploi ou le devenir voient leur acuité croître en période d'instabilité économique.

  • Les besoins d'appartenance s'expriment par le souhait d'être aimé et d'être intégré dans un groupe.

  • Les besoins d'estime se traduisent par l'exigence de représenter une certaine valeur tant à ses yeux qu'à ceux des autres membres du groupe.

  • Enfin, les besoins de réalisation de soi s'expriment par le besoin de mettre en œuvre ses facultés, de faire œuvre créatrice, de repousser ses propres limites et, plus simplement, de se perfectionner.

 

Dans les bas degrés de la pyramide, la satisfaction des besoins entraîne une extinction temporaire de ces besoins. Plus on monte les degrés de la pyramide, plus la satisfaction des besoins entraîne une motivation intrinsèque.

 

 

Maslow à l’École ?

 

En prenant une distance critique, cette approche signale cependant l’importance à assurer la sécurité des personnes et des relations, et la nécessité de construire des liens d’appartenance, deux dimensions qui assurent un climat favorable aux apprentissages.

 

Autrement dit, plus en classe vous travaillez sur le sentiment d’appartenance, sur l’identité du groupe, sur la valorisation de petites réussites et la dimension créatrice, plus vous avez de chances d’activer le moteur de la motivation si recherchée.

 

 

Bien diagnostiquer les besoins

 

Les histoires de vie nous apprennent beaucoup sur les destins et les ressorts inattendus de chaque individu (cf. le concept de résilience développé par Boris Cyrulnik). Les élèves décrocheurs, ou ceux qui sont concernés par le dispositif « nouvelles chances » montrent des capacités toujours étonnantes à réagir contre un destin scolaire qui avait été trop vite « orienté » sur la voie de l’échec sans suite.

 

Problème de psy ou de savoirs. Attention cependant à ne pas trop vite verser dans le domaine « psy » des problèmes qui relèvent de la construction des savoirs. On risque de se priver de comprendre ce qui relève de l'adaptation entre l'activité des enseignants et l'activité des élèves… même si, évidemment, certains des élèves qui posent de gros problèmes peuvent avoir besoin de thérapies ou d’un suivi d’une autre nature que seulement pédagogique. (Sur les problèmes de savoirs, voir « faire de la didactique »).

 

Savoir déléguer. Dans ce dernier cas, en confrontant votre analyse avec celles de vos collègues, de la vie scolaire, vous pouvez faire utilement « passer la main », c’est à dire faire un signalement via le directeur d’école ou le chef d’établissement aux services existants (assistante sociale, médecin scolaire, RASED, CMPP). L’Ecole ne peut avoir toutes les ressources en son sein. C’est une nouvelle collaboration qui s’ouvre, en devant articuler scolarisation obligatoire et nécessité d’une aide personnalisée.

 

  •  sur la résilience, une excellente page courte et synthétique,

www.acsm-ca.qc.ca/virage/dossiers/la-resilience.html

 

Le RASED : une équipe pour épauler l'enseignant

 

Sous la responsabilité de l' IEN (inspecteur de la circonscription), le RASED (réseau d'aides aux élèves en difficulté) est constitué :

1 - d'au moins un maître spécialisé (titulaire du CAPSAIS option E) chargé de l'aide à dominante pédagogique (adaptation)

2 - d'au moins un rééducateur (titulaire du CAPSAIS option G) chargé de l'aide à dominante rééducative

3 - d'un psychologue scolaire chargé des bilans psychologiques, des suivis psychologiques et des relations avec les services extérieurs (soins, etc.).

 

 

scénario de départ Quels sont les besoins lors des changements de cycles ?

 

"Les élèves doivent avoir des pré-requis ; les besoins, ce n’est pas mon rayon." Même si on doit être sensible à l’analyse des besoins tout au long de son exercice, on doit être particulièrement vigilant aux moments de rupture pour les élèves que constituent les passages de cycles, entre école et collège, entre collège et lycée, et il faudrait aussi envisager entre lycée et supérieur. On peut invoquer des pré-requis, cela ne dispense pas d’une analyse plus fine. Ou alors que faites-vous si les pré-requis sont défaillants pour la plupart des élèves ? Ce sont précisément des besoins à prendre en charge.

