Chapitre 21

Diriger des projets

 

 

"Nul n’entre ici s’il n’a de projet".

Epigraphie rouge sur marbre blanc, au-dessus du porche à caméra vidéo digitale intégrée du collège Romain Gary de Pantreuil

 

«L’homme-projet » habite nos écoles et nos établissements. C’est devenu une seconde nature officielle. Tout est projet. Vous voulez sortir avec vos élèves, faites un projet; vous voulez étudier le mouvement baroque : faites un projet ; votre action n’est pas encore reconnue dans votre établissement, faites un projet. Un mot incantatoire, paré de toutes les vertus, magique pour ouvrir les portes de participations financières rectorales ou partenariales. Faire un projet, diriger un projet est devenu une compétence de l’enseignant moderne au même titre qu’enseigner tout court. Tout se passe comme si cela allait de soi. L’analyse des projets d’école et d’établissement montre que non.

D’un autre côté, les élèves sérieusement engagés dans un projet s’étonneront toujours à un moment donné : « Pourquoi, en cours, c’est pas comme ça? » Les dérives sont nombreuses; le concept de projet appliqué au monde scolaire a perdu son sens. Tellement, qu’il faut revenir à son sens premier et débusquer les dilemmes avec lesquels nos collègues sont aux prises.

Les projets, « ça marche ! » 

D’après une note de la DEPP (mai 2006), consacré à l’évaluation des projets artistiques et culturels, 53% des élèves investis dans des projets PAC ont plus de plaisir à venir au collège qu'auparavant,. 82% des principaux estiment ainsi que les classes à PAC (projet artistique et culturel) ou les ateliers, contribuent à valoriser l'image de leur collège. 57% des élèves de classe à PAC et 43% de ceux d'ateliers déclarent que les activités artistiques leur permettent d'apprendre des méthodes de travail intéressantes pour les autres cours et les aident à approfondir certains points des programmes.   83,3% d'entre eux déclarent être à l'origine du projet. La mise en œuvre d'un projet artistique incite les enseignants à travailler ensemble.

 

scénario de départ Les sources d’un projet

 

"J’ai une idée de radio scolaire pour les élèves ; mais manifestement cela ne les branche pas." Dans la plupart des cas, l’enseignant ou un groupe d’enseignants sont à l’initiative d’un projet : la démarche est prévisionnelle et peut s’inscrire dans une intention d’action au moment de la pré-rentrée ou dans le cadre du projet d’école ou d’établissement. La radio serait ici plutôt une idée, un avant–projet, un concept que vous souhaitez développer. L’entrée par l’activité est une façon comme une autre de commencer, mais il en existe d'autres. On peut aussi partir d'un thème commun à plusieurs enseignants, de la disponibilité des enseignants, de compétences existantes dans l'établissement. Pas de bonne ou de mauvaise entrée en la circonstance, c’est déjà bien de « se mettre en projet ». Cependant, selon les configurations, chaque entrée présente une dérive potentielle (les petites flèches du schéma).

 

 

Dans tous les cas envisagés, c’est ici l’enseignant ou un groupe d’enseignants qui sont à l’initiative d’un projet : la démarche est prévisionnelle et peut s’inscrire dans une intention d’action au moment de la pré-rentrée ou dans le cadre du projet d’école ou d’établissement.

 

 

Comment passer d’une idée de prof à un projet d’élève

 

Cette phase stratégique sans laquelle rien ne pourra se faire s’appelle « dévolution » du projet aux élèves.

 

 

 

 

 

Développer la démarche projet

 

Ce cahier, retranscrit au propre par un élève (c’est déjà un rôle), sera la feuille de route du groupe. Il peut être susceptible de modifications en fonction du déroulement non linéaire du projet.

 

Cependant, la démarche de projet est structurellement inscrite comme objectif de programme dans certaines disciplines (la technologie par exemple), elle offre matière à apprentissages. Replacer la dimension d’un projet dans l’ordinaire du cours, c’est rendre possible le fait qu’un vrai projet part souvent d’un échange d’idées un peu folles ou mal formulées dans un prime abord entre élèves et avec eux. Ce n’est peut être pas votre idée, mais il est de votre compétence de guider la démarche si elle peut s’inscrire dans des apprentissages conformes à ce que vous devez faire avec eux.

