Chapitre 9

L’ascension du mont « programme »

Définir une progression > réalisateur > technicien

 

Quand un guide part en randonnée avec un groupe, il prend sa carte topo et son relevé météo. Le pilote de ligne doit déposer son plan de vol avant d’embarquer. Et l’enseignant ? Quels sont ses outils privilégiés pour programmer son action, ses indicateurs pour vérifier son cheminement à l’ascension du mont « programme » ?

 

 

scénario de départQu’est-ce qu’une progression ?

 

« Je ne sais pas ce que représente ce qu’on appelle « progression ». La progression annuelle dans sa discipline, ou dans une matière (en primaire) n’est pas obligatoire, quoique cela dépende souvent des souhaits de l’inspecteur, mais c’est nécessaire pour vous. C’est un élément qui entre dans la composition de votre propre tableau de bord. Une sorte de feuille de route, un "outil de gestion du temps et de la classe, représentant l'organisation prévisionnelle, le déroulement séquentiel et le suivi du programme".

 

Les ingrédients de votre progression

 

A partir de la lecture attentive des programmes (instructions officielles et documents d’accompagnement), la progression, c’est votre projet prévisionnel d’activités qui souvent dans un tableau synoptique comprend :

 

 

La progression organise votre travail de formateur. Sans programmation, le danger est grand de ne pas avoir le temps de " finir le programme " ; mais elle n’est qu’indicative ; une progression trop « serrée », par exemple calculée sur 35 semaines ouvrables, sans prise en compte des temps nécessaires de bilans de savoirs, d’impondérables de toutes sortes indépendants de votre volonté (visites médicales, temps d’orientation, sorties scolaires, projets émergeants, et autres événements forcément imprévisibles) vous accule dès le départ à un contrat non tenu.

 

Impondérables

Il faut se ménager de la souplesse et des temps de respiration.

 

 

scénario de départ La recette de cuisine en six étapes

 

L’équipe éco-gestion de la Martinique propose un vademecum aux enseignants, complètement transposable à toute discipline. « Les définitions en sont aussi nombreuses que les pratiques... mais notre équipe s'accorde sur les points suivants » :[1]

 

· Ingrédients obligatoires :

-          référentiel (une grande partie d’entre eux est désormais disponible en ligne sur le site du CNDP et repris et développés sur nombre de sites académiques.

-          guide d’accompagnement et autres documents officiels s’ils existent (mêmes remarques)

-          textes officiels de la répartition des horaires, quand ils existent.

-          calendrier de l’année en cours (vacances, voyages, périodes de formation en entreprise quand c’est le cas).

-          manuel de la classe

-          emploi du temps de l’enseignant

-          papier, crayon, gomme

 

· Ingrédients recommandés :

-          plusieurs manuels, à titre de comparaison

-          référentiels de la discipline en amont (classe précédente) et en aval (il vous précise ce qui doit donc être acquis en fin d’année)

-          emploi du temps de la classe,

-          micro-ordinateur, tableur, accès Internet et navigateur, c’est mieux pour produire un travail collectif, communicable et susceptible d’ajustement.

-          doses de courage et patience.

 

¨ Étape 1. Préliminaires :

-          survoler dans un premier temps l’ensemble du programme ou du référentiel

-          diviser le programme en grandes masses : le recours aux manuels peut ici être utile (nombre de chapitres, de pages consacrées à chaque partie...) ; le travail peut d’abord se faire par trimestre

-          connaître le référentiel de l’année précédente vous permettra de vous appuyer sur les prérequis de votre classe

-          si possible, travailler selon l’organisation prévue dans l’établissement : trimestre ou semestre selon le cas, en vous basant sur des périodes courtes, de vacances à vacances (soit 6 à 8 semaines en général).

 

¨ Étape 2. Découpage précis :

-          dans la répartition effectuée, repérer les concepts fondamentaux, les notions essentielles ; il est alors essentiel de s’imprégner du référentiel, d’y repérer les champs notionnels, les compétences à acquérir, etc.,

-          puis reprendre le référentiel point par point

-          s’appuyer au besoin sur les documents annexes type guide d’accompagnement, fiches méthodologiques pour approfondir ce travail,

-          repérer l’organisation de la classe (heures de cours/TP ou TD, classe entière/groupes...) dans les textes officiels.

-          Travailler en équipe ou avec des collègues plus expérimenté(e)s peut s’avérer particulièrement utile à ce stade.

 

¨ Étape 3. Gestion du temps :

-          placer sur le calendrier les vacances de votre zone et les périodes hors cours (type stage), ou les événements locaux et manifestations prévues qui peuvent jouer sur votre enseignement (journée Portes Ouvertes, Salon du lycéen, examens blancs...)