 

Les équipes ont encore à progresser sur l’analyse partagée des ressemblances/différences entre l’école et le collège : les ignorer ou les méconnaître ne font qu’aggraver des situations déjà difficiles pour les élèves.

 

 

La délicate liaison école-collège

 

Ecole et collège marquent d’abord des différences de fonctionnement et de cultures, souvent fortes au moins sur trois points.

 

Un maître, dix profs. A l’école, le maître établit une proximité avec les élèves, à l’inverse du collège où la dimension personnelle est nettement moins affirmée : le professeur se fait plus rare, en tout cas plus distant. Cela signifie d’autre part que le mode de guidage est plutôt centré sur l’enfant au primaire, alors que le secondaire insiste plus sur l’élève dans sa dimension beaucoup plus scolaire. Enfin, là où le maître unique garantit un même niveau d’exigences dans la plupart de matières qu’il prodigue, dès le secondaire, l’élève se trouve confronté à des grands écarts selon les disciplines, en fonction des attentes souvent implicites de ses multiples enseignants.

 

Des attentes différentes. De la même façon, le travail et ses conditions différent sensiblement. Si l'élève de primaire peut travailler sur une durée plus longue, au collège se succèdent des temps très rapides où le facteur de réussite est la capacité à écrire rapidement. De plus, le travail personnel est manifestement plus important, alors que le guidage se fait moins présent ou moins efficace.

 

L’écrit change de sens et de fonction. En primaire, on apprend à écrire, au collège, on copie de plus en plus en cours ; les écrits les plus longs sont réservés aux devoirs à la maison. L’oral, même s’il est sollicité dans le secondaire, est nettement moins valorisé ; les évaluations sont essentiellement écrites.

 

Ces différences d’encadrement et de culture marquent un saut notable, un seuil de rupture qui permet aussi à l’enfant de grandir ; cette dimension peut parfois engendrer craintes et peurs devant un inconnu que la grande majorité parfois à maîtriser. La question, c’est plutôt comment ? Souvent, le collège, c’est plus loin, des horaires variables, et par conséquent, l’élève doit gérer une nouvelle responsabilité (on parle d’enfant à la clef) en matière de déplacement, mais aussi d’organisation de son temps libre, dans un domaine où les tentations sont grandes.

 

C’est donc une solitude relative que l’élève doit apprivoiser, en particulier dans l’organisation interne de ses propres savoirs, quand les liens entre les disciplines scolaires sont loin d’être évidents.

 

 

Comment adoucir le passage du primaire au collège

 

La rupture est manifeste et à ce titre, les élèves doivent être accompagnés, comme leurs parents d’ailleurs, afin que l’écart soit gérable sous peine d’être confronté un peu plus tard pour les enseignants à des besoins impossibles à couvrir. Ce serait par exemple :

 

o Proposer un  livret d'accueil du collège, lisible et pratique ; ce peut être l’objet d’un projet pédagogique mené avec des élèves de 5ème par exemple.

o visiter le collège, enquêter au collège, assister à des cours, utiliser le CDI

o rencontrer les nouveaux parents à l'inscription de leurs enfants

o mettre en place un tutorat 4ème - CM2

o faire travailler ensemble 6ème et CM2 (rencontres sportives, projets divers, tests dans certaines disciplines)

o étudier en CM2 le système éducatif

 

o en CM2 : aborder les méthodes de travail du collège, développer les activités faisant appel à l'autonomie de l'élève, développer l'usage de l'écrit dans les différentes disciplines autres que le français

o en 6ème : une seule salle pour la classe en 6ème, bien expliciter les nouvelles méthodes de travail, redonner un rôle et une place à l'oral dans d'autres occasions que la réponse à des questions.

