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Quelle que soit l’entrée utilisée, qu’il s’agisse d’écrire sur
nos pratiques, qu’il s’agisse d’utiliser un retour vidéo sur ce que
nous faisons, ou de travailler avec un outil comme l’explicitation dont
je vais parler tout à l’heure, je crois que l’un des processus
importants est un processus de décentration, du fait que nous sommes très
impliqués et engagés dans l’action, et qu’il est essentiel d’avoir
des temps de prise de recul, de distanciation, pour prendre conscience de
ce que nous faisons dans l’action.
Ce processus de prise de conscience se
rapproche beaucoup de ce qui était désigné comme une appropriation de
ce que nous sommes, et ça me paraît tout à fait essentiel dans la
mesure où, et je reprends là ce que Pierre Vermersch dit de l’action,
l’action est opaque à elle-même. C’est-à-dire que quand nous
faisons, qu’il s’agisse de réussite ou qu’il s’agisse de moindre
réussite, nous ne savons pas nécessairement tout ce que nous mettons en
œuvre dans l’action ; donc il y a toute une série d’implicites
qu’il est intéressant de mettre à jour. C’est là, probablement,
que l’analyse des pratiques est efficace et que, peut-être,
l’entretien d’explicitation apporte une méthode, une méthode de mise
en mots des pratiques.
Donc, processus de décentration,
processus de prise de conscience et mise en mots de ce dont est faite
l’action. Une fois que c’est mis en mots et écrit, l’intérêt est
double. D’une part pour nous, effectivement : à partir de cette prise
de conscience et de cette mise en mots, cela devient transférable à
d’autres situations analogues, nous pouvons alors réutiliser ce dont
nous avons pris conscience : " ah, tiens, j’ai fait comme ça, là
". C’est alors beaucoup plus facilement mobilisable dans une action
ultérieure. Donc transférabilité pour soi, et puis transmissibilité
aux autres ; non pas que cela puisse se transmettre comme par magie, mais
une fois mis en mots, cela devient communicable, et libre à chacun
d’entre nous ensuite de reprendre tel ou tel élément d’une pratique
décrite et à laquelle nous souhaitons nous essayer.
Une des difficultés tient à ce que si
on écrit spontanément sur sa pratique, l’un des risques consiste à
rester au niveau des intentions et des résultats ; il n’est pas si
facile d’accéder à une description des pratiques effectives. C’est
à ce niveau là que l’entretien d’explicitation est un outil extrêmement
intéressant, parce qu’il vise précisément à mettre à jour des éléments
que Pierre Vermersch appelle " pré-réfléchis ".
Qu’est-ce que cette notion de pré-réfléchi
? C’est l’idée qu’il y a un vécu immédiat, qui est ce que nous
vivons au présent dans l’action, et puis que, si nous parlons de ce que
nous avons fait, nous allons produire une mise en mots qui va probablement
rater le détail fin de ce que nous mettons en œuvre dans l’action.
Donc, l’ambition de l’entretien
d’explicitation c’est, par la médiation d’un interviewer qui
questionne, enregistrer au magnétophone la mise en mots, par le sujet, du
vécu de son action. En général on enregistre au magnétophone
l’entretien, c’est souvent à deux dans le cadre d’ un entretien de
recherche, mais cela peut être dans de petits groupes d’analyse de
pratiques. J’en anime un certain nombre, en utilisant la technique de
l’explicitation.
Il s’agit vraiment d’une action
descriptive du comment de l’action et en fait, sous action, il faut
mettre principalement deux axes, l’axe des prises d’information,
c’est-à-dire " comment je sais que par exemple, les élèves là
sont attentifs, sont motivés, rentrent dans la notion qu’effectivement
je souhaite aborder avec eux ". " Comment tu sais que ... ?
", c’est un des axes. Quelles sont les prises d’informations qui
permettent de mener à des opérations d’identification ?
C’est un premier axe très important,
le second étant celui des prises de décision ; c’est-à-dire : une
fois que j’ai pris cette information, qu’est-ce que je fais ? Quelle
prise de décision ? et comment je fais quand j’ai pris cette décision
?
Par exemple, je constate que les élèves
sont en train de se disperser. " Comment tu sais que, effectivement,
là, l’attention est moins grande ? ". Je le vois. "
Qu’est-ce que tu vois quand tu vois ça ? " et ainsi de suite.
Donc, il y a une poussée du questionnant jusqu’à mettre à jour des
prises d’informations, et le comment de la régulation par rapport à
cette prise d’informations qui permet d’accéder un peu mieux
qu’avec une verbalisation spontanée sur les pratiques à ce qui est
fait, à ce que Vermersch appelle "la réflexion en action des
praticiens experts". " Je sais faire, je ne sais pas tout ce que
je mets en œuvre ". Chez les enseignants, c’est beaucoup de
choses, tout ce que je mets en œuvre pour savoir faire.
Un exemple très intéressant : quand on
sollicite les enseignants sur leurs réussites, très souvent, les
enseignants experts, réagissent sur le mode de : " ah, mais
justement, là, je ne fais rien ". Et c’est vrai que
l’explicitation est très efficace pour mettre à jour : "
qu’est-ce que tu fais quand tu ne fais rien ? ". Et là, on a des
verbalisations extrêmement riches sur les prises d’informations,
l’attention extrême portée au groupe classe, aux élèves qui
travaillent en groupes par exemple, et y compris : " qu’est-ce que
je fais pour ne pas intervenir ? Je me mords les lèvres… "
Qu’est-ce qu’on fait quand on ne fait rien pour que les élèves
travaillent ?
Ce sur quoi je n’ai peut-être pas
insisté, c’est que, précisément pour ne pas passer du vécu immédiat
au vécu mis en mots, il y a un processus de réfléchissement. C’est le
mot. J’ai parlé de pré-réfléchi ; justement, on prend le temps
d’un réfléchissement, c’est-à-dire d’accéder à un vécu représenté.
C’est ce détour que Pierre Vermersch appelle le réfléchissement, avec
quelqu’un qui questionne et qui a un simple rôle de miroir et d’aide
à la prise de conscience, ce qui est tout à fait spécifique de
l’explicitation.
C’est une méthode de questionnement
qui s’apprend, qui me paraît précieuse en tant qu’aide à l’écriture.
Elle permet aussi de comparer les moments de réussite et les moments de
moindre réussite, et cela peut souvent éclairer: " comment je fais
quand je m’y prends moins bien ? " avec " comment je fais,
qu’est-ce que je mets en œuvre, quelles sont mes prises
d’informations et mes prises de décision quand je sais faire ? ".
Bien entendu on ne peut pas faire l’économie
de tout le processus de formation qui va derrière. Ce n’est pas parce
que c’est écrit que d’autres peuvent s’approprier des pratiques réussies
et bien décrites ; je crois qu’on ne fait pas l’économie
effectivement des essais, des erreurs et de l’analyse de ses propres
pratiques quand on veut essayer quelque chose que des collègues ont mis
à notre disposition. |