 

 

scénario de départ Conduire un projet… avec les élèves

 

"J’ai l’impression d’être un chef d’orchestre, c’est fatigant." La tentation du contrôle est valorisante mais impossible à tenir, vous risquez rapidement l’épuisement et l’agacement en étant constamment sollicité pour tous les points. Appuyez-vous sur le collectif.

 

Prévoyez des rôles

 

Dès le début du projet collectif, envisagez la variété des rôles à tenir : techniques, communication, production, recherche, matériels ad libitum. (Sur les différents rôles possibles, voir « mettre en groupe »)

 

Il y a des rôles qui seront fixes selon la tâche à accomplir pour le groupe, d’autres tournants comme par exemple : faire le compte rendu objectif de la séance de travail, faire le compte rendu subjectif de son travail, afin de réguler l’action et de prévenir les décrochages éventuels. Un tableau des rôles pourra être affiché avec des petits cartons mobiles, comme les maîtresses de maternelle savent déjà si bien le mettre en œuvre, alors pourquoi pas un agrégé de lettres au collège ?

 

Chaque rôle pris est doté d’une capacité d’initiative reconnue, mais aussi d’une obligation de visibilité. Tous les élèves sont ainsi amenés à exercer de vrais responsabilités pour eux, pour leurs pairs, au service d’un projet.

 

Prévoyez régulièrement un temps d’information collective pour que tous soient informés de l’état d’avancement, des difficultés rencontrées et des régulations nécessaires. Ces temps sont intégrés dans la programmation indicative. Ils sont constitutifs du projet, ce n’est pas une perte de temps, mais un gage d’efficacité.

 

 

Comment distribuer les rôles

 

"J’ai distribué les rôles en fonction des talents et des résultats de chacun." Si vous attribuez les rôles en fonction de ce que les élèves savent déjà faire, il sera difficile de savoir si en terme d’objectifs d’apprentissage, les élèves auront vraiment appris, vu que les rôles vont les confirmer dans des maîtrises déjà validées. Rappelons qu’un objectif est d’abord une intention de changement.

On peut caractériser deux tendances : libérale ou autoritaire. Ni l’une ni l’autre ne sont mauvaises en soi, c’est une question de pratique et de congruence (adéquation avec votre propre style d’enseignement). [Sur le degré de « guidance », voir « diriger une séance », sur les modes d’association entre élèves, voir « guider le travail de l’élève »]

 

 

 

 

 

scénario de départ Le temps du projet c’est le temps des apprentissages

 

"Je n’ai pas le temps de m’attarder sur les difficultés de quelques-uns" La dynamique du projet comporte un facteur temps qui s’impose ; la progression pourtant indicative que l’on a prévue, même avec les quelques aménagements de type bilan, devient tyrannique. Il faut « boucler » l’édition, le spectacle, insensiblement, la logique de réussite devient beaucoup plus forte que la logique préalable de formation qui ne faisait du projet qu’une occasion « différente » d’apprendre par le détour des choses difficiles à acquérir sinon. Le projet n’est pas une fin en soi, mais bien un moyen de mobiliser plus efficacement l’attention, les savoirs en situation de découverte et de production. Le « je n’ai pas le temps » à cette aune ne tient pas la route. C’est au contraire bien le temps.

Zone de Texte: }         Sur les modes d’association entre élèves, voir « guider le travail de l’élève » page

 

En organisation du travail différencié selon les tâches et les objectifs de chacun (individu ou sous-groupe), si vous avez perçu des difficultés récurrentes chez quelques élèves, prenez les à part pendant une séquence pour analyser avec eux le niveau et le degré de difficulté ;

 

Renvoyez ensuite soit à une phase de cours, soit vers un collègue capable de prendre en charge une difficulté analysée, soit à un élève-ressource ; et suivez la « prescription » auprès des élèves concernés ; l’attention que vous leur portez, l’attente positive quant à leur réussite que vous leur manifestez seront autant efficaces que le remède prescrit.