 

o Élaborer et réaliser des projets en commun (défis, expositions, sorties)

o travailler ensemble à la meilleure connaissance des élèves au moyen des évaluations 6ème notamment pour la constitution des classes

o assurer un suivi des élèves en difficulté, en passant le relais entre équipes éducatives des écoles et les équipes-relais du collège

o participer à des formations conjointes premier et second degré

o consacrer un moment à la pré-rentrée pour une rencontre bien finalisée sur des objets définis

 

Enfin ! des liaisons réussies :

D. Demarcy et J.-M. Zakhartchouk, Réussir le passage de l'école aux au collège, : indispensable !

Anne-Elisabeth Laroche, Réussir le passage de la troisième à la seconde,: une véritable mine pour animer les heures de vie de classe, lancer des réflexions collectives sur le changement, débloquer des situations.  , Les deux ouvrages sont édités par les CRDP d'Amiens, CRAP- Cahiers pédagogiques, 2007

 

Pour aller plus loin, "survivre au collège", un plateau de jeu original (dessins d’élèves) sur le thème « survivre au collège – à voir dans le cadre de l’accueil des jeunes en 6ème

www2.ac-lille.fr/ronsard-hautmont/Jeu%20de%20l'oie.htm

 

 

scénario de départ Que ne savent-ils pas faire ?

"Je ne sais pas ce qu’est un besoin d’élève." Les besoins de l’élève à l’Ecole, ce sont d’abord des besoins en formation, définis à partir du cadre scolaire. Le besoin naît de l’écart entre une situation actuelle, correctement diagnostiquée et une situation attendue, clairement explicitée. Le besoin n’existe que parce qu’un cadre externe est suffisamment fort pour le faire apparaître.

 

Observer ses élèves

 

L’observation fine d’un ou plusieurs élèves au travail, à l’écriture, sous la dictée, dans la lecture d’une consigne puis un questionnement centré sur l’acte, et poussé sur l’explicitation des difficultés rencontrées, reste la plus efficace des méthodes, pour peu qu’on sache observer et enquêter auprès des élèves dans une proximité et dans un temps suffisant. En ce sens, l’évaluation est permanente en tant qu’instrument de régulation des apprentissages et des parcours des élèves.

 

 

Ce que mesurent les évaluations nationales

 

Depuis une dizaine d’années, le repérage des besoins s’est enrichi d’outils techniques appelés « évaluations nationales », passées en début d’année scolaire en classe de CE2, 6ème et 2ème En fait, tout dépend de ce que l'on cherche dans l'évaluation : une note, ou des repères pour construire une méthode de travail pédagogique ? Attention à la dérive toujours présente de l’utiliser comme moyen de sélection précoce, c’est tentant mais cela ne résout rien, bien au contraire.

 

Il s'agit bien seulement de "mesurer" les écarts par rapport au niveau attendu, les difficultés susceptibles de survenir pour proposer des moyens de remédiation afin de donner des chances d'égalité au savoir. En pratique, il faudra évidemment ensuite, donner plus de temps, de moyens, d'environnement riche à ceux qui ont bénéficié le moins de tous ces ingrédients pour se développer.

 

 

Analyser les difficultés de l'élève

 

"Les évaluations nationales ne me semblent pas adaptées. Perte de temps considérables, peu d’effets en retour." Les centres de ressources, CAREP (centre académique des réseaux d’éducation prioritaire) disposent de moyens pour accompagner une équipe dans l’utilisation de ces outils d’évaluation et opérer le passage, délicat sans cette aide, de l’évaluation de résultats à l’analyse de difficultés des élèves. Sans cela, on en reste au seul constat des manques, souvent sans suite. En ce sens, on comprend le faible rendement du travail des enseignants investis dans la correction en rapport avec les effets produits.

 

Les évaluations sont un bon outil, avec les imperfections inhérentes à ce type d’approche, mais elles nécessitent une appropriation et un accompagnement qui n’ont jamais été bien organisés dès l’origine par l’institution. Le rejet a priori masque parfois une inappétence ou une résistance forte à se former à l’évaluation diagnostique ; c’est pourtant là un besoin de formation, pour l’enseignant.

 

Casimir : des outils pour analyser

 

Le site de Créteil propose pas à pas une méthode d’analyse des items via le logiciel Casimir, puis en se concentrant sur quelques items significatifs, indique la marche à suivre pour constituer des groupes de besoins.

www.ac-creteil.fr/lettres/pedagogie/college/6e/remediation/casimir.htm

 

Comment aider Fanta…

Muriel Salomon, institutrice alors à Paris, s’est trouvée avec une petite Fanta en CP. “T’appe’ Ban’ta” (pour : « je m’appelle Fanta ») « Ce fut mon premier contact avec Fanta. »

« Tout à apprendre ». « Cette petite Malienne de 6 ans ne parlait pas et ne comprenait pas tout non plus. En plus de difficultés motrices, ses connaissances semblaient limitées ; elle ne décrochait pas un sourire.

