Honneur au colibri, notre « maître » !

 

Les êtres qui nous entourent ou volètent autour de nous peuvent nous nourrir d’images et de modèles d’activité, utilisable en forme de métaphore. Mais on peut dire, de toute métaphore, qu’elle peut être, métaphoriquement parlant, placé sous le signe vif, et même furtif, du colibri. Alors colibrillons !

 

On sait en effet que cet oiseau brillant est doté d’une paire d’ailes non coudées. Il est le seul de son embranchement à posséder cette propriété. Elle lui permet, s’approchant d’une fleur pour en butiner le nectar, de s’en éloigner prestement pour éviter de la piquer avec son bec futé, mais tout aussitôt de revenir vers la fleur, en d’incessants et respectueux aller-retour bénéfiques, selon un vol apparaissant quasi-stationnaire.

 

Ainsi, par sa maîtrise ailée, nous montre-t-il une alternance délicate, incessante, féconde, de présence puis de distance à un objet ou sujet révéré. On peut aussi dire, s’inspirant du terme de Bertold Brecht, « Verfremdungseffekt », qu’il nous expose une maîtrise de « distanciation » pour assurer la justesse d’une « présenciation » à une réalité en floraison généreuse.

 

Aussi donc, soyons en garde d’utiliser toute métaphore au plus proche de sa vivacité mais sans appuyer trop fort sur les similitudes fragiles qu’elle nous distille, car ce serait en risque d’altérer la réalité à partir de laquelle elle a été modélisée !

 

Si nous tentons alors d’appliquer la métaphore du manège actif du colibri à la relation pédagogique, nous touchons une question délicate : celle de la posture paradoxale de l’enseignant ; faire cours, enseigner à un groupe-classe, c’est finalement être directif, intrusif. Dans une conception ancienne, mais toujours actuelle et revendiquée par certains, c’est  même l’imposition irradiante d’un savoir.

Quelle est alors la latitude dont l’enseignant dispose ?  Comment concilier présence et distance ?

 

Zone de Texte: Régler sa présence-distance, comme prof !
C’est la problématique subtile que la métaphore du colibri, notre emblème de prof !, nous permet donc d’approcher.

Il peut être tout petit, mais, souvenons-en nous,  il est le seul oiseau qui n’a pas de coude, pas de raideur, à son aile, ce qui lui permet d’être stationnaire tout étant en dynamique : réalisant la présence à une approche des êtres, respectant la distance pour mieux gérer la pression de sa présence sans inertie piquante, statique, sur eux. Bertold Brecht parle aussi aux « acteurs » que nous sommes, du « rôle » à jouer avec de la « distanciation » nécessaire.

 

Tentons déjà notre chance en mettant la relation entre l’enseignant et l’élève (ou un groupe d’élèves) sous le signe métaphorique du colibri !

 

L’enseignant peut s’approcher au plus près de chacun, mais en gardant à temps une juste distance : présence, oui, mais non pas pression lourde ni piqûre ni risque de déchirure. Il ne doit pas non plus se cantonner à une distance tranchée, cassante, creusant une dépression aussi néfaste qu’une malencontreuse pression : mais il lui importe de rétablir la juste présence à l’enfant, à l’élève, à la classe. En ingénieuse régulation de sa présence-distance motivante ! De laquelle il peut tirer, nectar ?,  la satisfaction de l’élève explicité par ses yeux, mais aussi les savoirs fécondants qui lui peuvent être restitués par lui et ses camarades en co-naissance, selon l’orthographe poétique chère à Paul Claudel.

 

C’est bien le travail réel du rôle à tenir dans la relation pédagogique. Le maître peut essayer d’obtenir,  de tirer de l’élève, en s’en approchant le plus possible, un certain nombre d’attentions, d’efforts, mais au moment où il risque de trop faire pression, il lui faut prendre de la distance : de même, il peut être présent à sa classe, et cependant rester à distance de ses élèves.

 

Régler sa présence-distance, comme prof !

 

Un peu d’histoire naturelle pour les curieux

 

Le Colibri ou plus familièrement l'oiseau-mouche ! Minuscule oiseau butineur des régions tropicales d'Amérique et alentours.
 De la famille des Trochillidés, certains spécimens ont la taille d'un gros bourdon. Avec 80 battements d'ailes par seconde, le vol stationnaire du colibri devant les fleurs gorgées de nectar est un spectacle furtif mais haut en couleur.
  Celui-ci est noir avec le ventre gris, la tête ornée de vert métallisé, et ne mesure pas plus de 8 cm.  

 Il parait que le colibri alterne ces vols de périodes de micro-sommeil pour récupérer plus vite. La nuit sa température corporelle est proche de celle d'une hibernation !!!!

 

C’est le butineur des fleurs ; avec son bec pointu, quand il s’approche pour prendre le nectar d’une fleur, il court le risque de piquer la fleur, et son problème, c’est dans son approche de reculer en vitesse. C’est par une série de rapprochements et d’éloignements successifs qu’il va pouvoir se gorger de nectar et éviter de faire mal à la fleur.