-          laisser une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte d’aléas possibles (en général, une à deux séances par trimestre)

-          comparer la durée prévue (ou recommandée) dans le référentiel avec la durée réelle en totalisant les heures d’intervention possibles (et si besoin est, utilisez une règle de trois ou appliquez un coefficient de réduction à l’ensemble si l’écart est trop grand)

-          procéder au découpage effectif du programme, d’abord en grandes périodes, puis en affinant la répartition interne des points abordés.

 

Vous trouvez également sur le site, une grille de base sur 31 semaines sous Excel , et un calendrier à adapter à vos propres besoins.

 

¨ Étape 4. Construction de la progression :

-          penser dès le départ aux évaluations : forme, durée, fréquence… pour les intégrer à ce stade dans votre calendrier

-          vérifier que vous traitez l’ensemble du programme

-          préparer ensuite aussi efficacement le contenu de chacune de vos interventions (détail par séquence, en fonction de la progression). Mais il n’est pas forcément possible de le faire dès le début de l’année pour l’ensemble des séquences : il ne faut pas oublier l’actualisation des données et d’éventuelles opportunités qui vous obligeront à vous adapter.

 

¨ Étape 5. Adaptation en cours d'année :

-          suivre autant que possible la progression prévue

-          contrôler son déroulement au fur et à mesure de l’année pour rattraper au plus vite d’éventuels retards

-          l’adapter si nécessaire, sans perdre de vue votre objectif principal : traiter l’ensemble du programme, pour la réussite des élèves et des étudiants. La progression est un guide de travail, flexible et évolutif, à adapter à la classe, à son rythme, au vôtre, pour mieux réussir ensemble.

 

¨ Étape 6 - L’année suivante :

Recommencer... en tenant compte de l'année passée et des nouvelles données : durée de certaines séances à revoir, modifications éventuelles des évaluations, difficultés des élèves sur certains points, mise à jour ou rénovation des programmes à prendre en compte...

 

Au travers cette question de progression prévisionnelle, on perçoit bien que le métier a changé : on a dépassé progressivement la représentation fantasmatique de la maîtrise totale des contenus, du temps et de l’espace pour passer à une logique d’ajustement et de régulation a posteriori de l’exercice. On est presque dans une démarche expérimentale pragmatique : on fait une hypothèse de travail, on la soumet à l’épreuve de la réalité, on analyse les résultats, on en tire des leçons pour réguler la pratique.

Progression

Finalement, une bonne progression sera celle qui aura passé l’épreuve de l’expérience sur deux à trois ans.

 

Voir par exemple en lettres les tableaux synoptiques d’organisation des programmes (compétences, contenus) en matière de lecture et d’écriture, de la 6ème à la Terminale, sur le site de l’académie de Versailles :

www.ac-versailles.fr/pedagogi/Lettres/proglect.htm

www.ac-versailles.fr/pedagogi/Lettres/progecri.htm

 

 

scénario de départ Comment améliorer sa méthode

 

Comme toute recette, il faut se l’approprier, y ajouter sa touche personnelle, et au-delà des techniques, ne jamais oublier que ce n’est qu’une organisation des savoirs et du temps scolaire destinée à faciliter votre travail et les apprentissages des élèves.

 

Investir sa liberté pédagogique

 

Bien souvent, dans les programmes de discipline, il n’y pas d’ordre si ce n’est celui de l’énumération dans le B.O., à moins d’une prescription explicite. Par exemple, dans les textes relatifs à l’enseignement de la géographie en classe de seconde : « Les enseignants déterminent leurs approches pédagogiques, décident, après l’étude du thème introductif, de l’ordre des autres thèmes et du choix entre littoraux et montagnes, ainsi que des exemples significatifs qui constituent les supports du raisonnement géographique conduit avec les élèves » (B.O. hors série n°6 du 31 août 2000, en gras dans le programme).

 

La progression est donc d’abord une affaire de sens que vous voulez donner à l’organisation des apprentissages, contenus et savoirs faire. Pour aborder chacun des thèmes du programme, le professeur devrait répondre (et donc faire des choix) à trois questions successives :

 

C’est l’inverse de la démarche du cours :. le cours doit partir d’une étude de cas pour aller au général. Alors que construire la programmation, c’est d’abord réfléchir aux problématiques et aux notions à construire pour faire ensuite le choix cohérent des études de cas.[2]

 

 

Se donner un temps souple et des réserves pour durer

 

« Je ne parviens pas à tenir ma progression ; je suis en dépassement constant. »

André de Peretti rappelle aux enseignants l’utile loi des tiers : « à chaque séquence d'activités d'un groupe (par exemple un trimestre, un stage de formation, mais aussi une heure de travail), il se produit comme une crise au voisinage du premier tiers, puis du second tiers de la durée concernée.