Il fallut tout lui apprendre : parler, marcher, être avec les autres, lire, écrire, compter. On partait presque de zéro!  Cette formidable “machine d’intégration” qu’est la classe de CP, s’est mise en mouvement. Petit à petit tout le monde s’est pris d’affection pour elle, Elle a fait des progrès considérables, en langage, sur le plan moteur, et dans les apprentissages.   Elle était suivie par le RASED. »

Quatre ans d’efforts collectifs. « En fin d’année, bien qu’elle ait beaucoup progressé, il fallut néanmoins se résoudre au redoublement. La famille a toujours très bien coopéré avec moi. . La deuxième année de CP s’est déroulée sans problèmes, dans l’autre classe. Elle s’est épanouie et ses résultats scolaires étaient excellents.

En CE1, elle fut affectée dans ma classe (CE1/CE2). Elle était très attachée à moi ;  cela facilitait les apprentissages scolaires et comportementaux. En CE2, nous avons décidé, avec son accord, de l’affecter dans une autre classe. Il devenait nécessaire de couper une relation avec moi, qui risquait d’être trop affective et éventuellement négative à long terme pour l’enfant. »

Fanta est « la professionnelle ». «  En CM1, ses résultats sont bons, elle s’investit toujours dans son travail et est tout à fait épanouie. Elle connaît quelques problèmes de comportement, parce qu’elle a du mal à ne pas suivre les mauvais exemples de ses copines.

Ses difficultés motrices ont totalement disparu. Fanta est la seule qui ose demander la signification des mots qu’elle ne connaît pas. Ses camarades de classe la nomment : “la professionnelle”.

Une réussite impressionnante. «Un jour, lors d’une conversation avec ses camarades,  Je fus stupéfaite d’entendre sa façon de s’exprimer : un vocabulaire recherché, des mots comme “cependant…”, des tournures de phrases que l’on n’entend pas parmi les autres enfants de l’école. C’est à l’école qu’elle est parvenue à ce niveau de langage-là. Son investissement dans les apprentissages lui a permis d’acquérir ce niveau. Cette réussite est impressionnante, d’abord par rapport à ses camarades, mais surtout par rapport à sa propre histoire. »

 

 

 

scénario de départ Comment le savons-nous ?

Repérer les besoins des élèves et les analyser ne sont donc pas chose facile ; il importe aussi de les associer le plus possible à la démarche : ils vous donneront des renseignements de première main et ce processus ne peut que renforcer leur motivation.

 

Identifier les besoins au cycle II conditionne la réussite au collège !

Une étude de Sophie Morlaix et Bruno Suchaut (Iredu) analyse les résultats aux évaluations nationales pour mieux comprendre les acquisitions scolaires : Elle insiste sur l'importance du développement des automatismes (orthographe et calcul) et de la mémoire de travail.

C’est donc principalement avant le cycle III que doivent être mises en place ces activités systématiques (habilités numériques) afin de mieux armer les élèves dans les dimensions des acquisitions les plus prédictives de la réussite ultérieure.  L’accès au collège se fera d’autant mieux que les élèves auront développé, et ceci dès la fin du cycle II, des habiletés élevées en calcul en général et plus particulièrement en calcul mental".
 Il s’agit donc ici d’un choix pédagogique que l’enseignant doit réaliser en accordant plus de temps à ce type d’activités. ? « la réflexion peut s’orienter vers des activités pouvant être organisées dans un cadre périscolaire, tôt dans la scolarité, activités proches de celles évoquées auparavant dans le cadre scolaire".
 

