Chapitre 24

Créer des situations d’apprentissage

 

 

"Une stagiaire, raconte Meirieu, avait mis les élèves par deux pour effectuer un travail de géométrie, en leur expliquant qu'ils devaient parler à voix basse. Un élève l'a interpellée du fond de la classe. Elle lui a répondu tout fort. Quelques instants plus tard, un autre l'a sollicitée en lui posant la même question. Elle a à nouveau obtempéré. En quelques minutes, cette jeune femme a donc fait passer trois messages à sa classe : le premier est que, contrairement à la consigne, on peut parler fort. Le second est qu'il n'est pas important d'écouter ce que disent ses camarades. Le troisième qu'on peut même se dispenser d'écouter ce qu'elle dit puisqu'elle le répète systématiquement. (…)[1]"

 

La conduite de cours en pilotage automatique et sans retour réflexif sur sa propre pratique semble donc poser un certain nombre de problèmes. La centration sur des contenus ou ici sur une technique de groupe fait perdre un peu de vue à l’enseignant ce qui fait l’originalité d’une situation d’apprentissage : comment les élèvent apprennent.

Quels sont les points que l’enseignant peut vérifier pour mieux engager les élèves à apprendre ? Quelles sont les conséquences pour lui, mais aussi pour les élèves ? En définitive, est-ce que « faire cours », c’est faire apprendre ? Le terme même de « situation d’apprentissage » pose en germe toutes ces questions.

 

 

scénario de départ La question de fond : qu’est-ce qu’apprendre ?

 

"Pourvu qu’ils apprennent ! »[2]

Différentes études convergentes dans plusieurs champs disciplinaires depuis une quinzaine d’années ont insisté sur l’activité de l’élève en tant que facteur primordial de son apprentissage : il ne s’agit pas de sombrer dans un activisme à tout crin, on parle plutôt d’activité intellectuelle par opposition à des situations de « paresse intellectuelle » aisément observable en classe : recopier le tableau, noter sous la dictée du maître, combler des exercices à trous, est-ce que cela engage à une activité intellectuelle qui permette d’apprendre ?

 

apprendre en trois conditions

 

Perrenoud propose une définition rapide en trois conditions :

 

 

 

 

On est passé progressivement, presque silencieusement, avec tous les décalages constatés sur le terrain, d’une logique d’enseignement (le « cours ») à une logique d’entraînement à la construction de compétence. Ce glissement sémantique prend appui aussi sur le type de formation proposée dans les programmes récents articulée autour du concept de compétence. "Il s'agit d'apprendre, en le faisant, à faire ce qu'on ne sait pas faire " (Ph. Meirieu, 1996)

[Sur le concept de compétence, voir « analyser des ressources »].

 

 

 

scénario de départComment monter une « situation d’apprentissage » ?

 

Nos amis québécois déclinent le thème en douze points, sous forme d’une « liste de vérification » d’une situation d’apprentissage[3] :

 

1.La situation tient compte des intérêts des élèves.

2.La situation tient compte des connaissances antérieures des élèves.

3.Les élèves doivent résoudre des problèmes réels ou simulés susceptibles d’être rencontrés à l’école ou dans la vie à l’extérieur de l’école.

4.L’élève doit faire une ou plusieurs tâches qui permettront d’observer sa démarche et lui demanderont de réaliser une ou des productions.

5.La ou les tâches sollicitent plusieurs compétences.

6.Pour réaliser la ou les tâches, l’élève mobilise plusieurs ressources : notions, stratégies, attitudes, etc.

7.Les élèves font appel à leur créativité et produisent des réponses originales.

8.La situation incite les élèves à travailler en équipe ou à collaborer entre eux.

9.Les élèves ont accès à diverses ressources : livres, personnes, logiciels, etc.

10.Les productions sont destinées à un public (élèves de la classe, élèves des autres classes, parents, etc.)

11.Les élèves ont le temps nécessaire pour réaliser leur tâche. La durée est variable : quelques périodes, jours, semaines, mois, etc.

12.L’enseignant utilise plusieurs critères pour juger de l’efficacité de la démarche et de la qualité de la production. Les critères d’évaluation sont connus des élèves.

 

Pour compléter la check-list, on trouve une présentation animée rassemblant les éléments constitutifs d’une situation d’apprentissage,

www.csvdc.qc.ca/outils_evaluation/situation_apprent/analy_sit_appr.ppt

Voir aussi le tableau de bord d’une situation d’apprentissage, avec nombreux exemples d’application :

recitmst.qc.ca/camptic2003/equipe1/situation/Imprimer%20une%20situation%20d'apprentissage.htm

 

 

scénario de départ Partir d’un problème dont la solution n’est pas immédiate

 

"Quelle rapport entre situation d’apprentissage et situation-problème ?"

Le point d’ancrage d’une situation d’apprentissage est donc une interpellation, une question sans réponse immédiate, un obstacle à négocier. Mais peut-on par exemple problématiser les lettres ? C’est la question que se pose Yvon Logeat en prenant appui sur une prétendue spécificité de la discipline qui l’exclurait de la réflexion générale.[4] "Mathématiciens, physiciens voire biologistes peuvent prétendre enseigner la résolution de problèmes.