Cette loi nous permet de prévoir et d'apprécier la montée de certaines difficultés dans des groupes, comme dans des classes. Et nous savons bien que demander à des élèves les mêmes facultés d'attention ou de réalisation au début ou à la fin de l'année scolaire, au début ou au milieu d'un trimestre, est irréaliste. Mais on peut remarquer aussi que les moments qui précèdent la fin d'un travail ou d'un trimestre peuvent être extrêmement riches si on prête attention. Comme c'est vers la fin d'un entretien ou d'une réunion que se disent souvent les choses essentielles. »

 

La progression que vous élaborez peut utilement prévoir une certaine souplesse en résistant à compléter toutes les cases du tableau de votre programmation. Et de planifier ce que Peretti appelle un temps « sabbatique », en fin de séquence, ou en fin de trimestre, de sorte à faire un bilan de savoirs, un point sur les réussites et sur le dégagement de l’horizon en mettant en perspective les projections des élèves.

 

Panoramique et zooms, une autre manière de progresser

 

« Je ne parviens pas à me libérer d’une progression fortement suggérée par le programme. » Je me souviens qu’André de Peretti m’a personnellement guidé en me proposant une lecture « cinématographique » de mon propre programme :, le « programme » d'un trimestre ou d'une année peut être proposé, après des moments de prise de contact, en une, deux ou trois leçons : dans un mouvement panoramique bien fait, appuyé sur un film, des diapositives, un résumé accompagné de plans et de quelques textes.

 Et on peut ensuite, plus librement, proposer plusieurs travellings avant, pour approfondir tel ou tel morceau de programme, choisis directement par lui ou au contraire par les élèves ou encore ensemble, compte tenu de leurs motivations éventuelles. On pourra ensuite terminer un trimestre ou une année en présentant avec force un nouveau panoramique, ainsi que quelques notes complétant les parties moins étudiées. Certaines des études poussées, des travellings avant, pourront être réalisées en séminaires, avec l'aide d'enseignants d'autres disciplines ou d'élèves d'autres classes, voire aboutir à des réalisations des élèves (exposition, film produit par les élèves, pièce jouée, schémas de mémorisation, systèmes de fiches, etc.).

 

 

scénario de départMa progression à l’épreuve des réalités

 

L’invitation à la liberté en matière de progression pédagogique rencontre fréquemment quelques obstacles à prendre en compte, pour mieux les « négocier » ; c’est le cas d’un manuel imposé sans votre avis, comme la liberté tout aussi irréductible des collègues. La progression est bien la combinaison complexe d’invariants programmatiques, mais de variantes contextuelles, professionnelles et personnelles.

 

 

Ma progression et celles de mes collègues

 

« Ma progression est incompatible avec celles de mes collègues de discipline. Difficile de faire autrement. » L’harmonisation dans une discipline d’une progression annuelle entre plusieurs collègues n’est pas obligatoire, mais elle présente des avantages certains : la charge de travail est répartie, l’échange de compétences entre expérimentés et jeunes enseignants permis, le croisement de modules possibles, l’évaluation partagée et facilitée. Elle devient nécessaire quand le constat est fait de différences très importantes en matière de performances scolaires au moment des conseils de classe.

Il s’agit alors de réduire les facteurs nombreux intervenants dans les résultats pour mieux analyser les difficultés rencontrées. Ainsi, aligner ses progressions permet d’envisager des regroupements différenciés d’élèves, des exercices communs, des organisations de type « professeur à la carte » qu’on a pu voir tester dans quelques établissements.

 

Comment conjuguer ma progression et leur manuel ?

 

« Avec le manuel avec lequel je dois travailler, la progression s’impose ; je ne dispose pas de marge. » Une pratique fondée sur la réalisation successive et méthodique des chapitres d'un manuel est, malgré la rigueur de la démarche, vouée à connaître les affres d’une progression inachevée. Le manuel est un outil parmi d’autres à votre disposition, il est une ressource pour vous comme pour les élèves et ne peut être le « prescripteur » de votre propre travail. La meilleure progression est celle que vous vous construisez, pas à pas, en vous appuyant au besoin sur d’autres ressources. Dans ce cas, il vous sera utile de revenir sur le processus dessus au niveau de l’étape 2.

 

 

scénario de départAUTO-TEST

 

 

 


[1] www-peda.ac-martinique.fr/ecogest/ressources/progress.htm

[2] D’après « Comment construire une programmation pour le programme de géographie de seconde ? », IUFM Aix-Marseille groupe de développement géographie - document de travail - Juin 2002

www.aix-mrs.iufm.fr/formations/filieres/hge/gd/gdgeographie/niveau/niveauseconde/consprog2.htm

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