 

Prendre en compte les résistances des élèves

 

"Ce dont j’ai besoin est ce qui me menace" Philippe Jeammet La confrontation à des élèves en grande difficulté montre que des besoins importants en matière scolaire, qui s’imposent dans leur complexité sans analyse et traitement adéquat, produisent des effets de perturbation relativement importants, pour les élèves eux-mêmes comme pour le groupe. D’après B. Cyrulnik, nous pouvons observer une sexualisation de l'échec. Les filles qui échouent à l'école mettent en jeu des mécanismes de défense qui reposent sur l'immaturité affective et la régression infantile. Au contraire, face à l'humiliation de l'échec scolaire, les garçons réagissent souvent par la rage et la violence. Ces mécanismes psychologiques sont coûteux mais réparent dans l'instant la blessure portée à l'estime de soi.[2]

 

 

Apprendre invite à un changement de soi, de ses représentations, apprendre a un coût en énergie et en temps que l’élève n’est peut être pas prêt à payer. On peut rencontrer chez des élèves une intolérance à l’insécurité et une incapacité à se projeter, un refus de la prise de risque, face à toute information qui introduit de la dissonance dans un système fermé.

 

Répondre à des besoins repérés, c’est donc commencer par construire du sens avec les élèves, du sens aux savoirs scolaires et du sens pour le travail, toutes choses qui n’ont absolument aucune évidence pour une partie du public scolaire. L’Ecole, les enseignants doivent faire un bout de chemin dans leur direction.

 

 

Aider les élèves à prendre conscience de leurs propres besoins

 

L’enquête sur les besoins est encore plus efficace quand elle implique les élèves, ainsi, toute une équipe du lycée Guy-de-Maupassant de Fécamp  s'est impliqué, avec des collèges environnants dans une quête de sens autour de la liaison problématique entre 3ème et 2nde. Ils ont recueilli après visites, échanges, analyses communes des « paroles d’élèves »[3]. Leurs travaux comportent une véritable prospection des besoins des élèves, au moins sur trois points.

 

 

 

Une écoute attentive, une analyse partagée sur le sens du travail, sur les avantages et les inconvénients d’apprendre et de s’organiser au lycée ont permis de frayer aux jeunes une voie pour une plus grande réussite. Apprendre reste un travail, les enseignants leur auront permis d’avoir quelques clés et outils d’analyse.

 

scénario de départ Trois traitements possibles des besoins

 

"Une fois les besoins recensés, qu’en faire ?" Lorsque les besoins ont bien été recensés, on oscille entre trois tendances fortes dans l’Education : le développement d’outils de réparation, la pédagogie du dispositif, l’approche par l’individualisation.

 

La "trousse à outils" de la réparation

 

Toutes les disciplines, et pas seulement les lettres et les mathématiques, comme c’est trop souvent le cas, sont sollicitées pour travailler dans le cadre de leur enseignement sur les points ciblés par les besoins. Le temps de la 6ème est un temps qui doit consolider les apprentissages. Un professeur coordonnateur " remédiation " peut indiquer les priorités et faire le point des interventions dans le cadre des disciplines.

 

Une banque d'outils

 

On peut s’appuyer très utilement sur l’initiative nationale de collecte d’une véritable banque d’outils, toutes disciplines, tous niveaux confondus, du primaire au lycée : la banque d'outils d'aide à l'évaluation.

www.banqoutils.education.gouv.fr utilisateur : "outils", mot de passe : "dpd".

En français, au collège[4], des logiciels de remédiation sont disponibles, et sont suffisamment diversifiés pour répondre aux situations locales et à votre besoin propre :

 

 

 

 

La pédagogie par dispositifs de remédiation

 

Alternatif à la classe, un dispositif de remédiation permet de regrouper des élèves de plusieurs classes sur le critère d’un besoin repéré pour un temps donné. Cette organisation peut s’avérer efficace si enseignants et chef d’établissement savent agir avec souplesse et réactivité. A la façon par exemple du collège Léonard Lenoir de Bordeaux[9]:

 

Groupes de besoin. Depuis quelques années, le collège Léonard Lenoir de Bordeaux a mis en place, en sixième, des groupes de besoin. La répartition horaire hebdomadaire d’une classe est la suivante :

 

· 3 heures en classe entière avec un professeur attitré

· 1 heure de remédiation avec le professeur de la classe

· 1 heure de groupe de besoin.