Dans l'enseignement secondaire, les problèmes posés dans ces disciplines ramènent l'élève à ce qui lui a été enseigné et à des données connues et reconnues dans la discipline. Mais un professeur de littérature devra souvent se contenter d'apprendre aux élèves à se poser de bonnes questions. On dit d'ailleurs qu'il faut savoir "problématiser" à partir de l'énoncé d'un sujet de dissertation, par exemple, comme si "problématiser" relevait d'une démarche évidente pour nos élèves », qui vivent souvent l’école comme un lieu de réponses à des questions qu’ils ne se posent pas.

 

Problématiser est une première étape qui pose l’hypothèse que le savoir sera potentiellement une réponse à une ou des questions. Cependant, prenez garde à la dérive épistémologique où la situation problème trop focalisée sur sa résolution certaine néglige quelque peu son questionnement.

 

Formuler la situation-problème de façon à prendre le contre-pied de ces représentations majoritaires et à susciter questionnements et recherche collective d’éléments de réponse. On peut partir par exemple de :

• une formule qui gêne,

• une idée ou un texte qui implique, qui interpelle,

• un résultat d'expérience qui ne semble pas logique,

• un problème qui paraît impossible à réaliser,

• un modèle explicatif en contradiction avec celui des élèves,

• deux éléments contradictoires (en apparence !)

• deux éléments que l'on ne met pas en parallèle habituellement,

• un " piège " dans lequel les élèves tombent.

 

 

scénario de départ Les conséquences sur l’enseignant et sur les élèves

 

Organiser des situations d’apprentissage conduit immanquablement à repenser la place de l’élève et la place du maître, dans ses représentations comme dans ses pratiques.

 

Comment je me représente ma classe ?

 

Le passage cours-situation d’apprentissage n’est pas donné et renvoie immanquablement à votre propre représentation du métier.  Parmi les schémas proposés ci-dessous, votre conception de la pratique de classe correspond plutôt à quel « modèle » ?

 

 

 

 

Modèle chinois

 

Modèle Apartheid

 

Modèle oriental

 

Modèle « armée mexicaine »

 

Modèle « administration à la française »

 

Modèle « partie de chasse soviétique »

 

Modèle fédéraliste

 

Modèle complexe

 

Pas de bon ou de mauvais modèle en soi. Le pilotage de la situation d’apprentissage n’est plus le même suivant que vous êtes (alternativement) en mode « chinois », orienté vers la seule transmission et l’activité « professorale » de l’enseignement, ou que vous adoptez le mode « fédéraliste ». La grande différence est la place accordée ou dévolue à l’élève dans votre « système » d’enseignement.

 

 

Les implications pour l’enseignant et les élèves

Dès lors que vous vous mettez en mode « situation d’apprentissage », dans laquelle les élèves sont beaucoup plus sollicités, les implications touchent aussi bien l’enseignant que les élèves.

 

> pour l’enseignant

 

 

 

 

On est finalement proche d’une démarche de projet, telle qu’elle est décrite dans « conduire un projet », ou encore des pratiques mises en œuvre dans les « structures expérimentales innovantes » actuellement.

 

> Pour les élèves

 

 

 

A inscrire parmi ses favoris. Le site de Jacques Nimier, « les facteurs humains dans l’enseignement » est une mine de ressources, d’analyse et de témoignages, notamment sur les représentations, les attentes exprimées par les enseignants et par les élèves. Très régulièrement mis à jour.

perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/representation_groupes.htm

 

scénario de départ AUTO-TEST

Vous venez d’achever une grosse séquence dont vous êtes particulièrement fier(e). « Ca a marché ». Pour identifier ce qui était en jeu, et envisager de reproduire par transposition même partielle « ce qui a marché », voici en une volée de questions l’analyse d’une activité d’apprentissage, proposée par Discas[5] :

 

Analyse d'une activité d'apprentissage

 

Mise en situation

 

Expérimentation

 

Objectivation

 

Réinvestissement

 

Caractéristiques globales

 


[1] Philippe Meirieu, Libres propos sur l’Ecole, sept. 2003, certains extraits sont parus dans le Monde, 14 sept. 2003

[2] Titre d’un recueil de mémoires de jeunes enseignants, par Annick Davissse et Jean-Yves Rochex (dir.)" Pourvu qu'ils apprennent… ".
Face à la diversité des élèves
, Le-Perreux-Sur-Marne, CRDP de l'Académie de Créteil, 1998

[3] Société GRICS, Service de consultation en développement pédagogique. Johanne Munn, Pierrette Jalbert, et Paula Dodier, hiver 2001 http://recitmst.qc.ca/SAO/listeverificationprojet.pdf    

[4] Sur SavoirsCDI, Yvon Logeat montre comment poser problème dans l'enseignement des lettres.

savoirscdi.cndp.fr/pedago/problematique/Logeat.htm

[5] discas.qc.ca/CadrePed/analActivAppr.html

DISCAS 1995, Jacques Henry et Jocelyne Cormier