 

 

scénario de départAccueillir l’imprévu dans un projet

 

"J’ai zappé la partie sur la fusion nucléaire, c’était pas l’objectif." Il est souvent arrivé que dans le traitement d’une phase du projet, dans la partie recherche, développement, production, un ou plusieurs groupes tombe sur un « os », comme on dit en archéologie. Il faut donc envisager ce qui était imprévisible et qui s’annonce lourd en traitement, en contenus, en conséquences sur la suite des événements. Deux solutions radicales peuvent s’imposer.

 

 

 

 

 

scénario de départSe donner les moyens de rattraper tout le monde

 

"Mounir reste en retrait  je lui donnerai le rôle de hallebardier." Si vous n’y prenez garde, il peut arriver que le fond de classe reste le fond de classe, projet ou pas. Cette situation vous interpelle sur les objectifs que vous vous assignez.

 

 

 

 

Selon la règle des tiers - on constate souvent une inflexion du projet à chaque tiers de temps -, le projet est déjà bien sur les rails, mais vous êtes confronté à une partition du groupe en deux clans : ceux qui accrochent et habitent leur rôle, ceux qui après quelques essais formels ont commencé à décrocher dans une attitude mi-passive, mi-ironique, pas encore d’hostilité franche. En tout état de cause, une décision est à prendre.

 

Un des aspects majeurs du projet est son « enrôlement » et sa dynamique de groupe, c’est pour vous un objectif professionnel non négociable. On se met en configuration « grand conseil » et on joue cartes sur table. Situez le niveau de difficulté et la nature de l’obstacle (oralité, publicité, individualité, loyauté culturelle dans ce cas peuvent être évoqués). Sont-ils rédhibitoires ? A discuter.

 

 

scénario de départ Que veut dire " réussir un projet "

 

L’expression « réussir » est polysémique : réussir pour qui, qui réussit, à quoi le voit-on ? Elle renvoie aussi aux origines du projet et à ses objectifs fixés. Plusieurs cas se présentent.

 

 

L’obligation de réussite

 

"La représentation DOIT réussir." L’action est très avancée ; vous sur-investissez le projet, et le portez à bout de bras. A travers lui, se jouent des objectifs professionnels qui peuvent dépasser vos élèves : votre reconnaissance dans l’établissement, votre autorité vis à vis des parents, votre charisme vis à vis des élèves, finalement des intérêts personnels s’agglomèrent à un projet professionnel altruiste.

 

Pour éviter d’arriver à cette situation embarrassante, la pratique du retour très périodique au « cahier des charges » avec explicitation des objectifs-élèves est salvatrice. (cf. ci-dessus). Rappelez en commun les objectifs, ceux sur lesquels vont porter l’évaluation finale permet aux élèves de retisser le lien avec le « scolaire », et pour vous, de vous décentrer d’une implication trop personnelle.

 

 

Bien boucler le projet

 

"Pour que l’édition sorte en temps et en heure, j’ai passé ma nuit à tout reformater." Au même stade d’avancement, vous évaluez encore trop bien la distance, en terme d’apprentissages, que vos élèves doivent encore parcourir ; ils ne maîtriseront pas la PAO en trois jours. C’est une expérience partagée par tout enseignant à un moment donné. La logique d’action et de réussite est trop forte pour échouer si près du but.

 

 

 

 

Dresser un bilan

 

"Le projet « météo » a été une vraie galère ; pas sûr que je recommence." Quand vous vous remémorez la liste des problèmes rencontrés tout au long de la conduite du projet, vous vous posez des questions sur sa reconduction. Tenez un carnet de bord du projet, même simple : objectifs, séquences, faits, problèmes rencontrés, ressources sollicitées.

La formalisation écrite vous permettra de mieux sérier les types de problèmes : structurel, conjoncturel, relationnel, matériel, partenarial, scolaire, psychologique, professionnel. Enfin, faites le point sur les savoirs et savoir-faire mobilisés en cours de projet par les élèves.

 

 

scénario de départ Faut-il évaluer un projet ?

 

"Finalement, le spectacle a bien marché, les élèves et les parents sont contents. Et moi ?" Les fins de spectacles peuvent avoir parfois un petit arrière-goût d’amertume. Tout ça pour ça ? Comme si la qualité intrinsèque de la prestation terminale disait tout du projet. Non. Les dispositifs d’évaluation de projet pèchent par défaut, car encore une fois, les objectifs d’apprentissage sont flous. On pourrait dès lors se représenter la démarche de projet comme un processus en cinq points, tous liés entre eux.