 

Lors de l’heure de groupe de besoin, les élèves de deux classes sont répartis en trois groupes d’effectifs différents :

- groupe E d’environ 8 élèves

- groupe F d’environ 14 élèves

- groupe G d’environ 20 élèves

 

Durant l’année, trois périodes d’environ dix séances sont organisées. Les groupes restent fixes sur une période, et les professeurs tournent face aux élèves suivant ce modèle :

 

Période

Professeur

1

2

3

A

E

F

G

B

F

G

E

C

G

E

F

 

Tests. Un test de pré-requis permet de constituer les groupes pour une période. Ce test est soit tiré des évaluations de sixième de début d’année, soit élaboré par l’équipe des professeurs. Il porte sur des notions qui ont été abordées en primaire, et qui sont en cours d’acquisition pour certains et acquises par d’autres. Aucun travail préalable n’est effectué avant ce test. A l’issue de l’étude de chaque thème, un test d’évaluation commun à tous les groupes est proposé aux élèves.

 

Fonctionnement. Les élèves du groupe G travaillent en relative autonomie, à un rythme soutenu, sur des notions qu’ils maîtrisent et peuvent approfondir. Ceux du groupe F reprennent rapidement les bases et consolident leurs acquis. Les élèves du groupe  E retravaillent les notions de base, participent librement sans crainte du regard d’élèves plus à l’aise, tout étant facilité par un effectif réduit et un niveau homogène. Trois thèmes ont été définis : techniques opératoires et calcul de durées ; tableau et traitement de l’information ; espace, patron d’un pavé droit, perspective, volume. Le premier thème porte sur un chapitre essentiel abordé en début d’année, les deux autres peuvent être "déconnectés" du programme.

 

Les enseignants ont en plus une heure de concertation hebdomadaire qui sert à élaborer les tests (pré-requis et évaluation) ainsi qu’à mettre en commun les préparations et à faire le bilan à la fin de chaque période.

 

Bilan. Ce mode de fonctionnement permet de "casser" le groupe classe. Il est bien perçu par les élèves qui sont à l’aise car ils évoluent à leur rythme. L’appartenance à différents groupes selon les périodes leur permet de ne pas se sentir "catalogués", d’autant plus qu’il n’y a pas de lien groupe-professeur. Au test commun effectué en fin de période, les élèves qui obtiennent les meilleurs résultats ne sont pas forcément ceux qui ont eu les meilleurs résultats aux tests de pré-réquis. Ce qui est encourageant pour tous !

 

En lycée professionnel, c’est aussi possible

 

Dans le cadre des modules encore existants en LP, l’utilisation raisonnée du logiciel de traitement des résultats de l’évaluation EVAREM permet de transposer l’expérience menée au collège.

 

Voir le dossier complet très intéressant sur l'autoévaluation des pratiques des équipes, l'évaluation en seconde, evarem ainsi qu'un document d'accompagnement d'un projet en module :

pedagogie.ac-aix-marseille.fr/ecolp/eco/commun/htm/transversalhome.htm

 

 

L’approche par l’individualisation

 

"Quelle est la place des savoirs qu’on doit travailler par besoins ?" Les TICE ouvrent en la matière des horizons intéressants, comme en témoigne le site de Frédéric Dinel, REMEDIATION 6°[10], organisé autour d’un tableau de fiches par compétences, et des exercices en ligne pour les élèves. Les savoirs, ceux inscrits dans les programmes y ont toute leur place.

 

Après les tests d'évaluation à l'entrée en sixième, un répertoire des compétences nécessaires a été créé. A partir de ces compétences et des résultats aux tests, chaque élève organise en début d'année le travail qu'il aura à effectuer lors des séances de remédiation (une heure en demi-groupe par semaine). A chaque compétence correspond une fiche de travail avec une série d'exercices...

 

Vous avez donc la possibilité de créer vos propres exercices, toujours plus adaptés que ceux que vous pourrez trouver ailleurs. Avec Webquestions et Hot Potatoes, on peut fabriquer des exercices interactifs sous forme de pages HTML. Cela est intéressant si l'on maîtrise la création de pages Web, on peut alors associer ses propres textes à toutes sortes de questionnaires.

 

 

 

 

Cet arsenal, loin d’être exhaustif, l’enseignant peut le mobiliser pour lutter contre les difficultés réelles des élèves en matière d’apprentissages fondamentaux. Cependant, on reste encore dans le domaine de la réparation, sans toucher encore à la question de la réussite.