C’est une suite d’approximations. Un véritable jeu questionnant et de régulation constante. C’est un état de veille et d’éveil nécessaire, appliquant aux élèves ce que Michel Serres appelle la « vergogne », la « retenue » : ne faire, n’entreprendre que juste ce qu’il faut.[1]

[1] Miche Serres, Le Tiers-instruit, Paris, Gallimard, collection Folio, 1991

Retenue ? Distance ? Oui, et plus généralement, car savoir reprendre de la distance, et donc du souffle est aussi nécessaire pour les enseignants eux-mêmes entre eux. En ce qu’ils ne sont pas les seuls à intervenir dans la classe. L’action de chacun peut gêner celles des autres ; d’autres interactions agissent aussi de l’extérieur dans la classe. Et celle-ci change, n’est jamais au même état  ou lieu : il faut reprendre distance pour s’ajuster.

 

Il faut alors bien vivre le mouvement et être en déséquilibre  de réajustement dynamique ; les problèmes viennent des accroches aux points fixes. Les programmes sont aussi comme les fleurs, il faut les prendre de manière modérée, ajustée.

 

Prendre son nectar et non piquer toute la fleur.  Juste ce qu’il faut, sans plus, en approximations successives. Et se demander sans cesse, mais en légèreté : est-ce que j’enseigne trop de savoirs non décantés ? Est-ce que je reste trop ou en deçà de connaissances, qui seraient utiles aux élèves, à tel élève ? Equilibre, et alors culture…

 

 

Cette approche mesurée de la relation à autrui dans la classe peut vraisemblablement s’appliquer aussi aux savoirs à enseigner, aux contenus des programmes. Les enseignants parlent beaucoup de leur lourdeur ; la pression est forte et conditionne en grande partie leurs pratiques et partant leur relation au groupe-classe.

Zone de Texte: Travailler par approximation ou accommodation successives.
Peut-on alors jouer le colibri avec le savoir ?

 

 

Être léger n’est pas être superficiel, c’est se permettre la souplesse d’adaptation, l’équilibre entre une présence et une distance, entre une émulation entre les élèves et une distance par rapport aux conflits naissant de leur compétition. C’est rechercher, en apprentissage ou en action, une juste approximation, sans obsession compulsive ; en fidélité à l’esprit scientifique.

 

Car dans une conception physique, on doit par exemple connaître l’ordre de grandeur et non la totalité de chaque phénomène, ce qui serait illusoire et même dangereux. L’ordre de grandeur, c’est le repérage et donc l’incitation qui permettent à l’intelligence une juste prise de distance.

 

Travailler par approximation ou accommodation successives.

 

De même, en optique, importe notre capacité pour saisir le relief par la conjugaison entre deux vues différentes, c’est la mise au point des réalités. C’est une précaution scientifique. On ne peut saisir la totalité des choses en certitude. « La fin des certitudes[2], », a été bien soulignée par Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie ; il faut en user, pour les autres et pour soi, mais avec « modération » !

 

[2]  éd. Odile Jacob, Paris, 1996. Le titre a été repris dans le domaine de l’éducation ensuite par  Jacky Beillerot, L'éducation en débats : la fin des certitudes, Paris, L'Harmattan, 1998
Aux termes d’approximation et d’accommodation, on peut aussi associer la richesse du mot d’ « approche » utilisé par Carl Rogers, dans l’approche centrée sur la Personne, qui peut être valable pour le travail de l’enseignant. Il implique à la fois une précaution de réserve et un cheminement vers la Personne[3], le colibri sur l’épaule ! Prendre attention à sentir jusqu’où avancer, aussi bien qu’à quelles distances se retenir…

 

[3] Voir notamment PERETTI (André de).- "Actualité de Rogers." Cahiers Pédagogiques n°324, mai 1994, 13-19., ou plus long : id., Présence de Carl Rogers, éd. Erès, Ramonville, 1996. Voir aussi le chapitre sur l'écluse.

Finalement, sans chercher de cage à notre ami le colibri, la transposition au monde des humains « scolaires », comme nous, permet de préciser trois ressources qui rendent compte des accommodations nécessaires.

 

LE TRIANGLE - D’abord, nous retrouvons le triangle pédagogique décrit il y a quelques années par Jean Houssaye[4] (1988).   La formalisation géométrique rendait compte des alternatives ou approches possibles qui s’offre à tout enseignant, entre enseigner, apprendre, former selon qu’il doit insister plutôt sur un pôle par rapport aux deux autres.

Mais tel le colibri en équilibre dynamique, il s’agit ici de varier nécessairement son approche, sans raideur.

 

 

 

[4] Repris par exemple ici

http://www.pum.umontreal.ca/theses/pilote/mainville/these_body.html#fig2 

 

Il ne s’agit pas de faire le choix définitif entre telle ou telle posture, mais de varier plutôt son vol et son approche de la personne, selon l’intention, selon la méthode. 