 

 

15 conseils pour gérer un projet

 

Jocelyne HULLEN, lors d’un Séminaire pédagogie de projet 2-3 Novembre 1999 a proposé une check-list pour conduire un projet :

 

L'enseignant novateur accepte en entreprenant une démarche de projet, de: 

 

1.Gérer la complexité et l'incertitude

2.tenir compte des besoins et des intérêts des élèves

3.créer les conditions permettant l'exercice d'une pensée créatrice : le travail de groupe

4.renoncer à la situation magistrale

5.agir comme médiateur et non comme dispensateur de savoir

6.veiller à ce que le caractère dynamique du projet ne s'efface pas derrière un caractère systématique technologisant ou psychologisant

7.négocier avec les élèves les objectifs et les moyens

8.susciter pensée divergente et pensée convergente

9.reconnaître les différences et les valoriser

10.évaluer le processus, les démarches autant que le produit

11.ouvrir l'école vers l'extérieur

12.apprendre aux élèves à anticiper, choisir

13.passer de la situation d'enseignement à la situation d'apprentissage

14.introduire une attitude expérimentale par rapport aux pratiques et aux situations éducatives

15.accepter un écart entre le travail prescrit et le travail réel.

(1) tecfa.unige.ch/~lombardf/ped_projet/consequences_ped_projet.html

 

Plusieurs niveaux d’analyse à observer pour valoriser l’expérience 


Les acquis des élèves : la maîtrise de nouveaux moyens d'expression, l'acquisition d'une pratique, un regard différent sur l'œuvre d'art, l'enrichissement des connaissances et l'ouverture sur le monde, le développement d'aptitudes personnelles (confiance en soi, accès à l'autonomie, accroissement de la motivation et de la sensibilité).

Une auto-évaluation des compétences : huit à neuf sur dix disent éprouver du plaisir, et six à sept sur dix se sentent plus actifs. Pour 58 %, ils prennent confiance en eux, une envie de poursuivre sur le temps personnel l'activité découverte.

Les relations avec les élèves s'en trouvent améliorées, pour 51,1% harmonieuses. Les élèves sont qualifiés d'actifs à 87,7%, et de créatifs à 83,9%.  Réciproquement les trois quarts des élèves s’estiment mieux encadrés, mieux écoutés, les rapports avec leurs camarades améliorés.

98% des enseignants évoquent les bénéfices de l’expérience PAC  "en terme d'enrichissement personnel" : pratiques différentes de celles du cours, pédagogie de projet, remise en question des méthodes de travail, interdisciplinarité, travail d’équipe.

Source: Note de la DEPP, mars 2006  www.education.gouv.fr/stateval/noteeval/listne2006.html

 

 

scénario de départ Auto-test : les bonnes question d'une conduite de projet

Zone de Texte:

 

Vous menez actuellement un projet avec vos élèves. Quelles réponses donnez-vous à ces questions classiques en matière de conduite de projet ?[1]
  • Qui prend l'initiative ?

  • Qui exerce le leadership ?

  • Qui fait quoi ?

  • Que faire lorsqu'on rencontre un obstacle cognitif ?

  • Que faire lorsque la confrontation à un obstacle exige des concepts ou des connaissances difficiles ?

  • Que faire lorsque l'évolution du projet marginalise certains élèves ?

  • Que faire en cas de conflit sur les options à prendre ?

  • Que faire si la dynamique s'essouffle, si une partie de la classe décroche ?

  • Que faire si l'évolution du projet éloigne des objectifs d'apprentissage initiaux ?

  • Que fait l'enseignant ?

  • Que se passe-t-il si le produit final n'est pas à la hauteur des attentes présumées des destinataires ?

  • Comment vit-on les problèmes rencontrés ?

  • Quel type de bilan fait-on à la fin ?

 


[1] d’après Philippe Perrenoud, Réussir ou comprendre ? Les dilemmes classiques d'une démarche de projet, Genève, 1998