 

 

scénario de départ Du besoin à l’envie d’apprendre

 

"Faut-il parler de besoins avec les élèves pour les (re)motiver ?" Avec tous les élèves, aux besoins aussi variés que disparates, on ne peut créer le désir ou la motivation intrinsèque qui reste du domaine de la Personne, mais les conditions du contexte qui permettent de susciter son propre désir. Trouver du sens, accorder de l’attention, s’investir dans une activité d’apprentissage, seul l’élève peut le décréter, mais certaines pratiques et gestes de l’enseignant y contribuent favorablement (voir les variables dans la conduite de classe, « diriger une séance », ).

 

Les productions des élèves dépendent en grande partie des conditions sociales auxquelles ils sont confrontés. En comparaison descendante, on observe un besoin de protection de soin ; en comparaison latérale par exemple, en groupe de besoins, la situation est seulement évaluative, sans grand effet ; en situation de comparaison sociale ascendante, c’est à dire, en groupe hétérogène, on tend vers une amélioration de l’image de soi.

 

Dans un groupe, en situation d’anonymat, 90 % des élèves se comparent à leur groupe sexuel. Dans un univers très féminisé, il va donc dans l’intérêt des élèves, ici garçons, de varier les interlocuteurs et donc les groupements.

 

Paroles salvatrices…

 

"Je me rappelle d'un entretien avec un jeune qui se rappelait précisément un enseignant qui l'avait félicité pour son travail. Il m'a dit la chose suivante : "c'est la première fois qu'on me parlait comme à un homme." Le message banal du professeur s'est avéré être un message d'une grande importance.

 

Les enseignants sous-estiment leur capacité à "rattraper" les enfants blessés, dont presque tous attribuent à un enseignant la parole qui a été, pour eux, un facteur de résilience.

 

65 % des enfants, entre 12 et 18 mois, ont déjà appris à aimer d'une manière qui permette de prendre du plaisir en découvrant l'inconnu ("l'attachement sécure"). Pour ces enfants, l'arrivée à l'école, et tous les inconnus que cela comporte, sera donc un plaisir. Cela signifie qu'environ un tiers des enfants aura l'angoisse de la découverte de l'inconnu et développera peut-être une inhibition anxieuse. Ces styles d'attachement ont été acquis au cours du façonnement précoce de la mémoire. Cependant, il ne s'agit que de tendances et des retournements sont possibles. Ainsi, 25 % des enfants qui ont acquis "l'attachement sécure" s'effondreront en cours de développement et 35 % des enfants qui ont développé une peur de l'école se reprennent, simplement parce qu'ils ont trouvé une parole qui leur a permis de reprendre confiance."

 

Boris Cyrulnik , entretiens Nathan 2001, www.enseignants.com/ressources/entretiens_nathan/ecole_resilience.htm

 

 

Besoin de sens

 

En quoi l’Ecole répond-elle à la quête de sens et aux interrogations fondamentales des jeunes ? Comment montrer qu’aller faire un tour dans le monde des savoirs, le monde des grands est intéressant et nécessaire pour l’élève. Serge Boimare, directeur du CMPP Claude Bernard à Paris, exprime avec fermeté la nécessité de dépasser la seule remédiation ou la réparation :

 

"Il faut absolument se dégager de la pression de ceux qui n’analysent l’échec scolaire qu’en terme de manque, de sous-entrainement. (…) Lorsque pour apprendre, il ne suffit plus d’entendre et de voir, mais qu’il faut aussi réfléchir et construire, les problèmes commencent. Quoi que je fasse, je sais que ces préoccupations parasites ne pourront pas être mises à l’écart, surtout dans le domaine pédagogique, puisque c’est la sollicitation à penser qui les réveille. (….) Je ne sors pas de mon rôle de pédagogue en leur transmettant la culture, médiation formidable, pour leur faire savoir que d’autres, avant eux, ont formulé les mêmes questions, ont connu les mêmes inquiétudes, les mêmes peurs que celles qui les taraudent. Que d’autres avant eux ont su leur donner une forme, ont réussi à les transformer en découverte scientifique, en œuvre d’art, à les mettre en mot dans des textes fondamentaux."