 

Zone de Texte: Définir son style d’enseignement

LA GUIDANCE - Nous pouvons l’exprimer autrement, par le concept de guidance, un néologisme appliquée à la conduite de classe, en des moments de directivité forte et des moments alternés de liberté de recherche, d’expression, de pensée, confiés aux élèves : avec humour et choix des réglages appropriés ; en présence-distance avisée aussi bien par rapport aux savoirs, aux élèves qu’à soi-même.

 

Mais alors, osons passer de l’image ailée du colibri à celle plus prosaïque du « curseur ».


 

Le conte du curseur pédagogique

 

Tableau des plots indicatifs sur lesquels déplacer un « curseur » de réglage et de « balance » entre deux pôles extrêmes[5]

styledirection.jpg (69567 octets)

 

Définir son style d’enseignement

 

[5] extrait du site DIVERSIFIER, http://diversifier.fr.fm, concept et réalisation : François Muller

C’est à l’image de la dynamique du colibri le jeu d’un curseur qu’il faut envisager pour régler le  petit moment d’une séquence, mais les réglages sont à ajuster en fonction de paramètres qui tiennent autant à nos propres objectifs qu’au type d’activité proposée, mais aussi aux modalités d’organisation des groupes dans la classe.  

 

 

TROUVER LE STYLE PERSONNEL D’ENSEIGNEMENT – Pour définir le style d’enseignement, finissons bien avec un petit test repris les éléments d’une étude sur leur variété éventuelle[6] :

 

En s'inspirant des travaux de Blake et Mouton, en matière de management, on peut en effet  identifier quatre styles d'enseignement représentatifs des pratiques pédagogiques observables, à partir d'un modèle bi-dimensionnel (attitude vis à vis de la matière, attitude vis à vis des apprenants).

 

intérêt pour les apprenants

fort

 

 

A

style associatif

techniques de travail en groupes

travaux pratiques...

I

style incitatif

exposé socratique

étude de cas, débats...

 

 

 

faible

P

style permissif

auto-didactisme assisté ou non

T

style transmissif

enseignement frontal

exposé ex cathedra

 

faible

 

fort

intérêt pour la matière

 

Chacun de ces 4 styles peut se révéler efficace ou inefficace en fonction des situations et en fonction des interventions plus spécifiques de l'enseignant ou du formateur. Il n'existe donc pas un "bon style en toute circonstance".

 

Version "moins efficace"

Version "plus efficace"

T

style transmissif

 

Le formateur communique un maximum d'informations dans le temps imparti. Son exposé transpose directement un texte écrit sans l'adapter aux circonstances et au public.

Le formateur fait un exposé, mais en l'adaptant aux circonstances et au public: il annonce des objectifs, il structure, il concrétise.

I

style incitatif

 

Le formateur a le souci constant de faire participer les individus, il sollicite des réponses ponctuelles, mais sans exploitation effective (questions "devinettes")

Le formateur a le souci constant de faire participer le groupe, il sollicite des avis, il stimule des interventions spontanées, il utilise les réponses (questions plus ouvertes)

A

style associatif

 

Le formateur n'accorde qu'une confiance relative aux apprenants. Il entend les faire travailler, mais n'attend pas grand chose de cette collaboration, il ne promet pas d'aide effective, il "corrige" et "rectifie"

Le formateur fait confiance aux apprenants, il se considère et il est perçu comme une "personne-ressource" dont le rôle essentiel est de faciliter les apprentissages individuels et collectifs.

P

style permissif

 

Le formateur reste passif, voir laxiste. Il se contente de meubler le temps qui lui est imparti sans considération réelle pour les apprenants et pour les objectifs.

Le formateur met à la disposition des apprenants des documents de qualité bien adaptés à leur niveau. Il intervient très peu mais répond aux demandes explicites.

Mais chaque professeur peut s’interroger sur la combinaison originale qu’on peut effectuer dans le temps, par une alternance entre l’un ou l’autre de ces styles, adoptés mais en présence-distance sauvegardée.

Pour aller plus loin :

Gestiondeclasse.net

Un site canadien vous propose en ligne une série de ressources originales et interactives, dont par exemple un test

 

 


Quel type d'intervenant êtes-vous? Quel type de gestion de classe adoptez-vous avec vos élèves?
Choisissez les tests que vous voulez prendre afin de découvrir vos points forts et vos points faibles en matière de gestion de classe. Amusez-vous!

 

 

 

Section A : Dans le domaine de la connaissance

 

Section B : Dans le cadre d'une démarche d'analyse

 

Section C : Afin d'intervenir avec compétence

 

Section D : Dans le cadre de la gestion des apprentissages de mes élèves

 

Section E : Dans le cadre de la gestion des comportements de mes élèves

 

 

 

 

[6] source: Therer-Willemart, Univ. Liège, 1982, cité dans A. de Peretti, Encyclopédie de l'évaluation..., p. 115