 

Boimare en appelle à la Bible, aux contes, aux romans et particulièrement à Jules Verne : "Si les romans de Jules Verne plaisent tant aux adolescents, c’est parce que l’auteur a su trouver des figurations à toutes ces angoisses archaïques qui se rappellent à eux (…). A la différence de certains feuilletons violents, le voyeurisme est dépassé et utilisé comme tremplin pour stimuler le fonctionnement intellectuel, comme ressort pour alimenter le désir de connaître. Des ponts sont proposés pour que cet intérieur chaotique, éclaté, après avoir été approché, ne reste pas mortifère mais soit approché et transformé en questionnement. "[13]

 

C’est donc une invitation à reprendre, si jamais on avait laissé un peu de côté, les grands textes, comme le fait en primaire Marie-André de Coulhac à Paris [14]: sur toute une année, elle anime un atelier d’études et de langages qui mènent les enfants de CM dans un parcours d’apprentissage, d’oralisation et finalement de création à la découverte d’auteurs du patrimoine français mais aussi étrangers.

 

Un patrimoine culturel d'une quarantaine de textes, articulés autour d'un thème choisi en début d'année avec les élèves, permet dans une grande dynamique du savoir et de l'épanouissement d'aborder toutes les préoccupations de ces enfants. La joie, la haine, la peur, l'amour, la mort, le souvenir, la nostalgie... sont nommés.

 

C’est alors très étonnant d’entendre que tout le groupe participe à ce qui est plus qu’une simple récitation : chacun est détenteur d’une parcelle de textes et d’un sens qu’il n’hésite pas à accompagner de gestes ou d’emphase selon les cas ; des mots mystérieux ont été éclairés et mis en relation ; les grands textes sont l’occasion d’apprendre sur tout : matières scolaires s’il en est (grammaire, vocabulaire, orthographe), mais aussi approche philosophique sur le sens de la vie, la manière de regarder, la notion de point de vue, la découverte d’univers culturels jamais encore envisagés dans l’Ecole.

 

Et Marie-Dominique de conclure : la meilleure évaluation de ce travail est la maîtrise du langage dont les enfants font preuve en fin d'année. Le souvenir de cet apprentissage reste profondément gravé dans les mémoires comme en témoignent plus tard des lycéens, des étudiants, des professeurs et des parents.

 

La part du rêve…

 

René Char écrit qu' « un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver ».

Faire rêver devrait être aussi un objectif non négligeable des enseignants.

Zone de Texte:

 

 

scénario de départ Auto-test

 

En reprenant la série de questions, comment connaissez-vous les besoins de vos élèves ?

 

Élaborez trois éléments de réponse portant sur des approches, une méthodologie ou des outillages différents.


 


 

[2] Boris Cyrulnik, Entretiens Nathan 2002

www.enseignants.com/ressources/entretiens_nathan/ecole_resilience.htm

[3] Toute l’expérience est disponible sur

www.ac-rouen.fr/lycees/maupassant/trois_2/paroles/analyse1.htm

 

[4] à partir de la très riche page du site de Créteil, lettres :

www.ac-creteil.fr/lettres/pedagogie/college/6e/remediation/

[5] http://www.chrysis.com/site/cadrescatalog_th.htm

[6] www.cndp.fr/lettres/lemai

 

[7] www.linux-france.org/prj/escritor/

[8] mapage.cybercable.fr/marcpage/bof.htm

[9]  Des exemples et des fiches sont proposés en téléchargement.

mathematiques.ac-bordeaux.fr/peda/clg/dosped/gpe_besoin/lenoir/lenoir.htm

 

[10]lastrolabe.free.fr/REMEDIATION/fiches/accueil.htm

[11] http://usinaquiz.free.fr/autre/webquestion.htm 

[12] http://www.lectramini.com/lectra.htm

[13] intervention de Serge Boimare, Regroupement des acteurs des classes-relais, actes de la Desco, Paris, 2002, p. 97

 

[14] Son travail est en ligne sur le site INNOVATION de Paris, rubrique zoom, étude sur les grands textes, http://innovalo.scola.ac-paris.fr